N° 103, juin 2014

Les Mandéens iraniens
(Les Sabéens d’Iran)


Sepehr Yahyavi


Remarques préliminaires

Dans le Sud-ouest iranien, sur les bords du grand fleuve Kâroun (Shatt al-’arab), vivent les membres d’une très vieille communauté. Il s’agit de la communauté des baptistes d’Iran, dont les croyants consacrent l’eau. En Iran, cette communauté compte près d’une trentaine de milliers de membres dispersés dans des villes du Khouzestân telles qu’Ahvâz (le chef-lieu de la province), Soussangerd, Khorramshahr, Howeizeh et autres. Autrefois, la plus grande partie de cette communauté, trois fois plus importante que celle de l’Iran, vivait en Irak.

Les Mandéens utilisent l’eau non seulement pour leurs rites religieux, mais aussi pour leurs cérémonies civiles. Leurs principaux métiers sont dits "traditionnels" : autrefois constructeurs de barques et de petits bateaux, ils sont aujourd’hui souvent joailliers. Quant aux nouvelles générations, souvent bien éduquées, elles sont aussi présentes dans les métiers familiaux traditionnels que dans des métiers plus scientifiques. Les mariages sont quasiment toujours intracommunautaires, tout comme les Zoroastriens qui pratiquent l’endogamie.

Les Sabéens parlent une langue dérivée de l’ancien araméen, le mandéen, et possèdent un livre saint appelé Genza Rabba (littéralement "Grand Trésor"), rédigé en araméen. Ils ont aussi d’autres livres saints tels que Le livre de Jean et Le Livre des âmes. Les Sabéens utilisent un calendrier qui leur est propre et qui a comme point de départ l’année supposée de la naissance d’Adam, pour eux le premier prophète de l’Histoire, croyance qu’ils partagent avec les musulmans. En Iran, ils sont reconnus comme minorité religieuse. [1]

Photos : Quelques rites mandéens au bord du Kâroun.

Petit historique des Mandéens :
un parcours long et difficile

Les adeptes de cette religion auraient résidé il y a très longtemps en Egypte, puis ils auraient quitté ce territoire pour la Palestine aux environs de 1500 av. J.-C. pour s’établir sur les rives du Jourdain, fleuve dans lequel Jean le Baptiste aurait baptisé Jésus enfant. A la suite de la destruction de Jérusalem en 135, ils ont très certainement quitté la Palestine sous la pression des Juifs de Jérusalem et se sont réfugiés en Mésopotamie du Nord où ils se sont installés, principalement dans la ville de Haran.

Leur présence, tolérée par les Parthes, fait l’objet de restrictions religieuses sous les Sassanides étant donné que ces derniers instaurent le zoroastrisme comme culte officiel des territoires perses et interdisent toute autre religion dont le mithraïsme, perpétrant des massacres à l’encontre des disciples de Mâni. Plus tard, les Sabéens doivent abandonner cette région et s’installer en Irak actuel et en Iran, tout particulièrement dans la province du Khouzestân.

Ce n’est qu’en 2003, lors du déclenchement de la guerre en Irak à la suite de l’invasion militaire américaine dans ce pays, que la plupart des membres de cette grande communauté des Sabéens ont été dispersés. Parmi eux, une partie s’est réfugiée en Iran pour vivre à côté de leurs frères iraniens, tandis que d’autres ont opté pour l’Occident ou l’Australie. Leur nombre s’est alors amenuisé et les fidèles se sont éparpillés. Aujourd’hui, leur population est estimée entre 60 000 et 70 000 membres.

Théologie et croyances

La théologie mandéenne ne constitue pas un ensemble systématique, le mandéisme étant avant tout une religion gnostique se réclamant de Jean le Baptiste en tant que principal messager de Dieu envoyé aux hommes. Il faut aussi avoir à l’esprit l’existence d’une dimension dualiste dans ce culte et que l’on retrouve sous différentes formes dans la plupart des religions iraniennes, dont le zoroastrisme et le manichéisme. [2] Ainsi, selon les Mandéens, l’univers est divisé en deux mondes : celui d’en haut et celui d’en bas. Le Dieu d’en haut est le Dieu de la Lumière, la source des « richesses », appelée Haii (créateur de la vie). Par opposition, le monde d’en bas est celui des ténèbres issu du « chaos » originel, dont le chef (et non le dieu, ce qui fait du mandéisme ou sabéisme une doctrine monothéiste), s’appelle Roha.

En araméen, langue ancienne dont le mandéen constitue une branche orientale, manda signifie connaissance, tout comme gnosis en grec qui a donné naissance au terme de gnose. Cette religion a donc une forte dimension gnostique. Si les adeptes du judaïsme et du christianisme ont eu tendance à rejeter le mandéisme au cours de leur histoire, ce n’est pas le cas des musulmans qui, suivant l’enseignement du Coran qui les considère comme faisant partie des Gens du Livre, se sont toujours montrés tolérants envers eux.

D’après les Mandéens, l’histoire du monde commence avec Adam, premier homme et envoyé de Dieu. Cette histoire, qui s’étend sur 448 000 ans, se divise en quatre périodes, chacune possédant un prophète : Adam, Ram, Shurbai, Sam. D’après la doctrine sabéenne, nous sommes actuellement dans la quatrième et dernière ère du monde, c’est-à-dire celle régie par Sam et sa femme Noreitha. Ainsi, en 2014, il ne resterait que 2617 ans de subsistance à ce monde, période après laquelle doit commencer un autre monde où n’auront droit de vie que les purs, sous l’égide de Shihel. [3]

Rituels et pratiques religieuses

Les rituels et pratiques religieuses des Mandéens ou Sabéens [4] sont étroitement liés à leur vénération de l’eau, et accordent une grande importance à la propreté. Résidant dans un premier temps sur les rives du Jourdain, les Mandéens ont ensuite habité en Mésopotamie, au bord du Tigre et de l’Euphrate, pour se déplacer ensuite vers l’Est et s’installer finalement à proximité du Kâroun.

Pourquoi n’ont-ils jamais cessé de vivre sur les rives de ces fleuves ? La raison est claire : les cours d’eau sont nécessaires aux pratiques quotidiennes du mandéisme. Ils en ont ainsi besoin pour réaliser la quasi-totalité de leurs rituels, constitués en majorité d’immersions et d’ablutions dans l’eau courante : le baptême de naissance, le mariage, le baptême donné à un défunt avant son inhumation, mais aussi la fin des menstruations, etc.

Les baptêmes ont toujours lieu en présence d’un religieux, et il en existe deux types : les baptêmes officiels (naissance, mariage et mort), et les baptêmes ordinaires. Le religieux qui donne le baptême et la personne baptisée doivent revêtir des habits blancs réservés à cette cérémonie et comprenant cinq pièces : un turban, une longue chemise, un pantalon, une ceinture de laine, et un foulard. Le religieux pose sa main sur la tête de l’adepte et récite le texte du livre saint qu’il a en main.

Certains sacrifices où l’on égorge des volailles sont également réalisés dans le fleuve.

Les Mandéens n’acceptent pas de convertis, mais permettent la conversion des membres de leur propre communauté aux autres religions. Ils n’annoncent pas toujours leur propre confession en public, mais l’apparence des hommes permet souvent de les reconnaître : cheveux longs, longue moustache et barbe descendant jusqu’à la poitrine.

Quant aux prières rituelles, il en existe trois par jour : matin, midi et soir. Les Mandéens jeûnent aussi trente jours par an. Comme dans le zoroastrisme, le divorce n’est pas officiellement reconnu, mais un couple peut se séparer dans les faits en cas de mésentente. Concernant la succession, elle est fondée sur un principe d’égalité entre homme et femme, les deux héritant à parts égales.

Notes

[1Leur nom est mentionné dans le Saint Coran en tant que Gens du Livre (Ahl al-Kitâb). Cette religion est par conséquent reconnue par la République Islamique d’Iran, mais leur population étant inférieure à 150 000 personnes, ils ne sont pas, selon la Constitution iranienne, représentés au parlement.

[2Seul le mithraïsme semble faire exception à la règle, puisqu’il s’appuie sur une conception trinitaire, comme le christianisme qui en a adopté plus tard ses principes théologiques et ses fondements pratiques.

[3Les Mandéens croient aussi à un Messie, cependant, les détails de ce messianisme ne sont pas, à notre connaissance, expliqués par les textes.

[4Il n’existe pas de différences remarquables entre ces deux appellations. En effet, la dénomination de Sabéens était d’ordinaire utilisée pour désigner les populations installées en Irak, et celle de Mandéens pour évoquer la communauté résidant en Iran. C’est selon la première dénomination qu’ils sont désignés dans le Coran. Or, étant donné que nous traitons dans le présent article avant tout de la population qui habite en Iran, nous avons plus souvent opté pour le terme de Mandéens.


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2 Messages

  • Les Mandéens iraniens
    (Les Sabéens d’Iran)
    1er mai 2015 16:11, par serge173@hotmail.com

    nous sommes tous citoyens de la terre seule la paix peut nous unir dans une religion universelle.nous sommes tous enfants de dieu allah jehovah brahman yahveh ...............

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  • Les Mandéens iraniens
    (Les Sabéens d’Iran)
    3 septembre 2017 15:21, par mario gagné

    Bonjour ! 3 septembre 2017
    Il y a des années que j’étudie langues et religions et la littérature de tous les peuples. Leur folklore aussi, etc. Je devrais progresser, mais plus je cherche plus je me rends compte de l’inaccessible. Je me dis qu’il faudrait tout faire pour protéger chacune de ces langues et religions et ethnies. Et je regrette celles qui ont sombré. Quelles belles richesses, et nous en faisons partie, chacun à sa manière. Merci pour la conception de ce site.

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