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Rostam voit Omid
qui l’attend devant le portail.
Sûr de lui, il lui tend la plume
que Simorgh lui a offerte.
– Tu arrives justement
en la demeure du dieu,
dit le gardien du lieu.
– Puis-je le saluer ?
– Certainement, avance.
– Je savais bien
que je le retrouverais.
Au jardin de l’ouest,
se trouve la demeure
du fabuleux oiseau.
Il vit dans une volière ouverte,
au royaume souverain
des « anges-de-la-lumière ».
Il descend en volutes
de l’arbre échevelé
et saisit au passage
les gouttes de la vie
pour les remettre une à une
au nouvel arrivant
qui se présente en silence
aux portes sacrées et fermées.
Dans les eaux limpides
des grandes vasques,
se reflète l’oiseau féerique
inondé d’éclats de soleil ;
son ombre-même s’étire
et devient luminescente.
En tant que flamme du ciel,
il allume le sycomore
pour embraser tout le décor.
C’est derrière les cubes harmonieux
des petites maisons de boue rosée
dont les toits plats s’offrent aux cieux
qu’apparaît un champ de pavots blancs
au milieu duquel se dresse un pigeonnier.
De là, se profilent les « Tours du Silence »
où les morts offerts aux vautours
rejoignent le Père et les fils solaires
pour les funérailles célestes.
Puis, l’oiseau, maître des lieux,
déploie ses ailes de volutes de feu
tout en déplaçant des nappes d’air.
Et frôlant les iris bleus,
il continue, gracieux,
sa mission légendaire.
– Tu t’en es fait un ami !
Ce n’est pas toujours ainsi.
– J’avoue que je me sens honoré.
– C’est une bonne chose
car nous arrivons
à la partie sacrée.
– C’est un parcours
des plus initiatiques
pourrions-nous dire.
– Les chemins sur les tapis
ont souvent eu ce rôle jadis.
Il faut donc les vénérer.
– Il est aussi parsemé
d’étonnantes surprises.
Tout cela est un plaisir.
Et dans un enchantement.
Je me laisse conduire.
Près du sanctuaire,
Aspasie accueille le visiteur.
La porte est massive
et renvoie toute la lueur
miel et mandarine
d’une fin de jour tardive.
Des coupes ont la forme de trèfle
pour communiquer avec le ciel
et d’autres sont en forme de médaillon
pour recevoir le soleil et ses rayons.
C’est la fête de Sadeh,
celle de l’apparition du feu.
Le Faravahar déplie ses ailes
et dans des éclairs orangés
le foyer de bois de tamarix
est pompeusement incendié.
Le mage est invité, encensé ;
il participe de façon lente
aux solennelles circonvolutions,
et par trois fois, en conscience,
fait le tour du lieu sacralisé.
Aspasie s’incline et se relève ;
tout son être vibre et resplendit
d’une clarté douce et diaprée.
Elle porte les couleurs magiques :
hyacinthe pour son calicot
et indigo pour sa tunique.
Pourpre est son pantalon
et cramoisies sont ses babouches.
Par les teintes vives, admirée,
elle devient à son tour lampe,
chargée d’allumer à l’entour,
les cent bougies des bassins,
et de là, tous les chemins.
Elle dépose des cônes de feu,
des guirlandes de jasmin,
des brassées entrecroisées
de narcisses et de lys froissés.
Elle est la déesse des roses,
et connaît mieux que personne
les rosiers de Perse convoités.
C’est le vent qui va et vient.
Quand Aspasie est sombre,
elle part dans ses songes,
et une étoile se pose
au bout de son index.
D’un côté, sont les ombres,
de l’autre l’apex.
La quête du demandeur
s’annonce longue ;
entouré de guides,
le chemin s’initie.
D’heure en heure,
la voie se dessine.
Sur l’étole de la nuit,
les étoiles sorties du puits
se posent et clignotent.
Les lucioles marquent l’air
de points luminescents
et tournent autour
du majestueux arbre noir
dont le tronc vrillé
lie le ciel à la terre.
Les chaînes montagneuses
délimitent les horizons arides
quand les chemins de poussière
se diluent dans les déserts.
Tant de broderies
ornent les tentures,
tant de voiles respirent
par l’entrebâillement des portes,
tant de cuirs damasquinés
décorent les chambres,
tant de parfums musqués
séparent les mondes,
mondes enchevêtrés,
où tant d’êtres se promènent.
Aspasie dépose les fleurs ;
en Déesse, elle les dispose,
pour bientôt, submerger
tout l’ensemble du carré.
Mais arrive le page attendu
qui transmet le Sceau-cylindre ;
les deux mains tendues,
elle le reçoit gravement,
et incline profondément la tête
pour poser ses lèvres dessus.
Maintenant, elle se dirige
sous la masse sculptée
du rayonnant Faravahar ailé.
Au son de bronze envoyé
par la Tour-horloge,
elle avance gravement
vers le marchepied
du temple illuminé.
Tenant l’objet béni,
et pliant les genoux,
elle s’assoit lentement
comme elle le ferait
sur le marchepied du temps.
Son regard est perdu ;
elle perçoit l’infime lumière
des prémices de l’aurore,
ainsi que les auréoles des sages
assis dans les troncs vides des arbres.
Eux émettent aussi des sons
avec leurs pensées claires
flottant sur leurs fronts.
La prêtresse, droite et grave
entre dans le temple
et marche fièrement
vers la partie sacrée.
Elle remet l’offrande
à l’autel qui resplendit.
Elle place en même temps
des pierres de chlorite
à l’éclat vitreux et troublant
sur le piédestal tournant
où opère toute la magie.
Alors, une fulguration de vie
l’atteint et la pourfend sur le champ.
Lors de cette sublime descente,
elle-même traverse les cendres
pour accéder transmutée à la divinité.
Rostam n’a pas bougé ;
il est resté figé,
profondément impressionné.
Il contemple la scène,
ému au fond de lui-même
sans pouvoir parler.