N° 119, octobre 2015

Sur un tapis d’Ispahan (6)


Kathy Dauthuille


X
Le quatrième carré
ou
Le jardin de l’ouest
Simorgh

Rostam voit Omid

qui l’attend devant le portail.

Sûr de lui, il lui tend la plume

que Simorgh lui a offerte.

– Tu arrives justement

en la demeure du dieu,

dit le gardien du lieu.

– Puis-je le saluer ?

– Certainement, avance.

– Je savais bien

que je le retrouverais.

Au jardin de l’ouest,

se trouve la demeure

du fabuleux oiseau.

Il vit dans une volière ouverte,

au royaume souverain

des « anges-de-la-lumière ».

Il descend en volutes

de l’arbre échevelé

et saisit au passage

les gouttes de la vie

pour les remettre une à une

au nouvel arrivant

qui se présente en silence

aux portes sacrées et fermées.

Dans les eaux limpides

des grandes vasques,

se reflète l’oiseau féerique

inondé d’éclats de soleil ;

son ombre-même s’étire

et devient luminescente.
En tant que flamme du ciel,

il allume le sycomore

pour embraser tout le décor.

C’est derrière les cubes harmonieux

des petites maisons de boue rosée

dont les toits plats s’offrent aux cieux

qu’apparaît un champ de pavots blancs

au milieu duquel se dresse un pigeonnier.

De là, se profilent les « Tours du Silence »

où les morts offerts aux vautours

rejoignent le Père et les fils solaires

pour les funérailles célestes.

Puis, l’oiseau, maître des lieux,

déploie ses ailes de volutes de feu

tout en déplaçant des nappes d’air.

Et frôlant les iris bleus,

il continue, gracieux,

sa mission légendaire.

– Tu t’en es fait un ami !

Ce n’est pas toujours ainsi.

– J’avoue que je me sens honoré.

– C’est une bonne chose

car nous arrivons

à la partie sacrée.

– C’est un parcours

des plus initiatiques

pourrions-nous dire.

– Les chemins sur les tapis

ont souvent eu ce rôle jadis.

Il faut donc les vénérer.

– Il est aussi parsemé

d’étonnantes surprises.

Tout cela est un plaisir.

Et dans un enchantement.

Je me laisse conduire.

XI
suivi de Aspasie

Près du sanctuaire,

Aspasie accueille le visiteur.

La porte est massive

et renvoie toute la lueur

miel et mandarine

d’une fin de jour tardive.

Des coupes ont la forme de trèfle

pour communiquer avec le ciel

et d’autres sont en forme de médaillon

pour recevoir le soleil et ses rayons.

C’est la fête de Sadeh,

celle de l’apparition du feu.

Le Faravahar déplie ses ailes

et dans des éclairs orangés

le foyer de bois de tamarix

est pompeusement incendié.

Le mage est invité, encensé ;

il participe de façon lente

aux solennelles circonvolutions,

et par trois fois, en conscience,

fait le tour du lieu sacralisé.

Aspasie s’incline et se relève ;

tout son être vibre et resplendit

d’une clarté douce et diaprée.

Elle porte les couleurs magiques :

hyacinthe pour son calicot

et indigo pour sa tunique.

Pourpre est son pantalon

et cramoisies sont ses babouches.

Par les teintes vives, admirée,

elle devient à son tour lampe,

chargée d’allumer à l’entour,

les cent bougies des bassins,

et de là, tous les chemins.

Elle dépose des cônes de feu,

des guirlandes de jasmin,

des brassées entrecroisées

de narcisses et de lys froissés.

Elle est la déesse des roses,

et connaît mieux que personne

les rosiers de Perse convoités.

C’est le vent qui va et vient.

Quand Aspasie est sombre,

elle part dans ses songes,

et une étoile se pose

au bout de son index.

D’un côté, sont les ombres,

de l’autre l’apex.

La quête du demandeur

s’annonce longue ;

entouré de guides,

le chemin s’initie.

D’heure en heure,

la voie se dessine.

Sur l’étole de la nuit,

les étoiles sorties du puits

se posent et clignotent.

Les lucioles marquent l’air

de points luminescents

et tournent autour

du majestueux arbre noir

dont le tronc vrillé

lie le ciel à la terre.

Les chaînes montagneuses

délimitent les horizons arides

quand les chemins de poussière

se diluent dans les déserts.

Tant de broderies

ornent les tentures,

tant de voiles respirent

par l’entrebâillement des portes,

tant de cuirs damasquinés

décorent les chambres,

tant de parfums musqués

séparent les mondes,

mondes enchevêtrés,

où tant d’êtres se promènent.

Aspasie dépose les fleurs ;

en Déesse, elle les dispose,

pour bientôt, submerger

tout l’ensemble du carré.

Mais arrive le page attendu

qui transmet le Sceau-cylindre ;

les deux mains tendues,

elle le reçoit gravement,

et incline profondément la tête

pour poser ses lèvres dessus.

Maintenant, elle se dirige

sous la masse sculptée

du rayonnant Faravahar ailé.

Au son de bronze envoyé

par la Tour-horloge,

elle avance gravement

vers le marchepied

du temple illuminé.

Tenant l’objet béni,

et pliant les genoux,

elle s’assoit lentement

comme elle le ferait

sur le marchepied du temps.

Son regard est perdu ;
elle perçoit l’infime lumière

des prémices de l’aurore,

ainsi que les auréoles des sages

assis dans les troncs vides des arbres.

Eux émettent aussi des sons

avec leurs pensées claires

flottant sur leurs fronts.

La prêtresse, droite et grave

entre dans le temple

et marche fièrement

vers la partie sacrée.

Elle remet l’offrande

à l’autel qui resplendit.

Elle place en même temps

des pierres de chlorite

à l’éclat vitreux et troublant

sur le piédestal tournant

où opère toute la magie.

Alors, une fulguration de vie

l’atteint et la pourfend sur le champ.

Lors de cette sublime descente,

elle-même traverse les cendres

pour accéder transmutée à la divinité.

Rostam n’a pas bougé ;

il est resté figé,

profondément impressionné.

Il contemple la scène,

ému au fond de lui-même

sans pouvoir parler.


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