N° 133, décembre 2016

Mexique 1900-1950
Paris, Grand Palais
5 octobre 2016-23 janvier 2017


Jean-Pierre Brigaudiot


Une exposition à l’encontre de l’imagerie des grands médias

 

Cette exposition va en effet à l’encontre et au-delà de ce que véhiculent les grands médias, toujours assoiffés de sensationnel et réduisant ainsi ce qui est complexe à trop peu de choses, ou bien négligeant ce qui est peu mais essentiel. Le Mexique, vu de la France, est un grand pays qu’un certain nombre d’événements ont réduit, au fil des années, à une caricature de lui-même où la violence et la corruption se mêlent aux plages idylliques, aux sites préhispaniques et à ceux issus de la colonisation.

Affiche de l’exposition “Mexique 1900-1950” Paris, Grand Palais

Il est ici question d’un laps de temps limité à 1900-1950 et d’une certaine histoire de l’art du pays, fortement marquée par la révolution. Dans un but à l’évidence pédagogique, l’exposition prend son ancrage vers la fin du dix-neuvième siècle pour montrer comment va se faire le passage d’un art somme toute bien traditionnel et cantonné aux classes dominantes issues de la colonisation espagnole, à un art d’une étonnante dynamique, stimulé tant par la rencontre, par certains artistes mexicains, des avant-gardes européennes que par l’élan révolutionnaire auquel il va pleinement participer. Et c’est dans le cadre de cette révolution que l’art de la tradition amérindienne va s’imposer aux côtés des formes artistiques influencées par l’art contemporain européen. Cette première partie de l’exposition consacrée à ce qui précède la révolution, semble laisser dans l’ombre l’essentiel des formes d’expression artistique héritées des « indigènes », les Amérindiens ; il s’agit d’un art de type populaire, qui ne semble pas avoir vraiment été considéré comme art, du moins au regard du « grand art » mis au service d’une élite sociale et postcoloniale ; ainsi, dans cette exposition, l’art précédant la révolution ne s’affirme guère comme mexicain que lorsqu’il s’empare de l’iconographie des peuples dont l’implantation, le développement et la culture ont précédé la colonisation espagnole. Donc ce qui ressort de cette période antérieure à la révolution est ce savoir-faire acquis au contact de l’art européen, un art de qualité mais d’une singularité modérée.

Il en est sans doute un peu de même lorsque certains artistes mexicains vont aller à la rencontre des avant-gardes européennes du début du vingtième siècle : un nombre non négligeable d’œuvres exposées ici affirment clairement être redevables tant des théories que des esthétiques les plus marquantes en Europe : il est évident que le cubisme et le surréalisme ont permis à un certain nombre d’artistes mexicains de se dégager d’un académisme qui allait de soi, mais au-delà de ces mouvements européens des plus notoires, on voit apparaître peu à peu mais de manière assez récurrente une forme d’art qui a connu sa forme la plus notoire avec la Révolution Soviétique : le Réalisme Socialiste, peuplé de figures humaines robustes et laborieuses, celles du peuple qui va soutenir la Révolution. Et puis l’impression s’arrête là, car dans le parcours chronologique de l’exposition, l’art mexicain ici exposé va très vite, au regard de sa propre histoire, politique et sociale, se constituer aux plans esthétiques et idéologiques. Et c’est sans doute l’un des faits importants que délivre cette exposition : la capacité de cet art mexicain ici exposé de se doter de caractéristiques singulières, à ne pas se noyer, par exemple dans la manière de voir le monde insufflé par le système cubiste. Cependant, on ne saurait limiter l’art mexicain de l’époque concernée, 1900-1950, à être exclusivement un art déterminé par la révolution, ce que nous montre l’exposition c’est un art hétéromorphe.

Photos : Exposition “Mexique 1900-1950” Paris,
Grand Palais

Un art engagé politiquement et socialement… et doué d’une esthétique spécifique

 

Certes cette exposition du Grand Palais est une exposition que je qualifierai de relativement modeste, et ainsi laisse-t-elle un sentiment de manque pour qui connaît, ne serait-ce qu’à travers leurs images, les œuvres des artistes appelés les Muralistes Mexicains, œuvres typiques des révolutions qui ont jalonné le vingtième siècle, sur tous les continents. Nul doute qu’il n’est pas aisé de montrer des œuvres monumentales et murales, si ce n’est sous la forme d’images. Pour autant, beaucoup d’œuvres témoignent d’une indéniable puissance tant évocatrice que dégagée par la manière de peindre.

La révolution conduite par Zapata et Pancho Villa va, à partir de 1910, perdurer une dizaine d’années, violente, cruelle, interminable, idéaliste. Cette révolution va profondément changer le Mexique qui était encore sous un régime social et politique postcolonial avec à sa tête un président dictateur réélu un nombre invraisemblable de fois, soutenu par les Etats-Unis pour qui ce soutien générait des intérêts commerciaux. Dans le domaine des arts, la révolution s’accompagnera pour beaucoup d’une volonté clairement annoncée de produire un art pour tous plutôt qu’un art privé, réservé à une élite. C’est en ce sens que beaucoup d’œuvres de cette époque évoquent ces révolutions qui ont marqué le vingtième siècle, œuvres indéniablement engagées politiquement, œuvres ancrées dans le projet concret et immédiat de changer le monde ou tout du moins la société mexicaine. Ainsi, beaucoup des artistes engagés dans la révolution vont développer des formes puissantes et simples destinées à un public élargi au peuple mexicain. Cependant, si ces formes et cette esthétique quelque peu rustique, rejoignent des partis-pris esthétiques présents dans d’autres mouvements révolutionnaires, elles semblent bien souvent prendre leurs racines dans une iconographie déjà présente au Mexique, celle des autochtones, ceux qu’on appela les Amérindiens. Et cette iconographie est d’une richesse incontestable.

Le panorama de l’art montré par cette exposition est fort complexe et au fil du parcours se côtoient et se succèdent des œuvres qui échappent ou semblent échapper à cette tourmente que fut la période de la révolution, comme aux préoccupations sociales de celle-ci ; œuvres raffinées et délicates, et pas seulement œuvres produites par les femmes mexicaines à qui l’exposition consacre un espace spécifique.

 

Les artistes femmes dans cette exposition

 

L’exposition consacre donc un espace spécifique aux artistes femmes mexicaines ou installées au Mexique, et celles-ci sont données comme se plaçant dans l’ombre d’une figure notoire parmi ces artistes femmes, celle de Frida Kahlo. S’il est indéniable que cette artiste a connu une grande notoriété, ce n’est guère qu’à partir des années soixante-dix, mais il semble que l’approche de l’art des femmes du Mexique de l’époque concernée ne puisse se faire qu’au regard de cette figure de Frida Kahlo. Il est clair que l’exposition s’est constituée en contournant plus ou moins les grands artistes de cette période d’un demi-siècle, ceci afin de laisser percevoir la grande diversité des démarches des autres artistes. Ainsi l’espace plus spécifiquement consacré aux femmes montre des œuvres qui témoignent d’influences diverses et propres à la modernité de l’époque, comme elle montre des œuvres émancipées et à l’évidence indifférentes aux avant-gardes de cette première partie du vingtième siècle. Un certain nombre de ces femmes artistes ne sont pas vraiment mexicaines, ce qui importe peu, et l’exposition montre des œuvres de figures souvent engagées et excentriques de la révolution : Olga Costa, Rosa Rolanda, Alice Rahon, Tina Modotti, Maria Izquierdo, Dolores Olmedo, par exemple.

Les figures majeures, dont les muralistes

 

L’art moderne mexicain a beaucoup impressionné, tant un bon nombre d’artistes européens que d’artistes américains - les voisins -, ces derniers ayant davantage eu l’opportunité de voir les œuvres murales commandées par le ministère mexicain de l’éducation publique. Il s’agit d’un réel projet pédagogique destiné à permettre une rencontre de l’art et du peuple mexicains. L’une des figures marquantes de cet art mural, art public, donc de vastes dimensions, est certes Diego Rivera - le compagnon de Frida Kahlo. Son art témoigne d’une grande force et puissance, avec ces figures d’Amérindiens et ces représentations des cités antiques. Art ancré dans l’histoire du pays, art accompagnant la révolution : peintures historiques, histoire du Mexique avant et depuis la colonisation. Art figuratif, ceci sans la moindre ambiguïté, indifférent aux avant-gardes, dont la source est à l’évidence l’iconographie amérindienne, et dont le but est de conter, édifier, convaincre. Les principaux muralistes mexicains contemporains de Rivera sont Orozco et Siqueiros, qui sont les réels leaders muralistes de la révolution.

 

Autres arts

 

L’exposition aborde plus discrètement qu’elle ne la fait avec la peinture, les autres arts que sont la sculpture (difficile à déplacer lorsqu’elle est monumentale), la photo et le cinéma. C’est sans nul doute le cinéma mexicain qui occupe la place majeure parmi ces autres arts, ici avec plusieurs espaces et une multiplicité d’écrans qui lui sont consacrés. C’est un cinéma qui se distingue des autres formes de cinéma d’Amérique du Sud, s’affirme dans différents genres dont une partie entretient des liens directs avec la révolution et plus particulièrement la figure de Pancho Villa. Parmi les protagonistes directs ou indirects des plus notoires de ce cinéma, il y a certes Buñuel (avec par exemple le film Los Olvidados) Elia Kazan avec l’écrivain Steinbeck (Viva Zapata !) Eisenstein (Qué Viva Mexico !). Cinéma en noir et blanc où règne sans partage la lumière intense du Mexique, une lumière qui se définit tant par la surexposition que le partage de l’image avec ces noirs très profonds, ceux des ombres portées.

 

Exposition réussie ?

 

Si cette exposition n’est pas de celles qui mobilisent les plus grands moyens en termes de budget, ni de celles qui demandent au visiteur une patience infinie pour entrer dans la bousculade, elle est intéressante car elle permet d’aller au-delà de ce qui fait cliché, autour de quelques grands noms d’artistes, acteurs armés de pinceaux de cette révolution mexicaine. Elle est intéressante car elle permet de découvrir la diversité des formes de l’art mexicain avant et après la révolution, sous l’influence des esthétiques avant-gardistes européennes ou sans influence particulière, ou bien dans la reprise de l’iconographie indigène et précoloniale. Ainsi peut-on rencontrer un art spécifiquement mexicain qui s’est affirmé au-delà des dogmes de son époque, autrement que dans une histoire de l’art écrite exclusivement par les conservateurs des musées. Visite et occasion de revisiter et redéfinir ce qu’on croyait savoir de cette période artistique au Mexique.


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