N° 138, mai 2017

Une mission universitaire française en Iran
En Arts Plastiques et Sciences de l’Art
Université Paris I Panthéon-Sorbonne et UMR ACTE/CNRS


Jean-Pierre Brigaudiot


Depuis quelque temps, certaines universités parisiennes m’avaient demandé de dresser un panorama de la situation des universités iraniennes, et une réunion interdisciplinaire sur cette question s’était tenue en juin 2016 au service des relations internationales de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Monsieur Fotouhi, président de l’Association d’Amitié Iran-France, alors présent à Paris, y avait été invité. Il en était ressorti que des relations restreintes avec des universités iraniennes pouvaient se faire et se faisaient mais que malgré les accords internationaux récemment signés avec l’Iran, il n’était pas encore temps d’envisager d’établir des conventions formalisées, c’est-à-dire avalisées par les présidents des universités des deux pays. Cependant, des circulations de professeurs existent et perdurent, mais de gré à gré, sur simple invitation de l’université d’accueil, sans que cela crée un engagement au-delà de chaque intervention d’un ou plusieurs professeurs.

C’est en juin 2016 qu’un de mes collègues, Monsieur Richard Conte, professeur en Arts Plastiques et Sciences de l’Art, m’avait demandé si nous pouvions envisager sous une forme ou une autre une incursion en direction d’universités d’art en Iran. C’est ainsi qu’en collaboration avec Monsieur Fotouhi, nous avons élaboré le projet de cette mission d’exploration et mis en commun nos connaissances du monde universitaire iranien pour viser au mieux et répondre à l’attente de mon collègue Richard Conte. Lors d’une rencontre avec ce dernier, nous avons défini l’essentiel des conditions requises pour que cette exploration se fasse, et nous avons également formulé une proposition de collaboration avec les universités iraniennes, ceci compte-tenu de ce que nous connaissions de leurs fonctionnements, notamment aux niveaux des Mastères et du doctorat. Ma fréquentation du terrain universitaire iranien en matière d’enseignement artistique s’est construite peu à peu depuis 2001, l’année où j’ai participé à une mission universitaire à Téhéran, à la demande du ministère des Sciences iranien. Il s’agissait alors de débattre de la possibilité et des conditions d’accueil de doctorants iraniens dans des universités françaises. Au début des années 2000, les départements ou facultés en arts plastiques des universités françaises accueillaient déjà des étudiants iraniens, dès la Licence et jusqu’au doctorat, ceci sans accords ni conventions entre les établissements, donc au coup par coup.

La mission Arts Plastiques à Ispahan ;
de gauche à droite : Zahra, étudiante de l’université d’art, Madame Fadoua Hammami, Docteur Sohrab Fotouhi, Professeurs Richard Conte et.
Jean-Pierre Brigaudiot.

 

Aider l’étudiant à réussir ses études en France

 

Lors de nos entretiens et réunions avec mon collègue Richard Conte, celui-ci a défini la mission vers l’Iran comme susceptible d’être supportée par son laboratoire de recherche, l’institut ACTE, sous la tutelle du CNRS (Centre National de Recherche Scientifique), ce qui pouvait certes faciliter les choses en termes de budgets. Mon collègue s’est proposé d’intervenir en priorité sur le doctorat, sur la méthodologie telle qu’elle se pratique en France, et sur la possibilité d’accueillir des doctorants iraniens dans les universités françaises. Il s’agissait pour lui avant tout d’informer nos partenaires iraniens des modalités selon lesquelles des étudiants iraniens pourraient être accueillis dans les universités françaises, dès le Mastère II afin que l’étudiant puisse bénéficier d’une année d’adaptation aux différences structurelles et théoriques des enseignements de part et d’autre. Etant donné ces différences, il a semblé indispensable que, une fois acquis le niveau de langue demandé, l’étudiant puisse comprendre ce que sont les arts plastiques à l’université, c’est à dire un enseignement pratique qui se fait au regard du champ de référence : histoire de l’art, art moderne et art contemporain, pour ce qui est des œuvres, et au regard des études et écrits produits par les critiques d’art, les philosophes, les sociologues, les linguistes, les ethnologues, les artistes eux-mêmes ; bref, tout ce qui permet de mieux comprendre ce dont il est question lorsque l’on parle de l’art.

Spécificités de la thèse en arts plastiques

 

Quant au parcours du doctorant, celui qui rédige sa thèse en France, il fallait expliquer aux partenaires iraniens, pour l’instant aux professeurs, la nature de la thèse en arts plastiques. Il s’agit d’une thèse bifide au cours de laquelle, à partir de son sujet établi en accord avec le directeur de recherche, le doctorant doit réaliser une œuvre de haut niveau en relation avec son sujet, ceci en même temps qu’il effectue une recherche « théorique », à la fois sur cette œuvre en train de s’effectuer et à partir des écrits qui la croisent, peuvent l’éclairer et peut-être même la justifier. La soutenance de la thèse se fait donc en principe sur le lieu même de l’exposition et comporte un épais mémoire (entre 300 et 400 pages). Cette thèse bifide n’existe pas en Iran et nos partenaires, comme les étudiants iraniens, ont à prendre cette particularité en compte. Depuis de nombreuses années sont venus dans mon université Paris I des étudiants iraniens souhaitant effectuer un doctorat qu’ils pensaient se résumer à une étude de cas, à un sujet traité dans un mémoire, sans réalisation d’une œuvre d’arts plastiques dans le domaine de sa propre pratique artistique, comme le vidéo art, la sculpture, l’installation, la performance, la peinture… Il leur a donc fallu réviser leur représentation de la thèse.

Réception de M. l’Ambassadeur de France à l’Institut de Langues de l’Association d’Amitié
Iran-France

De ce fait, de la nécessité de poursuivre une pratique artistique jusqu’au doctorat, il est ressorti de nos rencontres avec les partenaires universitaires iraniens la nécessité que les deux années de Mastère soient fondées sur cette concomitance de la théorie et de la pratique artistique effectuées avant tout au regard de l’art contemporain, celui qui se fait aujourd’hui, mais qui pour autant ne délaisse pas l’histoire de l’art et les arts visuels, quels qu’ils soient.

 

La question de la différence

 

Plusieurs universités d’art iraniennes enseignent l’art islamique et délivrent aux étudiants un extraordinaire savoir-faire à caractère artisanal. A priori, cela ne doit pas poser de problème en ce sens que ces universités, en tout cas celles où nous nous sommes rendus, notamment celle de Tabriz, sont tout à fait disposées à infléchir leurs enseignements plutôt pratiques vers également un enseignement théorique susceptible à la fois d’éclairer le sens des œuvres produites et d’autre part, de théoriser le travail de l’étudiant en train de se faire et lorsqu’il est abouti. Lors de cette exploration, il est clairement apparu que les différences, si considérables soient-elles, entre les enseignements des universités d’art iraniennes et les universités françaises étaient avant tout une potentielle et immense richesse, celle de pouvoir dialoguer sur l’art, cette capacité propre à l’homme de dire le monde.

 

Le professeur d’arts plastiques, également artiste

 

Dans les domaines des enseignements artistiques, la tradition, tant en Iran qu’en France, voulait que ceux-ci reposent sur la transmission des savoir-faire se fasse du maître vers l’élève. Aujourd’hui encore, en Iran, le maître jouit d’un statut où l’admiration et le respect vont de pair, tel est le cas lorsqu’il s’agit de musique traditionnelle ou de calligraphie, ou bien encore de l’art de la miniature. Cependant, les choses ont changé au cours de ces dernières décennies et pour ce qui est, ce qu’on appelle globalement les arts plastiques ou les arts visuels, c’est-à-dire le dessin, la peinture, la sculpture, l’installation, la performance, les arts dit nouveaux médias, les enseignements présentent relativement peu de différences avec ceux des universités ou des écoles d’art françaises. Les cursus et les diplômes sont presque identiques.

L’ université d’art islamique de Tabriz s’installe sur le site d’une friche industrielle

Les arts plastiques et sciences de l’art, apparus en tant que discipline universitaire à l’aube des années soixante-dix dans les universités françaises, tant à Paris que dans certaines grandes villes de province, ont bouleversé cette transmission traditionnelle du savoir-faire du maître vers l’élève. Le professeur n’impose plus nécessairement un savoir-faire en tant que modèle, mais se met à l’écoute du potentiel créatif de l’étudiant pour développer celui-ci. Dès lors, le professeur est un guide qui révèle à l’étudiant que sa création plastique doit être pensée au regard du corpus mondial des œuvres historiques et contemporaines, mais également au regard du corpus des écrits sur l’art, écrits produits tant par les artistes que par la critique d’art, que par les esthéticiens ou philosophes de l’art, que par des auteurs raisonnant les œuvres à la lumière de disciplines telles la sociologie, la linguistique, l’ethnologie, par exemple.

Lors de cette mission arts plastiques, le professeur Richard Conte et moi-même avons insisté sur le fait que la thèse en arts plastiques est une thèse où cohabitent recherche théorique et production plastique ; il résulte de cela que beaucoup de professeurs sont également des artistes. C’est pour cette raison que lors des conférences tenues dans les universités iraniennes visitées, un laps de temps conséquent a été consacré à montrer des œuvres que nous avions produites et à un débat avec le public des professeurs et étudiants.

 

Des projets de collaboration

 

Nos visites aux universités d’Ispahan, Tabriz, Azâd et Khâtam de Téhéran, et enfin à l’université d’art de Téhéran ont permis d’envisager deux modalités de collaboration ; d’une part, une collaboration de gré à gré avec les professeurs de la mission française, collaboration expérimentale dont il ressortira éventuellement la possibilité de proposer une convention aux présidents des universités iraniennes avec l’université Paris I Panthéon Sorbonne. La convention est une procédure relativement lourde qui demande préalablement l’avis, du côté français, des grands conseils et nécessite un laps de temps non négligeable. Ce qui a été convenu, notamment avec les universités Khâtam et de Tabriz, est donc une phase expérimentale où les professeurs de cette mission interviendraient afin que puissent s’harmoniser les enseignements des niveaux Mastère et doctorat, afin également que les étudiants iraniens puissent solliciter une admission en thèse à double tutelle, en Arts Plastiques, à l’Université Paris I.

Nul doute que l’enthousiasme dont ont témoigné nos partenaires des universités iraniennes visitées, tant de la part des présidents, doyens, professeurs et étudiants devrait être suivi de résultats concrets, ceci malgré la nécessité, pour les étudiants iraniens, de préalablement acquérir le niveau de langue française demandé ; et malgré, également, le peu de places disponibles en termes d’accueil en doctorat. Mais plusieurs universités françaises peuvent accueillir des doctorants. Le passage par une école supérieure d’art française reste une solution quelquefois plus facile, ces écoles d’art délivrant désormais des thèses encadrées par les universités.

Poster de l’Université d’Ispahan

 

Les étudiants en art des universités iraniennes

 

Cette mission, au-delà des entretiens avec les dirigeants et professeurs des universités visitées en Iran, aura permis de chaleureuses rencontres et débats avec les étudiants, notamment à Ispahan où la mission resta trois jours. Non seulement un dialogue direct put avoir lieu avec ces étudiants en art, mais ce dialogue se fit essentiellement face aux œuvres de ceux-ci. De plus, la mission arts plastiques fut invitée à assister au vernissage d’une exposition d’œuvres de ces étudiants artistes dans l’une des rares galeries d’art contemporain de cette ville. Ici encore, les échanges ont été des plus positifs, augurant de ce que pourront être les interventions et formations à venir des professeurs français.

 

L’Association d’Amitié Iran-France et son rôle déterminant

 

Cette mission de mars 2017 fut difficile à élaborer ; aussi, le rôle et le travail de l’Association d’Amitié Iran-France ont permis qu’elle aboutisse. Il fallait en effet gérer un planning complexe avec les universités iraniennes, ce que seul monsieur Fotouhi pouvait faire, et en France, en tant que délégué de cette association, j’ai dû expliquer maintes fois aux membres de la mission : le professeur Richard Conte et l’ingénieure de recherche du CNRS, Madame Hammami, les modalités et les particularités de ce déplacement vers une autre culture. Malgré les obstacles rencontrés, malgré le report de la mission à quelques semaines plus tard que la date initialement prévue, on peut dire qu’en tant que mission de prospection, ce fut une réussite qui permettra une collaboration fructueuse et pérenne. A cela, il faut ajouter que le vice-président de l’association, le Docteur Mory Esmaïli, a joué un rôle important en tant qu’accompagnateur, interprète et guide. Monsieur l’ambassadeur de France a bien voulu honorer de sa présence, accompagné de son conseiller culturel et de son premier conseiller, une cérémonie d’accueil de cette mission arts pastiques donnée en l’Institut de langues de l’Association d’Amitié Iran-France. Là encore, les échanges ont été positifs, tant avec les membres de cette mission arts plastiques qu’avec les invités, artistes et personnalités du monde de l’art et de la culture iraniens.


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