N° 142, septembre 2017

CINQUANTE MOTS
d’Est en Ouest


Gilles Lanneau


Restons encore un moment au pays de Mehr. Examinons quelques mots dont l’origine diffère de celle proposée par nos dictionnaires (sans pour autant les contredire). Tous ne sont pas probants ; mais ils donnent néanmoins une ouverture supplémentaire à notre compréhension du monde. Et nous imposent un peu d’humilité.

 

***

anecdote, du grec anekdota ; nokté en persan.

 

âtre, du grec ostrakon ; âtr, âtra en avestique [1], désignant le feu domestique et son foyer. Ce feu était le cinquième et dernier dans la hiérarchie des feux sacrés. Il donnera âtar en pahlavi [2], peut-être à l’origine de l’arabe ’attâr, épicier (les épices sont considérées comme des aliments « chauds »), puis âtash ou âtesh de nos jours. Âzar, l’archange du feu sacré zoroastrien, découle de la même origine.

 

bande, du francique ; band en persan signifie « lien »,

« ficelle », « barrage ».

 

capable, du latin capere, prendre, contenir ; qâbel en persan.

 

cheval, du latin caballus, rosse ; asp, aspa en vieux perse, à rapprocher du sanskrit ashva.

 

clé, du latin clavis ; kélid en persan.

 

cotte, mot germanique ; à rapprocher de kot, veste en persan.

dent, du latin dens, dentis ; dandân en persan.

 

deux, du latin duo ; do en persan.

 

eau, du latin aqua ; ô dans un dialecte ancien de la région d’Ispahan (il serait encore en usage dans quelques villages).

 

église, du grec ekklêsia ; kélissa en persan.

 

fée, du latin fatum ; pari en persan, péri en dari (langue de l’Afghanistan, issue du moyen perse), à l’origine du vieil anglais pairy, puis de fairy (fée).

 

genou, du latin geniculum ; zânou en persan, ajno en kurde.

 

guerre, du francique werra ; mais aussi ker en avestique,

« faire la guerre ».

 

huit, du latin octo ; hacht en persan.

 

jeune, du latin juvenus ; djavân en persan.

 

jour, du latin diurnum ; rouz en persan.

 

kiosque, du turc keuchk ; koushk en persan, antérieurement.

 

lèvre, du latin labra, ou labia ; lab en persan.

 

maison, du latin mansio ; mân en vieux kurde (vallée d’Ahouraman) et en vieux perse, ayant aussi désigné l’homme.

mère, du latin mater ; mâdar en persan.

 

mesquin, de l’italien meschino, chétif ; méskin, pauvre en persan.

 

mi, du latin medius, demi, de dimidius ; nim en persan.

 

mihrab, de l’arabe mihrâb ; mehrâbé en Perse, avant l’islam (dans les lieux de culte mithriaques), puis mehrâb.

 

milieu, de mi et lieu ; miân en persan.

 

mitre, du latin mitra, issu du grec. Cette coiffure liturgique chrétienne imite celle portée jadis par les mages de Mithra. Notons qu’à ce jour un certain nombre de derviches iraniens portent encore une coiffure élevée imitant cette mitre (celle fermée d’avant le ve siècle).

 

mois, du latin mensis ; mâh en persan, signifiant aussi « lune ».

 

mort, du latin mortuus ; mordâd en vieux perse (la mort), mordé en persan (un mort).

 

nénuphar, de l’arabe ninoufar ; niloufar en persan. Une jolie tradition iranienne veut que l’armée achéménide, arrivée sur les berges du Nil il y a près de deux millénaires et demi, se soit émerveillée devant les lotus en fleur et les ait appelés niloufar,

« gloire du Nil » (le mot far étant à l’origine des noms Farnah, Xvarenah, « Gloire divine » en vieux perse).

 

neuf (le chiffre), du latin novem ; noh en persan.

 

nymphe, du grec numphê ; nemfous en vieux kurde.

 

pantalon, de Pantalon, personnage de la comédie italienne ; panto en vieux kurde.

 

papillon, du latin papilio ; papouleh en kurde.

paradis, du grec paradeisos ; pairi daeza en avestique, désignant un jardin clos où se rencontrent quatre ruisseaux préfigurant les quatre fleuves du Paradis terrestre.

 

père, du latin pater ; pédar en persan.

 

pied, du latin pes, pedis ; payé, en persan. Notons l’expression persane piyâdé, « à pied ».

 

pyjama, du persan pijâmah ; rien à dire.

 

que, qui (pronoms relatifs) ; , ki en persan.

 

racine, du latin radix, radicis ; rishé en persan.

 

raisin, du latin racemus ; rèz en vieux kurde.

 

rossignol, du latin luscinia ; bolbol en persan.

 

six, du latin sex ; shesh en persan.

 

ski, mot norvégien ; kheské en vieux kurde (vallée d’Ahouraman), signifiant « glissé » (et prononcé r’ské). Ce mot désignait alors des planches étroites dont se servaient les montagnards en hiver pour marcher sur la neige (dixit le professeur Kamel Safariân, de Marivân).

 

tambour, du persan tabir ; mais aussi tombak en kurde.

 

tiare, du latin tiara, issu du persan ; coiffure papale.

 

Comme la mitre, elle découle du nom Mithra.

 

toi, du latin te ; to en persan.

 

Uranus : à l’origine varouna en vieux kurde, « ciel », puis ourana en assyrien, « ciel » d’une manière générale et « Uranus » en particulier. Notons que dans les Védas indiens, Varouna, divinité associée à Mitra (pas le Mithra d’Iran !) est à la fois identifiable (ou comparable) à Ouranos, le ciel des Grecs, et à Uranus.

vache, du latin vacca ; gâv en persan (en Inde, vache se dit go, à rapprocher de l’anglais cow).

 

ville, du latin villa, maison de campagne ; vil en avestique.

 

ziggourat, de l’assyrien ziggouratou. Ce mot dériverait de zaqarou, signifiant « grand », « vertical » ; à rapprocher de Zagros, du nom de cette chaîne montagneuse séparant l’Iran et l’Irak. Les sommets bien découpés de cette région, principalement dans les provinces iraniennes allant du Kurdistan au Fârs, et qui seront les sièges des « divinités », sont possiblement à l’origine des ziggourats, appelées « Maison de la montagne de l’Univers », ou « Maison de la montagne qui monte jusqu’au ciel ».

 

Douze mots supplémentaires, chez nos voisins anglais.

 

bad, mauvais, méchant ; idem en persan.

 

better, mieux, meilleur ; behtar en persan.

 

big, grand, fort ; bog en vieux kurde, bozorg en persan.

 

body, corps ; badan en persan.

 

brother, frère ; barodar en persan.

 

daughter, fille ; dokhtar (prononcé dorhtar) en persan.

 

mouse, souris ; mouch en persan.

 

new, nouveau, neuf ; now en persan. no, non ; nah ou neh en persan.

 

star, étoile ; sétâré en persan.

 

sugar, sucre ; chekar en persan (le sucre en poudre).

 

warm, chaud ; garm en persan.

***

 

Plus quatre, d’un peu plus loin.

 

adâm, homme en hébreu ; âdam en persan. Dans la Perse de Cyrus II (vers – 550), âdam signifiait aussi « je suis », et peut donc être rapproché du sanskrit âham, ou de l’anglais I am, ayant le même sens ; d’où une possible origine indo-européenne de ce mot (adâm serait donc probablement un emprunt au vieux perse, sous la dynastie achéménide).

 

eretz, terre, pays en hébreu ; ertz en kurde, mais aussi earth en anglais, erde en allemand. De par son caractère monosyllabique, ertz est probablement antérieur à eretz.

 

maïdan, place (dans une ville) en ukrainien ; meydân en persan, comme en arabe. Il s’agissait à l’origine, dans la Perse orientale, d’une prairie au centre des villages, destinée aux rassemblements ; mais aussi au jeu du polo. Elle sera peut-être à l’origine de l’anglais meadow.

 

zéna, femme en tchèque ; zéné en kurde, zan en persan.

 

***

 

Deux noms de ville, au Moyen-Orient.

 

Baghdad (prononcé barhdad), et non Bagdad. Une petite ville fondée par les Perses à l’origine, sur le Tigre. En décomposant ce nom en persan, nous obtenons bâgh, jardin, et dâd, du verbe dâdan, donner. Baghdad serait donc le « Don du Jardin », ce jardin étant la Mésopotamie.

 

Suse, ville biblique (où se situe le récit du Livre d’Esther), au sud-ouest de l’Iran, non loin de la frontière de l’Irak. Suse se disait Shoush dans l’Antiquité, le mot shoush signifiant « lys » (comme en hébreu). La fleur du lys est un symbole de perfection, en amont de notre royauté française. Le mot shoush évoluera en soussan. Il est à l’origine du prénom persan Soussan, lui-même à l’origine de Suzanne.

 

Nous avons remarqué la similitude de deux mots, un persan et un kurde, avec leur équivalent hébreu. De nombreuses autres similitudes existent. Elles peuvent s’expliquer en partie par le fait que ces peuples se sont côtoyés durant l’Histoire. En partie aussi par l’usage de l’araméen [3], de par sa simplicité, comme langue administrative sous les Achéménides. Il est toutefois utile de mentionner une recherche réalisée par Tamara Traubman et publiée le 21 décembre 2001 dans le quotidien israélien Haaretz. Il y a été trouvé, au terme d’analyses effectuées sur l’ADN des peuples juifs et palestiniens, en vue d’y déceler quelque similitude – ce qui partait d’une intention louable ! – « une grande ressemblance génétique entre les Juifs et les Kurdes
 [4] », et dans une moindre mesure les Arméniens et les Turcs. Que dire de mieux pour rapprocher les hommes entre eux !

 

Rapprochons-nous de notre vieille Europe aussi, et voya geons un peu en terres celtiques.

 

Nous avons mentionné, au début de cet ouvrage, des divinités ressemblant curieusement à celles de l’Orient : Dagd, Baginatus, Boudiga… et Bag, en amont de Mehr, ainsi que d’autres dieux. Voyons quelques autres noms plus ou moins ressemblants.

 

aes dana, gens de l’art, désignant la troisième classe dans la société celtique [5]168 ; à rapprocher du persan dânâ, sage, instruit.

 

ban, femme ; zan en persan.

 

fal, désignant une roche divinatoire en Irlande ; à rappro- cher du persan fâl, « augure », « présage ». Signalons le nom fâlguir,

« voyante » en persan.

 

Signalons aussi le sacrifice propitiatoire de taureaux blancs lors de la cueillette du gui, l’acte sacré par excellence, nous rappelant le sacrifice initial de Mithra. Et aussi le chant du druide irlandais Amorgen [6], évoquant « le taureau aux sept combats », lequel rappelle les sept épreuves de l’adepte de Mithra [7].

 

Un seul mot pour conclure, prononcé avec la même intonation traînante, renforçant l’affirmation, en espagnol et en persan : vale, prononcé balé, « oui », par deux fois.

 

Nota. La recherche des étymologies, hors des chemins balisés, est un travail délicat, où l’erreur est possible. La Perse a étendu son emprise sur trois continents, a subi aussi des invasions. Le voyage des mots a suivi celui des hommes. De nombreux mots perses se sont exportés vers la Grèce, ce qui explique leur influence jusque chez nous, en partie. Quelques-uns ont suivi le chemin inverse [8]. Les échanges culturels ont été courants avec les empires voisins, l’Inde en particulier. Le mot « jungle », par exemple, découle de djangal, identique en persan et en hindi. Difficile donc d’en saisir l’origine !

    Notes

    [1Langue de la Perse antique, l’Avesta étant le livre saint des zoroastriens.

    [2Langue de l’époque sassanide (iiie au viie siècle), appelée aussi moyen perse.

    [3Langue sémitique, assez proche de l’hébreu. Peu de mots sémitiques entreront dans la langue persique (avant l’islam) alors que celle-ci s’introduira beaucoup plus largement dans les langues sémitiques.

    [4L’hypothèse d’une origine iranienne a été développée par l’historien et linguiste français James Darmesteter au XIXe siècle.

    [5Nous trouverons les trois mêmes classes sociales en Perse.

    [6Un nom ressemblant à l’ancien perse amordâd, « immortalité », et aussi à marg, « la mort » (en fârsi).

    [7L’iranologue Henry Corbin a souligné aussi les concordances entre celtisme et culte de Mithra (En islam iranien, tome II, Gallimard, pp. 157-158).

    [8Peu de mots grecs entreront dans la langue persane. Citons entre autres le mot obolos, sou, à l’origine de poul, argent.


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