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Il me reste du musc de Russie dont le litre
Excède la valeur du poids de l’or ;
Cette liqueur, dans sa fiole comme un trésor
Y coule comme l’astre sur la vitre.
Les marées qui glissent sur tes grands pieds divins,
Les refroidissent-elles sur les plages,
L’hiver venu, quand l’astre brûle par étage
Les flots glaciaux percés des rais nervins.
Le gel renouveau, l’astre brûle la Baltique ;
L’aube polaire, la plus belle de toutes,
Glisse doucement au Nord et l’Aurore, écoute,
Envahit l’écume de l’Atlantique.
Capitale des chrétiens où l’or des mosquées,
Le soir, tremble et scintille à la lumière verte
Des lampes de la vitre en une immense serte,
Oscillante dans l’Aube où ton âme est marquée
De ta défense, inaudible à l’homme masqué,
Et ample au Nord, de l’Orient profond, Damas,
Dame à l’antique Sól, qui perfore les glaces
Et rejoint d’autres astres ton berceau musqué !
Ouvre ta cape claire et nocturne et arquée,
Nuit damascène en qui l’ample palme verte
Soupire au fond d’allées vivantes où concertent
Et l’homme et le jardin d’un vieux palais laqué
Et le ciel d’Assyrie éclos, voûte laquée,
A la clarté solaire et parfumée, ô grâce !
Du parfum unitaire ignoré des rapaces
Qui survolent la nuit les dômes des mosquées.
Ta voix, mère, est celle de l’exil
Qui mêle à son cours l’enfance innocente,
L’enfance enroulée dans la mer lente,
Dont s’ensoleillent les murs de la ville.
Quel est ce chant lointain, cet air ductile
Chargé d’une douceur abondante
Nourrie des jasmins, des parfums des plantes
Que la brise douceâtre ventile,
Dans Beyrouth, comme un zéphyr habile
Et ramassant ta mémoire naissante
Dans ses courants d’orange et de menthe ?
Je veux y suivre ton âme gracile,
Sentir, dans l’odeur douce des strobiles,
Ce qu’elle a senti. Les lois clémentes,
Les dattes pour farce odoriférante
Des biscuits de lait, de naffe et d’huile.
Ton âme nous verse l’ample ville
Que parfume la mer, ton âme augmente
L’âme de tes enfants qu’elle hante
Et unit dans son espace agile.
Ta voix, maman, est celle de l’exil,
De l’abandon du sol où tes tantes,
Près des vignes où le soleil fermente,
Restent comme un sol qui assimile
La guerre dont s’allument les villes,
Les monts et les fronts dans l’ombre éclatante,
L’ombre de ton front d’adolescente
Dont joue en nos cœurs la clarté puérile.
Je descends jusqu’aux trains qui traversent l’égout
Où les hommes composent des marchés mondiaux,
L’agent, le visiteur partagent l’air idiot
D’égales classes qui affectent le dégoût.
Les orifices, les entrailles, les molles haleines
Multiplient doucement de neuves bactéries
Dont les corps exhalent et dont l’homme périt
En rêvant aux buissons pleins de mauve verveine.
L’humanité morte dans ces profonds passages
Regarde froidement le gueux dans ses guenilles,
Debout, près de la flaque où son urine brille
Qui cherche dans sa couche des nouveaux cépages
Le plaisir collectif d’ivresses nationales
Auquel le monde mêle, des palais et des quais,
Les vesses parfumées des viandes des banquets
Qui vident dans l’égout les ressources du val.
Apollon continue de cracher en décembre
Les rayons hivernaux où quelque glace enserre
Les grappes et les terres que l’astre remembre.
Vois au fond de cette chair rousse, d’ambre et de vair :
J’attendrai là à la chute des Constantins
La Corne d’Or que font reluire les bateaux
Qui s’empiffrent toujours du solaire festin,
Des vignes qu’ils volent sur les bords des coteaux,
Si les reflets puissants des souvenirs t’appellent
Aux saveurs profondes des terres d’origine
Enveloppées de soleillées et brumes frêles
Sédimentées dans ton visage de tsarine.
Le soleil aveuglant arpente un grand charnier,
Le voisin de la mer Noire, eau tombe d’étoiles.
Bercé dans le flot sombre, un cerbère de moelle
Peint de sa couleur fraîche le sol tout saigné.
La lune au cuir jette un reflet de grand métal
Tressé et abreuvant et le ventre et la bouche.
Vivent le sable et la chair, le sang de la souche
Qu’a cru anéantir l’alfénide létal.
Sur le rivage profond d’un clair Atlantique,
Tu rêvasses comme en un flot la lumière
Approfondit pour l’œil son mystère physique.
Je suis dans ma vapeur, et le soir derrière
Empaquète ma songerie et y fait boire
Aux sueurs que ta peau imbibait de santal,
Aux sauvageries miroitantes de la Loire,
A ses reflets purs dont les pointes de cristal
Dans les sables couverts d’une eau alternative
Scintillent en ouvrant de larges terriers
A de larges désirs que le fleuve lessive
Et fait renaître dans les fleurs des poiriers.