N° 151, juin 2018

Le salon du dessin contemporain
DRAWING NOW ART FAIR
22 AU 25 MARS 2018. AU CARREAU DU TEMPLE, PARIS


Jean-Pierre Brigaudiot


Raquel Maulwurf, Black-sea, charcoal-pastel

Un salon/foire d’art contemporain parmi bien d’autres

 

Ce salon et foire du dessin contemporain en est à sa douzième session et pour le visiteur occasionnel que je suis (il y a tellement de salons consacrés à l’art contemporain à Paris !), cette session fut assez convaincante. Un certain nombre de réserves que j’ai pu émettre dans un précédent article de cette même Revue de Téhéran n’ont plus lieu d’être, comme celle, par exemple d’une présence trop pesante du dessin académique : Drawing Art Now s’annonce aujourd’hui clairement comme un salon/foire d’art contemporain. Autre réserve également, que j’avais émise, quant à la tendance de certaines galeries à placer des artistes dont l’œuvre outrepasse les limites de ce qu’on appelle couramment dessin, réserve encore, sur un niveau qualitatif hétérogène laissant une impression peu positive et enfin regret quant à peu de découvertes en termes d’inventivité de la part d’artistes guère connus. En fait, ces quelques lignes précédentes tiennent lieu de programme quant à ce qui peut être attendu d’un salon d’art contemporain : innovation, inventivité, découvertes et diversité. Il y a bien d’autres salons qui ne s’annoncent pas tant comme associant prospection et artistes déjà connus mais se positionnent plutôt comme destinés à une élite de collectionneurs privés et institutionnels. Dès lors, ils exposent à la fois un art moderne et un art contemporain avec des artistes à la réputation qui peut être installée au niveau historique et au niveau international. Le salon/foire d’art contemporain fait partie du paysage de l’art contemporain en France, mais surtout à Paris qui, malgré quatre décennies de politique de décentralisation, reste bien la capitale de l’art, comme le sont ailleurs Londres, Tokyo, Séoul et New York. Ces salons/foires jouent à la fois un rôle commercial, ce sont des événements commerciaux, et ont un rôle de promotion d’artistes et de formes d’art émergentes, ceci malgré la présence non négligeable de l’institution muséale qui non seulement collectionne et expose, mais est devenue commanditaire d’œuvres à sa dimension : ses espaces n’ont rien à voir avec ceux des galeries d’art et sont souvent immenses, ce qui permet aux artistes d’accéder à la monumentalité. A ces espaces des musées, il faut ajouter ceux des centres d’art contemporain, espaces municipaux, régionaux ou FRAC(s), espaces privés des fondations, qui eux aussi peuvent promouvoir l’innovation.

F.Evans, Abluenudein, aquarelle, crayon,
papier.

Ces salons/foires qui scandent les saisons de l’art à Paris répondent à une réelle attente du public des amateurs et collectionneurs en leur évitant de très longs parcours de visites de galeries dispersées dans la ville. Le salon/foire regroupe en quelques jours et en un seul espace un échantillon significatif de ce que montrent les galeries présentes, parisiennes mais aussi provinciales et européennes, voire internationales. Ce Salon/foire, Drawing Art Now en est donc à sa douzième édition et c’est un bon signe quant à sa vitalité, quant à la validité de l’idée soutenue par sa créatrice, une galeriste et collectionneuse, Christine Phal, quant à la pugnacité et la clairvoyance de son directeur artistique, Philippe Piguet, une figure de la critique d’art. Drawing Art Now a migré plusieurs fois – il fut au Carrousel du Louvre - pour finalement s’installer au Carreau du Temple, un ancien marché parisien dont la structure architecturale relève du type Baltard. Désormais le Carreau du Temple restructuré et totalement rénové est un vaste espace culturel polyvalent et moderne, judicieusement conçu pour notamment accueillir des événements tels ce salon/foire, mieux en tout cas que le Grand Palais ou la Porte de Versailles ne peuvent le faire. Avec Drawing Art Now, les stands où se logent les galeries correspondent aux besoins en termes d’accueil du dessin, la circulation est aisée et le niveau inférieur est en partie consacré aux autres événements : expérimentations, conférences, vidéo, ateliers de création.

David Scher, Boat, 2013-57x76cm
Erich Gruber Carousel, 2017, 76x56-cm, pencil
on paper

 

Le dessin dans tous ses états

 

La visite de Drawing Art Now m’a donné à penser et repenser le dessin, ce qu’il est aujourd’hui, ce qu’il fut et ce qu’il pourrait ou pourra être. Même si le dessin peut jouer à être un art à part entière, tel qu’en lui-même, le dessin est en quelque sorte et le plus souvent l’un des états visuels premiers de l’art, notamment en ce qui concerne la peinture, la sculpture, l’installation, peut-être également la photo et la vidéo et quelquefois le cinéma. Il témoigne bien souvent d’une pensée non langagière, une pensée plastique destinée à rendre imaginable ce qui adviendra, l’œuvre en projet. Cette pensée prend appui sur un tracé, sur de multiples tracés, sur des tracés différents : continus, discontinus, pointillés, sur des taches, des traces, des teintes, des valeurs. Lignes hésitantes, voire tremblantes, lignes affirmées et grasses, traits effacés pour partie – la gomme est un outil du dessin et pas seulement un outil pour corriger ! Le dessin peut se faire avec le doigt sur le sable, sur la vitre, dès lors il est éphémère. Il se fait avec une pierre sur la pierre ou sur le bois, avec un stylet et un crayon noir ou de couleur, avec un ordinateur, avec du papier photo, il sait travailler avec les outils numériques. Il sait se dissoudre dans la couleur ou la cerner et la rehausser. Et il se réinvente sans cesse. Il peut figurer le monde visible et il peut transformer celui-ci. Il peut être technique et figurer des machines et des cités réelles ou imaginaires. Il peut-être bande dessinée, un art à part entière qui est aussi un art du dessin, et raconter des histoires de toutes sortes, avec ou sans texte. Il peut-être anatomique ou botanique, géologique, géographique.

Gérard Fromanger, Giotto di Bondone, 2018, Pastel sur papier

Il est toujours au coin de la rue et de notre quotidien, omniprésent, fonctionnel ou il peut n’être que rêve, porté par l’imaginaire de son auteur. Le dessin peut-être ici-là sans figurer, juste pour se donner à voir en tant que signe sans au-delà dans le langage. Il adhère et contribue à faire les mouvements et les époques de l’art. Il peut être fait d’assemblages, de découpages, de déchirures, tracé sur un journal ou sur un corps humain, sur une statue ou sur une voiture, sur les murs de la ville. Le dessin peut rehausser la peinture, il peut se faire à l’éponge, au compresseur ou au pinceau. Il se pratique au laser sur le ciel, avec un avion et ses trainées blanches ou colorées. Il dit la réalité du monde ou une certaine perception de celle-ci, il raconte également du monde ses horreurs et ses bonheurs. Il n’y a donc pas un dessin mais des états du dessin, des intentions du dessin, des sous-entendus, des non-dits. Bref, il imagine - met en images -, rend visible, ne serait-ce que lui-même en tant que dessin, il évoque tant et tant de choses en son en-deçà et en son au-delà du langage tout en restant ce qu’il est, un tracé sur un coin de nappe ou une figure très élaborée résultant de décennies d’apprentissage.

Fritz Bornstuck Lady V, gouache pigments et collage sur papier

 

Ce salon/foire Drawing Art Now, encore

 

Ici les galeries sont nombreuses, près de quatre-vingts, françaises, européennes, américaines, canadiennes, à présenter leurs artistes et la très grande diversité de ce que peut être leur pratique du dessin ; petits formats, comme des pages de carnets ou grands formats où le dessin se déploie. L’ensemble étant de bonne qualité et compte tenu des attirances personnelles pour tel ou tel type de dessin, il est un peu vain de présenter des artistes exposés, pour ce faire il faudrait pouvoir leur consacrer temps et espace dans la revue, alors ce sera plutôt le rôle des photos de montrer modestement quelques œuvres et cet article comporte évidemment quelques photos qui pourtant ne sauraient résumer ni dire la diversité du dessin proposé en ce salon/foire.

Henni Alftan Library, 2017, huile sur toile

Ce salon/foire est certainement arrivé à sa maturité, les réserves que j’ai pu formuler au sujet de l’une des sessions antérieures n’ont plus lieu d’être et aux espaces d’exposition s’ajoutent ces nombreux espaces qui font désormais partie de la plupart des foires/salons d’art. Espaces de rencontres, de projections et de débats, avec des spécialistes et professionnels de l’art, avec des artistes ; ce sont des lieux d’échanges et de connaissance qui s’ajoutent au plaisir de la déambulation d’un stand à l’autre, d’une œuvre à l’autre, ceci en liberté puisque rien n’oblige à s’arrêter là plutôt que là, rien n’empêche de revenir sur ses pas pour revoir et mieux voir telle ou telle œuvre, pour dialoguer avec le galeriste et même négocier un prix ! Drawing Art Now est un salon/foire où le public semble venu-là par intérêt et curiosité, contrairement à certaines foires internationales où le moteur principal est à l’évidence l’argent, l’art y étant évalué à l’aune de son prix, valeur de spéculation. Avec le dessin, il s’agit d’un art modeste, en quelque sorte un art de la pénombre dont le résultat, l’œuvre majeure dont il est l’annonce occultera peu ou prou l’existence. Autant de mérite donc aux organisateurs de Drawing Art Now quant à consacrer tant d’énergie à faire vivre et perdurer ce salon/foire, à lui donner la qualité, les qualités que l’on y trouve.

Icinori Barrage, 2018, technique mixte
Suzanne Husky., Faïences, ACAB terre locale

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