N° 10, septembre 2006

La Révolution Constitutionnelle de 1906


Arefeh Hedjazi


Nous fêtons cette année le centenaire de la Révolution Constitutionnelle iranienne.

Comme tant d’autres, cette Révolution commença sous le signe d’une simple prise de position contre l’absolutisme royal mais se termina par l’entrée en vigueur pour la première fois d’une assemblée représentative du peuple et de ses droits. Elle marqua un tournant profond et radical en faisant comprendre à la nation qu’elle peut toujours exiger le respect de ses droits.

Le14 mordad 1285 (1906), l’Iran se réveillait à un nouveau monde. Ce jour-là, le roi Mozaffar-e-din Shah signait l’ordonnance qui allait mettre fin à près de trois millénaires de monarchie absolue et la remplacer par un Etat de droit ou une monarchie constitutionnelle. En effet, le roi ordonnait la mise en place d’un parlement représentatif du peuple qui détiendrait désormais le pouvoir législatif.

Cet ordre était l’aboutissement d’efforts surhumains de la part d’une poignée de révolutionnaires soutenus par le peuple entier et décidés à changer les choses.

Pour la première fois depuis le grand Cyrus, élaborateur de la première constitution écrite du monde, une constitution qui limitait les pouvoirs du roi voyait le jour. Ce dernier devait dès lors compter avec le peuple et ses exigences.

Récit d’une genèse

L’histoire de la révolte qui aboutit à cette ordonnance est l’une des plus belles épopées de l’histoire contemporaine de l’Iran. L’Iran devint ainsi le premier pays musulman à se doter d’une Constitution et d’un parlement légiférant.

Les derniers rayons du Roi Soleil français illuminaient une France plongée dans la misère, bientôt prête pour la Révolution de 1789. Une situation comparable marque la fin du long demi-siècle de règne du roi Qadjar Nasser-e-Din Shah. Pendant ce règne, le peu qui restait à sauver de la situation désastreuse de l’Iran se perd également. C’est le commencement de la fin de la monarchie absolue et bientôt, le grand soulèvement constitutionaliste fait disparaître dans sa tornade la royauté de droit divin.

Eynodolleh

En effet, les années finales de l’ère nassérienne voient se dégrader de jour en jour la situation sociale, politique, et économique du pays grâce au caractère incapable de ce roi libertin. A sa mort, les choses vont continuer à empirer.

Son héritier, Mozaffaredin, est un homme faible et maladif, incapable de redresser la situation qui dégénère rapidement. Il est manipulable et commode, faiblesse immédiatement mise à profit par les courtisans qui l’entourent et qui n’attendent que cette occasion pour puiser dans les caisses de l’Etat, toujours vides malgré les emprunts successifs faits par le roi précédent à l’Angleterre. Ces emprunts avaient été faits en échange de l’octroi de monopoles exorbitants au profit des sociétés anglaises. Ceci, ajouté à l’énorme somme d’argent que doit payer l’Iran à sa vieille ennemie la Russie comme réparations de guerre, portent la misère des contribuables, (c’est-à-dire les pauvres puisque les riches ne paient pas d’impôts)à son comble, et ce à tel point que des murmures de protestation commencent à se faire entendre chez les plus démunis, réunis dans chaque région autour des grands chefs religieux.

D’autre part, à cette époque, les intellectuels revenus d’Europe commencent à faire connaître aux Iraniens des notions telles que la constitution, la monarchie constitutionnelle, le libéralisme, le scientisme, et l’humanisme. Ces intellectuels seront, avec le clergé, l’un des pôles principaux de la lutte contre la tyrannie, bien qu’ils deviennent très vite les défenseurs les plus acharnés de la royauté et son cortège d’injustices et d’humiliations.

Mozaffar-e-Din Shah est, dans un premier temps, favorable à une légère ouverture démocratique. Il démet donc son chancelier Aminosoltan, homme dur, brutal, et haï par le peuple, et le remplace par Aminodolleh qu’il charge de trouver de l’argent pour ses "cures" en Europe.

Mais ce chancelier s’avéra incapable de persuader les Anglais de concéder un nouveau prêt au gouvernement iranien.

Le roi le chasse donc et redonne cette place à Aminosoltan. Ce dernier fait deux grands emprunts au gouvernement tsariste. En échange du premier prêt, l’Iran promet de restituer tous ses prêts à l’Angleterre et de ne plus contracter de nouveaux prêts sans en demander l’autorisation à la Russie. En outre, en échange du deuxième prêt, Aminosoltan concède trois monopoles aux Russes.

De plus, ces derniers souhaitent ardemment signer un traité avec l’Iran au sujet de la taxe d’importation. Ce traité sera finalement signé en 1902.

Pour garantir leurs prêts, les Russes imposent Nose, un belge pro-russe, à la tête de la douane iranienne. Avec la mainmise des Belges sur la douane iranienne et leur discrimination entre marchands russes et persans, des protestations éclatent.

Malheureusement, la somme entière de ces deux emprunts ne suffit au roi qu’à réaliser trois de ses voyages en Europe entre les années 1900-1907, ceci alors que la situation économique atteint un point extrêmement critique.

A gauche, Nose déguisé en mollah

Dans ce contexte, le mécontentement général causé par l’emprise belge sur la douane, l’influence grandissante des Russes sur le gouvernement, l’injustice sociale, la pauvreté, l’insécurité, et le problème de la faim qui atteint des proportions telles que le pain devient introuvable, mettent l’Etat dans une situation délicate et périlleuse qu’il est incapable de bien cerner et les émeutes commencent.

Elles commencent au nom du pain. Dans chaque ville, les protestataires se groupent autour des chefs religieux, à qui ils demandent aide et protection. Le soutien du clergé iranien aux émeutiers est suivi par celui du clergé de Nadjaf. Etant donné la forte influence de la religion en Iran et la puissance réelle du clergé, la cour se voit obligée de prendre compte des protestations.

Cela conduit, en 1903, à la démission d’Aminosoltan, récemment promu au titre honorifique d’Atabak. Le roi nomme Eynodolleh chancelier. Mais le mécontentement ne diminue guère. Conjointement à la formation de groupes clandestins d’opposants, surtout à Téhéran et à Tabriz, des tracts en langue persane, publiés pour la plupart par des opposants exilés à l’étranger, sont distribués inlassablement.

Au même moment, la défaite de la grande Russie tsariste face au Japon, petit pays oriental gouverné par une monarchie constitutionnelle, et les premiers remous de la Révolution socialiste qui allait secouer la Russie quelques temps plus tard, donnent un regain de courage aux opposants.

Alors que le gouvernement essaie de calmer les esprits, deux événements se produisent et mettent, cette fois de façon définitive, le feu aux poudres.

Nose le Belge s’attife d’un costume de religieux à l’occasion d’une fête. Une photographie de lui ainsi accoutré circule alors de main en main. L’insulte est claire et l’offense intolérable.

A peu près au même moment, deux commerçants d’âge respectable sont frappés à coup de bâton en public au motif d’avoir vendu le sucre trop cher. Ces deux commerçants présentent la guerre russo-japonaise comme étant la cause de l’augmentation du prix du sucre, ce qui est tout à fait exact. Ce geste brutal de Eynodolleh, le chancelier, déclenche un ouragan de protestations. L’entêtement du chancelier devant ces contestations conduit le clergé à quitter Téhéran en signe de protestation, pour gagner le saint tombeau de Shah Abdolazim. C’est le premier départ volontaire du clergé.

A droite, Seyed Jamal-e-din Vaez

A Shah Abdolazim, le gouvernement est ouvertement critiqué pour la première fois et l’on parle, du haut de la chaire, de l’injustice du roi et des droits du peuple.

La nation fait alors pression sur le gouvernement pour obtenir le retour du clergé à Téhéran. Les religieux, de leur côté, exigent la création d’un "palais de justice" et la démission du Belge Nose et de Eynodolleh. Sous la pression populaire, le roi est forcé d’accéder aux demandes du clergé qui consent à réintégrer Téhéran. Mais par la suite, la brutalité et la violence des agents gouvernementaux et l’indifférence du régime envers les doléances populaires ne font qu’augmenter les protestations. Protestations que le roi décide de faire taire à tout prix.

Ainsi, le rassemblement revendicatif du peuple à la grande mosquée de Téhéran est attaqué par l’armée qui agit avec sa violence coutumière. Le bilan de cette journée est lourd.

En réponse, les grands théologiens quittent la capitale et s’exilent volontairement à la sainte ville de Qom. D’autres, pro-occidentaux et craignant pour leur vie, se réfugient à l’ambassade d’Angleterre. Ils y resteront un mois en signe de protestation. Ce geste, c’est-à-dire se mettre à l’abri dans l’ambassade d’un pays qui a de grands intérêts stratégiques en Iran et qui ne recule devant aucune traîtrise pour les sauvegarder, est l’un des plus humiliants épisodes de cette rébellion. Il laisse une empreinte durable dans l’histoire contemporaine de l’Iran.

Les réfugiés de l’ambassade parlaient d’abord de la Sharia d’Ahmad et de la Sunna de Mohammad mais progressivement, ces slogans changent pour être remplacés par des idéaux occidentaux, peu compatibles avec la culture persane. Cette halte d’un mois des opposants auprès des Anglais offrira à ces derniers l’occasion d’agir en profondeur sur l’opposition pro-occidentale et, ainsi, de conduire la révolte de manière à ne pas mettre en danger l’influence britannique en Iran. C’est dans l’ambassade anglaise que l’idée d’une constitution est pour la première fois évoquée. Jusqu’alors, on ne demandait que la création d’un palais de justice.

A l’époque, très peu saisissaient le sens d’une monarchie constitutionnelle et des dix mille réfugiés à l’ambassade britannique, seuls dix étaient vraiment partisans de l’élaboration d’une constitution et savaient exactement ce qu’ils voulaient.

Ce deuxième départ des opposants est célèbre sous le titre de " grand départ" par opposition au premier que l’on nomme le " petit départ".

Les réfugiés à l’embassade d’Angleterre

Avec l’aggravation des émeutes, les deux départs des opposants en signe de protestation, l’exigence du peuple concernant la démission d’Eynodolleh, et pour la première fois l’idée d’une assemblée nationale qui représenterait le peuple, le roi est obligé de démettre son chancelier et d’annoncer son accord avec l’instauration d’un parlement national.

Après l’élaboration du statut des élections et sa signature par le roi, l’élection des parlementaires a lieu au mois de shahrivar 1285 (1906) et la première assemblée nationale iranienne se rassembla en octobre de la même année. Elle désigne un comité pour la préparation d’un projet de constitution. Le comité élabore rapidement une constitution dont la version définitive est signée par le roi, gravement malade, qui meurt quelques jours plus tard.

Le règne de Mohammad Ali Shah

A la mort de son père, Mohammad Ali est proclamé roi. Il a l’intention de mettre rapidement fin à ce qu’il estime être un empiètement tragique sur sa royauté divine. Comme il est pro-russe, c’est à la Russie tsariste qu’il demande de l’aide pour réprimer l’opposition. Mais en réalité, il n’a pas besoin de se salir les mains. Les divergences et les désaccords apparaissent immédiatement au sein des diverses fractions parlementaires et chaque groupement dévoile ses buts pro ou anti monarchique et colonialiste.

La fraction la plus importante du parlement est formée par les nobles pseudo intellectuels qui ne souhaitent ni perdre leurs pouvoirs ancestraux ni la protection des Européens. Ils s’en prennent donc violemment à leur compagnon de lutte, le clergé et les religieux. Certains de leurs nouveaux journaux attaquent la religion et ses sacrements, d’autres ridiculisent la culture persane.

Pour tenir tête à ces agressions violentes et injustifiées, l’autre aile de l’opposition, c’est-à-dire le clergé avec à sa tête Sheikh Fazlollah Nouri, critique vertement les pro-occidentaux qui ne tiennent pas compte de l’idéal de la révolution qui est non seulement de dire non à la monarchie absolue, mais aussi de garantir le pays contre l’influence désastreuse des puissances coloniales. Comme la critique ne donne pas de résultat, les religieux regagnent de nouveau le tombeau de Shah Abdol Azim. Ils demandent une constitution conforme aux règles de la Charia.

Cet exil volontaire effraie la cour qui donne suite à cette demande. Un complément est élaboré et signé par le roi. D’après ce texte, cinq savants théologiens doivent vérifier la conformité des projets de loi avec la Sharia.

Cet ajout fut élaboré grâce au courage et à l’obstination de grands religieux tels que Sheikh Fazlollah Nouri, qui paya de son sang cette fermeté. En effet, il fut exécuté quelques mois plus tard, après un simulacre de jugement, comme ennemi de la Révolution Constitutionnelle qui n’aurait pourtant pas eu lieu sans lui.

Pendant ce temps, Mohammad Ali Shah, ulcéré par l’impudence de ceux qui osent parler des droits du peuple, cherche une occasion de croiser le fer avec les parlementaires pour pouvoir les écraser à l’aide des Russes. La tentative d’assassinat perpétrée par un inconnu sur le roi, tentative conçue sur ordre du roi lui-même d’après les historiens, offre à Mohammad Ali Shah le prétexte dont il avait besoin.

Le deux tir 1287 (1908), sur proposition du colonel Liakhov, commandant russe des cosaques, il donne l’ordre d’ouvrir le feu sur l’Assemblée Nationale.

En apparence, le roi vainc les constitutionalistes, mais l’irréductible désapprobation et la protestation officielle du clergé, puis, en conséquence, les révoltes de Tabriz et de Tonekabon menées sous le commandement des deux grands chefs Bagher Khan et Sattar Khan qui atteignent Téhéran et obligent la cour à se réfugier à l’ambassade russe, conduit de force Mohammad Ali Shah à abdiquer et à quitter définitivement l’Iran pour la Russie. Son fils, Ahmad, âgé de douze ans, est proclamé roi. Après cela, le déclin de la Révolution Constitutionnelle commence. La présence des forces russes au nord et anglaises au sud, ainsi que leurs interventions incessantes dans les affaires du pays affaiblissent considérablement le pouvoir central.

La confiance déplacée que les révolutionnaires montreront envers des gens comme Eynodolleh, la réapparition spontanée des courtisans, des nobliaux, et des grands propriétaires terriens avides d’argent et de pouvoir, la Première Guerre Mondiale qui vient de s’engager, les grandes famines, l’incapacité du gouvernement à garantir la sécurité, à garantir les besoins minimum du peuple, et le mécontentement grandissant de la nation fournissent les éléments ayant favorisé la montée au pouvoir de la dynastie Pahlavi, quelques dix ans plus tard.

Les tenants d’une révolution

Il est loisible d’examiner la Révolution Constitutionnelle sous des angles culturel, politique et économique. A l’époque, grâce aux efforts conjugués du clergé et des intellectuels de retour d’Europe, les Iraniens commencent à faire connaissance avec des cultures venues d’ailleurs et les nouvelles idées politiques européennes. La publication des journaux et surtout des journaux clandestins qui blâment le pouvoir, font découvrir une liberté inconnue mais à portée de main aux Iraniens, écrasés depuis des millénaires sous diverses tyrannies. Ils apprennent le sens de notions telles que parlement, assemblée populaire, constitution et liberté et deviennent capables d’être critique envers le gouvernement. D’autre part, les religieux, parmi lesquels ont peut nommer le grand Mirza Naini, s’appuient sur les textes théologiques pour mettre en doute la légalité des actes royaux, refuser l’injustice des Qadjars et les influences étrangères et mettre en doute la légalité des actes royaux. Ils poussent la nation à se révolter contre l’arbitraire. L’immigration de nombre d’Iraniens vers d’autres pays est également une porte ouverte sur la modernité.

Le mécontentement général suscité par le désordre, l’incapacité des rois qadjars et de leurs ministres, la corruption intolérable qui règne à la cour, l’archaïque système politique en vigueur, l’influence paralysante des puissances étrangères sur les gouvernements successifs, et la faiblesse consentante qui caractérise les rois qadjars face à cette hégémonie grandissante ne fait qu’intensifier l’indignation nationale. Cette situation porte à son comble la méfiance du peuple envers le roi et les Qadjars.

Tout le monde participe à la révolte

D’autre part, les contrats quasi coloniaux passés entre l’Iran et les pays occidentaux tels que les contrats de Golestân et de Torkamantchay, imposés à l’Iran par la Russie à la suite des humiliantes défaites iraniennes face aux Russes, les concessions économiques faites à l’Angleterre, et la méprisable loi de la Capitulation imposée par cette dernière à l’Iran, sème la haine des colonisateurs dans le cœur des Iraniens, écœurés par la veulerie de leurs politiciens.

On achète les gouverneurs corrompus et aucune autorité judiciaire n’existe pour mettre fin aux exactions des agents de ces gouverneurs. Parfois, la terreur des agents pousse les habitants d’une région à abandonner leurs terres pour se réfugier ailleurs.

La victoire obtenue peu de temps auparavant par le clergé au moment de l’Affaire du Tabac, l’accablante injustice régnante illustrée par la corruption, l’extorsion et l’absence de système judiciaire, les nouvelles idées concernant l’Etat de droit, la monarchie constitutionnelle, le droit des peuples, la notion de nation, de liberté individuelle et de limitations du pouvoir de l’Etat, et la défaite de la Russie tsariste face au Japon, sont les principales causes politiques de la Révolution Constitutionnelle.

Parmi les causes économiques on peut nommer :

La crise économique qui suit les guerres irano russes.

L’abandon des territoires du nord-ouest aux Russes suite aux traités de Golestân et de Torkamantchaye.

La concession de monopoles spéciaux aux étrangers qui leur permet une mainmise totale sur l’économie iranienne.

L’importation massive de produits étrangers qui provoquent la faillite des industries nationales traditionnelles, comme par exemple l’industrie du textile qui succomba à l’inondation du marché par les produits anglais.

L’ayatollah Behbahani

L’absence de soutien gouvernemental à l’économie nationale.

La faiblesse de l’agriculture causée par le mauvais état des routes, les difficultés d’échange, et la baisse du prix des produits agricoles.

L’encouragement des Anglais pour la production d’opium en lieu et place de produits agricoles.

Les famines successives qui prennent chaque fois de nombreuses vies humaines. La plus terrible de ces famines sévit en 1871 et cause la mort de plusieurs centaines de milliers de personnes.

Le problème du pain qui apparaît à la fin du règne de Nasser-e-Din Shah et continue pendant le règne de Mozaffar-e-Din Shah.

Détracteur de la Révolution : “A l’échafaud !”

La dévaluation de la monnaie en cours en raison de la faiblesse du pouvoir central et de la baisse mondiale du prix des métaux précieux.

La baisse de la valeur des produits bruts iraniens.

Pour contrer ces problèmes, l’Etat augmente les impôts, se met à vendre les charges publiques au prix fort, et offre des monopoles aux étrangers en échange d’emprunts aux banques étrangères.

Cet état de choses et le fait que tout l’argent ainsi procuré servait aux dépenses de cour et aux coûteux voyages des rois déclenchait la colère du peuple, qui se voyait ainsi dépossédé de ses droits les plus élémentaires.

Les deux plus importants mouvements d’opposition sont celui des intellectuels occidentalisés et celui du clergé chiite et savant.

Le clergé

Du fait de la religiosité de la nation iranienne et du profond lien qui existe entre elle et le clergé chiite qui a eu depuis toujours un rôle de guide et de soutien envers les plus déshérités, ce clergé possède un pouvoir immense dont il se servira à l’occasion de cette lutte.

A partir de l’époque safavide, avec l’instauration du chiisme comme religion officielle, le clergé, la plus importante des institutions populaires, se présente comme le plus puissant des groupements non étatiques.

La règle qui exige que chaque chiite suive un savant religieux crée des liens extrêmement durables entre les religieux et le peuple. Même le roi, qui tient sa royauté de l’Islam, n’est que l’un des nombreux adeptes d’un chef religieux et a l’obligation de respecter les règles prescrites par ce dernier.

Les Cosaques de Liakhov

L’émergence du clergé en tant que levier de pression politique dans l’histoire contemporaine date du début du 19ème siècle. (Le meurtre de Gribaidov et les guerres russo-iraniennes)

Le pouvoir religieux offre un abri séculier au peuple contre les exactions de l’Etat et la puissance du clergé provient essentiellement de la place d’honneur qu’il occupe auprès des gens.

L’accroissement du nombre des savants théologiens et la croissance rapide des centres d’études théologiques et religieuses aident également l’institution religieuse iranienne à prétendre à ce pouvoir inaliénable.

Parmi les grands savants qui luttèrent contre la tyrannie royale pendant la Révolution Culturelle, on peut nommer Mirza Naini.

Après la victoire russe et l’apparition de nouveaux slogans pro-étrangers parmi les constitutionnalistes, certains des religieux prirent leur distance avec les constituants. Le plus important d’entre eux est Sheykh Fazlollah Nouri, l’un des grands chefs de ce mouvement avant sa déviance. Sa mort fut pleurée par tous ceux qui espéraient vraiment un changement politique favorable au pays et non aux étrangers.

Quelques temps après, l’assassinat par les pro-étrangers du grand savant combatif l’ayatollah Behbahani porta un autre coup au clergé et ainsi la Révolution, vidée de son vrai sens, tomba aux mains des intellectuels occidentalisés.

Au milieu, Bagher-Khan et Sattar-Khan

L’aide intellectuelle

La pseudo intelligentsia naît en Iran au début du 19ème siècle parmi les riches couches sociales affiliées à la cour. La première vague de l’intellectualisme persan est formée d’Iraniens ayant été envoyés en Europe pour y faire des études. Sur place, ils découvrent ce continent prospère avec étonnement. Ils voient une Europe en pleine expansion culturelle, géographique, politique et économique. C’est l’apogée du mercantilisme libéral et de l’impérialisme territorial de l’Europe, ainsi que l’âge d’or de la civilisation occidentale. Sans davantage analyser les profondes métamorphoses qu’a subi l’Occident depuis la Renaissance et les courageux sacrifices que les Européens ont consenti au progrès, ces Iraniens, qui ne pouvaient pas se faire une idée exacte des fondements de la civilisation occidentale, ne s’intéressent qu’aux résultats. Bien naturellement, ils leur vient le désir de s’éloigner de la culture traditionnelle iranienne, qu’ils estiment dès lors dépassée et archaïque, pour se contenter de s’imprégner en surface du peu qu’ils voyaient et essaient d’imiter les comportements européens. Ils estiment que la seule chose qui permettrait à l’Iran de sortir de sa paralysie millénaire serait de tendre la main vers l’Europe qui viendrait, bien entendu à bras ouverts, à son aide.

Parmi ces intellectuels, on peut nommer Akhoondzadeh. C’est l’un des premiers intellectuels à critiquer la société iranienne et à présenter de nouvelles conceptions sociales pour un changement politico culturel. Il était naturalisé russe et n’hésitait pas à dénigrer les traditions et la religion de l’Iran. Le coté anti-religieux de sa pensée l’empêcha d’avoir beaucoup de lecteurs malgré sa plume assez policée.

Mirza Malek Khan Nazemodolleh est un autre de ces intellectuels de l’époque nassérienne qui proposa des solutions au roi Nasser-e-din pour une refonte du système politique et de l’économie du pays. Il fut ministre plénipotentiaire de l’Iran en Angleterre et l’artisan de l’injuste traité de Reuter. Il acheta le monopole de la loterie nationale au roi, et en raison de l’interdiction religieuse qui frappa ce monopole, il le revendit à un anglais puis fut démis de sa fonction et jugé pour escroquerie. Il publiait le journal"La Loi" et proposait une lexicologie des termes à la mode de l’époque comme la légalité juridique, les droits du peuple, l’opposition à l’absolutisme, etc. Il estimait que pour sauver l’Iran, il fallait inviter les compagnies étrangères et les payer au prix fort pour qu’elles consentent à travailler dans un pays aussi arriéré. Après sa démission forcée, il se mis à critiquer l’Etat mais se tut très vite en échange de copieux pots-de-vin.

Sepahsalar est également l’un des hommes politiques et intellectuels de l’ère de Nasser-e-Din Shah. Il fut de longues années durant ambassadeur d’Iran, notamment en Turquie ottomane, et le roi le nomma chancelier pendant la crise de famine de Shakoor. C’est lui qui contracta finalement le traité de Reuter. Sa plus grande faiblesse était la confiance irraisonnée qu’il éprouvait envers les Anglais.

Les intellectuels essayèrent sans succès de modeler la société persane sur des clichés européens. Leur indifférence envers la culture traditionnelle, leur incapacité à se faire une place durable au sein de la société iranienne, leur ironie déplacée envers tout ce qui était religion, et l’analphabétisme qui frôlait les 95% lia les mains de ces intellectuels et ils ne purent guère agir en politique de façon indépendante. Cela les obligea à s’unir avec l’une des deux grandes puissances intérieures, c’est-à-dire avec le clergé ou la cour.

L’échec de la Révolution Constitutionnelle

Malgré tous les sacrifices qu’elle nécessita, cette Révolution échoue.

Les raisons de cet échec sont multiples mais on peut les situer dans deux catégories de facteurs intérieurs et extérieurs au pays.

L’alliance russo-anglaise contre l’ennemi commun, l’Allemagne, le partage de la Perse par le traité de 1907, et l’occupation de l’Iran par les acteurs du conflit mondial sont quelques uns des facteurs extérieurs qui provoquèrent l’échec de cette révolte.

Les Fedayins de la Révolution

L’attaque de l’Assemblée Nationale par les cosaques russes, l’occupation et son cortège de crimes de la part des Russes au nord et des Anglais au sud, le déclenchement de la Première Guerre Mondiale, les famines successives, la faim, la maladie et la mort eurent également comme résultat la perte d’intérêt du peuple envers une quelconque révolte constitutionaliste. Certains considéraient même la Révolution comme l’origine principale de leurs maux.

Parmi les facteurs internes d’échec, on peut faire allusion au désaccord profond qui existait dès le départ entre les deux factions qui luttaient. Le constitutionalisme n’était pas un mouvement soutenu et voulu par une fraction particulière de la nation. Tout le monde participa à cette révolte et ces groupes divergents, au lieu de s’unir dans la lutte contre l’ennemi commun, gaspillèrent leur talent en escarmouches internes, fausses accusations, assassinats, agressions verbales et physiques, etc. Et pendant ce temps, l’absolutisme régnait comme jamais.

Shoja Nezam et ses cavaliers

L’ensemble de ces facteurs désespérèrent le peuple et le clergé d’une quelconque victoire effective. Ainsi, le clergé, découragé et sans espoir, quitta la scène politique en laissant le champ libre aux défenseurs du système monarchique et aux profiteurs en tous genres.

Malgré tout, la révolte ne connut pas une défaite totale et eut quand même de nombreux résultats positifs :

Des notions comme celles de constitution, assemblée représentative nationale et libre, élections, séparation des pouvoirs et limitation des pouvoirs royaux entrèrent, grâce à cette rébellion, dans la culture politique du pays de façon définitive et même si la première assemblée connut un destin funeste, ces notions furent préservées avec force dans les pires tourments politiques iraniens. Dans les années qui suivirent, des membres de l’opposition ayant été élu au parlement purent, grâce à elles, apporter des changements politiques durables et bénéfiques.

Au milieu, Mohammad Ali Shah et son fils Ahmad Shah

Les précieux enseignements de cette Révolte ne furent pas perdus et les révolutionnaires s’en servirent à l’occasion de la Révolution islamique, quelques neuf décennies plus tard. D’une part, on réussit à éliminer l’option monarchique en tant que système politique et à protéger le pays contre la mainmise néo-coloniale.

D’autre part, le clergé, encore une fois au centre de la lutte contre l’arbitraire, sut cette fois prémunir la Révolution des influences venues d’ailleurs.


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2 Messages

  • La Révolution Constitutionnelle de 1906 17 janvier 2017 14:53, par Mr LECORGUILLE Loïc

    Bonjour Monsieur,

    Je me présente ; je me prénomme Monsieur LECORGUILLE Loïc et collectionne les timbres poste Perse de la période provisoire de 1906.
    J’aimerai à cette occasion avoir des renseignements quant à l’utilisation de ces timbres mais aussi toutes les informations disponibles sur cette série de six timbres.
    Je vous remercie de votre bienveillance et vous prie de croire en mes plus sincères salutations.
    Monsieur LECORGUILLE.

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    • La Révolution Constitutionnelle de 1906 17 janvier 2017 15:15, par RDT

      Bonjour,

      Pour plus de renseignements sur les timbres de cette période, vous pourrez peut-être contacter (en anglais) l’association des timbres d’Iran à l’adresse suivante : Info(arrobase)Tamriran(point)com

      Voici l’adresse de leur site :
      tamriran(point)com

      Cordialement,
      RDT

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