N° 8, juillet 2006

Palimpseste


Mehdi Sedaghat-Payam
Traduit du persan par

Helena Anguizi


Ces jours-ci, en cette période de fin d’année, trouver un taxi c’est une affaire. Nous étions sur la place Ariashahr, ma femme et moi, dans l’attente d’une voiture susceptible de nous conduire à destination. Pour la énième fois, je tendis la main en vue d’appeler un taxi. Nous avions attendu longtemps jusqu’à ce qu’arrive une Pride noire s’immobilisant net devant nous qui étions avec d’autres personnes, pareillement dans l’attente d’une solution pour rentrer chez eux. Sur le siège avant, près du conducteur, était assis un jeune homme, qui, réalisai-je par la suite, était l’ami du chauffeur, et qui bientôt dut partager sa place avec un autre jeune homme monté en voiture peu après nous. Nous nous installâmes mon épouse et moi à l’arrière, en compagnie d’une femme d’un certain âge. Près de Sardarjangal, l’ami du conducteur se pencha en arrière et demanda : "Excusez-moi madame, c’est quoi votre parfum ?"

Mon épouse réfléchit un moment puis répondit : "Prérogative".

-"Pardon ? Vous dites ?".

-"Pré-ro-gative !"

Le jeune homme se retourna sans mot dire.

Arrivés à la maison, je dis : " Tu étais obligée de lui sortir un nom aussi difficile ?"

Elle me regarda avec étonnement et me dit : "Et qu’est-ce que j’aurai dû lui dire ?"

J’ai attendu qu’on soit rentré. J’ai fermé la porte d’entrée et tandis que nous montions les escaliers, j’ai répliqué :"Je ne sais pas moi ! Un truc plus commun. Quelque chose comme Best and Cool ou Bijan.

-"Laisse tomber, j’avais juste envie de l’embêter un peu. En plus, ce soir, j’ai mis du Cool Lady".

Mauvaise réponse. Non, ça ne va pas du tout ! Je reprends ma gomme et j’efface ces quelques lignes, et je replace le couple en bas de l’escalier. Je me dirige vers la fenêtre et je contemple le ciel. Et je réfléchis, encore et encore en me disant qu’il faut que les personnages d’une bonne histoire paraissent familier aux lecteurs. J’étais plongé dans cette pensée quand mon épouse surgit dans la chambre avec du café et me fit ainsi refaire surface. C’est toujours la même chose. Dès que j’entreprends de faire quelque chose d’important, elle a le chic pour venir m’interrompre. Il faut dire aussi qu’elle me sauve, dans un sens, quand je suis en train de me noyer dans mes pensées. Je l’ai surnommée "Salvatrice de mes pensées philosophiques".

Cette fois encore, son entrée à l’improviste m’a surpris. D’autant plus que normalement, à cette heure-ci, elle dort.

-"Ah merci chérie ! Tu tombes à pic… hum… quel café ! …alors tu ne dormais pas ?"

-"Non, je lisais. Et toi ? Tu ne comptes pas venir te coucher ?"

-"Je suis en plein milieu d’une histoire et je t’avouerai que je ne sais pas trop quoi en faire".

Je rajoute du sucre et du lait dans mon café et j’ajoute, tout en remuant la cuillère : "Ce soir, comme je rentrais, il n’y avait pas de place à l’arrière de la voiture et j’ai dû me mettre devant. Celui avec qui je partageais le siège avant, semblait être l’ami du conducteur et" … Et je lui ai raconté l’histoire jusqu’au moment où j’avais cessé d’écrire.

-"Alors ? A ton avis qu’est-ce qu’elle aurait dû répondre ?"

Elle répondit, tout en attachant ses cheveux emmêlés : " Si j’étais elle, j’aurais dit : Eh bien voyez-vous, ce parfum est unique et vous ne le trouverez pas en Iran, car il a été commandé sur Internet. C’est mon chéri qui me l’a offert pour mon anniversaire. Et ensuite, j’aurais terminé en lui balançant ce nom bizarre."

Je n’ai pas du tout apprécié sa manière de faire son intéressante devant moi.

Je n’aime pas que la femme fasse son intéressante pour attirer l’attention de son mari. J’efface donc tout ce qu’elle vient de dire et je replace l’homme à sa fenêtre, en train d’admirer les étoiles.

J’allume une cigarette et en regardant la fumée je me rappelle d’un écrivain qui avouait dans un de ses livres qu’il avait créé des caricatures dans ses œuvres, plutôt que des personnages. Moi, c’est encore pire. Mes personnages ne sont même pas dignes d’être des caricatures. Je n’avais pas fini ma clope que le téléphone retentit dans le salon. D’habitude personne ne nous appelle à quatre heures de l’après-midi. Et juste aujourd’hui, alors que je suis occupé à me casser la tête pour cette histoire… c’est vraiment pas de chance. C’est quand je suis le plus occupé qu’il faut que ce maudit téléphone sonne.

Je décroche. C’est ma sœur qui avec une voix plus aiguë que d’habitude me fait : "Bonjour vous ! Tu ne te rappelles pas de moi ? Je suis celle à qui tu a refilé ton numéro hier !"

-"Bonjour Mahtab ! اa va ?"

-"Salut "la bête" (c’est un surnom qu’elle m’a choisi après avoir vu Hamoun, le film)

-"Tu vas bien ?"

-"Bien, merci ! Je ne te dérange pas j’espère !"

-"Ben si justement ! J’étais en train d’écrire".

-"Sans blague ? Alors je vois que j’ai bien fait d’appeler. Dis moi ? C’est pour quand ce prix Nobel ?"

-"Après la publication de ce livre".

-"Alors tiens nous au courant ! Quoi de neuf sinon ?"

-"Oh rien ! Hier soir on a pris la Pride de papa, Keyvan et moi pour sortir".

-"T’aurais pu passer me voir tout de même. Dis-moi, ça t’arrive de venir prendre de nos nouvelles des fois ? Non je plaisante ! Alors ? C’était bien ?"

J’ai aussi raconté de A à Z à Mahtab, mon aventure de la veille.

Pauvre Keyvan, il n’a finalement pas compris le nom du parfum, même après que le couple ait quitté le taxi. Et c’est son voisin qui a fini par lui expliquer. Mets-toi un peu à la place de la femme, tu aurais dit quoi toi ?

Mahtab hésita un moment puis répondit : "Moi, je lui aurais sorti un nom français d’enfer après lui avoir expliqué que j’avais fouillé Paris de fond en comble pour dénicher ce parfum". Sa voix se perd dans ses rires de temps en temps. "Et après je lui aurais dit : vous voulez que je vous donne le nom de la parfumerie ?" et de nouveau sa voix disparaît derrière ses rires.

Quel mauvais sens de l’humour !

Je pense qu’il serait plus raisonnable de remettre l’auteur à son bureau, pour qu’il finisse sa cigarette. Alors, je sors la gomme du tiroir et j’efface. J’ai du mal à voir le blanc du papier, car il reste encore des traces des mes écrits sur la feuille. Je n’ai plus vraiment envie de terminer cette histoire, mais il va falloir lui trouver une fin. Soudain, l’idée me vient d’aligner tous les mots qui sont encore visibles, et d’achever ainsi l’histoire à la manière des dadaïstes.

Café, dort, Internet, bête, Paris.

Je me demande comment je pourrais donner un sens à ces mots qui se sont enchaînés par hasard. Et j’écris donc : Paris rêve d’une bête d’Internet…

Je ne peux plus écrire. On dirait que quelqu’un effa….


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