N° 57, août 2010

Une femme est assise sur la pelouse


Amir Hassan Tchehel Tan
Traduit par

Shahrzâd Mâkoui


Fâti avait penché son buste au dehors et regardait quelque chose. Elle tenait un sac de pain à la main.

- L’eau est en train de bouillir, dit Rezâ.

Elle se retira et dit :

- La pauvre !

Et elle mit le sac de pain sur la table. Fâti fit du thé et demanda :

- Et pour toi ? ça sera du café ?

Rezâ fit une moue. Pendant un moment, il regarda quelque chose sur la table. Puis il hocha la tête et dit :

- Non, du thé pour moi aussi.

Puis il dit :

- Ne traîne pas, je suis en retard.

- Mais il est quelle heure ? dit Fâti. Et elle regarda au-dessus du réfrigérateur.

- Je dois réveiller Anâhitâ. Elle avait dit… dit-elle.

Rezâ regarda la femme sortir, puis il sortit le beurre et le fromage du réfrigérateur. Sa femme frappait des petits coups à la porte.

- Tu vas être en retard, lève-toi !

Rezâ coupa un morceau de fromage. Il était attentif à ce qui se passait dans la salle de séjour. La femme refrappa des coups à la porte. La fille cria quelque chose en français.

- C’est toi qui m’avais demandé de te réveiller à huit heures précises !

La femme revint à la cuisine l’air maussade. Elle dit :

- Quel caractère !

Et boudeuse, elle s’assit sur la chaise. Rezâ étalait tranquillement du beurre sur son pain et regardait attentivement la femme.

- Où est-ce qu’elle veut aller ?

- Je n’en sais rien.

- Tu ne lui as pas demandé ?

- Je crois qu’elle me l’a dit… Je ne sais pas.

- Avec qui ?

Fâti haussa les épaules, fit la moue et soupira. Elle se mit tout à coup debout. Elle hésita puis elle se mit à la fenêtre.

- Quel destin !

La main de Rezâ resta en suspens. Il regarda les frêles épaules de sa femme et dit :

- Qu’est-ce qui se passe ?

Fâti se retourna et, surprise, répondit en s’arrêtant bien sur chaque mot :

- Tu ne l’as jamais vue ?

- Qui ça ?

Fâti fit signe du côté de la fenêtre. Elle dit :

- Cette femme. Je crois que c’est une Arabe… (Elle huma l’air deux ou trois fois) On dirait que ça sent… le brûlé…

Et elle alla vers le grille-pain. Elle en sortit les morceaux de pain. Il y avait de la fumée. Elle dit :

- Son dispositif automatique ne marche pas !

Rezâ regardait la table avec les lèvres pincées, puis il prit l’assiette de beurre et la porta à son nez. Fâti le regardait en silence, puis dit :

- اa fait une semaine que je n’ai pas eu des nouvelles de Manijeh. Même pas un coup de fil, rien, ah !

- Appelle-la, toi ! dit Rezâ.

- C’est ce que je fais. Elle ne répond pas. Elle n’est pas à la maison, dit Fâti.

- Tu ne manges pas ?

Fâti se retourna, regarda le panier à pain et dit :

- Si.

Elle se servit un verre de thé. Lorsqu’elle revint vers la table, elle regarda encore par la fenêtre. Puis elle se mit à table. La main au front, elle remua le thé une ou deux minutes. Puis elle prit un morceau de pain.

- Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas faim, dit-elle.

Rezâ se leva. Il prit son blouson qui était derrière la chaise.

- Tu t’en vas ? dit Fâti.

- Oui, je suis en retard, dit Rezâ.

- Assieds-toi encore un petit peu.

Rezâ se retourna et demanda incrédule :

- Pourquoi ?

Fâti remua encore le thé. Elle dit :

- Pour rien, comme ça.

Rezâ haussa les épaules. Il dit :

- Je ferai peut-être un petit tour au magasin de Christophe. Je vais lui demander s’ils ne sont pas allés au bord de la mer.

Fâti dit :

- Alors vas-y !... Ce soir tu rentres quand ?

- اa dépendra. Tout le monde est en vacances. Il ne reste plus personne en ville. Certainement plus tôt que d’habitude.

Et il s’en alla.

Fâti rangea le pain à sa place. Elle remua encore son thé et en but une gorgée.

La fille vint à la cuisine. Elle alla à côté de la fenêtre. Elle étira son corps mince et bâilla. Elle mit la main derrière sa nuque, et libéra une touffe de cheveux de l’élastique qui les retenait. Elle bougea sa tête comme une ancre et mit l’élastique entre ses dents. Avec ses deux mains, elle porta les cheveux des deux côtés de la nuque. Elle les tenait avec une main et passa les cheveux par la boucle de l’élastique avec l’autre. Elle passa la main sur ses cheveux et avança une mèche devant son visage

- Thé ou café ?

La fille ne répondit pas.

- Hein ?

Elle haussa les épaules avec indifférence. Elle se retourna mollement et se mit à table. Fâti lui versa du thé.

- Vous allez au cinéma ?

- Non !

- Alors où est-ce que tu voulais aller ? Tu m’avais dit de te réveiller à huit heures.

Elle regarda la montre. La fille dit :

- A la piscine.

- Alors tu n’es pas retard. Il fait beau en plus. Vous pouvez aller à une piscine découverte, non ? Regarde le soleil qu’il y a.

Elle se mit debout et alla vers la fenêtre, puis revint sur ses pas. La fille remua la tête et dit :

- Je ne sais pas. Et elle ouvrit le couvercle du pot de confiture.

Fâti dit :

- Tu as vu cette femme ?… Ce matin, quand je suis allée chercher du pain, j’ai vu qu’elle était encore assise sur la pelouse. اa fait un moment qu’elle fait ça. Maintenant c’est tous les jours. Elle m’a dit que son mari était mort et que ses enfants ne…

La fille porta un morceau de pain à la bouche et Fâti était juste derrière elle. Si au moins elle disait quelque chose. Elle jouait avec le coin de la table.

Fâti dit :

- Elle n’a personne ici, personne. Sa maison est dans le bâtiment d’en face.

Elle dit tout cela lentement. Les mâchoires de la fille remuaient doucement et avec nonchalance. Fâti fit le tour de la table. Elle dit :

- Je ne comprends rien à ces gens-là. اa doit être une immigrée. Elle n’a pas dit d’où elle venait. La fille suça le thé sur le bord de la tasse. Elle fit une moue et posa la tasse.

Fâti dit :

- Laisse-moi alors te faire un café.

La fille haussa les épaules avec indifférence et arrêta sa main en suspens.

Fâti brancha la cafetière électrique et dit :

- Elle dit que depuis la mort de son mari, elle ne peut rester à la maison. Elle en sort dès le matin. Elle s’assoit toujours au même endroit. Elle a toujours un sac avec elle. Elle dit : "J’ai peur de mourir et que personne ne le sache. Alors mon cadavre puera." Ce matin, elle m’a demandé : est-ce que je suis bête ? J’ai répondu que non. Elle a alors dit : "Les gens croient que je suis bête".

Elle alla encore vers la fenêtre et dit :

- Elle n’est pas bête. Elle est seule c’est tout. Viens, viens la voir.

Elle pencha la tête au dehors. Elle fit un signe de la main. Elle demeura ainsi un moment et elle se retourna. Elle dit :

- Le café va être prêt d’un instant à l’autre.

La fille dessinait quelque chose sur la table avec son doigt. Elle leva la tête et dit :

- Il fera beau comme ça jusqu’au soir ?

- Pourquoi les gens croient qu’elle est bête ?

La fille qui avait commencé à fredonner s’arrêta. Elle dit :

- Je ne sais pas maman.

Fâti s’approcha de la fille. Elle dit :

- Je déteste ces gens. Il faut la laisser tranquille. Elle est toute seule.

Et elle mit une main sur l’épaule de la fille. La fille écarta doucement la main de la mère. Elle dit :

- Je ne sais pas.

Et elle se leva.

Fâti dit :

- Ils n’ont pas le droit de la juger comme ça.

- Ils ont peut-être raison, dit la fille.

Et elle sortit de la cuisine. Fâti avança d’un pas. Elle leva les mains en l’air. Elle dit :

- Et ton café ?

La porte de la chambre de la fille se referma doucement et elle dit derrière la porte :

- Non, c’est trop tard maintenant !

Fâti regarda la cafetière et elle alla derrière la fenêtre. La femme était assise, sans faire de mouvement. Elle regardait droit devant elle. Elle fumait. Fâti murmura :

- Elle a peur de la solitude.

A qui ces paroles s’adressaient ? Il n’y avait personne. Le robinet fuyait et le moteur du réfrigérateur se mit tout à coup en marche. Fâti courut vers la porte de la cuisine. La porte de la chambre de la fille s’ouvrit tout d’un coup. Fâti se mit dans l’encadrement de la porte et baissa la main qu’elle avait levée. Elle recula même un peu. La fille sortit avec un sac à dos. Elle dit :

- Salut, maman.

Fâti fit un pas en avant. Elle dit :

- Tu rentres quand ?

- Je ne sais pas, dit la fille.

La porte claqua avant que la femme n’arrive à finir ses paroles. Elle regarda autour d’elle. La maison était vide et silencieuse. Elle tendit l’oreille. La fille descendait les marches, puis plus rien.

Il n’y avait aucun bruit. Pas même l’eau du robinet qui fuyait ou… elle se tint là où elle était et s’adossa au mur, croisa les bras, ferma les yeux et appuya sa tête contre le mur.


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1 Message

  • Une femme est assise sur la pelouse 25 février 2012 09:25, par rsJZAkdKXWmpZBAnp

    ces gens la sont soit aragornts, soit coinces derriere des formulaires ou lorsque la case est cochee (genre insalubrite ou revenus insuffisants) la decision est automatique. Par contre l’administration a horreur des vagues.

    repondre message