N° 57, août 2010

L’Iran dévoilé par ses artistes, au Centre National Georges Pompidou à Paris


Mireille Ferreira


A l’occasion de la sortie d’un numéro spécial du magazine Art Press intitulé L’Iran dévoilé par ses artistes, le centre Georges Pompidou et Musée National d’Art Moderne à Paris ont organisé, le 7 mai dernier (17 Ordibehesht), une soirée en présence de Catherine Millet, directrice de la rédaction de cette revue, d’artistes, d’acteurs du monde de l’art, et d’intellectuels iraniens qui ont collaboré à la rédaction de ce numéro consacré exclusivement à l’art contemporain iranien.

Mireille Ferreira propose un compte rendu de cette soirée et Jean-Pierre Brigaudiot, partant du numéro spécial d’Art Press et d’expositions qui se sont tenues récemment à Paris, tente une analyse de l’état de l’art contemporain iranien.

Catherine Millet débute cette rencontre par la lecture d’une lettre de Mahmoud Bahmanpour. A l’origine de l’initiative de ce numéro spécial sur l’art contemporain iranien, le directeur des Editions Nazar remercie Art Press d’avoir consacré un numéro spécial à l’art iranien et d’avoir organisé cette rencontre, ces deux événements illustrant ainsi parfaitement l’originalité et la fécondité artistique iranienne. Soulignant la maturité et la créativité de l’art contemporain en Iran, il attribue ce dynamisme aux jeunes générations qui, soutenues par les galeries privées et les intellectuels, ont su inventer de nouveaux langages. Il regrette d’avoir été empêché de venir à Paris pour assister à cette soirée mais se réjouit de savoir qu’un tel événement a lieu.

La parole est ensuite donnée aux invités, conviés à s’exprimer sur les relations de leurs activités artistiques ou intellectuelles avec la culture iranienne, et sur la manière dont elles peuvent avoir été influencées par l’art occidental :

Nedâ Razavipour, artiste plasticienne :

Nedâ Razavipour vit et travaille depuis douze ans à Téhéran, après avoir fait des études en France, où elle arrive à l’âge de quinze ans. C’est à Paris qu’elle découvre l’art contemporain. Après des études d’art plastique, elle suit les cours de scénographie à l’Ecole Nationale des Arts décoratifs, puis elle repart à Téhéran pour y écrire un mémoire sur le théâtre iranien. En retournant dans son pays, elle constate que, malgré le grand intérêt des jeunes iraniens pour l’art, les moyens d’information sont très rares à cette époque, très peu de livres sont traduits en persan, de rares manifestations artistiques y sont organisées. Tout reste à faire dans le domaine de l’art, elle décide de rester en Iran. Elle monte d’abord une compagnie de théâtre, qui existe toujours. Elle se consacre dorénavant à l’art plastique en créant des installations et des performances.

Ata Ayati, représente la maison d’Edition Nazar. Il a été l’interlocuteur de la rédaction d’Art Press pour la réalisation de ce numéro spécial :

Les Editions Nazar ont été fondées il y a une quinzaine d’années, à une époque où l’art attirait très peu l’attention du public. L’objectif de cette maison d’édition était de publier des livres d’art pour la jeunesse, de copier les œuvres des artistes iraniens et d’engager des recherches dans le domaine artistique. Cette démarche a été soutenue par des personnalités comme Abbâs Kiarostami, Alireza Sami Azar et par d’autres chercheurs et artistes iraniens. Pour répondre à l’intérêt des artistes iraniens pour les courants intellectuels et artistiques français, une équipe de traducteurs a été constituée pour présenter des œuvres d’art étrangères. C’est ainsi que les Editions Nazar viennent de traduire et de publier en persan L’art contemporain en France de Catherine Millet.

Siâmak Filizâdeh, artiste peintre. Il est l’illustrateur de la couverture du numéro spécial du magazine Art press :

Siâmak Filizâdeh a d’abord été illustrateur. Son travail actuel garde une trace évidente du graphisme et de l’illustration. Le choix de ses thèmes est très en prise avec la culture persane, par l’intermédiaire d’effets de collage, un peu provocants parfois.

Passionné depuis toujours par l’histoire ancienne iranienne, il s’empare, en la réinterprétant, de l’image des personnages mythologiques, très présents dans l’imaginaire des Iraniens. Observant que l’histoire tumultueuse de l’Iran, et notamment de ses relations avec l’Occident, ont fait évoluer ces personnages, Siâmak Filizâdeh s’applique à remettre en question l’immuabilité des figures légendaires. Prenant l’exemple du personnage de Rostam, héros du Shâhnâmeh qu’il a abondamment représenté, il estime que son image ne correspond plus à celle de l’archétype dans lequel il a été figé et qui était celle de l’époque à laquelle son histoire a été écrite.

Cette « image d’Epinal » a été longtemps préservée en Iran du fait que cette culture était fermée sur elle-même, qu’il y avait peu de circulation avec les imaginaires occidentaux. Il est évident qu’à partir du moment où cette circulation devenait plus libre, les imaginaires s’interpénétraient. Le monde visuel occidental allait imposer ses propres références à l’imaginaire iranien. C’est cette circulation entre les images et les imaginaires qui l’intéresse depuis toujours et qui a fini par prendre la forme artistique qu’il pratique aujourd’hui.

Image du film Shirin réalisé par Abbâs Kiarostam

Rose Issa, organisatrice d’expositions, auteure de livres sur l’art et le cinéma :

Rose Issa observe que l’inspiration des artistes iraniens est totalement influencée par l’Iran, même s’ils vivent en dehors de leur pays. Pour illustrer ce propos, elle cite l’exemple de Shirin Neshat, artiste plasticienne et cinéaste, qui, vivant à New-York et à Paris, est considérée comme la première artiste à avoir fait connaître la culture iranienne à l’extérieur de l’Iran. Pendant des années, personne ne s’est intéressé à son travail jusqu’à ce qu’elle rentre en Iran et y découvre une esthétique qu’elle n’avait encore jamais utilisée. C’est en puisant leurs sources dans la tradition iranienne, notamment auprès des poètes, contemporains ou anciens, tels Saadi, Roumi, Hâfez, Khayyâm, Hedâyat, que de nombreux artistes contemporains ont appris à utiliser ce langage métaphorique pour s’exprimer.

Abbâs Kiarostami, cinéaste :

Le dernier film d’Abbâs Kiarostami, Copie conforme, a été présenté en France dans le cadre du Festival international du film de Cannes. Son film précédent, Shirin, produit en 2008, a été diffusé l’année dernière sur les écrans français. Pour Abbâs Kiarostamin le lien entre ces deux films est l’essence de l’amour, qui n’a guère évolué entre le poème de Nezâmi (Khosrow et Shirin, que tous les Iraniens connaissent) vieux de plus de huit siècles, à l’origine de Shirin, et Copie Conforme qui est une histoire d’amour contemporaine mettant en scène des Occidentaux.

Il se trouve par hasard que Juliette Binoche [actrice française renommée] était présente à Téhéran, au moment du tournage de Shirin. Elle a voulu, elle aussi, y participer et a saisi les six minutes qui lui étaient octroyées pour exprimer sur son visage les émotions liées au récit intérieur d’une histoire supposée amoureuse. Comme pour les autres actrices, les émotions que le visage de Juliette exprimait ont été enregistrées par la caméra. Etrangement, les émotions exprimées par chacune des actrices étaient très proches, Juliette ne réagissait pas différemment des actrices iraniennes.

Abbâs Kiarostami imagine, a posteriori, que l’histoire d’amour que Juliette se racontait dans Shirin était la même que celle de Copie Conforme, film qu’il a tourné par la suite avec elle comme personnage principal. Il lui semble que dans Shirin, Juliette lui adressait un signe, lui faisant comprendre que les souffrances de l’amour, ce phénomène complexe, incompréhensible, qui causait déjà tant de douleurs il y a plusieurs milliers d’années, continue d’être toujours aussi douloureux et mystérieux.

Alirezâ Sami Azar. Historien d’art et architecte, il a dirigé le Musée d’art contemporain de Téhéran de 1999 à 2005, a publié aux éditions Nazar à Téhéran, un ouvrage sur l’art moderne et postmoderne. Il est le créateur de l’institut d’art Mâh-e Mehr à Téhéran où il enseigne :

Le Musée d’art contemporain de Téhéran est bien connu en Occident pour l’importance de sa collection et le rôle qu’il joue dans la culture iranienne depuis ces trente dernières années. Cette collection d’art occidental a été essentiellement constituée avant la Révolution de 1979 et est unanimement reconnue comme la plus riche du genre en dehors des pays occidentaux. Au lendemain de la Révolution islamique, exposer ces œuvres n’était pas une préoccupation majeure. A partir de 1997, à la lumière du changement apparu dans la politique culturelle, avec le souci d’une main tendue vers les artistes occidentaux et l’envie de se familiariser avec les acquis de la culture occidentale, le musée a commencé à présenter ces œuvres au public. Cette nouvelle ère culturelle a été inaugurée par une exposition consacrée à l’œuvre d’Arman [1], dont le musée possède une des œuvres, en coopération avec le Musée du Jeu de Paume de Paris [2].

Evoquant les problèmes du monde artistique iranien dans son ensemble, Alirezâ Sami Azar regrette qu’il n’existe aucun outil de critique et d’analyse artistique propre à l’Iran. Le regard et l’analyse qui sont proposés aux étudiants des quinze universités iraniennes, qui dispensent un enseignement artistique allant jusqu’au doctorat, sont ceux développés au début du 20e siècle en France.

Toutes les grandes œuvres critiques sur l’art, la littérature et l’architecture d’Iran ont été produites par des critiques occidentaux, français ou anglais. Les étudiants ignorent les théories postmodernes, qui ne sont pas enseignées en Iran. Alirezâ Sami Azar impute ce retard considérable dans la formation et l’exercice de la critique et de l’analyse aux cercles de l’art et de la tradition artistique iranienne. Pourtant, il est très souvent question, en Iran, d’art et de littérature. Les gens en débattent mais cela reste de l’ordre de l’impression suggestive et d’échanges personnels. Aussitôt qu’il s’agit d’avoir une argumentation plus scientifique, de se baser sur une approche plus rationnelle, le manque de formation et de textes se fait sentir.

Pour répondre à ce besoin, un certain nombre de projets sont en cours, dont celui d’élaborer une revue critique bilingue en persan et en anglais qui aura pour titre L’art de demain.

Notes

[1Armand Pierre Fernandez, dit Arman, est un artiste français contemporain renommé. Il est décédé deux ans après cette exposition, organisée à Téhéran au printemps 2003. Il s’agissait de la première exposition du Musée d’art contemporain de Téhéran entièrement consacrée à l’œuvre d’un artiste occidental.

[2La totalité de la collection d’art contemporain du musée a été présentée au public en 2005.


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