Un survol de l’histoire scientifique de l’humanité nous réserve parfois des surprises inattendues qui préfigurent de grands théorèmes et de grandes découvertes. La pluridisciplinarité a été le lot de nombreuses figures du monde de l’esprit, et cette polyvalence leur permettait de formuler des hypothèses complexes à propos de phénomènes naturels multidimensionnels. L’une des énigmes qui n’a jamais cessé de préoccuper l’homme fut et reste sans conteste l’astronomie. De grandes découvertes ont été accomplies dans ce domaine par la civilisation islamique, notamment pendant son âge d’or, c’est-à-dire entre le XIIIe et le XVIe siècle. Ces avancées, soutenues par les califes musulmans, étaient souvent inspirées des traductions effectuées à partir des textes persans et grecs. Le contenu de certains versets coraniques a également incité certains astronomes à déchiffrer les lois régissant les astres, les jours et les années, afin, entre autres, de situer géographiquement la Mecque et de permettre aux pèlerins musulmans de s’orienter vers cette dernière en suivant les étoiles, en plein désert ou en mer. L’évocation par le Coran de l’observation du ciel, la soumission de l’univers à un ordre unique, les versets cosmologiques annonçant la séparation de la Terre et des cieux, les hadiths s’opposant à l’astrologie et aux superstitions et les allusions faites à la division des jours, des mois et des années dans de nombreux écrits de la tradition musulmane sont autant d’éléments qui ont inspiré et motivé de nombreuses recherches dans le domaine de l’astronomie. Le désir de découvrir et de mieux comprendre la lune, le soleil, les astéroïdes, les comètes, l’éclipse, les galaxies et les constellations a encouragé de grands savants comme Mohammad Al-Khârazmi [1] à rédiger le Zij al-Sind [2] (l’une des premières tables astronomiques en arabe), ou encore Al-Soufi [3] à écrire le Livre des étoiles fixes, qui a également découvert la galaxie d’Andromède. Dans ce domaine, Al-Birouni [4] a également décrit les composants de la Voie Lactée et a discuté la possibilité de l’héliocentrisme au IXe siècle, pour ensuite donner naissance à l’école de Marâgheh, le plus prestigieux des centres d’études astronomiques de l’époque.

L’entrecroisement des piliers du monument funéraire de Khayyâm crée un toit en forme de voûte dans lequel figure une étoile.

Les astronomes iraniens collaboraient étroitement avec ces derniers. La Perse de l’époque, sous l’influence des gouverneurs musulmans, était influencée par le rythme de vie et par la vision du monde islamique, sans pour autant se départir de ses particularités proprement iraniennes. Omar Khayyâm fut l’un de ces illustres astronomes iraniens à qui nous devons, outre des ouvrages spécialisés dans le domaine de l’astronomie, de précieux travaux dans le domaine de la littérature, de la philosophie, des mathématiques et de l’algèbre. Sa renommé littéraire n’a cependant laissé presque que peu de place à la reconnaissance populaire de ses réussites scientifiques.

Né à Neyshâbour, Omar Khayyâm partit pour Samarkand puis voyagea à Boukhârâ alors qu’il était encore très jeune. C’est là-bas qu’il put bénéficier d’une formation en astronomie et qu’il parvint à mettre en place les bases de ses réflexions dans ce domaine. A son retour en Iran, il fut invité à la cour du roi Malek-Shâh le Seldjoukide à Ispahan, comme astronome de la cour, alors qu’il était encore tout jeune. Cet évènement lui donna l’occasion de mettre en valeur ses qualités d’homme de science en profitant par la même occasion du soutien financier du roi pour mener à bien ses expérimentations. En 1074, il demanda au roi la construction d’un observatoire à Ispahan et, à la tête d’un corps scientifique, il réussi à accomplir sa réforme dite djalâli, autrement dit, faire le décompte des jours de l’année solaire, soit 365.24219858156 jours, et introduire l’année bissextile dans ses calculs. En 1079, après la chute de la dynastie sassanide, le calendrier utilisé à l’époque devint caduc. Avec le consentement du roi seldjoukide, Khayyâm créa son calendrier djalâli (qu’il nomma ainsi d’après le nom du roi) qui introduisit l’année djalâlienne, plus précise que le calendrier grégorien [5] créé cinq siècles plus tard. Comme le calendrier hindou, le calendrier djalâli est basé sur le transit solaire et requiert une éphéméride pour le calcul des dates. Ce calendrier fut utilisé du XIe au XXe siècle en Iran. Il est également à l’origine des calendriers actuels iranien et afghan, qui apportèrent de petits changements dans la longueur et les premiers jours des mois.

D’après ce calendrier, calculé depuis l’Hégire en 622, la longueur des jours varie de 29 à 32 en fonction de la position du soleil dans le zodiaque. C’est la raison pour laquelle on y constatait moins d’erreur que dans le calendrier grégorien. Comme nous venons de le préciser, c’est le calendrier le plus exact au monde au point que sa marge d’erreur est recalculée chaque 10 000 ans, tandis que celle du calendrier européen est recalculé tous les 2500 ans. Il est programmé de manière à ce que le début de l’année coïncide avec le commencement du printemps, au mois de Farvardin, et que l’année puisse se terminer en 365 ou 366 jours. Ainsi, tous les quatre ans, il y a une année bissextile.

Outre le calendrier qui annonce le nouvel an au premier mois du printemps, Khayyâm avait préparé un ouvrage important à propos de la fête du nouvel an, c’est-à-dire le Norouz intitulé Norouznâmeh qui fut mis à la disposition du public juste après sa mort. Il construisit la table historique du Zij-e Malek-Shâhi et créa la charte céleste [6] célèbre en Iran et dans les pays musulmans. C’est en faisant appel à cette charte qu’il essaya d’expliquer sa théorie héliocentrique aux savants de son époque, notamment à l’Imam Ghazzâli [7]. Il croyait également que les astres étaient d’énormes masses immobiles incapables de bouger et de circuler autour de la terre et qu’elles se seraient consumées dans le cas contraire. Ses nombreuses idées et ses théories ne furent pas toutes démontrées de son vivant, mais elles passèrent néanmoins en Europe pour former les bases de la réflexion des penseurs et des philosophes de la Renaissance.

Malgré toutes ses contributions à l’astronomie, c’est en qualité d’astrologue du roi qu’il évolua au sein de la cour. Après la mort du roi et de son célèbre vizir, Nezâm-ol-Molk, Khayyâm ne fut plus le bienvenu à la cour. Le budget de l’observatoire fut très tôt coupé, l’obligeant ainsi à prendre la route de Marv, la nouvelle capitale des Seldjoukides. Là-bas, il se consacra plutôt à des problèmes de mathématiques pures et écrivit plusieurs ouvrages sur ce sujet. Il ne demeura pourtant pas longtemps à Marv et revint vers sa ville natale, Neyshâbour pour y trouver la paix et le repos éternel. Ses pensées à propos du passage du temps l’incitèrent à profiter pleinement des instants, des minutes, des jours et des mois de son existence. C’est grâce à lui qu’aujourd’hui les Iraniens fêtent leur nouvel an au premier jour du printemps en se remémorant, pour certains, l’inoubliable quatrain qui suit :

Hier est passé, n’y pensons plus
Demain n’est pas là, n’y pensons plus
Pensons aux doux moments de la vie
Ce qui n’est plus, n’y pensons plus [8]

Bibliographie :
- Mansouri, Hassan, Kârnâmeh-ye Bozorgân, éd. Mehrdâd, Téhéran, 2001.
- Ghanbari, Mohammad-Rezâ, Khayyâm Nâmeh, éd. Zavâr, Téhéran, 2005.
- Fuzeau-Braesch, Suzel, L’astronomie, Que sais-je, éd. Presse universitaire de France, Paris, 1989.

Notes

[1Mathématicien, astronome et géographe persan né en 780 à Khârazm et mort en 850 à Bagdad. Il est considéré comme le fondateur de l’algèbre et de l’algorithme.

[2Zij est un ensemble de tables astronomiques (arabes) permettant de connaître la position des étoiles à une date précise.

[3Astronome persan né en décembre 903 et mort en mai 986.

[4Astronome, physicien, philosophe, mathématicien et encyclopédiste persan né en décembre 973 et mort en décembre 1048.

[5Calendrier créé à la fin du XVIe siècle sous la direction de Cristophe Calvius et utilisé aujourd’hui dans la majeure partie du monde.

[6Carte du ciel dans la nuit qui permet aux astronomes de retrouver la place des astres, des constellations et des galaxies dans le ciel.

[7Penseur et mystique d’origine iranienne né en 1058 et mort en 1111.

[8Traduction de Franz Toussaint.


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