N° 67, juin 2011

L’opération Beyt-ol-Moghaddas


Djamileh Zia


La libération de Khorramshar est un évènement très important dans l’histoire de l’Iran. En automne 1980, Khorramshahr était tombée aux mains des soldats irakiens après 34 jours de résistance. L’occupation des territoires iraniens par l’armée irakienne perdurait depuis un an et demi lorsque trois opérations menées conjointement par l’armée et le Sepâh Pâsdârân, au cours de l’automne 1981 et de l’hiver 1982, apportèrent des victoires pour l’Iran et marquèrent un tournant dans la guerre. L’armée irakienne se doutait que l’opération suivante des Iraniens aurait pour but de libérer le sud-ouest du Khouzestân et la ville de Khorramshahr.

Manifestations de joie des combattants iraniens arrivés jusqu’à la route Ahvâz-Khorramshahr après la première nuit de l’opération Beyt-ol-Moghaddas

L’occupation de Khorramshahr était une blessure restée ouverte, surtout pour les habitants de ce beau port tranquille qui avaient dû quitter leur maison à la hâte et tout laisser sur place. Au cours de l’automne 1981 et de l’hiver 1982, l’armée iranienne et le Sepâh Pâsdârân exécutèrent ensemble trois opérations qui aboutirent à des victoires successives pour l’Iran. Il s’agissait des opérations Sâmen-ol-Aemmeh, Tarigh-ol-Ghods, et Fath-ol-Mobin, dont les objectifs étaient de sortir la ville d’Abâdân de l’encerclement, de libérer la ville de Bostân, ainsi que la région située à l’ouest des villes de Shoush et de Dezfoul.

Au début du printemps 1982, près de 5400 km² du sud-ouest du Khouzestân - à l’ouest du fleuve Kâroun - et la ville de Khorramshahr continuaient à être occupés par l’armée irakienne. Pour libérer ces régions, les chefs de l’armée iranienne et du Sepâh Pâsdârân mirent au point, au printemps 1982, une opération qu’ils nommèrent Beyt-ol-Moghaddas, dont la particularité était que l’essentiel des combattants iraniens devaient traverser le fleuve Kâroun et surprendre les troupes irakiennes. C’était une opération non classique et très risquée. Les experts militaires pensaient que traverser le fleuve Kâroun était impossible, et que pour libérer Khorramshahr, on ne pouvait mener une offensive qu’en suivant la route Ahvâz-Khorramshahr. Les chefs de l’armée finirent cependant par accepter la traversée du fleuve Kâroun. Il fut décidé d’accélérer les préparations pour diminuer l’intervalle entre l’opération Fath-ol-Mobin et l’opération Beyt-ol-Moghaddas, pour surprendre l’armée irakienne. Au cours des jours qui précédèrent le début de l’opération Beyt-ol-Moghaddas, les combattants iraniens se positionnèrent progressivement le long de la rive orientale du fleuve.

L’armée irakienne se doutait bien que l’action suivante des Iraniens aurait pour objectif la libération de Khorramshahr, mais elle pensait que la traversée du Kâroun n’était qu’une tactique de diversion pour détourner l’attention, et que l’essentiel des combattants iraniens attaqueraient par le nord, c’est-à-dire par la route Ahvâz-Khorramshahr. Pour l’armée irakienne, il était impératif de continuer à occuper Khorramshahr, car elle savait qu’une défaite démoraliserait les soldats irakiens et risquait d’exposer la ville de Bassorah – située en Irak - à une contre-offensive iranienne.

Les objectifs des QG Ghods, Fath et Nasr lors de la première étape de l’opération Beyt-ol-Moghaddas

Le début de l’opération Beyt-ol-Moghaddas

Les troupes irakiennes se renforçaient à Khorramshahr quand l’opération Beyt-ol-Moghaddas débuta à 0 heure 55 du 30 avril 1982. Les combattants iraniens lancèrent simultanément l’attaque sur trois axes. Le Quartier Général Ghods réussit à établir une tête-de-pont dans une partie limitée du sud de la rivière Karkheh-kour, malgré la présence importante des troupes irakiennes et leurs nombreuses fortifications dans cette zone. Les combattants du Quartier Général Fath traversèrent le fleuve Kâroun et avancèrent jusqu’à la route Ahvâz-Khorramshahr, où ils commencèrent à construire des fortifications et à empêcher les troupes irakiennes de circuler sur cette route. Les troupes du Quartier Général Nasr avancèrent elles aussi, mais ne réussirent pas à rejoindre les troupes du Quartier Général Fath comme il avait été prévu.

La première contre-attaque importante de l’Irak eut lieu au sud de la rivière Karkheh-kour ; après plusieurs heures de combat, les troupes du QG Ghods réussirent à neutraliser l’ennemi. L’Irak contre-attaqua également dans la zone d’action du QG Fath, quand les combattants Iraniens étaient sur le bord de la route Ahvâz-Khorramshahr. Les troupes irakiennes profitèrent du fait que les troupes des deux QG Fath et Nasr n’avaient pas pu se rejoindre et s’immiscèrent dans l’espace entre les troupes iraniennes. L’Irak avait concentré ses forces dans la zone située à l’ouest de la route Ahvâz-Khorramshahr ainsi que près de la frontière et à proximité de Shalamtcheh, et tentait de faire reculer les combattants iraniens du bord de la route Ahvâz-Khorramshahr, car c’était le seul endroit où les combattants iraniens pouvaient résister aux contre-attaques irakiennes en se plaçant derrière la route. Au cours d’un dur combat, les tanks irakiens réussirent à occuper une partie de la route, mais cette occupation ne dura pas et les combattants iraniens firent reculer les soldats irakiens.

Le QG Ghods

Ainsi, à la fin du premier jour de l’opération, la situation était la suivante : les deux QG Fath et Nasr avaient réussi à établir 800km² de tête-de-pont, mais le QG Ghods n’avait réussi à traverser la rivière Karkheh-kour qu’à deux endroits. Il fut décidé que lors de la deuxième nuit de l’opération, le QG Ghods complèterait les objectifs non atteints lors de la première nuit, et que les deux QG Fath et Nasr occuperaient les 10 km de la route Ahvâz-Khorramshahr qui séparaient leurs troupes, et combleraient ainsi la brèche. Finalement, après 5 jours de combat, toutes les brèches furent comblées.

La deuxième étape de l’opération : les troupes iraniennes s’approchent de Khorramshahr par le nord

Les objectifs de cette deuxième étape étaient que les QG Fath et Nasr avancent à partir de la route Ahvâz-Khorramshahr jusqu’à la frontière, et que le QG Ghods occupe une zone limitée au sud de la rivière Karkheh-kour pour compléter ce qui n’avait pas pu être effectué lors de la première étape et pour empêcher les troupes irakiennes installées dans cette zone de se diriger vers les régions où les QG Fath et Nasr opéraient. Cette deuxième étape débuta le 6 mai 1982, à 22h30. Les combattants du QG Fath atteignirent la frontière en quelques heures. Les troupes du QG Nasr les rejoignirent un peu plus tard, après avoir subi de violentes attaques de la part des troupes irakiennes. L’armée irakienne, constatant la direction vers laquelle les troupes iraniennes avançaient, fit reculer ses 5e et 6e divisions pour que celles-ci ne soient pas encerclées et pour renforcer sa contre-attaque autour des villes de Bassorah et de Khorramshahr.

Lors de la deuxième étape de
l’opération Beyt-ol-Moghaddas, les QG Fath et Nasr avancèrent depuis la route Ahvâz-Khorramshahr jusqu’à la frontière Iran-Irak

Le retrait de ces deux divisions irakiennes débuta au cours des premières heures du 8 mai. Les combattants du QG Ghods les poursuivirent et un certain nombre de soldats irakiens qui n’avaient pas pu reculer à temps furent faits prisonniers. Ainsi, à la fin de cette deuxième étape, la route Ahvâz-Khorramshahr fut presque entièrement libérée, ainsi que quelques endroits situés près de la frontière dont Jofeyr, Pâdegân-e Hamid et Hoveyzeh.

Lors de la troisième étape de l’opération Beyt-ol-Moghaddas, le QG Fath devait faire une percée de 6 km au-delà de la frontière Iran-Irak, le QG Nasr devait éliminer toute présence irakienne dans la région située entre la route Ahvâz-Khorramshahr et la frontière, et le QG Ghods devait repousser les troupes irakiennes jusqu’à la frontière

La troisième étape : les combattants Iraniens arrivent aux portes de Khorramshahr

Les victoires des Iraniens avaient troublé l’armée irakienne. Il fut donc décidé d’exécuter la troisième étape de l’opération le plus vite possible malgré la grande fatigue des combattants iraniens, pour profiter de cette situation. Les objectifs fixés pour la troisième étape étaient que le QG Fath fasse une percée de 6 km au-delà de la frontière Iran-Irak pour attaquer les forces irakiennes regroupées derrière la frontière. Le QG Nasr avait pour mission d’éliminer toute présence irakienne dans la région située entre la route Ahvâz-Khorramshahr et la frontière, et devait avancer vers Shalamtcheh. Le QG Ghods, qui opérait dans la zone délimitée par les villes de Koushk et Talâiyeh, devait repousser les troupes irakiennes jusqu’à la frontière. L’opération débuta le 9 mai à 22 heures. Cette fois, les Iraniens ne réussirent pas à atteindre les objectifs fixés, mais les troupes irakiennes subirent des dommages importants.

Les objectifs des QG Nasr, Fajr et Fath lors de la quatrième étape de l’opération Beyt-ol-Moghaddas

La quatrième étape : la libération de Khorramshahr

La quatrième étape de l’opération Beyt-ol-moghaddas commença après quelques jours de repos qui permirent aux Iraniens de récupérer des forces. Pour cette dernière étape de l’opération, le QG Fajr, composé de trois brigades de fantassins, entra également en action. Les troupes des trois QG Nasr, Fajr et Fath devaient avancer en parallèle jusqu’au fleuve Arvandroud (que les Irakiens appellent Chatt-al-arab) : le QG Nasr devait avancer le long de la frontière jusqu’à Shalamtcheh, le QG Fajr devait avancer un peu plus à l’est le long du canal Arâyez, le QG Fath devait avancer le long de la route Ahvâz-Khorramshahr et entrer dans la ville de Khorramshahr. L’opération débuta le 22 mai à 22h30. Le QG Nasr avança le long de la frontière et réussit à barrer la route de Shalamtcheh. Le QG Fajr réussit lui aussi à atteindre le fleuve Arvandroud. Par contre, le QG Fath ne réussit pas à atteindre ses objectifs du fait de la vigilance des troupes irakiennes, et fut stoppé avec le lever du soleil à quelques kilomètres de Khorramshahr, au niveau de l’ancienne station de police de la route Ahvâz-Khorramshahr. Cependant, la ville de Khorramshahr était désormais entièrement encerclée par les Iraniens. L’armée irakienne contre-attaqua à plusieurs reprises à partir de l’ouest (Shalamtcheh) et de l’est (Khorramshahr) pour sortir ses soldats de l’encerclement, mais les Iraniens résistèrent. L’armée irakienne renforça ensuite ses troupes à l’intérieur de Khorramshahr, en faisant entrer ses soldats dans la ville par le nord-est.

Le matin du 24 mai, les Iraniens s’approchèrent de Khorramshahr. Les Irakiens, qui ne tenaient plus après deux jours d’encerclement dans la chaleur torride de cette région, estimèrent inutile de résister. Ils sortirent de leurs refuges et marchèrent en rang jusqu’à l’ancienne station de police de la route Ahvâz-Khorramshahr en clamant « A bas Saddâm » et « Nous implorons Khomeyni de nous donner refuge ». Ainsi, Khorramshahr qui avait résisté de toutes ses forces pendant 34 jours, puis été occupée par les troupes irakiennes pendant 575 jours, fut libérée le 24 mai 1982 à 11 heures du matin, après une opération qui dura 25 jours. L’opération Beyt-ol-Moghaddas permit également de libérer 5038 km² des territoires iraniens. La libération de Khorramshahr fut annoncée à la Radio Iranienne le 24 mai à 14 heures, et provoqua d’immenses réactions de joie dans tout l’Iran.

Les combattants iraniens sur la route de Shalamtcheh, après la quatrième étape de
l’opération Beyt-ol-Moghaddas

Sources bibliographiques :
- Khorramshahr dar jang (Khorramshahr dans la guerre), livre publié par Markaz-e motâle’ât va tahghighât-e jang-e sepâh-e pâsdârân (Le centre d’études et de recherches sur la guerre du Sepâh Pâsdârân), Téhéran, 1380 (2001).
- Az khounin-shahr tâ Khorramshahr (La ville en sang, Khorramshahr), livre publié par Markaz-e motâle’ât va tahghighât-e jang-e sépâh-e pâsdârân (Le centre d’études et de recherches sur la guerre du Sepâh Pâsdârân), Téhéran, 1372 (1993).


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