N° 95, octobre 2013

Grant Voskanian et la lexicographie persane :
présentation et entretien


Traduit du russe par

Shahâb Vahdati


Grant Avanesovich Voskanian est un philologue et spécialiste de l’Iran, professeur en sciences philologiques, et professeur de langues à l’Institut militaire des langues étrangères et du Moyen-Orient. Né le 28 décembre 1924, cet Arménien reçut son diplôme en 1948 au terme de sa formation universitaire et possède une expérience de travail scientifique et pédagogique de 35 ans, dont 33 ans d’expérience universitaire. Il a été élu au poste de professeur du département en septembre 1996. Grant Voskanian conduit activement ses travaux scientifiques et participe à des colloques où il présente à la fois ses articles scientifiques et méthodologiques. Il prend part à la création de manuels scolaires et de matériel didactique, dont un premier ouvrage scientifique sur la phonétique du persan qu’il avait préparé durant les années précédentes avec un collègue et qui fut publié en 1951. Maîtrisant parfaitement la langue persane et ayant une formation scientifique et méthodologique poussée ainsi qu’une expérience d’enseignement, il fournit une contribution au département pour la rédaction des matériels pédagogiques. Il a rédigé en co-auteur trois manuels de langue persane, une variété d’outils et de matériaux didactiques, ainsi qu’une série de conférences sur la stylistique du persan. Très actif dans le domaine de la lexicographie, Voskanian est l’auteur et l’éditeur des dictionnaires édités et publiés par la maison d’édition Ruski Yazik. On lui doit notamment la rédaction d’un dictionnaire russe-persan très volumineux, travail colossal dans le domaine de la lexicographie persane, notamment en ce qu’il a été réalisé sur la base d’une étude comparative et typologique des langues persane et russe à travers une perspective dictionnariste. Les points de vue originaux de l’auteur se reflètent aussi dans ses articles scientifiques.

De par sa nature sociable et attentive ainsi que par son tact, il jouit d’un grand prestige et respect parmi ses collègues de la faculté. Il est un vétéran de la Seconde Guerre mondiale et membre de l’Association des anciens combattants du service des renseignements extérieurs, association dont il a constamment travaillé à améliorer le niveau.

Couverture du dictionnaire russe-persan, écrit par Grant Voskanian

Né à Bakou où il a étudié le russe à l’école, puis l’allemand et la langue azérie, Voskanian ignore pourtant la langue arménienne. Après sa neuvième année d’études, il fut convoqué par l’armée afin de recevoir une formation pour devenir traducteur militaire. En 1948, il reçut un diplôme de l’Institut militaire des langues étrangères. A partir de 1957, il a aussi travaillé comme interprète à l’ambassade de l’Union Soviétique en Iran. Ayant participé à la Parade de la Victoire sur la Place Rouge en 1945 et ayant obtenu un avis favorable du commandement Suprême de l’URSS, Grant Voskanian peut se réclamer d’avoir passé toutes les étapes de la carrière militaire, du rang de simple carabinier à celui de colonel.

-Grant Avanesovich, pouvez-vous nous dire comment l’Iran et la langue persane sont entrés dans votre vie ? Pourquoi avez-vous décidé de vous lancer dans cette voie ?

- Honnêtement, je n’avais pas d’autre choix. Je suis entré dans l’armée à l’âge de dix-sept ans et demi, et j’y ai été envoyé pour recevoir une formation de traducteur militaire. Là, mon destin avait déjà été terminé. Je pensais que j’allais apprendre l’allemand parce que je l’avais étudié à l’école. Mais on m’a dit : "Vous allez apprendre la langue persane !" C’était en 1942. Au mois de mai, j’ai commencé mes études qui ont duré jusqu’en 1943. Ensuite, ces cours se sont arrêtés et j’ai été envoyé à l’institut militaire des langues étrangères qui se trouvait alors dans la région de Stavropol Kuibyshev. Et après cela, je me suis dirigé vers Moscou où j’ai pu poursuivre mes études jusqu’à être diplômé en 1948.

-Avez-vous pris part aux combats ?

- Oui, j’étais dans l’armée lors de mon séjour à Bakou et les Allemands étaient déjà très proches. Ils voulaient occuper Grozny et Bakou et nous priver de nos ressources pétrolières, puis entrer en Iran et s’unir avec les divisions turques qui étaient déjà bien préparées. Il était convenu qu’une partie de la 22e division y reste et que d’autres aillent jusqu’en Inde. La bataille de Stalingrad nous a grandement aidés à les arrêter, car la force leur manquait pour se battre à la fois à Stalingrad et ici. Ils ont donc heureusement été arrêtés, et ils ont commencé à se demander s’ils devaient aller en avant ou non. Mais je dois dire que l’armée du front de la Transcaucasie était très bien préparée. Trois divisions avaient été organisées, celle de l’Azerbaïdjan, de la Géorgie et de l’Arménie, qui étaient entièrement renforcées par les représentants de ces nationalités. Et ils se battaient très bien. C’est à ce moment-là que les nazis firent une deuxième erreur. La première était stratégique et s’est produite au moment où ils ont attaqué l’Union Soviétique, croyant que tout allait s’écrouler immédiatement. La deuxième fut quand ils allèrent dans le Caucase, espérant que les peuples de ces pays se soulèveraient contre le régime soviétique. Mais c’est tout le contraire qui arriva : coude à coude avec le peuple russe, les représentants des pays du Caucase se battirent contre les nazis.

-Etes-vous né à Bakou ?

- Je suis né à Bakou et j’y ai étudié à l’école russe où j’ai appris les langues allemande et azérie. Je connaissais bien la langue azerbaïdjanaise et je suis désolé d’ignorer ma propre langue arménienne. La raison en est que dans notre famille et à la maison, nous parlions souvent en russe, et c’est seulement en compagnie de mes grands-parents que j’avais la chance de parler arménien. C’est ainsi que fut orienté mon destin.

-تtes-vous immédiatement entré à l’armée après l’école ?

- Non, je venais de terminer ma neuvième année lorsque la guerre a éclaté. A l’époque, on terminait l’école secondaire en neuvième année. Nous étions en mai 1942, je pensais à ce que j’allais faire après, et nous avons appris qu’à Bakou, une école d’artillerie avait été créée. J’ai décidé d’y aller. J’ai adressé une demande à l’armée et on m’a appelé pour me dire : « Vous n’allez pas à l’école d’artillerie, mais dans un cours de traducteurs militaires. » C’est ainsi que j’ai rejoint l’armée alors que j’étais un cadet ou un élève officier en formation.

-En quelle année êtes-vous allé en Iran pour la première fois ? Vous souvenez-vous de votre première impression lors du contact avec l’Iran ?

- Je suis allé pour la première fois en Iran en 1957, et comme je travaillais déjà au sein du Ministère des Affaires étrangères, j’ai été envoyé à l’ambassade soviétique. Mon domaine de travail était l’étude des liens culturels avec l’Iran. Je suis resté en contact étroit avec des personnalités dans le domaine des relations culturelles et avec la société iranienne Anjoman-e Ravâbet-e Farhangi. Je trouvais bien sûr un intérêt profond du point de vue de la langue dans le fait de collaborer avec les Iraniens. Quand j’y suis arrivé, ils m’ont posé cette question : "Avez-vous déjà été en Iran ?" Je leur ai dit : "Non !" Ils ont manifesté une certaine incrédulité face à ma réponse et me dirent : "Mais vous parlez avec l’accent de Téhéran !" Je leur répondis : "Savez-vous pourquoi ? Car mon instructeur à l’institut militaire, Lazare Samuelovitch Peyskov, est l’auteur d’une thèse sur l’accent de Téhéran et nous étions dans sa classe les premiers cobayes d’un homme envers qui je suis grandement reconnaissant." Dans le domaine de la coopération avec les scientifiques iraniens, ils m’ont fait une forte impression. Les gens avec qui j’ai travaillé étaient le professeur Saïd Nafisi, Mohammad Moïn, l’auteur d’un dictionnaire explicatif en six volumes et Rouhollah Khâleghi, musicologue et directeur de l’école supérieure de la musique en Iran. Leur rencontre m’a permis de mieux connaître la culture iranienne, sa littérature et son peuple, et je leur suis très reconnaissant.

-Vous étiez en Iran dans les années 1960 et vous y êtes retourné au début du XXIe siècle. En quarante ans, qu’est-ce qui selon vous est resté inchangé chez les Iraniens, et qu’est-ce qui a changé au sein de ce peuple ?

- La dernière fois que j’ai été en Iran, ce fut de nombreuses années après ma première visite. J’étais l’invité du Ministère iranien des affaires étrangères en qualité d’auteur du dictionnaire accompagné de Yuri Aronovich Rubinchik qui en était le rédacteur en chef. Nous étions là-bas pour une semaine et nous avons été très bien reçus ; nous avons visité un grand nombre d’écoles et à l’Université de Téhéran, nous avons rencontré le président de l’Académie de la langue et de la littérature. Quant à l’impression que j’ai eue de Téhéran lors de ce voyage, je dois dire que malgré le fait que j’y ai vécu une fois pendant sept ans, j’étais incapable de retrouver mon chemin une fois sorti de l’aéroport vers l’hôtel, tellement tout avait changé en quarante ans : les rues, les boulevards, etc. C’est seulement lorsque nous avons été amenés à l’ambassade russe que je me suis enfin situé, que j’ai marché vers la place qui donnait sur l’(ex-)avenue Staline, et que j’ai finalement été capable de réaliser où je me trouvais. Et puis, quand nous sommes rentrés dans la voiture, je me suis à nouveau perdu. Concernant l’impression que j’ai eue en parlant avec les Iraniens, c’était la même expérience que mes rencontres des années passées : l’hospitalité, la courtoisie, la chaleur. Quant aux gens communs, je ne peux pas dire la même chose. Nous étions par exemple à la Foire internationale du livre de Téhéran, et j’ai été surpris par le fait que des enfants s’y trouvaient, notamment les écoliers. Une telle soif de science, de culture, j’étais impressionné ! Je n’ai jamais été témoin d’une chose pareille dans le passé, et ce malgré mes longs séjours en Iran. Il est clair qu’après la Révolution islamique, une grande importance et attention ont été consacrées à la question de l’éducation dans le pays et bien sûr, à cet égard, ils ont fait des progrès considérables. Sous le régime du Shâh, le pays était quasi-totalement analphabète et on ne prêtait aucune attention au programme d’alphabétisation de la population. Et maintenant, de nombreuses universités ont été créées, l’éducation secondaire et l’enseignement supérieur sont gratuits en Iran.

-Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

- Je travaille actuellement sur un dictionnaire russe-persan qui sera publié en Iran. Nous sommes maintenant à la dernière étape, celle de la correction. Mais je voudrais, si mes forces me le permettent, créer une monographie ou un livre d’étude des travaux lexicaux et grammaticaux réalisés dans le domaine de l’étude de la langue persane.


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