N° 95, octobre 2013

L’évolution artistique des bas-reliefs rocheux en Iran (II)


Abbâs Rezâyiniâ
Traduction :

Khadidjeh Nâderi Beni

Voir en ligne : L’évolution artistique des bas-reliefs rocheux en Iran (I)


Les bas-reliefs arsacides et élimaïdes [1]

Dans leurs bas-reliefs découverts dans les monts Bisotoun et du Bakhtiâri, les Arsacides et les rois élimaïdes tendaient à adopter des méthodes et un style achéménides. Les plus anciens d’entre eux se trouvent dans les monts Bisotoun. L’obéissance des Satrapes (gouverneurs d’une province) à Mehrdâd II (123-88 av. J.- C.), la conquête de Goudarz II (51-44 av. J.- C.), l’usage de l’encens par les prêtres et le corps étendu du dieu Hercule font partie des bas-reliefs installés à Bisotoun. Chacun a une épigraphe en écriture grecque ou pahlavi. Il y a également un autre ouvrage de ce genre qui se trouve à Sar pol-e Zahâb et dont l’épigraphe est en écriture pahlavi ; il s’agit du combat des cavaliers, des cérémonies religieuses et de la désignation du roi.

Bas-relief à Sar pol-e Zahâb

Dans l’histoire de l’art de la sculpture, le dessin d’Hercule à Bisotoun est la plus ancienne image ayant été découverte de ce dieu grec, ce qui vient confirmer l’influence de l’art grec sur l’art arsacide. L’apparition de Niké (déesse de la victoire) dans le bas-relief de Goudarz II et Shâkh-e Farâvari (symbole de l’abondance) dans les ouvrages des Elimaïdes sont deux autres témoins qui attestent la pénétration des éléments des éléments grecs ; c’est pourquoi les épigraphes de cette époque sont souvent écrites en langue écrite.

La place où l’on installait les bas-reliefs de Mehrdâd II a été choisie intentionnellement en bas de la représentation de Darius au pied du mont Bisotoun : les Arsacides se sont ainsi présentés comme les ascendants des Achéménides. Du point de vue stylistique, ce même bas-relief est une inspiration du dessin de Darius Ier.

Quant au royaume élimaïde, il nous en est resté 15 ouvrages au cœur des monts Zâgros. Ils comprennent des sujets religieux élimaïdes et non-religieux. Des scènes religieuses sont représentées dans les bas-reliefs de Tang-e Botân-e Shimbâr (à 56 km du nord-est de Masdjed-Soleimân au Khouzestân), de Tang-e Sarvak de Dehdasht (à Kohkilouy-e et Boyer Ahmad), de Shirinou-Mouri de Bâzoft (à Kouhrang), de Sheivand (au pied nord du mont d’Izeh), de Kul-Farah (au champ de Sousan, Izeh) et du mont Târâz à Bâzoft. Des scènes non-religieuses peuvent être vues dans les bas-reliefs découverts du nord et du nord-ouest d’Izeh.

Comparés aux œuvres achéménides, les bas-reliefs arsacides sont moins techniques et fins. L’artiste de cette époque ne maîtrisait pas les différentes dimensions ; c’est le cas de Tang-e Sarvak, dont les dessins sont linéaires. Cette médiocrité s’améliora avec le temps : vers la fin de la dynastie arsacide, on voit un développement sensible dans la création des bas-reliefs comme celui de Goudarz II à Bisotoun.

Bas-relief Tang-e Sarvak de Dehdasht à Kohkilouy-e et Boyer Ahmad

La particularité la plus importante de l’art arsacide dans ce domaine réside dans la représentation des portraits de face, qui est à l’époque une technique tout à fait originale. Cela est manifeste dans le dessin de Blâch à Bisotoun aussi bien que dans les bas-reliefs élimaïdes. Parmi d’autres figures, Hercule est identifiable comme étant le dieu grec et apparaît dans les dessins de Tang-e Sarvak et de Tang-e Botân-e Shimbâr. Dans les bas-reliefs arsacides, on peut également apercevoir le portrait de l’aigle comme étant le symbole du pouvoir.

Les bas-reliefs élimaïdes ont été érodés par les éléments atmosphériques et par l’homme lui-même ; néanmoins, il apparaît clairement que le sculpteur élimaïde n’était pas doté d’une grande habileté. C’est le cas du bas-relief de Khoung-e Kamâlvand, dans lequel le corps du chevalier est maladroitement gravé.

L’apogée de l’art de la sculpture à l’époque achéménide

À l’époque sassanide, l’art de la sculpture atteint son apogée ; les bas-reliefs de cette période comptent parmi les découvertes importantes des recherches archéologiques de la région. Ils sont taillés avec exactitude ; la beauté, la technique et la délicatesse étant leurs caractéristiques principales.

La plupart des œuvres de cette époque sont attribuées à la dynastie de Bahrâm II (276-293 de l’ère chrétienne). De l’époque sassanide, il nous est resté 37 bas-reliefs se trouvant dans les provinces de Fârs (29 bas-reliefs), Kermânshâh (6 bas-reliefs), et Azerbaïdjan de l’ouest, ainsi qu’un ouvrage découvert à Rey (au sud de Téhéran), qui est néanmoins presque érodé.

Bas-relief de Tang-e Botân-e Shimbâr à 56 km au nord-est de Masdjed-Soleimân au Khouzestân

Les bas-reliefs sassanides abordent les thématiques du couronnement, de la prière, de la victoire du roi, de la célébration des hommes de cour, du combat des chevaliers et de la chasse royale. Certains d’entre eux jouissent d’une épigraphe généralement en langues pahlavi (arsacide ou sassanide) ou grecque et qui présente les personnages du dessin.

Ces bas-reliefs traitent plus particulièrement de la dignité du roi et de son pouvoir ; la présence d’Ahourâ Mazdâ [2] et d’Anâhitâ [3] dans la cérémonie du couronnement royal souligne la légitimité et la splendeur de la personnalité royale. D’autre part, le corps du roi est tracé en haute taille pour mettre en relief sa suprématie et son importance.

On sait que les Sassanides pratiquaient le zoroastrisme ; parmi d’autres symboles propres à cette religion, l’artiste sassanide s’est servi du feu qui apparaît par exemple dans le dessin d’Ardechir I à Firouz-Abâd (dans le Fârs). Selon l’opinion des rois sassanides, le couronnement du roi devant Ahourâ Mazdâ et avec sa confirmation, légitimait symboliquement leur royauté et la dynastie sassanide de façon générale.

La scène de la victoire de Shâpour I sur l’empire Romain est également relatée symboliquement : l’ennemi y est représenté comme un démon (Ahriman) [4]. Bien entendu, la représentation des personnages dans les bas-reliefs de cette période est loin de tout réalisme et fondée sur des éléments symboliques. L’artiste sassanide n’accordait également pas d’importance à peindre les figures avec précision. A titre d’exemple, les combattants sont tous rassemblés et se tiennent dans un ordre particulier. Cette forme d’organisation symbolise le nombre important de la garde royale. En outre, l’artiste ne visait pas à dessiner en détail le visage du roi et des hommes de cour, mais il voulait avant tout montrer plutôt leur position, leurs chapeaux, leurs signes, degrés et autres éléments de ce genre.

Les bas-reliefs sassanides racontent grosso modo les faits historiques et la grandeur du roi. Les opinions politiques y sont présentées par une expression symbolique. Dans les ouvrages sassanides, on suivait les méthodes pratiquées par les Arsacides ; mais à l’évidence, les styles utilisés par les Achéménides sont plus parfaits que ceux de leurs prédécesseurs. Le bas-relief d’Ardeshir I à Firouz-Abâd représente, mieux que les autres ouvrages, ledit perfectionnement. Dans cette représentation, nous trouvons une grande disparité entre les divers éléments, dont la taille des portraits ; quant aux ouvrages de l’époque de Bahrâm I, les dessins sont beaucoup plus proportionnels. Le bas-relief situé à Bishâpour qui dépeint la scène du couronnement du roi en présence d’Ahourâ Mazdâ est le chef-d’œuvre de cette époque. L’artiste y arrive - comme un visagiste - à peindre les traits du visage des personnages.

Lors de l’avènement de Bahrâm II, les bas-reliefs traitent moins les scènes officielles que privées de la vie royale. L’artiste ne fait pas preuve d’une grande habileté à dessiner le portrait de la reine. Le bas-relief de Narseh [5] raconte le couronnement du roi Khosrow II devant Ahourâ Mazdâ et Anâhitâ.

L’image d’Izadân-Mehr (dieu du Soleil) figure pour la première fois dans le bas-relief d’Ardechir II à Tâgh-e Bostân (à Kermânshâh). L’apparition du lotus dans ce bas-relief confirme la pénétration de l’art Koushâni (altaïque, notamment chinois). Les bas-reliefs de Shâpour II installés sur la petite terrasse de Tagh-e Bostân, comprennent des portraits de face. Il s’agit de la chasse ; ici, l’artiste a considéré tous les détails et a réussi à créer une œuvre réaliste. Le corps des animaux est gravé avec adresse ; dans les marges de cette gravure, on voit des anges ailés, ce qui affirme l’influence de l’art byzantin.

Bas-relief de Sheivand au pied nord du mont d’Izeh

L’art de la création des bas-reliefs à l’époque sassanide se perfectionne progressivement : le graveur s’occupe de plus en plus de la personnalité des visages ; il essaie de montrer soigneusement les dimensions, les habits, les armes, les signes et la coiffure, et de ce point de vue, il conduit cet art à son point culminant.

Le bas-relief de Tangâb-e Firouz-Abâd est le plus grand et le plus ancien ouvrage attribué aux Sassanides ; il consacre la victoire d’Ardechir I dans son combat contre Ardavân IV.

Les bas-reliefs n’ont pas de perspective ; néanmoins, dans les bas-reliefs de Shâpour II à Bishâpour et Bahrâm II à Sar-Mashhad, l’artiste a essayé de figurer des panoramas : il a partagé les scènes en plusieurs parties et a réalisé ses dessins sur un fond convexe pour pouvoir sculpter la profondeur et les distances.

La plupart des bas-reliefs sassanides se trouvent près de villes ; par exemple Naghsh-e Rostam et Naghsh-e Radjab sont près d’Estakhr (dans le Fârs), les bas-reliefs de Bishâpour près d’une ville du même nom, le dessin de Tangâb au voisinage de Firouz-Abâd, et le bas-relief de Dârâb-Gard près de Dârâb (dans le Fârs).

Dans l’art iranien, l’image du combat corps à corps est devenue le symbole de la victoire ; cette idée prend sa source dans les histoires épiques et plus spécialement dans les vers du Shâhnâmeh [6]. Le combat des chevaliers fut premièrement représenté par les Arsacides et dans les bas-reliefs de Bisotoun et de Tang-e Sarvak. Ce thème fut ensuite repris par les Sassanides ; les bas-reliefs d’Ardechir I à Firouz-Abâd, de Hormoz II à Naghsh-e Rostam, de Bahrâm III en bas du tombeau de Darius à Naghsh-e Rostam et le bas-relief érodé de Rey (au sud de Téhéran) en sont des exemples.

Pour figurer un cheval au galop, l’artiste sassanide dessinait un cheval aux pieds allongés horizontalement. Cela représentait l’allure la plus rapide de l’animal et l’idée du mouvement s’y incarnait. Le cheval au galop semble avoir été représenté pour la première fois par les Chinois ; et au début du 3e siècle, les Sassanides adoptèrent ce motif. Cette image figure dans les bas-reliefs de Naghsh-e Rostam. Comparé aux artistes chinois ou parthes, l’image donnée du cheval par les artistes sassanides est plus effective et plus réaliste et de ce point de vue, ressemble aux exemples romains. Cette caractéristique est sensible dans les bas-reliefs de Shâpour I à Naghsh-e Rostam.

L’image de la chute du cheval dans les bas-reliefs sassanides et plus précisément celui de Hormoz II, est inspirée du modèle romain. A l’époque sassanide, les bas-reliefs étaient imprégnés de plâtre ou de teintures pour mieux résister aux éléments atmosphériques. Dans les bas-reliefs de Shâpour II et de Bahrâm I à Naghsh-e Tchogân, on voit l’application de cette technique alors à la mode.

D’après certains chercheurs, de l’avènement de Shâpour II au gouvernement de Khosrow II, la sculpture sur les parois rocheuses, qui était l’un des moyens de propagande pour la monarchie sassanide, fut remplacée par des gravures sur les pots en or ou en argent. Le thème principal de ces dessins est la religion et le divertissement.

Bas-reliefs de Kul-Farah au champ de Sousan, Izeh

Les portraits taillés dans les bas-reliefs élimaïdes ne sont pas identifiables même à l’aide de leurs épigraphes. Par contre, dans les ouvrages sassanides, il est possible de reconnaître le roi par la forme de sa couronne (en se basant sur les recherches numismatiques) et les autres personnages par leurs signes familiaux. A titre d’exemple, le roi Shâpour I est identifiable avec sa couronne crénelée sur laquelle figure une grande sphère ; Bahrâm II portait une couronne à la forme des ailes ouvertes d’un aigle. Dans les bas-reliefs sassanides, Ahourâ Mazdâ est reconnu par la couronne particulière qu’il porte et la canne qu’il tient à la main ; les autres personnages comme Izadân-Mehr et Anâhitâ sont identifiables par des signes particuliers. Il est à noter que les chercheurs n’ont pas encore réussi à identifier certains personnages qui figurent dans les bas-reliefs de cette époque, y compris dans le dessin de Tâgh-e Bostân.

Le renouveau de l’art des bas-reliefs rocheux à l’époque qâdjâre

La construction de bas-relief, assimilable à l’idolâtrie, fut d’abord condamnée par les lois islamiques, mais cette opinion se modifia avec le temps. Cet art fut ravivé pendant la dynastie qâdjâre et surtout sous le règne de Fath-Ali Shâh qui, après son échec face à l’armée russe, commanda aux sculpteurs de tailler des bas-reliefs à Rey et à Tang-e Vâshi près de Firouz-Kouh (à Téhéran). Il visait par ce biais à faire valoir son pouvoir menacé et à influer sur les pensées politiques, culturelles et sociales du pays.

D’autre part, le bas-relief, qui était considéré comme étant un signe de pouvoir royal dans la Perse antique, avait cette même portée pour les rois qâdjârs. Le roi, surnommé Zell-Allâh (l’ombre de Dieu) se servait de cette tradition pour consolider son pouvoir.

Naghsh-e Hâni à Eshkaft Salmân, Izeh, photo : Amir Karimi

Cette époque nous a légué neuf bas-reliefs qui se divisent en quatre catégories du point de vue thématique : 1) la scène du couronnement du roi qui figure dans les dessins de Tcheshmeh-Ali à Rey, du tombeau de Khâdjavi Kermâni à Darvâzeh-ye Qor’ân (Le portail du Coran) de Shirâz, de Pol-e âbgineh (le pont en verre) de Kâzeroun et de Tâgh-e Bostân ; 2) la scène de la chasse qui figure dans les bas-reliefs de Tang-e Vâshi et le tombeau de Khâdjavi Kermâni ; 3) la scène du combat du roi contre le lion au mont de Tabarak à Rey ; 4) l’image de Rostam, le héros légendaire du Shâhnâmeh qui figure dans les bas-reliefs du tombeau de Khâdjavi Kermâni. Dans ces bas-reliefs, l’influence de l’art antique iranien (les arts sassanide et arsacide) est clairement visible. Le dessin du couronnement de Fath-’Ali Shâh ressemble beaucoup à celui du roi sassanide Bahrâm II. La représentation de Rostam est une inspiration des œuvres sculptées à l’époque zand.

Dans les bas-reliefs de Tang-e Vâchi, le portrait du roi Fath-’Ali Shâh dans des dimensions plus grandes que les autres personnages, figure au centre du dessin, ce qui renforce l’idée de la suprématie royale. Cette technique constitue néanmoins une pure imitation des bas-reliefs de Tâgh-e Bostân. Les visages, les habits et les coiffures des princes qâdjârs, excepté Abbâs Mirzâ [7], se ressemblent dans tous les bas-reliefs de cette époque. La scène du combat du roi contre le lion rappelle les combats des rois sassanides et arsacides contre les animaux féroces.

On voit l’influence de l’art antique iranien dans les autres champs artistiques de cette époque dont la gravure sur la plinthe des châteaux, la construction des tuiles émaillées, etc.

Bas-relief qâdjâr à Tagh-e Bostân, montrant le roi Mohammad Ali Mirzâ couronné et assis sur le trône. Des panégyriques le comparant à Moïse et au Sassanide Khosrow Parviz ornent les deux côtés de la gravure. Ce monument a été taillé en 1821 par Mirzâ Ja’far le Tailleur de pierre sur ordre du ministre du palais Aghâ Ghani, que l’on voit debout devant le roi sur le bas-relief.

Le couronnement du roi, la scène de la chasse et le combat contre un animal féroce sont considérés comme étant les thèmes communs des bas-reliefs sassanides et qâdjârs. Certains bas-reliefs qâdjârs sont encadrés par des épigraphes en écriture nasta’ligh [8] ; c’est le cas du dessin de Tang-e Vâshi et de Tabarak ; d’autres sont encadrés par une colonne engagée, comme le bas-relief de Tcheshmeh-Ali à Rey et celui du tombeau de Khâdjavi Kermâni à Shirâz ; quelques-uns sont installés dans une voûte à un plafond plan, comme c’est le cas de Pol-e Abgineh. Enfin, les épigraphes placées à côté de certains bas-reliefs indiquent le nom de l’artiste et la date de la création de l’œuvre. Ces inscriptions nous présentent les peintres et les sculpteurs les plus connus de l’époque qâdjâre comme le peintre Abdollâh Khân, le sculpteur Aghâ Mohammad-Ghâssem, le maître Ahmad Hadjâr, Mirzâ Dja’far (tailleur de pierres), Ali-Akbar et Abbâs ibn Yahyâ (calligraphes).

Notes

[1Gouverneurs du Khouzestân à l’époque arsacide, à ne pas confondre avec les Elamites.

[2Dieu créateur de la terre et des cieux selon la religion zoroastrienne.

[3Dieu des eaux.

[4Principe du mal dans la religion zoroastrienne.

[5Roi sassanide, fils de Shâpour I.

[6Chef-d’œuvre de Ferdowsi.

[7Le fils de Fath Ali Shâh (deuxième roi qâdjâr). Un prince vaillant qui avait montré son mérite à plusieurs reprises, dont la guerre entre l’Iran et la Russie (1182-1191).

[8Variété d’écriture persane employée notamment en lithographie.


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