N° 117, août 2015

Sur un tapis d’Ispahan (4)


Kathy Dauthuille


VI
Carré médian
ou
Le dais du Vizir

Devant le portail,

Rostam est arrivé ;

il reste immobile

en compagnie d’Omid.

Devant le pavillon du Vizir,

il contemple l’étoile Polaire

qui est clouée au-dessus

du soyeux dais damasquiné.

Diverses tentures soyeuses

dessinent des courbes,

des plis, des vagues

qui s’envolent soudain,

emportées par les vents

gorgés de sable et de fleurs.

Et d’un seul coup le silence

est tombé comme glisserait

le sable d’un sac posé

sur un animal à l’arrêt ;

un silence, un mutisme,

une extinction de sons,

un mur qui freinerait

toute vibration.

– Je te laisse ici, dit Omid,

un page va venir te chercher.

– Où est sa Majesté ?

– Là-bas, sous le dais.

Je t’attends dans l’autre carré.

– Je suis impressionné.

– Regarde-le avec humilité.

De toute façon, ton destin

est tracé et il le sait.

Tu peux t’approcher.

Autour du Vizir Homâyoun,

des personnages inconnus,

venant de terres lointaines,

parlent d’autres langues ;

leurs manches effilées

dépassent de leurs mains

et tombent mollement

en ailes repliées.

Tous sont habités

de rêves et de souhaits.

Homâyoun, désignant

les coussins de soie,

fait entrer les prêtres.

A leur suite viennent

s’asseoir en files

quelques jeunes pages

et un astrologue du palais.

Le trône en bois d’aloès

garni de pierres précieuses

est placé dans la direction

du jardin des délices,

inscrit dans l’hexagone

de l’univers spiralé.

Sur un linteau haut placé

est écrite la maxime :

« Le maître de notre temps

est sa Majesté Homâyoun »

Sur le brillant dais,

comme à l’accoutumée,

Simorgh, l’aimé

déploie avec aise

ses ailes d’or,

et fait sans cesse

virevolter, excité,

comme s’il jouait,

sa flamboyante

queue enrubannée.

VII
suivi de
Le Sceau-cylindre

Un serviteur invite Rostam

à venir s’asseoir en prenant

une place bien en vue

dans l’immense salle.

– Je crois, m’a dit le page,

que vous avez un présent

pour le grand Homâyoun.

– Oui, ce Sceau-cylindre

qui a été fait à sa demande.

– Ce page vous introduira

pour que vous lui remettiez.

– Comme cela doit être,

je m’exécuterai.

Rostam attend ;

Alborz, l’échanson,

entre et dépose

une carafe d’eau.

Un garçon tout sourire,

déroule un parchemin ;

sa longue tunique safranée

coule jusqu’à ses pieds.

Azâdeh, restée discrète

dans un angle du jardin,

suit attentivement la scène

tout en jouant distraitement

avec les boucles noires

de ses cheveux défaits.

Elle l’avait laissé à regret,

n’ayant pas envie de le quitter.

Alborz porte alors les libations

jusqu’aux pieds du Vizir ;

ses pas sont légers

et lourde est la boisson.

Certes, le printemps vient,

les nuages glissent rapidement

tandis que les buveurs font le cercle,

les yeux rivés sur le « vaisseau à vin ».

Alborz circule parmi eux

dessinant le parcours du soleil

tout en inclinant savamment

le vase empli de liqueur.

C’est un banquet de trois jours

auquel Rostam est invité ;

près de lui sont dressés

douze massifs chandeliers,

dix blanches chandelles

parfumées au camphre

et huit hautes torchères

à base d’or et d’argent.

Le page qui avait introduit Rostam,

se lève enfin et avance vers le Vizir

pour lui glisser un mot discrètement.

Alors le digne souverain sourit,

dirigeant son regard vers le héros ;

il lui tend majestueusement la main.

– Tu es venu me remettre un présent ?

– Oui mon vénéré Vizir.

– Apporte maintenant.

Le visiteur se lève dignement,

tenant dans ses paumes

le précieux Sceau-cylindre

pour le présenter à Homâyoun

qui le saisit gravement

en un respectueux silence.

– Peux-tu m’expliquer

sa forme et ses symboles ?

– Certes mon Prince ;

ce Sceau-cylindre,

comme vous le voyez,

est conforme à votre requête.

– En quoi est ce métal ?

– En orichalque

ou cuivre des montagnes ;

c’est une matière

très mystérieuse

chargée de fluide ;

aussi, sera-t-il utile

pour tous vos rituels.

– Bien... cela me plaît

et qui a-t-il de gravé ?

– Anâhitâ impassible et ailée.

Lumineuse comme Sirius

et contre un lion appuyée ;

elle tient dans la main

un lotus qu’elle a préparé.

Homâyoun est captivé ;

il passe les doigts

sur le doux métal

et ses yeux amusés

se mettent à briller

d’un éclat en reflet.

– Et à côté d’Elle ?

Demande-t-il.

– C’est le roi-prêtre

qui se présente, fier,

devant le sanctuaire.

Il est entouré de céréales

pour que les moissons

de votre honneur

soient sans égales.

J’ajouterai aussi que

par son aspect magique,

ce Sceau-cylindre,

comme objet de pouvoir

peut vous être utile

pour glorifier votre histoire.

– Bien Rostam ;

c’est un présent qui me sied.

Que les divinités

honorent ta loyauté !

Rostam recule,

tout en s’inclinant

avec déférence,

et reprend place

où il se tenait.

Homâyoun sourit,

il respire largement

et hume en se délectant

une rose musquée

qu’il tient du bout de

ses doigts élancés.

Son regard est velouté ;

il est satisfait.

Le Vizir porte alors

à sa bouche rieuse

la coupe de vin délicieux

pour boire doucement

le breuvage des dieux.

Ensuite il tend la main

pour saisir une grenade

qu’on lui a posée

sur le plateau doré

non loin du trône,

prête à être croquée.

Au-dessus de lui,

le Simorgh picore

des fruits rouges et noirs

puis disparaît furtivement

de l’autre côté du miroir.

On sait que parfois,

il est des deux mondes ;

ici et là-bas à la fois.

Omid resté à l’autre porte

fait signe à Rostam

de prendre un fruit

comme laissez-passer.

Le héros prend un coing

qu’il choisit juteux

pour le présenter

comme passe-droit

dans le prochain carré.

En sortant, Omid

se met à ses côtés.


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