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Devant le portail,
Rostam est arrivé ;
il reste immobile
en compagnie d’Omid.
Devant le pavillon du Vizir,
il contemple l’étoile Polaire
qui est clouée au-dessus
du soyeux dais damasquiné.
Diverses tentures soyeuses
dessinent des courbes,
des plis, des vagues
qui s’envolent soudain,
emportées par les vents
gorgés de sable et de fleurs.
Et d’un seul coup le silence
est tombé comme glisserait
le sable d’un sac posé
sur un animal à l’arrêt ;
un silence, un mutisme,
une extinction de sons,
un mur qui freinerait
toute vibration.
– Je te laisse ici, dit Omid,
un page va venir te chercher.
– Où est sa Majesté ?
– Là-bas, sous le dais.
Je t’attends dans l’autre carré.
– Je suis impressionné.
– Regarde-le avec humilité.
De toute façon, ton destin
est tracé et il le sait.
Tu peux t’approcher.
Autour du Vizir Homâyoun,
des personnages inconnus,
venant de terres lointaines,
parlent d’autres langues ;
leurs manches effilées
dépassent de leurs mains
et tombent mollement
en ailes repliées.
Tous sont habités
de rêves et de souhaits.
Homâyoun, désignant
les coussins de soie,
fait entrer les prêtres.
A leur suite viennent
s’asseoir en files
quelques jeunes pages
et un astrologue du palais.
Le trône en bois d’aloès
garni de pierres précieuses
est placé dans la direction
du jardin des délices,
inscrit dans l’hexagone
de l’univers spiralé.
Sur un linteau haut placé
est écrite la maxime :
« Le maître de notre temps
est sa Majesté Homâyoun »
Sur le brillant dais,
comme à l’accoutumée,
Simorgh, l’aimé
déploie avec aise
ses ailes d’or,
et fait sans cesse
virevolter, excité,
comme s’il jouait,
sa flamboyante
queue enrubannée.
Un serviteur invite Rostam
à venir s’asseoir en prenant
une place bien en vue
dans l’immense salle.
– Je crois, m’a dit le page,
que vous avez un présent
pour le grand Homâyoun.
– Oui, ce Sceau-cylindre
qui a été fait à sa demande.
– Ce page vous introduira
pour que vous lui remettiez.
– Comme cela doit être,
je m’exécuterai.
Rostam attend ;
Alborz, l’échanson,
entre et dépose
une carafe d’eau.
Un garçon tout sourire,
déroule un parchemin ;
sa longue tunique safranée
coule jusqu’à ses pieds.
Azâdeh, restée discrète
dans un angle du jardin,
suit attentivement la scène
tout en jouant distraitement
avec les boucles noires
de ses cheveux défaits.
Elle l’avait laissé à regret,
n’ayant pas envie de le quitter.
Alborz porte alors les libations
jusqu’aux pieds du Vizir ;
ses pas sont légers
et lourde est la boisson.
Certes, le printemps vient,
les nuages glissent rapidement
tandis que les buveurs font le cercle,
les yeux rivés sur le « vaisseau à vin ».
Alborz circule parmi eux
dessinant le parcours du soleil
tout en inclinant savamment
le vase empli de liqueur.
C’est un banquet de trois jours
auquel Rostam est invité ;
près de lui sont dressés
douze massifs chandeliers,
dix blanches chandelles
parfumées au camphre
et huit hautes torchères
à base d’or et d’argent.
Le page qui avait introduit Rostam,
se lève enfin et avance vers le Vizir
pour lui glisser un mot discrètement.
Alors le digne souverain sourit,
dirigeant son regard vers le héros ;
il lui tend majestueusement la main.
– Tu es venu me remettre un présent ?
– Oui mon vénéré Vizir.
– Apporte maintenant.
Le visiteur se lève dignement,
tenant dans ses paumes
le précieux Sceau-cylindre
pour le présenter à Homâyoun
qui le saisit gravement
en un respectueux silence.
– Peux-tu m’expliquer
sa forme et ses symboles ?
– Certes mon Prince ;
ce Sceau-cylindre,
comme vous le voyez,
est conforme à votre requête.
– En quoi est ce métal ?
– En orichalque
ou cuivre des montagnes ;
c’est une matière
très mystérieuse
chargée de fluide ;
aussi, sera-t-il utile
pour tous vos rituels.
– Bien... cela me plaît
et qui a-t-il de gravé ?
– Anâhitâ impassible et ailée.
Lumineuse comme Sirius
et contre un lion appuyée ;
elle tient dans la main
un lotus qu’elle a préparé.
Homâyoun est captivé ;
il passe les doigts
sur le doux métal
et ses yeux amusés
se mettent à briller
d’un éclat en reflet.
– Et à côté d’Elle ?
Demande-t-il.
– C’est le roi-prêtre
qui se présente, fier,
devant le sanctuaire.
Il est entouré de céréales
pour que les moissons
de votre honneur
soient sans égales.
J’ajouterai aussi que
par son aspect magique,
ce Sceau-cylindre,
comme objet de pouvoir
peut vous être utile
pour glorifier votre histoire.
– Bien Rostam ;
c’est un présent qui me sied.
Que les divinités
honorent ta loyauté !
Rostam recule,
tout en s’inclinant
avec déférence,
et reprend place
où il se tenait.
Homâyoun sourit,
il respire largement
et hume en se délectant
une rose musquée
qu’il tient du bout de
ses doigts élancés.
Son regard est velouté ;
il est satisfait.
Le Vizir porte alors
à sa bouche rieuse
la coupe de vin délicieux
pour boire doucement
le breuvage des dieux.
Ensuite il tend la main
pour saisir une grenade
qu’on lui a posée
sur le plateau doré
non loin du trône,
prête à être croquée.
Au-dessus de lui,
le Simorgh picore
des fruits rouges et noirs
puis disparaît furtivement
de l’autre côté du miroir.
On sait que parfois,
il est des deux mondes ;
ici et là-bas à la fois.
Omid resté à l’autre porte
fait signe à Rostam
de prendre un fruit
comme laissez-passer.
Le héros prend un coing
qu’il choisit juteux
pour le présenter
comme passe-droit
dans le prochain carré.
En sortant, Omid
se met à ses côtés.