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Bahram Beyza’ï, écrivain et metteur en scène iranien, publie en 2004 [1] et 2011 [2] deux ouvrages dans lesquels il prouve l’origine indo-iranienne des Mille et Une Nuits et conteste sérieusement les prétendues racines arabes de ce chef-d’œuvre. Dans un chapitre intitulé « L’Arbre parlant » (Derakht-e sokhangou) [3], il nous raconte la légende de cet arbre d’après l’Avesta (livre sacré des zoroastriens), le Shâhnâmeh (Livre des rois de Ferdowsi), et les Mille et Une Nuits pour en dégager les points de convergence. Cet article est la version résumée dudit chapitre.
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Dans le Shâhnâmeh, le personnage d’Iskandar a deux origines : iranienne et non iranienne. Il est fils de Dârâb, roi de Perse, et de Nâhid, princesse romaine. Il part en Iran afin de récupérer le trône royal confisqué par Dârâ, son frère cadet. Au cours de ses conquêtes et de ses voyages à l’exemple de Gilgamesh, il voit, au sommet de deux montagnes, l’image ou le reflet d’un vieil homme mort sur un trône d’or, et celle d’un homme à tête de sanglier, mort dans un palais de rubis. Tous les deux l’avertissent de la courte durée de la vie.
S’égarant dans les ténèbres, Iskandar boit l’eau de la vie éternelle et arrive finalement au pied d’un arbre au bout du monde, derrière lequel se trouvent l’obscurité, la confusion et le néant. Cet arbre est placé à la frontière de la vie et du néant, selon leurs points d’opposition et de proximité. Les guides locaux lui expliquent :
C’est un arbre dont les deux racines se sont accouplées de façon très étonnante
Il a une racine femelle et une autre mâle, et ses branches colorées et odorantes parlent !
Pendant la nuit, la branche femelle parle, et au lever du soleil, le mâle se met à parler
Iskandar leur demande : "Quand celui-ci va donc parler ?"
Les guides lui répondent qu’il faut passer à neuf heures
Pour qu’un son s’élève à l’intérieur de cet arbre, dont la voix est perceptible à l’homme heureux !
A la nuit tombante, la femelle commence à parler et le feuillage répand une odeur de parfum
Iskandar qui, comme Gilgamesh, est à la recherche de la vie éternelle, entend de la bouche de l’arbre qu’il va mourir jeune et que ses conquêtes sont inutiles. Selon le Shâhnâmeh, il n’est pas le premier ni le dernier ayant demandé à cet arbre de lui prédire l’avenir.
D’après le folklore perse préislamique qui se manifeste notamment dans les illustrations manichéennes et les dessins de tapis (et également dans les glossaires et les encyclopédies du fantastique et de l’étrange de l’époque islamique), les branches de l’Arbre parlant ont chacune une tête d’animal ou d’homme qui prédit l’avenir dans sa propre langue. Les voix des branches se croisent, comme si elles hurlaient. C’est pourquoi on l’appelle l’arbre Wâq ou Wâq-Wâq (expression qui signifie "glapissement" en persan).
Bien que Ferdowsi trouve les traces de l’Arbre parlant (Wâq-Wâq) dans les sources préislamiques du Shâhnâmeh, ceux qui insistent sur l’existence de deux corps féminin et masculin dans cet arbre, quelques textes islamiques disent encore que ses fruits sont des femmes, et quelques autres disent que ce sont des êtres mi-plante mi-animal, semblables aux hommes mais avec des silhouettes féminines.
Par exemple, dans le Garshâsb Nâmeh (Le Livre de Garshâsb) écrit au XIe siècle, nous lisons que Garshâsb visite en Inde un bois d’arbres parlants :
Comme des têtes d’hommes, les branches avaient des yeux, des nez, des oreilles et des bouches
Dès qu’un vent aigu se levait, ces branches se tordaient follement,
Les branches se recourbaient jusqu’au tronc et les têtes commençaient à crier (littéralement "à faire Wâq-Wâq")
Nous voyons que cet arbre ne fait que crier quand il y a du vent. Il ne prédit et ne conseille rien. Le poète ajoute qu’il perd tout son feuillage pendant le jour et recommence à fleurir la nuit. Il est aussi fréquenté par des "sirènes". Dans un autre récit, Garshâsb et ses compagnons arrivent au pied d’un vieux temple, clos et sans aucune porte. C’est le tombeau de Siâmak, personnage mythique qui, tué en pleine jeunesse, n’accède jamais au pouvoir. Comme signe de respect, ils enlèvent leurs vêtements de guerre et se mettent à prier devant le temple. Le texte explique :
Tout d’un coup, un homme au visage très beau surgit d’un côté
Il avait trois yeux, tout ouverts, deux sous les sourcils et l’un au milieu du front
Il commença à chanter, de telle sorte que tous les chagrins disparurent
En entendant sa voix, les barrières grincèrent et des portes invisibles s’ouvrirent sur quatre côtés du temple
A l’intérieur, on découvrit un jardin beau comme le paradis, couvert de jeunes fleurs d’avril
Et un arbre au milieu, qui s’étendait jusqu’à la lune, dont le tronc était vert et les branches blanches !
Le guide explique à Garshâsb que cet arbre est l’origine de toutes les espèces végétales de la Genèse. Ils mangent alors de ses fruits, puis les portes du temple s’ouvrent : ils y découvrent un trône royal de cristal sur lequel est installée une idole, tenant dans les mains une plaque de rubis sur laquelle est écrite l’histoire du temple. Ils comprennent que cette idole et ce palais ont été construits à la mémoire de Siâmak. Celui-ci a fait écrire sur la plaque quelques vers qui conseillent à la postérité de ne pas s’attacher à la vie éphémère d’ici-bas.
Nous voyons donc que dans l’histoire de Garshâsb, les deux troncs de l’Arbre parlant sont présentés séparément : le tronc fruitier et féminin se trouve dans le bois, tandis que le tronc masculin, qui prodigue des conseils, demeure au temple. Le premier émet des sons, et le deuxième conseille par écrit.
Dans le Livre de Dârâb, l’Arbre parlant présente des similitudes avec celui décrit dans le Livre de Garshâsb. Il est différent de celui présenté par Ferdowsi, car il ne parle à personne et ne prédit pas l’avenir : "Ses branches glapissaient". Le Livre de Dârâb contient également plusieurs chapitres concernant Iskandar et sa quête de l’eau de la vie. Nous lisons que sur sa route, Iskandar voit deux arbres séparés, aux fruits qui ressemblent pour certains à un visage de femme, et pour d’autres à un visage d’homme. Ils glorifient Dieu par leurs paroles. Aucun conseil donc, ni aucune prédiction.
Quant aux Mille et Une Nuits, ils nous donnent une image de l’Arbre parlant au travers de l’histoire d’Hassan Basri. Celui-ci force une fée à l’épouser en lui enlevant une aile. La fée parvient cependant à s’échapper avec ses enfants et disparaît sur une l’île appelée Wâq-Wâq. Sur la trace de sa femme et de ses enfants, Hassan part pour l’île et rend visite à l’arbre du même nom, dont les branches ressemblent à des têtes d’homme. Deux fois par jour, au lever et au coucher du soleil, les têtes disent ensemble : « Wâq-Wâq, béni soit Dieu créateur ! ». Hassan s’en approche et cueille une feuille sur laquelle sont écrits quelques mots invitant à la patience. Il obéit, patiente, et sa famille rentre finalement chez lui.
Comparons maintenant les deux versions de l’Arbre parlant dans le Shâhnâmeh et les Mille et Une Nuits. Dans le Shâhnâmeh, l’arbre fait des prédictions à deux moments précis, à midi et à minuit. Dans les Mille et Une Nuits, ses fruits (les têtes) prient Dieu au lever et au coucher du soleil. Ils proposent à tout visiteur de cueillir une feuille et de bénéficier des conseils qui y sont inscrits. En fait, si le récit de Hassan dans les Mille et Une Nuits rassemble les idées de dire, d’écrire et de lire, triptyque symbolisant la sagesse, le Shâhnâmeh fait intervenir dans le même sens les idées de demander, de dire, et d’écouter. Dans les Mille et Une Nuits, la feuille est mot à lire alors que dans le Shâhnâmeh, c’est une langue qui parle directement. Les deux troncs de l’arbre du Shâhnâmeh parlent jour et nuit à travers les feuilles tandis que ses fruits sont la sagesse, le savoir et la prévoyance. Il ne se perd pas en généralités et s’adresse directement à son interlocuteur. Le tronc du jour (le mâle) n’hésite pas à parler franchement avec Alexandre le conquérant :
Qu’est-ce qu’Iskandar recherche dans ce monde ? Qui a profité de ses bienfaisances ?
Dans une douzaine d’années, il faut qu’il descende du trône.
Le tronc femelle de l’arbre lui parle tout aussi franchement, mais d’un ton plus maternel et affectueux :
Pourquoi t’infliges-tu tant de peine par l’avidité qui déborde de ton âme ?
Tu es avide de faire le tour du monde pour irriter les gens et tuer les rois !
Mais il ne te reste pas beaucoup de temps, n’assombris donc pas tes jours ainsi !
Iskandar, angoissé, lui demande s’il va pouvoir revenir dans son pays pour voir sa mère :
L’Arbre parlant lui répondit : ne gaspille pas ton temps et apprête-toi !
Ni ta mère, ni tes proches au pays des Romains, ni tes compatriotes, personne ne te verra plus !
Tu vas mourir ces prochains jours dans le pays des étrangers, quand le monde et le pouvoir auront eu assez de toi !
En résumé, l’arbre Wâq-Wâq des Mille et Une Nuits ne parle pas aux hommes. Il prie seulement Dieu et offre ses feuilles-papiers aux hommes, tandis que l’arbre-conseiller du Shâhnâmeh répond aux questions qu’on lui pose.
Dans le Shâhnâmeh, deux troncs femelle et mâle issus d’une racine unique se trouvent au bord du néant, au bout du monde, dans une région trop chaude, avec des bêtes qui les adorent aux alentours. Le récit d’Hassan Basri dans les Mille et Une Nuits nous dit, quant à lui, que sur l’île Wâq-Wâq règnent des fées et des démons. Des fruits qui ressemblent à des têtes d’homme pendent aux branches de l’arbre, au bord d’un fleuve, symbiose de l’eau et la terre. Il s’anime au début du jour et de la nuit selon les Mille et Une Nuits, et au milieu du jour et de la nuit dans le Shâhnâmeh. En s’appuyant sur les origines antiques de ce mythe, tous deux insistent sur la sagesse et le savoir de cet arbre. Ce mythe semble être d’origine indo-iranienne, et il n’est autre que celui de la déesse de la fertilité, de la parole, du son, de la mélodie et de la sagesse : la déesse Vâk. Des êtres féeriques et démoniaques perchés sur ses branches l’appellent sans cesse et la prient.
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L’adoration des arbres est un culte à la fois ancien et quasi-universel. Son objet était en général un vieil arbre vert. On croyait alors en l’existence d’un dieu ou d’une déesse qui vivait à l’intérieur de l’arbre ou qui s’identifiait avec celui-ci. Il ou elle régnait souvent sur le temps, le sort et l’éternité. Les animaux et les oiseaux autour de cet arbre constituaient une preuve de sa force vivificatrice. Ses adorateurs restaient longtemps à ces cotés ou même, quand cela était possible, à l’intérieur, pour se rapprocher de son immortalité.
Les vieux arbres verts touffus et ombrageux de l’Inde et de l’Asie du Sud-Est ainsi que ceux de l’Afrique, couverts de singes bruyants et d’oiseaux pépiant, symbolisent en Perse depuis l’antiquité la déesse Vâk. Ils constituent le type même de l’arbre de la vie, de la parole et de la sagesse, dont les nombreuses branches représentent les divers langages - chaque branche révélant le secret de la création dans une langue particulière.
Afin de devenir digne de recevoir les messages de l’arbre Wâq, on organise des cérémonies spéciales. On fait par exemple naître des sons particuliers à son ombre. Bien que chez Ferdowsi, cet arbre fertile soit décrit comme doté de deux troncs parlants mâle et femelle autour duquel se tiennent en permanence des sages et des adorateurs, le folklore insiste plutôt sur la présence de têtes parlantes suspendues à ses branches. Les illustrateurs du Shâhnâmeh ont d’ailleurs souvent dessiné des arbres dotés de branches aux têtes parlantes, d’où, sans doute, la prégnance de cette image dans l’imaginaire populaire. Ce motif commun permet aussi d’établir des points de comparaison entre le Shâhnâmeh et les Mille et Une Nuits.
Ainsi, nous pouvons dire que l’arbre du bout du monde, l’arbre de l’île des fées et l’arbre du temple de Siâmak représentent une image unique, une mémoire de la déesse de la parole, de Vâk, dont les signes ont peu à peu disparu au cours de l’Histoire. Dans le Rig Veda, la déesse de l’eau, de la fertilité et de la parole, Vâk, affirme qu’elle vit « au cœur de la plus vaste des mers », la mer du néant, le bout du monde.
Dans l’histoire de Garshâsb et de ses compagnons dans le temple de Siâmak, nous avons vu que la statue de ce dernier était installée tel un dieu au milieu de son grand palais. Le guide présent leur a alors expliqué que l’arbre qui se trouvait dans la cour du temple était l’arbre de la Genèse.
Le rapport entre l’arbre et Siâmak fait l’objet d’un traitement avec davantage de détails dans l’histoire de la création selon le Bondahesh : quarante ans après la mort de Kioumars (le prototype des hommes dans la mythologie iranienne), un arbre pousse de sa semence. Cet arbre comporte une seule racine mais deux troncs mâle et femelle, Mashy et Mashianeh. Par la suite, ces deux plantes se transforment en êtres humains. Six couples humains en sont issus, dont le premier s’appelle Siâmak et Vashag. Dès lors, Siâmak est considéré comme étant le premier homme parlant. Son nom est peut-être une combinaison des termes Sian et Vâk, signifiant "l’homme-plante parlant".
Nous comprenons ainsi pourquoi la statue de Siâmak est présentée comme un dieu qu’on adore. Il constitue en fait une sorte de médiateur entre la divinité et l’homme, un transmetteur de la parole du ciel à la terre. Selon le Shâhnâmeh, Siâmak était un artiste qui fut tué dans sa jeunesse par les démons. En fait, l’art de Siâmak consistait à pouvoir parler et enseigner aux hommes. C’est ce qui incita les démons à le tuer, la parole étant auparavant leur monopole.
Dans le Shâhnâmeh, la venue de Zoroastre est aussi comparée avec l’apparition d’un grand arbre touffu chargé des fruits de la sagesse et du conseil.
Dans une autre version, sous l’ordre du roi Goshtâsb, un cyprès pyramidal fut planté à Kâshmar et un palais construit autour de lui, pour que le roi surveille lui-même ce cyprès. Ceci produisit un changement dans l’iconographie des drapeaux de l’époque : si on y traçait auparavant avant tout des animaux, la famille chargée de surveiller l’arbre sacré dessinait l’image de cet arbre sur un drapeau et organisait les cérémonies spéciales en son honneur. Dans le Shâhnâmeh, le drafsh ("drapeau" en persan) est substitué parfois par le drakht (arbre en persan). Vestige de cette symbolique et peut-être de l’agriculture antique, on continue toujours actuellement en Iran de hisser des étendards représentant un palmier et un cyprès lors de cérémonies, notamment religieuses. Il était aussi très courant de comparer les ancêtres - hommes et femmes - aux arbres. Là se trouve sans doute l’origine de « l’arbre de famille » ou "généalogique" dont le tronc symbolise l’arrière-grand-père ou les ancêtres les plus reculés, et les branches, la postérité. Dans le Shâhnâmeh, on interroge Fereydoun le sauveur en ces termes :
De quel astre es-tu descendu ? De quel arbre es-tu le fruit ?
Lorsque la terre et l’eau viennent à alimenter l’arbre, ce dernier devient un symbole de la fertilité et de la prospérité. La croyance en la sagesse de l’arbre est tellement répandue qu’il jouait aussi un rôle important de témoin dans les mythes et les récits anciens :
Il demanda au cyprès de témoigner ; c’est ainsi que la sagesse rend la justice.
Chez les peuples perses anciens, le roi et sa dynastie étaient souvent comparés à un arbre, de même que les héros. Dans le Shâhnâmeh, la mort d’Esfandiâr est comparée à la chute d’un arbre :
Le cyprès se courba, et la sagesse et la gloire lui échappèrent.
Ferdowsi considère la sagesse comme un arbre sous l’ombre duquel on a envie de rester :
Tout ce que je veux dire, on l’a dit ; et dans le jardin du savoir, tout est balayé
Celui qui reste à l’abri de ce grand palmier, l’ombre de ce dernier le protège du danger
Si je pouvais m’abriter dans les feuillages de ce cyprès ombrageux !
Dans le récit de la naissance de Cyrus le Grand d’Hérodote, nous lisons qu’Astyage (Astiaks en persan), le dernier roi mède, rêve qu’il fait pousser du ventre de sa fille, Mandana, une vigne dont le feuillage couvre toute l’Asie. En découvrant des gravures antiques sur divers sites iraniens, des archéologues ont relevé la présence d’un platane d’or que les rois conservaient dans leur chambre à coucher, ainsi qu’un arbre sacré autour duquel grimpait une vigne. Ils ont donc émis l’hypothèse que les Iraniens avaient emprunté à Ashur et à Babylone le culte de l’arbre, qui était répandu chez les Akkadiens et les Sumériens. L’arbre Wâq et le culte du dieu des plantes (Houm) montrent que l’adoration de l’arbre en Iran puise ses racines dans la culture indo-européenne, avant l’ère arienne, et dans des cultes de l’agriculture antique. Nous sommes ainsi en présence d’un mélange des cérémonies iraniennes avec celles de la Mésopotamie.
L’arbre enveloppé par la vigne nous rappelle l’Arbre parlant du Shâhnâmeh. Iskandar, qui, selon la légende, avait ordonné un jour d’arracher un tel arbre en Perse, est condamné à voyager jusqu’au bout du monde, au pied de l’Arbre parlant, pour prendre conscience de la faute qu’il a commise et du caractère éphémère de sa vie. La source de l’eau de la vie qu’Iskandar cherchait, était au sein des ténèbres que Gilgamesh (sumérien, ashurien, babélien) avait traversées un millier d’années plus tôt.
Dans le mythe de Gilgamesh, le héros est un serpent qui mange une fleur mystérieuse de l’immortalité qui pousse au fond de la mer, et devient éternel. Dans le Shâhnâmeh, le vieil Homme Vert (Khezr) trouve aussi dans les ténèbres la source de l’eau de la vie. Il en boit et devient lui aussi éternel. Dans le Bondahesh (texte biblique zoroastrien) également, la plante de l’immortalité est difficilement accessible, cachée au fond des eaux.
Dans le Bondahesh, nous lisons que cet arbre d’immortalité, l’Houm blanc, se trouve au cœur de la mer Frakhkart, qui « vivifie les morts ». Il est donc l’arbre de la résurrection. Le diable (Ahriman) ordonne à un crapaud de l’arracher. En revanche, Dieu (Ahourâ Mazdâ) crée deux poissons qui tournent autour de lui. L’un de ces deux poissons surveille toujours le crapaud. Le crapaud est l’être le plus grand créé par le diable, alors que le poisson est la plus éminente des créatures de Dieu. Ils combattront jusqu’au jour dernier.
Il est aussi intéressant de remarquer que sur certains vieux tapis persans, on peut trouver des traces de l’arbre de l’immortalité, du crapaud meurtrier, et des deux poissons, ainsi que des représentations d’un arbre à mille grains et de l’arbre de vie. Mais ce qui pourrait ressembler à un arbre parlant reste très rare.
Sur le tapis persan où l’on peut trouver représenté le culte des déesses de l’eau et de la terre, le cyprès constitue depuis toujours l’un des motifs les plus fréquents. Les tapis persans sont répartis en deux sortes de dessins : les tapis dits « ravissants », où sont figurés un jardin avec des arbres verts comme le cyprès et le platane, ainsi que des arbres fruitiers comme le grenadier, le tout accompagné d’animaux et oiseaux divers. Quant aux tapis dits « mornes », ils représentent un arbre autour duquel se trouvent le diable, le monstre, la fée, les oiseaux et les serpents morbides. Deux dragons ou poissons surveillent les racines. A ses branches pendent les têtes d’animaux et d’hommes. C’est l’image de l’Arbre parlant, l’arbre Vâk, motif très connu des anciens tapis persans et indiens, mais tombé aujourd’hui dans l’oubli.
Dans certains villages reculés d’Iran, on continue à nouer un morceau de vêtement ou une mèche de cheveux aux vieux arbres verts du village en vue de recevoir une réponse à des vœux, coutume qui est notamment liée à la mémoire de l’Arbre parlant, Vâk.
En fait, les arbres évoqués dans le Shâhnâmeh, le Livre de Dârâb, et le Livre de Garshâsb sont tous empruntés à l’Avesta, où l’arbre situé sur un grand océan est l’arbre de vie, et aussi le premier arbre du monde.
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Vâk, déesse de la sagesse, a deux façons différentes de parler : doucement et durement, en poésie et en prose, en priant ou en dansant, en chantant ou en parlant, de façon paradisiaque et terrestre. Dans l’histoire de Goshtâsb et celle du cyprès de Kâshmar, nous avons vu que les rois perses, pour prouver leur attention à l’égard de la prospérité de leur royaume, conservaient un arbre fertile chez eux et le priaient. Il est donc possible de dire que « les gardiens de l’arbre de vie étaient les rois ». Il est aussi possible d’avancer l’hypothèse que les deux troncs mâle et femelle de l’Arbre parlant soient les représentants des paroles encourageantes et décourageantes de l’arbre Wâq.
Dans l’histoire de Zahhâk selon le Shâhnâmeh, les troncs mâle et femelle se présentent comme deux hommes (symbolisant le feu et l’air en tant qu’essence masculine de l’univers), et deux femmes (symbolisant l’eau et la terre comme essence féminine de l’univers). Finalement, Anâhitâ, la déesse de la sagesse et de la fertilité, vainc Zahhâk, symbole de la sécheresse et de la stérilité.
Dans plusieurs cultures du monde, l’interprétation des rêves et la prédiction de l’avenir étaient réservées aux femmes. Dans le mythe de Gilgamesh, ce dernier se voit demander à la déesse Sabito de lui montrer la voie, et demande à sa mère de lui interpréter son rêve. De même, c’est quand il arrive au pied de l’arbre Wâq qu’Iskandar prend conscience de son avenir. Et Zahhâk raconte à Shahrnâz et Arnavâz son rêve avant de leur demander de lui prédire son sort. Fereydoun demande aussi à ces deux mêmes personnages de lui révéler l’abri où se cache Zahhâk.
Ce que nous venons d’évoquer renforce l’idée selon laquelle les deux héroïnes des Mille et Une Nuits représentent les deux troncs de l’Arbre parlant, qui eux-mêmes symbolisent les paroles instructives et salvatrices. Quant au mythe, il s’appuie, comme nous venons de le constater, sur des anciens textes indo-iraniens tel que le Rig Veda et l’Avesta. C’est sur cette base que l’on peut également avancer l’hypothèse, loin de toute prétention nationaliste, que les Arabes et les Européens n’ont pas eu de rôle dans l’élaboration des Mille et Une Nuits.
[1] Rishehyâbi derakht-e kohan (Etude des origines de l’arbre antique), Téhéran, Enteshârât-e Roshangarân va motale’ât-e zanân, 2004.
[2] Hezâr afsân kodjâst ? (Où sont les mille contes ?), Téhéran, Enteshârât-e Roshangarân va motale’ât-e zanân, 20011.
[3] Ibid., pp. 235-284.