N° 134, janvier 2017

La cité souterraine de Sâmen


Babak Ershadi


Une grande salle funéraire de la cité souterraine
de Sâmen.

Câmen n’est pas l’unique cité souterraine de l’Iran : La Revue de Téhéran en a déjà présenté une autre, celle qui se situe sous la ville ancienne de Noush Âbâd à sept kilomètres de Kâshân, construite il y a environ 1400 ans vers la fin du règne des Sassanides. [1] Mais Sâmen a une autre histoire qui mérite d’être relatée ici.

La petite ville de Sâmen (moins de 5000 habitants en 2011) se situe dans le département de Malâyer, au sud de la province de Hamedân. Dans le Livre des Routes et des Royaumes (Al-Kitâb al-Massâlik wal-Mamâlik), Ibn Khordâdbeh (820-885), géographe musulman descendant d’une riche famille perse, a indiqué le nom d’une petite ville, Râmen, qui semble correspondre au Sâmen moderne.

Cependant, même cet ouvrage géographique ancien ne parle pas directement d’une « cité souterraine », mais tout simplement de « ruines ». En effet, la découverte de la cité souterraine de Sâmen est très récente. Depuis de longues années, les habitants de la région parlaient de l’existence de « maisons » sous la terre, pourtant les experts de l’Organisation du patrimoine culturel, qui s’étaient intéressés à ces témoignages, n’avaient pas trouvé d’indices concrets concernant l’existence d’une quelconque structure architecturale souterraine dans la région. En réalité, on ne connaissait aucune des « entrées » de ces espaces bâtis souterrains dont les habitants parlaient depuis longtemps.

La province de Hamedân et ses voisines. La croix indique la position de Sâmen.

C’est en 2005 que les services régionaux des télécommunications de la province de Hamedân ont découvert accidentellement quelques espaces bâtis souterrains lors des travaux de pose de câbles de fibre optique. Les experts de l’Organisation du patrimoine culturel en ont été informés et se sont chargés des premières estimations. Ils ont également sécurisé cette première entrée de la cité souterraine de Sâmen, creusée presque entièrement dans le granit.

Les premières fouilles archéologiques ont été entamées en 2007. Le travail fut difficile étant donné que les espaces souterrains se trouvent sous la ville actuelle. Durant ces dix dernières années, les équipes archéologiques de l’Organisation du patrimoine culturel ont effectué cinq saisons de fouilles à Sâmen. Au cours de ces fouilles, les archéologues ont identifié 60 pièces et salles souterraines, ainsi que des couloirs et d’autres espaces. Les résultats des recherches archéologiques montrent que la construction de la cité souterraine de Sâmen remonte à une période précédant la fondation de la dynastie des Arsacides (247 av. J.-C.-224 apr. J.-C.). L’expansion de la cité daterait de l’époque du roi Mithridate Ier (195-135 de notre ère). Selon les estimations, la ville souterraine de Sâmen doit avoir une superficie de trois hectares, ce qui signifie que jusqu’à présent, les archéologues n’ont découvert qu’une petite partie de la ville cachée, en général à une profondeur de 4 à 6 mètres par rapport à la surface actuelle de la ville de Sâmen, d’où d’ailleurs la difficulté des travaux archéologiques.

Une grande salle funéraire remplie de squelettes.

L’expansion de la cité souterraine a été progressive. Les experts estiment qu’au départ, ces espaces souterrains n’étaient utilisés que pour des cérémonies religieuses. Il est probable que les lieux aient été initialement dédiés au culte de Mithra [2] qui s’exerçait dans les grottes naturelles ou les cavernes artificielles. Dans certaines salles et galeries de la cité souterraine de Sâmen, les archéologues ont également découvert des tombes remplies d’ossements appartenant aux notables ou peut-être aux victimes d’un sacrifice humain [3]. Pourtant, les découvertes archéologiques prouvent que la cité souterraine de Sâmen n’avait pas seulement une fonction rituelle ou funéraire. Il semble que ces espaces souterrains étaient également des lieux habités, thèse soulignée par l’existence de canalisations d’eau à l’intérieur de plusieurs salles et couloirs, et à un puits lié à un qanât [4].

Les archéologues doivent descendre jusqu’à 6 mètres sous le niveau des rues de Sâmen pour entrer dans les salles et les couloirs de la cité souterraine.

 

Des recherches effectuées par les experts de l’Organisation du patrimoine culturel laissent croire que la cité souterraine de Sâmen était utilisée de manière permanente sous les Arsacides, avec également des usages ponctuels lors d’invasions notamment, depuis l’invasion arabe du VIIe siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale.

Détail intéressant et unanimement accepté : le nom de cette cité souterraine n’a jamais été mentionné pendant une longue période de 2000 ans, ce qui signifie que durant ces deux millénaires, la cité souterraine était un endroit mystérieux, uniquement connu par un très petit nombre d’initiés et utilisé en de rares occasions. Selon les témoignages, les habitants soupçonnaient depuis longtemps son existence et en avaient entendu parler par les personnes âgées, mais n’avaient pas trouvé les entrées.

Des squelettes ont été découverts dans plusieurs salles de la cité souterraine.

Les objets découverts appartiennent à une période antérieure à la dynastie des Arsacides, mais aussi à l’ère arsacide ainsi qu’à différentes périodes islamiques, notamment les règnes seldjoukide et safavide. À des époques plus anciennes, les lieux auraient eu une fonction cultuelle, tandis qu’à des époques plus récentes, la cité cachée sous terre servait de refuge. L’organisation du patrimoine culturel de la province de Hamedân a l’intention de créer un centre de recherches archéologiques dédié à la cité souterraine de Sâmen. Il est prévu aussi d’en faire un site touristique public accueillant des visites guidées. Les visites s’effectuent actuellement de manière limitée.

Une centaine de squelettes découverts dans la cité souterraine lors de la deuxième saison des fouilles ont été soumis à des examens biologiques et anthropologiques. Les experts ont essayé de déterminer le sexe, l’âge et les propriétés physiologiques des défunts ainsi que la raison de la mort de chacun d’eux. Les cadavres avaient été disposés dans une position propre à l’époque arsacide. Ils ont été découverts dans neuf des pièces mises à jour de la cité souterraine.

Le site officiel de la ville de Sâmen (csqmen.ir) offre de très bons textes en persan et une galerie d’images de la ville souterraine. Il est également possible de faire une belle visite virtuelle de la salle 103 de la cité souterraine (http://csamen.com/?p=1736) après le téléchargement du fichier.

Les autorités locales et les responsables de l’Organisation du patrimoine culturel envisagent la transformation de la cité souterraine de Sâmen en un pôle touristique du sud de la province de Hamedân. Mais pour réaliser un tel projet, il faudra un budget important pour créer les infrastructures nécessaires. En effet, l’Organisation du patrimoine culturel n’a pas encore les fonds nécessaires pour acquérir les lieux qui se trouvent dans l’environnement urbain de la ville de Sâmen. Pour le moment, les cinq hectares du site ont été enregistrés sur la Liste des œuvres nationales.

Malgré toutes les difficultés, les recherches archéologiques de la cité souterraine de Sâmen se poursuivent par une équipe de l’Université Bou Ali de Hâmadân et des services provinciaux de l’Organisation du patrimoine culturel.

Un couloir creusé dans le granit.
Un escalier taillé dans la pierre.

Notes

[1Kohandani, Hossein, "OEEI, La plus grande ville souterraine du monde", in : La Revue de Téhéran, n° 70, septembre 2011, accessible à :http://www.teheran.ir/spip.php?article1440#gsc.tab=0

[2Mithra est un dieu indo-iranien, antérieur à la religion zoroastrienne en Iran. Il faisait l’objet d’un culte important dans la Perse antique dès le IIe millénaire avant notre ère. Mithra était le dieu du contrat, de la loi et de la légitimité, et il était symbolisé par le Soleil.

[3Cependant, le rite du sacrifice humain était très rare même dans les civilisations pré-zoroastriennes en Iran.

[4« Le qanât est une galerie souterraine creusée d’une manière quasi horizontale. Il y a pourtant une pente douce pour que l’eau puisse s’écouler du haut vers le bas. Le but de la construction de cette galerie est d’avoir accès à une nappe d’eau souterraine et à acheminer l’eau par cette galerie souterraine vers l’extérieur à une distance assez éloignée de l’endroit où on creuse le premier puits dit « puits mère ». Voir : Ershadi, Babak, "Les qanâts d’Iran inscrits sur la Liste du patrimoine mondial", in : La Revue de Téhéran, n° 132, novembre 2016.


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