N° 139, juin 2017

Le musée de la Paix de Téhéran


Narjes Abdollâhinejâd


Il est facile d’imaginer ce qui nous attend dans un musée de la guerre. Mais que nous vient-il à l’esprit lorsque nous entendons parler d’un musée de la Paix ?

Le musée de la Paix de Téhéran (Mouzeh-ye Solh-e Tehrân), le premier du genre et unique au Moyen-Orient, est situé dans l’enceinte du Parc de la Ville de Téhéran. Après la place centrale de ce parc où se dresse la sculpture d’une colombe blanche en souvenir des victimes des armes chimiques, en longeant la partie nord de l’allée centrale, apparaît le bâtiment du musée.

Photos : le musée de la Paix de Téhéran

Ce jeune musée a vu le jour en 2005 à l’initiative des membres de l’association d’aide aux victimes des armes chimiques. Ces derniers ont pu réaliser leur projet en coordination avec le réseau international des musées de la Paix, à l’issue de leur visite au musée de la Paix d’Hiroshima, première ville au monde victime des armes atomiques. Les portes du musée se sont ouvertes au public en 2007.

L’Iran ayant été lui-même victime des armes chimiques durant la guerre Iran-Irak (1980-1988), les fondateurs du musée ont décidé d’exposer les effets et les conséquences de la guerre en se focalisant sur un thème central : celui de l’usage des armes chimiques. Détail intéressant : les guides de ce musée sont eux-mêmes des victimes de ces armes ; des survivants de la guerre qui vivent au quotidien dans la souffrance des séquelles physiques et psychologiques de ces attaques. Ils sont donc bien placés pour témoigner des violences de la guerre et appeler à la paix. Exposés au début du parcours de la visite, les messages de deux guides actuels à des anciens guides du musée décédés des complications de leurs séquelles présentent un témoignage de paix touchant et profond.

La visite guidée commence par la « salle de la guerre », aux quatre coins de laquelle sont érigées les statues de cire de ceux qui sont considérés comme les plus grands bellicistes - réels ou symboliques – de l’Histoire et ennemis de la paix. Par ordre chronologique, on retrouve Caïn, le fils d’Adam qui, en tuant son frère Abel, est considéré par plusieurs traditions religieuses comme le premier assassin et le symbole du mal ; Zahhak, personnage mythique et despotique de la Perse antique ; Adolf Hitler ; et enfin Saddam Hussein, ancien président du régime baasiste déchu de l’Irak. Sur l’un des murs, un écran diffuse en continu un documentaire sur la Seconde Guerre mondiale. Sur les autres, d’autres écrans affichent des statistiques concernant les morts de civils et de militaires dans les guerres des XXe et XXIe siècles. Le massacre de la population civile au Darfour au Soudan en 2003, les Irakiens morts suite à l’occupation de leur territoire par les États-Unis et leurs alliés en 2003, le génocide en Bosnie durant les années 1991-1995 et au Rwanda durant la guerre civile de 1994, ainsi que le bombardement de Guernica en 1937 confirment l’idée que les civils ont été les principales victimes de ces conflits.

En sortant de cette salle, une vitrine exposant de nombreux badges et de grues en papier [1] offerts par des activistes et personnalités anti-guerre internationaux attire l’attention.

Un mannequin portant une tenue kaki et un masque à gaz annonce l’entrée dans la partie du musée consacrée aux guerres chimiques. L’Iran ayant été la cible de bombardements chimiques durant la guerre Iran-Irak, cette partie de la visite prend une dimension particulière. Les explications du guide accompagnées d’écrans bilingues (en persan et anglais) nous projettent au cœur de cette thématique. La naissance de la guerre chimique moderne remonte à 1915, durant la Première Guerre mondiale. Mais le point culminant de l’utilisation d’armes chimiques fut atteint durant les huit années de la guerre imposée aux Iraniens par l’Irak. L’armée irakienne, en violant le protocole 1925 de Genève qui interdit l’utilisation de gaz toxiques dans les guerres, a perpétré à plus de 350 reprises des attaques chimiques. Le document publié par les Nations Unies en 2003 a révélé que l’Irak avait fait usage de 19 500 bombes chimiques, 54 000 obus chimiques ainsi que de 27 000 missiles chimiques à courte portée. L’Irak a également avoué avoir utilisé 1800 tonnes de gaz moutarde, 140 tonnes de gaz Tabun et plus de 600 tonnes de gaz Sarin. La plus amère dimension de cette catastrophe est que les troupes irakiennes ont non seulement effectué des bombardements aux armes chimiques visant non seulement des soldats iraniens dans les zones de guerre, mais aussi des villes et la population civile. Les bombardements chimiques de la ville frontalière de Sardasht, à l’ouest de l’Iran, des deux villages de Zardeh et Direh situés à Kermanshâh, des Kurdes de Halabja au nord de l’Irak, ainsi que des hôpitaux remplis de blessés et de cadres médicaux sont parmi les crimes de guerre de Saddam Hussein qui ont été perpétrés sous le silence des instances internationales. D’après un guide du musée, à Sardasht seulement, un tiers de la population de la ville a été tué ou blessé lors de ces attaques chimiques. Nous retrouvons les mêmes histoires tragiques à Zardeh, Direh et Halabja. Les images restées de ces catastrophes sont poignantes. Ahmad Nâteghi, photographe iranien, a enregistré ces moments effroyables à Halabja. Sa caméra est maintenant conservée au musée.

Les terribles effets des substances toxiques sur l’environnement et les êtres humains sont innombrables et durables. Aujourd’hui encore, les conséquences de ces attaques chimiques sont innombrables. Plus de 65 000 personnes souffrent encore des séquelles des attaques chimiques et suivent de lourds traitements médicaux. Ils souffrent de cancers et de maladies chroniques pulmonaires, oculaires, cutanées ou psychiatriques. Comprimés, gélules, collyres et inhalateurs qui sont symboliquement rassemblés dans une vitrine, sont leur lot quotidien. Les vœux des survivants d’armes chimiques telle que Chiman Saidpour, une parmi les milliers de victimes, qui a perdu sa mère, sa sœur, son enfance, ses rêves, sa santé… sous les bombes chimiques alors qu’elle n’avait qu’un an, sont « un monde sans guerre, sans armes chimiques ».

Les conséquences douloureuses d’attaques aux armes chimiques ne sont pas propres aux victimes de la guerre Iran-Irak. Le largage des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki par les Américains et l’usage de l’agent orange contre les Vietnamiens par les Etats-Unis sont également deux autres taches noires dans l’histoire de l’humanité. Ces massacres laissent encore aujourd’hui leurs traces terribles sur l’environnement et sur les générations actuelles. Les responsables du musée rendent ainsi également hommage aux victimes de ces événements.

Le musée raconte ainsi les ténèbres des guerres afin d’exposer la lumière de la paix. Dans ce but, il organise différentes expositions artistiques ainsi que des ateliers concernant la paix. Il aborde ainsi le concept de paix, les droits humanitaires et la nécessité du désarmement chimique et atomique. La bibliothèque remplie d’œuvres de droit international et de souvenirs des victimes de guerre accueille des chercheurs et étudiants. Le musée abrite également un studio pour enregistrer et archiver les histoires de chacune des victimes de guerre comme document historique.

Une réplique du cylindre de Cyrus, en tant que ce qui est actuellement considéré comme la première Déclaration des droits de l’homme et le symbole de la paix et de l’amitié iranien, est aussi exposée. Les bustes de quatre grands poètes iraniens Ferdowsi, Hâfez, Rumi et Saadi sont placés sous le dôme bleu du salon. Ces derniers étaient en effet, chacun à leur façon, des apôtres de la paix qu’ils saluent dans leurs chefs-d’œuvre littéraires. Les fameux vers de Saadi concernant la bonté envers autrui [2], en persan et en anglais, ornent l’enceinte du musée.

Jean-Henri Dunant, homme d’affaires suisse, fondateur du comité international de la Croix-Rouge et lauréat du premier prix Nobel de la paix en 1901, ainsi que le Mahatma Gandhi, leader de l’indépendance de l’Inde célèbre pour sa théorie de la « non-violence », sont deux figures pacifistes mondiales dont les bustes ornent également le musée.

La fin de la visite se termine sur ce message à la fois profond et porteur d’espoir :

« La paix, c’est bien plus que l’absence de guerre. La véritable paix vient de nos cœurs (paix intérieure) et mène à des relations de paix au sein de la famille, de la communauté, et entre les nations. Inspirons chaque jour les autres avec la non-violence. Soyons des messagers de paix à chaque interaction. » [3]

    Notes

    [1Cela fait allusion à l’histoire de Sadako Sasaki, fillette japonaise décédée à l’âge de douze ans d’une leucémie due à la bombe atomique d’Hiroshima. En entendant l’ancienne légende japonaise des mille grues, selon laquelle quiconque confectionne mille grues en origami voit son vœu exaucé, elle fit les origamis, confectionna au total 644 grues mais mourut avant de pouvoir achever son projet… Grâce à elle, la grue en papier est devenue un symbole international de la paix. www.japoninfos.com

    [2Les enfants d’Adam font partie d’un corps

    Ils sont créés tous d’une même essence

    Si une peine arrive à un membre du corps

    Les autres aussi, perdent leur aisance

    Si, pour la peine des autres, tu n’as pas de souffrance

    Tu ne mériteras pas d’être dans ce corps (traduit par Mahshid Moshiri)

    [3Traduction française du texte d’après le site internet du musée de la paix de Téhéran www.tehranpeacemuseum.org/


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