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Entretien avec Jamshid Heidari, producteur de films iraniens et l’un des pionniers du cinéma de guerre en Iran
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Acteur, scénariste, réalisateur et producteur de films iraniens, Jamshid Heidari, né à Shirâz en 1951 (1330), commence sa carrière cinématographique en 1971 (1350) en tant qu’assistant de réalisateur. Il poursuit ses études de cinéma au Canada. Parmi ses films, nous pouvons citer Hamâseh Ghahremânân (L’Épopée des héros), Vasvaseh (La Tentation), Vakil-e Avval (Le Premier avocat), Tofangdâr (Le Mousquetaire), Farâr (La Fuite), et Marz (La Frontière).
Shahnâz Salâmi : À votre avis, la situation des droits d’auteur au cours de ces dernières années s’est-elle améliorée ou dégradée ? Pourriez-vous faire une comparaison historique entre les différentes périodes présidentielles en ce qui concerne la protection des droits des artistes et les difficultés qu’ils rencontrent à ce sujet ?
Jamshid Heidari : Jusqu’à aujourd’hui, nous attachions peu d’importance à la question des droits d’auteur en Iran. J’ai rédigé des scénarios qui à plusieurs reprises ont été plagiés par d’autres réalisateurs, qui se sont seulement contentés d’y apporter quelques modifications.
ShS : Comment ont-ils pu accéder à vos scénarios ? Ne les aviez-vous pas enregistrés ?
JH : L’enregistrement des scénarios est récent et date de cette dernière décennie. Après la Révolution Islamique, la mise en place du ministère de la Culture et la fondation de l’Institut Fârâbi ont organisé le domaine de la culture. Néanmoins durant certaines périodes, il était d’usage de remettre les scénarios aux producteurs ou aux réalisateurs de films afin d’obtenir un avis favorable permettant la réalisation du film. Aujourd’hui, malgré l’enregistrement des scénarios auprès de la Banque des scénarios, ceux-ci peuvent être piratés. Parfois, le scénariste n’en est pas conscient, ou il comprend trop tard ou bien encore le réalisateur du film prétend que le scénario lui appartient. D’une façon générale, il me semble que la question des droits d’auteur n’est pas encore prise au sérieux.
ShS : Pour quelles raisons, alors que la loi sur les droits d’auteur date de plus de quarante ans ?
JH : Bien que cette loi soit toujours en vigueur, elle est peu appliquée. La plupart des institutions étatiques ne considèrent pas le cinéma comme une industrie culturelle ou comme un métier. Pour cette raison, durant les huit années de la présidence de M. Ahmadinejâd, quelques professeurs d’université et critiques libres ont commencé à mépriser les métiers du cinéma, et le septième art a subi une période de pression. J’ai la conviction qu’après la Révolution Islamique, le cinéma iranien a eu un rôle considérable dans la transmission de nos valeurs culturelles dans le monde entier et a été au service de l’État iranien. Le cinéma iranien a été reconnu dans le monde et a obtenu beaucoup de prix dans les festivals internationaux. Je me rappelle que dans l’un de ces festivals, un réalisateur m’a dit : « Comment faites-vous ? Votre cinéma ne présente aucun de ces trois éléments : le sexe, la violence, la technologie (les effets spéciaux). Mais il reste malgré tout bien placé et remporte la plupart des prix des grands festivals. » J’ai répondu que c’était la réflexion qui expliquait notre réussite ! Un jour, nous profiterons de la technologie. Nos directeurs de l’organisation cinématographique sont aussi en train de se former. Jusqu’ici, ces directeurs n’étaient pas des spécialistes : certains d’entre eux étaient architectes, et il n’y a eu aucun ministre de la Culture auteur d’un ouvrage sur l’art ou d’un scénario. Les experts n’ont pas accès à ces postes. M. Seyfollâh Râd était le seul directeur de l’Organisation cinématographique et le seul directeur du secteur audiovisuel du Ministère qui avait lui-même réalisé un film. Il s’agissait d’une bonne période et il comprenait la situation des artistes. Mais durant plusieurs décennies, les films furent similaires du point de vue technique et artistique. Du point de vue de la qualité artistique, le meilleur film n’était peut être que 10 % supérieur à un film de niveau moyen. Les cinéastes étaient du côté des responsables politiques. Malheureusement, on attachait peu d’importance aux artistes pionniers, sauf à quelques-uns qui ont toujours eu la faveur de tous les gouvernements et ont toujours été célébrés.
ShS : Pourriez-vous nommer ces artistes dont vous parlez ?
JH : M. Entezâmi, M. Mashâyekhi, M. Nasiriân, et récemment M. Keshâvarz. Alors que de son vivant, Ali Hâtami, n’a été ni reconnu ni célébré, les trois autres ont eu la faveur de tous les gouvernements. Il n’y a pas de problème. Nous sommes tous heureux de ces événements. Mais le problème est que les responsables politiques ne remarquent pas beaucoup les autres artistes qui ont apporté beaucoup au cinéma, et leur ont consacré toute leur vie. Dans la plupart des films avant la Révolution, les personnages principaux étaient des danseurs et des héros chapeautés stéréotypés. Après la Révolution, une génération d’artistes a tenté avec conviction et générosité de donner une nouvelle impulsion au cinéma iranien, sans rien exiger en retour. Leur seule préoccupation était l’avancement du cinéma iranien. D’ailleurs, nous étions en train de vivre une nouvelle période, nous n’avions pas d’expérience et nous ne savions pas quel cinéma pourrait progresser après la Révolution, selon quels critères. Je faisais partie de ce groupe qui a travaillé dès le début de la Révolution. J’ai posé mes caméras en février 1979 (Bahman 1357) dans les rues de Téhéran. J’ai réalisé en septembre 1980 (Shahrivar 1359) mon premier film de guerre, Marz (La Frontière). La copie de ce film a été projetée dans des villages des zones de guerre. Parfois, à la télévision, je vois des entretiens de gens qui disent ne se rappeler que d’un seul film de guerre projeté à cette époque, et qu’il s’agissait d’un film sur la guerre d’Algérie ! Les témoins sérieux savent bien que l’un des films de guerre de l’époque était ce film. Mais personne n’en parle chez nous. Mais à l’étranger, il n’en va pas de même : Mme le Professeur Agnès Devictor a rédigé un ouvrage sur le cinéma de guerre en Iran dans lequel elle mentionne mon film. Je pense que ceux qui ont travaillé honnêtement et sans rien exiger en retour sont restés isolés.
ShS : Cet isolement dont vous parlez relève-t-il du nouveau gouvernement ?
JH : Non, cela date du début de la Révolution. Beaucoup de journalistes et de gens des médias qui n’avaient pas de spécialité artistique ni d’expérience professionnelle, eux-mêmes influencés par les articles de presse de certains "critiques", dévalorisaient les films auxquels ils n’étaient pas associés. Ils valorisaient les erreurs des mauvais films. Les réalisateurs de mon genre, qui ont travaillé plus de quatre décennies et réalisé des films sociaux, n’ont jamais pris une position en contradiction avec l’idéologie de l’État - dans mon cas, parce que je me sentais moi aussi révolutionnaire et que je voulais donner un nouveau souffle au cinéma pour le faire progresser. Nous n’avons jamais fait de films pour obtenir un poste ou gagner un prix, mais nos efforts n’ont jamais été vus. Ce n’est qu’à partir de mon film réalisé en 1982 (1362), La Frontière, que l’État a apprécié, que le gouvernement a commencé à accorder des subventions au secteur privé. L’Assemblée Nationale s’est alors mise à croire au cinéma. Mon deuxième film, Karkas-hâ nemimirand (Les vautours ne meurent pas), est resté à l’écran pendant 158 jours (à cette époque, il n’y avait qu’une seule séance par jour). L’objectif était que les salles de cinéma restent ouvertes. C’est le 29 shahrivar 1360 (septembre 1982) que nous avons eu l’idée de réaliser le film La Frontière, un jour où les bombardiers irakiens survolaient Téhéran. Nous avons pensé que le cinéma devait filmer et montrer ces avions. Nous n’avions aucune expérience de la guerre. Nous n’avions vu aucune photo, aucune image de guerre. Notre seule expérience visuelle venait des films de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Malgré cela, nous avons réalisé un film de guerre. Le système militaire n’avait pas autant de cohérence qu’aujourd’hui. C’est à la guerre qu’il la doit. Le film La Frontière a été achevé en 1980 (1359). Au premier festival de Milâd en 1981 (1360), j’ai présenté les deux films La Frontière et Les vautours ne meurent pas. Dans les livres de l’Histoire du cinéma iranien, les historiens écrivent que ce film a été réalisé en 1982 (1361), alors que c’est faux. Ils n’ont pas consulté les archives de ce festival.
ShS : Pourquoi ?
JH : Pour valoriser certains films et en dévaloriser d’autres. Ils n’ont jamais voulu comprendre que les réalisateurs qui ont travaillé honnêtement après la Révolution ne se rattachaient plus au cinéma d’avant la Révolution. Ces réalisateurs avaient confiance en l’avenir du cinéma de la Révolution, et c’est pourquoi ils ont continué à travailler. Mais ils restent toujours isolés. Par exemple, pour la réalisation du film Vakil-e avval (Le Premier Avocat) présenté au 6e festival, j’avais investi 17 millions de tomans à titre privé sans aucune subvention étatique. Mais on ne l’a pas apprécié comme il aurait fallu. On ne l’a pas soutenu alors que des films plus faibles ont été valorisés. Cela vient du manque de spécialisation des directeurs cinématographiques qui ne connaissent pas encore le cinéma. Pour moi, c’est très bizarre que certains artistes, sous tous les gouvernements, entretiennent des liens d’amitié avec tous les systèmes de direction : aussi bien sous le gouvernement de M. Rafsandjâni que sous celui de M. Khâtami ou sous celui de M. Ahmadinejâd. J’ai demandé à l’un de mes amis s’il pouvait me parler de sa vision politique et m’expliquer comment il avait pu être l’ami de tous les directeurs cinématographiques dans tous les gouvernements, et comment cela se faisait que tous les systèmes artistiques le reconnaissaient comme leur artiste. Il a souri et ne m’a donné aucune réponse. À mon avis, beaucoup d’artistes qui ont eu des soutiens étatiques ne les méritaient vraiment pas.
ShS : Mais à force d’être soutenus et de bénéficier de subventions étatiques, ils ont développé certains talents, n’est-ce pas ?
JH : Oui, bien sûr. Mais quand un artiste peut survivre sous quatre gouvernements et dans quatre mouvements de pensées différents et même contradictoires, cela montre qu’il adopte une position neutre capable de servir ses intérêts en toutes circonstances sans viser le développement d’un cinéma riche de sens qui protège l’honneur du cinéma iranien. Le cinéma de guerre peut toujours faire des progrès à l’exemple des films tels que Marz (La Frontière) ou Farâr (La fuite), dont 50 % ont été réalisés en Allemagne. Comment est-ce possible que certains réalisateurs n’aient pas de moyens pour survivre après quatre décennies de travail, comme c’est mon cas ? Quand ils tombent malades, ils ne bénéficient d’aucune assurance et sont toujours inquiets pour l’avenir. Comment parler de concurrence loyale quand un réalisateur qui n’a fait que trois films dispose d’une maison de milliardaire, alors qu’un autre avec plus de vingt films, vit dans la misère ? J’ai réalisé La Frontière avec 60 pellicules de films en couleur. C’est moi qui suis à l’origine de la couleur dans le cinéma iranien. En ce moment, beaucoup d’artistes sont devenus des dieux du mensonge. Leurs paroles et leurs discours ne correspondent pas du tout à leurs créations largement soutenues par l’État. Ils font du lobbying et la presse valorise leurs films qui sont loin de valoir d’autres films de bonne qualité artistique.
ShS : J’ai beaucoup parlé avec le monde du cinéma, avec vos collègues. Et je vois de grandes divergences entre les réalisateurs. Certains se sentent isolés et écartés des subventions étatiques. D’après eux, il y a un grand fossé entre réalisateur étatique et réalisateur non-étatique. Quelle en est la raison ?
JH : Je ne pense pas qu’une seule période historique en soit responsable. Il faut en trouver les racines dès le début de la Révolution. Certaines mesures politiques opposent les artistes les uns aux autres. Le cinéma iranien ne devrait pas avoir besoin de subventions étatiques. Si une industrie fonctionne bien, c’est le public qui fait sa fortune. Le cinéma doit progresser grâce au travail de ses experts qui ont une responsabilité et un engagement professionnels. On voit aujourd’hui beaucoup de films réalisés dans un seul appartement comme lieu de tournage. Le fait que pendant une certaine période beaucoup de films dans le monde se réalisaient dans un seul endroit doit être pris comme un choix artistique et non un genre. J’ai fait connaître par mes films beaucoup d’acteurs iraniens, beaucoup de mes assistants sont devenus aujourd’hui des réalisateurs. J’ai reçu beaucoup de gifles des soi-disant critiques sans compétences ni expériences artistiques, qui insultent les réalisateurs engagés. D’où vient ce manque de respect dans la presse ? Ils ne font aucune différence entre un réalisateur qui a quatre décennies d’expérience et celui qui n’a réalisé qu’un seul film. Ils ne connaissent pas le cinéma et n’ont pas de savoir-faire dans ce domaine, ils ne suivent que leur goût personnel. Les meilleures périodes de l’année, celle de Nowrouz et celles de certaines fêtes religieuses, sont réservées à certains réalisateurs, alors que les réalisateurs indépendants qui travaillent dans le secteur privé ne disposent que des jours ordinaires. C’est pour cette raison que trois de mes films se sont mal vendus : Gis borideh est passé en salle pendant le mois de moharram, Kish-o mât (Echec et mat) pendant le mois de Ramadan, et Dobâre bâ ham (De nouveau ensemble) dix jours avant le festival de Fajr. Je me suis ruiné avec le cinéma alors que mes premiers films avaient eu des records de vente.
ShS : Comment trouvez-vous la situation actuelle du cinéma ?
JH : Les superstars sont à l’affiche et sont de nouveau entrées dans nos films. Le salaire de certains acteurs, plus célèbres pour leur beauté que pour leur talent, n’a cessé d’augmenter et les films sont devenus vulgaires. Les exploitants des cinémas ont fait des erreurs en commandant aux réalisateurs des films commerciaux, ne comptant que sur le physique des acteurs pour gagner beaucoup d’argent. En soi, il n’est pas mauvais que les jeunes acteurs fassent du cinéma, mais en le faisant de cette façon, ils se dévalorisent. Le Conseil des réalisateurs ne donne pas de chiffres. Mais beaucoup de nouveaux réalisateurs ont quitté le cinéma après avoir réalisé un ou deux films. Les acteurs demandent plus de salaires et la production cinématographique est devenue très coûteuse, alors que la vente des films n’est pas très bonne parce que la couche moyenne de la société va moins au cinéma et qu’en général, le public boude le cinéma. Le rôle des critiques a été également important dans la dévalorisation de certains films de bonne qualité. Ils ne comprennent pas que le réalisateur soit sur la corde raide : si son film est très artistique, il n’aura pas un grand public et s’il cherche le grand public, son film risque de tomber dans la vulgarité. Le soutien des critiques à certains films a encouragé les réalisateurs à faire constamment le même genre de films et tout d’un coup, tous les films ont commencé à se ressembler. Je n’étais pas invité au Festival de Fajr en 2014, mais selon mes amis qui y étaient présents, plus de 70 % des films projetés dans ce festival n’avaient pas encore réussi à amortir le budget investi. C’est une catastrophe. Comment se fait-il qu’une année d’exploitation ne permette pas aux réalisateurs de rentrer dans leurs frais ? Jusqu’où l’État veut-il investir pour ne rien gagner ? Dans ce marché concurrentiel injuste, comment voulez-vous qu’un film du secteur privé rivalise avec un film dont le budget étatique se rapproche de 15 milliards de tomans et dont la réalisation - qui dépasse parfois les deux ans -, n’est pas limitée dans le temps ? Ce film tourné dans les meilleures conditions techniques entre en concurrence avec un film qui n’a coûté que 500 millions de tomans. La concurrence et le marché ne sont pas équitables. Sans doute, y a-t-il eu de la part de l’État la volonté d’encourager les films de la catégorie « Badaneh » [1] (dont je ne comprends pas vraiment le sens), mais ces films n’ont pas eu de succès. Tout le monde est d’accord sur le fait qu’il existe un cinéma élitiste mais personne ne peut le définir. Tous les scénarios de ces films élitistes sont volontairement vagues et inachevés, sans doute pour que les spectateurs devinent le reste !
ShS : Que pensez-vous des réseaux de diffusion de films aux foyers qui permettent au public d’acheter des DVD pour les regarder à la maison ?
JH : À mon avis, au cours de ces dernières années, cette partie de l’activité artistique n’a pas été bien gérée. À l’étranger, j’ai visionné, en salle, un film connu, qui se trouvait aussi en DVD sur le marché. Mais au cinéma, j’ai payé quatre dollars pour voir le film alors que sur le marché, le DVD coûtait 30 dollars. Ce qui n’est pas vraiment le cas du marché des films en Iran. L’idée était bonne mais faute d’expérience, nous n’avons pas bien géré ce marché. Notre définition du contenu culturel n’était pas claire non plus. Même en tant que divertissement, ces films vendus sur ces réseaux ne sont pas bons. Il est vrai que les spectateurs ne viennent pas toujours au cinéma pour réfléchir. Le cinéma est aussi un divertissement. Mais il faut définir ce mot. D’ailleurs, la politique culturelle du cinéma ne permet pas de faciliter aux jeunes l’accès aux salles. De plus, les salles ne sont pas nombreuses et ne répondent pas aux besoins de la forte production cinématographique de chaque année : entre 70 et 80 films par an. Si ces films ne font pas revenir l’argent dans la poche de leurs producteurs, comment pourront-ils produire autant de films l’année suivante ? Nous avons produit beaucoup de films qui n’ont pas attiré le public. Ces réseaux de diffusion de films aux foyers n’ont pas bien fonctionné et ont ruiné les bons réalisateurs du cinéma iranien à cause de l’envahissement du marché par des films vulgaires. L’exploitation des films en salle est aussi injuste : les films des réalisateurs bien financés disposent de plus de 15 salles et sont projetés dans les meilleures périodes de l’année, tandis que d’autres réalisateurs qui font de bons films doivent se contenter des périodes de deuil. Le monopole fait la corruption de cette industrie et cela se voit dans les médias, les journaux, les réseaux de diffusion de films, les conditions de l’exploitation en salle, etc. L’austérité en commun est équitable. Si on ne donne pas d’eau à boire à tous les réalisateurs, cela est équitable. Même les émissions de télévision ne présentent pas la réalité du cinéma. Les gens incompétents, les critiques pressés et imprudents sont toujours invités. Ah, si au moins après quatre décennies de travail dans le milieu professionnel, je pouvais dire que j’y ai pris du plaisir !
ShS : Que pensez-vous du rôle des corporations artistiques dans la promotion du respect de la propriété intellectuelle et dans la protection des intérêts économiques des cinéastes ?
JH : Elles peuvent avoir un rôle déterminant à condition que les représentants et les directeurs de ces corporations portent un regard égal et équitable sur tous les artistes. La discrimination ne devrait pas pénétrer dans ces milieux. À mon avis, en Iran, l’État aime bien soutenir le cinéma mais il n’a pas une bonne politique. Les artistes aiment bien représenter leur pays à l’étranger en tant qu’ambassadeurs de sa culture et de son art. Mais les mauvaises politiques les ont isolés. Certains obtiennent des postes, des titres et des prix et d’autres sont écartés. Un regard équitable et la confiance accordée à tous les artistes sans distinction, voilà ce qui nous manque.
ShS : Que pensez-vous du nouveau gouvernement de M. Rohâni et des nouveaux responsables politiques dans le domaine de la culture et du cinéma ? Comment envisagez-vous les nouvelles politiques culturelles de l’État et l’avenir du cinéma iranien ? Que pensez-vous de la fête du cinéma et de la journée de gratuité instaurée par M. Ayoubi ?
JH : Une journée de gratuité est une action très symbolique. Mais il faudrait que les directeurs de l’organisation cinématographique connaissent le cinéma, qu’ils sachent qui sont les artistes qui travaillent honnêtement pour le cinéma. Pour la fête du cinéma de cette année, je n’avais même pas de carton d’invitation ni de la part de notre corporation des réalisateurs, ni de la part de la Maison du cinéma, ni de la part du ministère de la Culture, ni de la part de la Direction du Festival de Fajr. J’avais été invité toutes les années précédentes, mais je ne sais pas pourquoi on ne m’a pas invité cette année. Peut-être parce que dans la Revue Bânifilm, j’ai parlé des raisons de la faillite du cinéma iranien. Peut-être parce que j’ai dit que le peuple iranien ne va plus au cinéma. Si le réalisateur est indépendant, le changement de directeur ne devrait pas avoir d’importance pour lui. Nous voulons travailler honnêtement dans notre coin. Nous n’avons jamais demandé ni prix, ni subventions étatiques. Cette concurrence est injuste. J’ai envie de pouvoir réaliser un film avec seulement cent pellicules. J’ai toujours travaillé avec un minimum de moyens, mais aujourd’hui je ne peux pas le faire dans ce marché injuste.
ShS : D’autres collègues dans le secteur privé ont-ils les mêmes problèmes que vous ?
JH : Oui, ceux qui veulent réaliser de bons films. Il faut qu’ils courent beaucoup pour obtenir un rendez-vous. Nous souffrons de discrimination et la crédibilité ne dépend plus de l’art mais des liens et des relations.
ShS : Cette discrimination dont vous parlez existait-elle avant ou est-elle le propre de cette période historique ?
JH : Cela a toujours existé. Mais aujourd’hui, c’est devenu plus visible parce que le nombre des réalisateurs et des producteurs a beaucoup augmenté. Chaque année, nous avons entre vingt et trente nouveaux réalisateurs dans ce secteur. Dans dix ans, 200 réalisateurs peuvent nous rejoindre parmi lesquels uniquement trois ou quatre peuvent rester. Nous sommes ravis que les jeunes viennent vers ce métier mais ceux qui ne sont pas compétents s’en vont après avoir réalisé deux ou trois films. Dans la plupart de mes films, j’ai eu de jeunes acteurs. C’est une question de soutien et c’est important. Mais pourquoi le réalisateur qui ne connaît pas le métier se permet-il de faire des films ? Pourquoi veut-il être un réalisateur alors qu’il peut être un bon opérateur de son ? Cela est dangereux pour le cinéma.
ShS : En dehors des milieux du cinéma, y a-t-il des sociétés qui investissent dans les films du secteur privé ?
JH : Cela dépend aussi des relations. Les sponsors veulent aussi leur part des revenus d’un film. Nous avons besoin de directeurs cinématographiques qui gèrent ce type d’investissement sans personnellement demander leur part. Un artiste véritable veut travailler pour la société sans entrer dans ce type de négociations.
ShS : Que pensez-vous du marché informel du film en Iran ? Avez-vous des témoignages à ce sujet ?
JH : Ce sont souvent les sites internet qui mettent les films en ligne et favorisent le téléchargement illégal.
ShS : En avez-vous été victime pour vos films ?
JH : Oui, mon film Gisou-ye borid-e man (Ma chevelure coupée) était passé en salle et les chaînes satellites ont commencé à le diffuser. Je ne sais même pas comment le film avait été copié et comment les pirates avaient eu accès à ce film. Ce film n’était pas encore entré sur le marché des vidéos et se trouvait déjà sur tous les sites internet ! Les producteurs perdent ainsi tous leurs revenus. C’est la faillite.
ShS : Finalement - et ce sera votre dernier mot - que demandez-vous ?
JH : Un regard équitable et une critique juste des artistes, un regard sur les artistes du cinéma iranien, indépendant des questions et des partis politiques.
ShS : La Revue de Téhéran vous remercie pour cet entretien.
[1] Il s’agit d’une catégorie de films prétendus élitistes, encouragée par l’État qui pensait qu’ils se vendraient bien en raison des valeurs culturelles qu’ils véhiculaient.