N° 139, juin 2017

Les vedettes françaises du
Salon international de l’auto de Téhéran


Babak Ershadi


Pour la première fois depuis onze ans, le Salon international de l’auto de Téhéran a rouvert ses portes, du 14 au 18 février 2017. Les grands constructeurs automobiles européens et asiatiques ont pris part à cette exposition. Cette année, l’importance de cet événement réside dans le fait qu’après l’application, depuis janvier 2016, des accords sur le nucléaire iranien entre Téhéran et le G5+1, les sanctions qui avaient été imposées injustement à l’économie iranienne ont été levées, d’où une ouverture dans le domaine des partenariats entre des constructeurs iraniens d’automobiles et leurs confrères étrangers.

Les grands groupes français comme PSA et Renault étaient en quelque sorte les vedettes du Salon de l’auto de Téhéran, étant donné leur présence active dans l’industrie automobile iranienne et la conclusion de nouveaux contrats de partenariat avec les constructeurs automobiles iraniens en 2016, dès la levée des sanctions.

Affiche du Salon international de l’auto de Téhéran

Pour l’industrie automobile de la France, l’Iran est un partenaire historique. Citroën fabriquait, avec la société iranienne SAIPA (fondée en 1965 avec la participation de Citroën), la Jyane, c’est-à-dire la Dyane (une dérivée de la 2CV) dès 1968. Le Groupe PSA (Peugeot, Citroën, DS) a racheté, en 1978, Chrysler Europe dont une branche britannique avait établi dans les années 1960 une plate-forme de production très importante avec la compagnie Iran Khodro pour fabriquer la légendaire Paykan (une berline Hillmann Hunter). Ainsi, PSA était un grand partenaire de l’industrie automobile iranienne, avant même que les Peugeot 405 et 206 soient produites en Iran dans les années 1990 et 2000.

La Peugeot 405 a été introduite chez Iran Khodro en 1991. Elle a pris peu à peu la place de la Peykan dans le cœur des Iraniens, surtout du fait qu’elle est spacieuse et facilement réparable. En 2001, Iran Khodro a commencé la production de la Peugeot 206. Cinq ans plus tard, la compagnie iranienne en a lancé une nouvelle version break, plus adaptée à la demande locale. Avec la Kia Pride (elle aussi de fabrication locale), ces deux Peugeot iraniennes deviennent les voitures les plus populaires du pays. En même temps, Citroën Xantia est brièvement produite chez SAIPA dans les années 2000.

Photos : Salon international de l’auto de Téhéran

La construction automobile a connu, en février 2017, une augmentation d’environ 40% sur une période de onze mois à partir du 21 mars 2016 par rapport à la même période de l’année précédente. L’annonce a été faite par Mansour Moazzami, président du Conseil d’administration de l’Organisation pour le développement industriel et la rénovation, qui est l’organe de gestion du ministère iranien de l’Industrie, des Mines et du Commerce, chargé du management et de l’investissement dans divers domaines industriels. Pendant l’année iranienne 1395 (20 mars 2016-20 mars 2017), la production totale d’automobiles de l’Iran pourrait atteindre 1 300 000 unités.

Avec une population de plus de 80 millions d’habitants, l’Iran est le plus grand marché automobile du Moyen-Orient. L’industrie automobile nationale est considérée comme le plus important secteur non pétrolier du pays, dont les revenus représentent près de 10% du produit intérieur brut (PIB). Les fabricants iraniens sont nombreux et ont produit 1 600 000 automobiles en 2011, près de la moitié d’entre elles ayant été fabriquées par le géant constructeur Iran Khodro. Cependant, la production iranienne d’automobiles a connu une baisse considérable en 2012, en retombant à près de 800 000 unités, en raison du durcissement des sanctions imposées au pays sous prétexte du développement du programme nucléaire non-militaire de l’Iran. Les sanctions ont été levées en janvier 2016, suite à la signature d’un accord nucléaire historique entre Téhéran et le G5+1.

Cet accord (Plan d’action global conjoint- JCPOA), signé le 14 juillet 2015 à Vienne, permet aux investisseurs étrangers de renouer leur partenariat avec l’industrie automobile iranienne après les interdictions imposées en 2012, qui les avaient contraints de suspendre leurs activités en Iran. Les partenaires étrangers des constructeurs automobiles iraniens considèrent cette opportunité comme une « occasion en or » pour entrer dans le marché national de l’Iran. Néanmoins, cette fois-ci, le ministère l’Industrie, des Mines et du Commerce a souligné que les entreprises étrangères qui bénéficieront d’un partenariat en Iran devront changer de stratégie par rapport au passé, pour agir de sorte que leurs plans d’investissements ne se limitent pas à de simples exportations de leurs produits finis vers l’Iran, mais comprennent aussi des transferts de technologie ainsi qu’un savoir-faire technique et de gestion pour coopérer avec les industries locales dans le domaine de la production des pièces et de l’exportation conjointe des produits vers le marché d’autres pays de la région.

Au premier jour du Salon de l’auto de Téhéran, le PDG d’Iran Khodro, Hâshem Yekkeh-Zâre’, a annoncé que le premier projet conjoint de son entreprise avec Peugeot concernait la production de la SUV [1] « Peugeot 2008 », qui sera lancé sur le marché iranien à partir de mai 2017. Selon d’autres accords conclus entre Iran Khodro et PSA, les Peugeot 301 et 208 seront produites en Iran avant 2018.

Le gouvernement iranien exige que les partenaires français s’engagent à ce qu’au moins 30% des productions conjointes en Iran soient exportées vers les pays voisins. Les deux parties se sont déjà mises d’accord sur un ensemble de marchés voisins : le Caucase (Géorgie, Arménie, République d’Azerbaïdjan), et l’Asie centrale (Ouzbékistan, Turkménistan, etc.). Pour garantir la réalisation d’un tel projet, la qualité de la production iranienne doit être irréprochable.

L’atout principal de l’industrie automobile en Iran est l’existence d’un grand marché national. Selon les dernières statistiques, il y a 200 voitures pour 1000 habitants, chiffre qui est supérieur à la moyenne mondiale (160 voitures pour 1000 habitants). Mais ce qui attire aussi les constructeurs est que l’ensemble des véhicules actuellement utilisés dans le pays a plus ou moins vieilli, et que les véhicules importés de l’étranger sont frappés par des droits de douane qui s’élèvent à près de 55% du prix du véhicule. Ceci dit, les voitures importées représentent moins de 10% des véhicules utilisés en Iran. Ces mesures ont été prises depuis longtemps pour encourager la fabrication d’automobiles à l’intérieur du pays.

 

La marque au Lion

 

Le 13 février 2017, à la veille de l’ouverture du Salon de l’auto de Téhéran, le Groupe PSA a annoncé qu’il poursuivait son projet d’investir dans l’industrie automobile iranienne malgré la rhétorique hostile de la nouvelle administration américaine du président Donald Trump. Le patron de la zone Afrique-Moyen-Orient de PSA, Jean-Christophe Quémard, a même affirmé que la position américaine pourrait jouer à l’avantage du partenariat irano-français, puisqu’elle risque d’écarter les entreprises liées à des actionnaires américains.

Peugeot, membre du Groupe PSA, a signé un accord d’une valeur de 400 millions d’euros avec le principal acteur de l’industrie automobile iranienne, Iran Khodro, en 2016 pour la production conjointe de 200 000 voitures par an.

La production iranienne de la Peugeot 2008 a déjà commencé, et elle marque le grand retour de Peugeot en Iran après la rupture de 2012 sous la pression du constructeur américain GM, allié financier du Groupe PSA à l’époque pendant une courte période. L’Iran produit depuis assez longtemps les Peugeot 405 et 206, deux grands succès des années 1980 et 2000. En ce qui concerne la Peugeot 2008, les deux parties iranienne et française envisagent la production de 15 000 unités pour la première année. La 301 devra devenir une voiture populaire en Iran, car elle est destinée à remplacer la 405 iranienne. Et enfin, la 208 devra pratiquement prendre la place de la 206 iranienne, elle aussi très populaire dans le pays.

Les nouveaux contrats signés par Iran Khodro et le Groupe PSA seront exécutés dans le cadre d’une co-entreprise détenue à 50-50. Un investissement de 400 millions d’euros a été envisagé. Selon les sources proches du dossier, une grande partie de ces investissements a déjà été effectuée. En octobre 2016, le président du Groupe PSA, Carlos Tavares, s’est déplacé à Téhéran pour signer un autre contrat qui prévoyait le retour de Citroën en Iran. La partie iranienne de ce contrat n’est pas Iran Khodro, mais l’autre grand constructeur automobile iranien SAIPA. Le groupe SAIPA a ouvert de nouvelles usines à Kâshân, à 250 km au sud de Téhéran. Les usines SAIPA-Kâshân seront remises à Citroën dans le cadre d’un joint-venture irano-français à 50-50. Les investissements communs de PSA et de SAIPA s’élèvent à 300 millions d’euros. Le site de Kâshân constitue l’essentiel de la part de SAIPA, tandis que le groupe français y fournira surtout la machinerie. Les deux constructeurs iranien et français prévoient une capacité de production annuelle qui devra atteindre les 150 000 unités vers 2021, la capacité nominale du site de Kâshân étant de 230 000 unités par an. En ce qui concerne la marque Citroën, trois modèles sont envisagés pour être produits en Iran, mais pour le moment, aucune précision n’a été donnée.

Il faut souligner que les négociations entre le Groupe PSA et les constructeurs iraniens Iran Khodro et SAIPA n’ont pas été faciles. En effet, le Parlement iranien est intervenu pour demander que le groupe français paye des indemnités à ses partenaires iraniens en raison de son départ soudain en 2012 après le durcissement des sanctions américaines. Dans le cadre des nouveaux contrats, les deux parties ont longuement discuté de ce problème. Finalement, le ministère iranien de l’Industrie, des Mines et du Commerce a annoncé que PSA s’était engagé à dédommager ses partenaires iraniens qui ont subi d’importantes pertes en raison du retrait du groupe français et le gel de la livraison des pièces détachées pendant plusieurs années. Cependant, les termes des nouveaux contrats étant confidentiels, on ne connaît ni le montant ni les modalités du dédommagement.

Un autre problème, cependant résolu dans le cadre des nouveaux contrats, est que les questions liées au circuit financier restent assez compliquées. Les banques françaises n’opèrent pas en Iran, ce qui signifie que les investisseurs français collaboreront avec celles du pays. Mais la détermination de la partie iranienne et les bonnes conditions du travail en Iran ont fait disparaître les hésitations. En réalité, les atouts de l’Iran sont énormes. En Iran, les frais salariaux seront certainement plus élevés que ceux qui ont été évalués pour les nouvelles usines de PSA au Maroc, mais la qualité de la main-d’œuvre iranienne et les infrastructures dont bénéficiera le projet sont particulièrement encourageantes. Récemment, Yann Martin, directeur des projets communs de PSA avec le groupe iranien SAIPA, a annoncé que le niveau d’éducation était élevé en Iran, ce qui constituait un terrain favorable pour commencer les projets avec une main-d’œuvre locale qui a l’avantage d’être « extrêmement bien formée » [2], selon les termes de M. Martin.

L’ambition de PSA est grande, car le groupe français sait qu’il est partenaire du plus grand constructeur iranien qui détient, à lui seul, près de la moitié du marché iranien. Les responsables de PSA souhaitent pouvoir s’attribuer entre 30 et 40% du marché intérieur de l’Iran seulement avec la marque Peugeot, en comptant sur ces nouveaux partenariats avec Iran Khodro (2008, 301, 208, …) mais en s’appuyant également sur les anciens modèles déjà fabriqués (405 et 206).

 

La marque au Losange

 

Renault est un allié de longue date de l’industrie automobile iranienne. La participation de la marque au Losange remonte aux années 1970 et 1980, avec la production iranienne de la Renault 5. Dans les années 2000, Renault a collaboré avec les deux grands constructeurs iraniens, Iran Khodro et SAIPA, pour lancer la Dacia Logan, rebaptisée « Tondar 90 ». En février 2016, Renault a entamé une coopération avec la firme iranienne Renault-Pars pour produire la Dacia Sandro (première génération). En septembre 2016, Renault a réussi à signer un accord destiné à créer un joint-venture avec l’Organisation pour le Développement Industriel et la Rénovation (IDRO). Cette fois-ci, l’Etat a autorisé la partie française à être majoritaire. Ceci permettra l’augmentation de la capacité de production iranienne de Renault-Pars à 150 000 unités par an, sans compter sa capacité actuelle de 200 000 unités. Les constructeurs iraniens et français lanceront à partir de 2018 deux autres modèles de la marque au Losange : la Symbol (deuxième génération), et le 4x4 Duster. L’originalité de Renault-Pars pour le marché iranien est que la marque française a décidé de construire avec ses partenaires iraniens une voiture à très bas prix. En effet, Renault-Pars espère que sa Kwid (pour le moment, fabriquée uniquement par Renault en Inde) pourra représenter près de 8% du marché.

 

    Notes

    [1Abréviation de l’anglais « sport utility vehicle », véhicule utilitaire sport.

    [2Les ambitions de l’industrie automobile iranienne, in : Bource Press, le 8 octobre 2016.


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