N° 141, août 2017

Les traductions françaises des
œuvres de Saadi


Khadidjeh Nâderi Beni


Saadi, qui compte parmi l’un des grands poètes populaires de la littérature persane, eut une certaine influence sur plusieurs poètes européens et plus particulièrement français dès le XVIIe siècle, jusqu’au milieu du XIXe siècle. Il est considéré comme le premier poète persan à acquérir une certaine popularité en Europe. En France, un bon nombre d’écrivains et de poètes lui réservent un accueil favorable ; chacun interprétant ses œuvres selon ses goûts et à sa propre manière dans les milieux littéraires français. La popularité de Saadi en Europe est dans un premier temps permise grâce aux traductions de ses œuvres en français. Dans cet article, nous allons donner un bref aperçu de ces traductions qui ont pu servir de source pour les écrivains et poètes romantiques, et plus particulièrement pour Victor Hugo.

Le jardin des roses. Traduction de Charles Defrémery. Illustrations de Lucy Boucher

En suivant une approche chronologique, on considère André Ryer (1580-1660) comme étant le premier traducteur des œuvres de Saadi. Orientaliste et envoyé en mission diplomatique, il est également considéré comme le traducteur du premier ouvrage littéraire persan en français. Il connaissait les langues turque, persane et arabe et en tant que traducteur à la cour de Louis XIII, il a traduit un bon nombre de textes orientaux en français. Durant sa présence en Iran et en Turquie, Ryer parvient à rassembler de nombreux manuscrits turcs et persans et à les ramener en France. Parmi ces textes, il découvre le manuscrit du Golestân de Saadi qu’il décide de traduire. La première édition de cette traduction fut publiée en 1634 sous le titre de Golestân ou Empire des Roses. Cependant, cette traduction n’est pas exhaustive puisque Du Ryer n’a traduit que 90 des 180 apologues (hekâyat) du Golestân ; en outre, il faut davantage parler d’adaptation que de traduction au sens strict du terme. Son importance réside néanmoins dans le fait qu’elle fait connaître aux Français ce chef-d’œuvre de la littérature persane. Du Ryer fait lui-même remarquer qu’en raison de ses rares qualités, ce livre mérite d’être diffusé parmi les Français et d’être lu par les grands écrivains occidentaux, qui commencent à l’époque à porter une attention particulière à la poésie persane. Cette date est donc considérée comme constituant un tournant dans l’histoire des échanges culturels entre l’Iran et les pays occidentaux. En France, certains grands écrivains s’inspirent des anecdotes du Golestân ; le cas le plus éloquent étant sans doute celui de Victor Hugo et d’autres écrivains de l’école romantique.

Boustan ou le Verger. Poème de Saadi Relié en 1979 par Barbier de Meynard

En 1704, D’Alègre (se présentant alors sous le pseudonyme "M") fait publier à Paris le Golestân ou Empire des Roses, traité des mœurs des rois, composé par Muslihodin Saadi. Ce livre comporte deux parties : la première contient la traduction partielle du Golestân, et la deuxième s’intitule Augmentations aux rois et aux kaliphes de Saadi, traité des auteurs arabes, turcs et persans. Selon les experts, la traduction de D’Alègre, qui est en realité une annexe, n’est qu’une reproduction pure et simple de la traduction de Du Ryer. En outre, elle ne comprend que le premier chapitre du Golestân. Cette publication remporte malgré cela un grand succès et est plusieurs fois rééditée de 1704 à 1737. Durant ces années, on voit également l’apparition d’une autre traduction du Golestân faite par l’abbé Jaques Gaudin, mais comportant de nombreuses erreurs et inexactitudes.

En 1762 est publiée une traduction fragmentaire anonyme du Golestân nommée Traditions orientales, ou la morale de Saadi, célèbre poète persan, extraite et recueillie de différentes histoires et bons mots du même auteur. Etant donné que ce livre renferme cinquante et une anecdotes, elle est, elle aussi, incomplète. En outre, ce livre comporte 83 pages dont 23 sont consacrées à des remarques du poète sur la vie et la pensée de Saadi. De façon générale, les traductions du Golestân effectuées au XVIIIe siècle sont imparfaites, et publiées pour la plupart par des traducteurs anonymes.

Au XIXe siècle, Saadi était assez connu des milieux littéraires français et ses ouvrages bien connus des orientalistes, des hommes de lettres mais aussi des Français épris de littérature orientale. Le développement de l’enseignement du persan en France rendait nécessaire l’existence de textes persans accompagnés de leur traduction en français ; et dans cet objectif, les textes les plus connus de Saadi fournissaient un matériau de premier choix. De ce fait, la traduction des ouvrages de ce poète fut de plus en plus l’objet d’attention des orientalistes et érudits français. Durant le XIXe siècle, on voit l’apparition de plusieurs traductions du Golestân et du Boustân et de ce fait, cette période est riche en traductions des ouvrages de Saadi en français. Parmi les traductions les plus importantes, on peut surtout citer les tentatives de Barbier, Meynard, Defrémery, Sylvestre de Sacy, Tancoigne et Sémelet.

En 1819, J. M. Tancoigne propose une nouvelle traduction du Golestân. Cependant, au commencement du livre, le traducteur fait une erreur grossière de chronologie en affirmant que « Saadi vivait dans le quatorzième siècle » ; erreur ensuite reprise par Victor Hugo. Selon les experts, cette traduction s’adresse davantage au public qu’aux érudits.

En 1834, Sémelet fait publier à Paris son Golestân ou le parterre de fleurs, accompagné d’un abondant commentaire historique. Au commencement du livre, on lit que la traduction est faite pour les personnes qui veulent étudier le persan ; il s’agit d’une traduction littérale qui n’est pas de nos jours acceptée. En fait, le traducteur cherche à respecter la "couleur locale" et de ce fait, on voit dans sa traduction un bon nombre d’expressions et de belles images traduites littéralement en français qui ne font pas réellement sens dans cet autre contexte.

Dans sa traduction définitive du Golestân publié en 1859 à Paris, Charles Defrémery (1822-1883) a évité de calquer les images et expressions du livre original. Toutefois, sa traduction considérée comme un modèle d’exactitude et de finesse, est assez fidèle. Dès la parution du livre, on voit l’augmentation de la popularité de ce grand poète de la littérature persane auprès des Français.

Les feuilles de Boustân de Saadi écrit à Boukhara en 1539. AD.
  1. B. Nicolas, diplomate et traducteur français, fait publier en 1869 une brochure de cinquante pages qui contient la préface du Boustân et une partie du livre premier. Grâce à ses missions officielles en Perse et sa pratique de la langue, il devint capable de traduire des textes littéraires à partir du persan vers le français, mais son travail resta inachevé en raison de sa mort prématurée. Il faut donc attendre 1880 pour voir apparaître la traduction la plus remarquable et la plus crédible du Boustân. Il s’agit de celle de Barbier de Meynard (1827-1908) qui parvient à rendre de façon à la fois belle et fidèle la version complète du Boustân en français.

Durant le XIXe siècle, un bon nombre de fragments de la poésie de Saadi paraissent dans les différentes revues ; de plus, en 1888, L. Piat fait publier à Montpellier la traduction du Golestân en langue provençale. Cet événement affirme la place de l’ouvrage de Saadi à la fois dans les milieux littéraires et auprès du grand public.

En conclusion, soulignons que les traductions de cette époque continuent toujours à être lues par les Français, et que des traducteurs plus contemporains ne semblent pas avoir ressenti la nécessité d’améliorer les traductions de Defrémery et Meynard.

Sources :


- Heydari, Mehdi, "Sa’di va ta’sir-e ou bar barkhi nevissandegân farânsavi" (Saadi et son influence sur certains écrivains et poètes français), publié in Pajouheshnâmeh-ye oloum-e ensâni (Revue des sciences humaines), no. 57.


- Khanyâbnejâd, Adel, Saadi et son œuvre dans la littérature française du XVIIe siècle à nos jours, thèse de doctorat, Université Sorbonne nouvelle-Paris 3, 2009.


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