N° 144, novembre 2017

Les potentialités et les défis de la cyber-formation en matière d’études islamiques en Afrique subsaharienne


Saeid Khânâbâdi


Prologue : Des cours des marabouts au pied des baobabs et des cours des sheikhs chics dans les salles virtuelles du Hi-Tech

 

Lorsqu’Ibn Batouta, le grand voyageur arabo-musulman, visite, au XIVe siècle, les régions subsahariennes de l’Afrique, il ne cesse d’admirer la qualité des écoles religieuses de ces pays et la motivation des peuples africains à l’égard de l’apprentissage des sciences islamiques. Depuis le temps des Marabouts traditionnels jusqu’à l’ère moderne et le lancement des projets de la télé-éducation coranique chez les communautés musulmanes d’Afrique, les habitants de ce continent font preuve d’un engouement croissant vis-à-vis des études théologiques. Les origines philosophiques et les caractéristiques psychologiques de cette quête de la religiosité à l’africaine, ont créé une singularité dans les conduites confessionnelles de ces communautés. Les questions de l’e-Learning et de l’enseignement à distance à travers les plateformes informatiques, sur le continent africain et surtout dans les régions subsahariennes, recèlent ainsi certaines particularités qui sont parfois négligées par les structures iraniennes actives dans ce domaine.

Cet article envisage d’aborder ces particularités en adoptant une vision dite pathologique afin d’offrir un profil plus réaliste et plus concret des potentialités de cyber-formation en matière de sciences islamiques en Afrique subsaharienne.

Les difficultés d’avoir accès à Internet pour une large partie des usagers de cette région, la nécessité d’élaborer des sources offline, l’importance accordée aux gadgets popularisés et aux nouveaux moyens de télécommunication comme le Podcast et la micro-diffusion grâce à Bluetooth, la considération de l’esprit socioculturel et linguistique des usagers africains dans la conception des cours virtuels, la localisation des données de base pour les sociétés cibles, apparaissent être les premières préoccupations au niveau des pédagogues des établissements iraniens, qui se donnent comme objectif de profiter des potentialités offertes par le cyberespace africain pour faire entendre les messages pacifiques et salvateurs du vrai Islam à l’encontre de ce chaos des médias occidentaux et des prédicateurs wahhabites. Cette recherche se voit donc comme un texte pragmatique ayant pour objectif d’évoquer les nécessités et les devoirs parfois oubliés de la cyber-formation dans le secteur des études islamiques en Afrique subsaharienne.

 

Université internationale Al-Mostafa

Introduction : historique d’une problématique et d’un problème historique

 

Depuis que les sciences modernes sont enseignées en Iran contemporain, nous nous sommes heurtés à une réception parfois inappropriée des nouvelles technologies et moyens de communication de la vie moderne. Expliquer les causes socio-culturelles de cette tendance chez les Iraniens au cours de ces deux derniers siècles dépasse les limites d’un tel article. Néanmoins, il est nécessaire d’évoquer cette problématique, du fait de son lien avec le sujet que nous allons traiter.

Depuis quelques années, nous sommes le témoin de la multiplication des universités et des écoles iraniennes actives dans le domaine de l’enseignement virtuel des études islamiques. Ainsi, même des organisations non gouvernementales et privées (les bureaux de certains grands Ayatollahs de Qom, par exemple) sont entrées dans ce secteur. Le but de tous ces établissements est certainement de faire connaître les principes de la foi islamique, un but en soi louable. Cependant, en adoptant un regard plus critique, nous constatons malheureusement l’existence d’un manque de professionnalisme dans ce domaine. La question des études religieuses, leur dimension pédagogique actuelle, et leur rapport avec la discipline de la communication sont aujourd’hui le sujet de nombreuses recherches académiques au sein de grandes universités internationales. Chaque année, nous découvrons de multiples ateliers et séminaires organisés ou plusieurs livres et magazines publiés afin de répondre à ce besoin croissant dans les milieux chrétiens et musulmans. Bien que la majorité de ces efforts scientifiques soit focalisée sur les activités des centres chrétiens, le résultat final est applicable aux autres confessions, car les méthodes et les mécanismes traités sont, en grande partie, ceux utilisés dans les centres religieux iraniens. De même, le public destinataire est aussi similaire, et touche surtout des personnes vivant sur les continents africain, sud-américain et asiatique.

C’est dans ce contexte que le présent article vise à aborder quelques points essentiels sur ces centres islamiques iraniens actifs dans le cyberespace du continent africain en général, et dans les zones subsahariennes en particulier.

Concernant notre méthodologie, la nature brève et concise de cet article ne nous permet pas d’avoir un corpus élargi et colossal ; nous nous limiterons dès lors ici à des observations in situ, complétées par des entrevues avec des prédicateurs iraniens et étrangers dans lesdites régions et enfin par des sources disponibles sur Internet, en vue de former la base scientifique de notre recherche. Au niveau des sources livresques, il faut néanmoins constater le faible nombre des corpus en Iran, du moins dans la section francophone.

 

Potentialités de l’éducation islamique à travers les cours virtuels
L’élargissement de la couverture géographique

 

Si l’on prend l’université internationale Al-Mostafa comme un exemple réussi de centre religieux iranien actif dans le secteur de l’éducation islamique au-delà des frontières nationales, nous constatons que, d’après sa communication officielle, cet établissement accueille actuellement des étudiants issus de 60 pays étrangers. Mais, on peut considérer ce chiffre déjà remarquable d’un autre point de vue : cela signifie aussi que cette université n’a pas de présence physique ni intellectuelle dans presque 140 pays du monde. Certes, il n’est pas possible, même pour les plus grandes universités prospères des pays développés, de couvrir physiquement l’ensemble des zones géographiques des cinq continents. Mais la cyber-formation et les modèles d’Open University (Université pour tous) permettent de doter les universités internationales de moyens d’élargir leurs zones d’influence de façon croissante.

 

La présence intellectuelle de l’Iran en Afrique subsaharienne

 

L’Iran dispose d’un long arrière-plan intellectuel et confessionnel sur le continent africain. En Afrique de l’Est, les grands ports sont, depuis très longue date, fréquentés par les marchands musulmans arabo-persans. En Afrique de l’Ouest, les écoles confessionnelles et gnostiques comme la Ghâderiyeh (surtout au Sénégal) s’inspirent des idées de l’Iranien Abdolghâder Guilâni, ou encore la confrérie Mouridiyyeh fondant ses principes philosophiques sur la pensée de l’Iranien Emâm Mohammad Ghazali. Même dans le lexique du wolof, la langue autochtone parlée largement en Afrique de l’Ouest, on rencontre plusieurs mots d’origine persane. Les éléments attestant la présence intellectuelle de la culture iranienne dans cette région sont abondants. Le cyberespace africain dans ces régions a donc déjà cette base philosophique originairement en contact avec les centres scientifiques iraniens. Nous observons aussi que même parfois dans les villages très éloignés des grandes villes, les gens de diverses couches sociales apposent les portraits de l’Imam Khomeiny ou ceux du Guide suprême de la Révolution Islamique aux murs de leurs maisons.

Siège de l’Université virtuelle Al-Mostafa

 

Causes financières

 

Eu égard aux limites budgétaires des universités islamiques iraniennes comparées par exemple aux universités saoudiennes, réunir des financements nécessaires pour renforcer une présence internationale paraît être l’un des principaux enjeux pour les directeurs de ces universités ainsi que leurs sponsors étatiques et privés. La possibilité de réaliser des économies est l’un des premiers apports de la cyber-formation en matière d’études islamiques : elle permet ainsi de réduire le recours aux ressources humaines ou de s’appuyer sur des volontaires locaux qui s’engagent parfois dans ces types d’activités, selon un mode de fonctionnement similaire aux centres chrétiens. L’autre apport financier, de premier plan, est l’exonération de taxes des établissements virtuels dans certains pays où la fondation des universités réelles coûte très cher au niveau des frais fiscaux et douaniers.

 

La question des donateurs

 

Dans la majorité des pays voisins, une part importante des dépenses financières des écoles religieuses est fournie par les sources privées et non gouvernementales. Les universités virtuelles ont cette possibilité de capter, plus largement, les dons bénévoles des communautés chiites des différents pays (surtout les fonds libanais et koweïtiens) pour améliorer leurs services didactiques. Les moyens offerts par le commerce numérique peuvent présenter un atout pour ces universités, surtout dans le cas où les transactions bancaires à l’échelle internationale sont presque impossibles pour les acteurs iraniens impliqués.

Les défis majeurs de la formation à distance sur l’islam en Afrique subsaharienne

 

Nous abordons ici les défis spécifiques à notre région d’étude, sans aborder les critiques plus générales au sujet des systèmes de l’éducation à distance.

 

L’accès à Internet

 

L’Afrique est un continent en plein essor informatique et médiatique. Les grandes sociétés de télécommunication ont largement investi dans ces secteurs, et les indices du développement infrastructurel dans ce domaine révèlent des chiffres surprenants. Mais cela ne doit pas cacher les manques et défis des pays africains dans le domaine de l’accès à Internet. Dès lors, il est nécessaire d’être prudent concernant la mise en place de plateformes informatiques et de cyber-formations dans ces pays dont les habitants n’ont pas la possibilité financière ou technique de se connecter facilement au cyberespace.

Une solution consiste à exploiter le potentiel des alternatives télé-communicatives. Les populations de ces pays ont ainsi tendance à diffuser les médias de leurs téléphones portables à travers Bluetooth et le Podcast. Il est donc possible de les utiliser pour diffuser des fichiers de leçons audio ou vidéo. Une autre solution consiste à mettre à disposition des sources hors ligne. Ainsi, certains sites iraniens ont déjà inauguré des médiathèques offline dans leurs banques de données. Depuis quelques années, des sites iraniens comme Tebyan ont aussi donné à leurs abonnés la possibilité de se connecter aux messageries de ces sites, en profitant d’un accès gratuit à Internet.

 

Siège de l’Université virtuelle Al-Mostafa

Les langues autochtones de l’Afrique subsaharienne

 

En ce qui concerne la langue des matières didactiques destinées aux usagers africains, le travail se divise en plusieurs groupes linguistiques. L’anglais, le français, à côté du portugais et de l’espagnol sont les langues officielles des pays de l’Afrique subsaharienne (sans évoquer l’arabe qui occupe un statut singulier dans les études islamiques). Ces langues sont majoritairement utilisées dans les cyber-formations des universités religieuses iraniennes. Néanmoins, une prise en compte des langues et dialectes locaux, largement utilisés, s’avère nécessaire. Prenons l’exemple de Sheikh Zakzaki, fondateur du Mouvement islamique au Nigeria et figure bien connue en Iran. La langue officielle de la République fédérale du Nigéria est l’anglais, mais dans ses discours, Sheikh Zakzaki a toujours l’habitude de s’exprimer dans la langue autochtone Gbagyi de la localité Zaria. Il en va de même pour les prédicateurs des autres pays de l’Afrique subsaharienne. Même chez les leaders des mouvements salafistes, une grande importance est accordée aux langues indigènes. Cela est notamment dû au fait que les habitants de ces pays anciennement colonisés considèrent l’usage des langues locales comme un retour vers leurs origines panafricaines. On observe même que dans leurs allocutions adressées à leurs compatriotes, les anciens élèves des écoles religieuses d’Al-Mostafa préfèrent utiliser les langues locales en lieu et place des langues officielles dans lesquelles ils ont fait leurs études. Cela entraîne immanquablement des difficultés pour trouver des équivalents précis et justes pour les termes spécifiques de la terminologie chiite. Dès lors, dans la préparation des sources pour les plateformes informatiques du système du E-learning, les universités religieuses d’Iran doivent s’efforcer de mettre en place des cours directement dans les langues autochtones pour couvrir un public plus vaste, mais aussi pour répondre à un certain sentiment anticolonialiste dans certaines régions de l’Afrique subsaharienne, où les populations sympathisent plus facilement avec les prédicateurs qui s’expriment en langues locales qu’européennes.

 

En guise de conclusion

 

La nécessité d’investir dans le domaine de la formation à distance en matière d’études islamiques, est une nécessité évidente pour les universités islamiques d’Iran. Mais cela nécessite une préparation attentive et adaptée au contexte local. Il nous semble fondamental de prendre en compte les spécificités techniques, géopolitiques et culturelles des pays cibles en vue d’atteindre des résultats optimaux et de contribuer à la formation des futurs prédicateurs africains du message de l’islam.

Sources :


- http://fr.miu.ac.ir/, Site francophone de l’Université internationale Al-Mostafa


- http://www.elearning-africa.com/fra/index.php, Site de la douzième conférence internationale sur les TIC appliquées au développement, à l’enseignement et à la formation sur le continent africain


- http://cscc.scu.edu/trends/v25/v25_1.pdf, Religion and the Internet, Heidi Campbell, Communication Research Trends, California


- http://www.brill.com/journal-religion-africa, Journal of Religion in Africa


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