N° 144, novembre 2017

La région rurale de Shaft au Guilân


Babak Ershadi


Photos : village de Shaft, province du Guilân

Shaft est le département le plus « rural » de la province du Guilân. Les villages sont nombreux et sont tous entourés par des rizières et des vergers, avec de beaux paysages forestiers et montagneux. Avec une superficie de 681,3 km², le département de Shaft comprend plus de 71 000 habitants (recensement national de 2011), ce qui signifie une densité de population de plus de 104 habitants/km², chiffre inférieur à la densité moyenne de la province du Guilân (177 h/km²) dont la population s’élève à plus de 2 481 000 personnes (recensement de 2011).

Shaft, qui comptait 6533 habitants en 2011, et Ahmadsar Gourâb (2538 habitants en 2011) sont les deux villes du département, le reste de la population (plus de 61 000 habitants) se distribuant parmi les 91 villages du département.

La topographie définit les caractéristiques naturelles du département qui se divise assez nettement en trois zones distinctes : une plaine au nord dont l’altitude est inférieure à 100 mètres par rapport au niveau de la mer, des contreforts au centre avec une altitude de 100 à 500 mètres, et une zone montagneuse au sud (au-delà de 500 mètres) dont le sommet culmine à 1840 mètres. Le département est traversé par trois petites rivières : Siâh Mazgui, Tchoubar, Tchenâr Roudkhân.

La plaine du nord a un climat favorable et un sol de très bonne qualité pour la culture du riz. Presque toutes les terres de cette plaine sont consacrées à la riziculture inondée. Dans les contreforts du centre du département, les habitants s’occupent également de la culture du riz dans des rizières en terrasse, mais aussi d’arboriculture et d’élevage. Les montagnes du sud sont couvertes par des forêts de feuillus et de forêts tempérées hyrcaniennes de la mer Caspienne. La couche de terre qui couvre ces forêts a très peu d’épaisseur et est impropre à la culture.

Comme dans toutes les régions du centre et de l’ouest de la province du Guilân, les habitants autochtones du département de Shaft sont les Guilakis et les Taleshis. Les Guilakis vivent majoritairement dans la plaine septentrionale du département, tandis que la population tâleshi est plutôt concentrée sur les contreforts et les vallées de la zone montagneuse du sud.

Autrefois, la région de Shaft était située à l’extrémité orientale du territoire des Kâdousiens, au voisinage des Amardes. [1] « Les Kâdousiens vivaient dans le Guilân et les Tapouri dans le Mâzandarân. Les Amardes (ou Mardes) vivaient aux confins des territoires de ces deux peuples. » [2] Cette région était un foyer important de peuplement à l’âge de fer avant même l’arrivée des tribus aryennes sur le plateau iranien. Les archéologues ont retrouvé des traces de ces civilisations anciennes dans différentes zones de la province du Guilân.

Les habitants autochtones de Shaft seraient sans doute les descendants des Kâdousiens et des Amardes qui habitaient le Guilân il y a trois mille ans. Le mot « Shaft », dont l’origine et la signification nous restent encore inconnues, est utilisé dans les documents écrits depuis au moins huit siècles, alors que les vestiges des peuplements anciens au pied des montagnes de la région datent au moins d’il y a trois mille ans.

Pendant les périodes médique et achéménide (les deux premières dynasties antiques des Aryens en Iran), les Kâdousiens et les Amardes ne se soumirent jamais à l’autorité des Aryens et restèrent indépendants dans leur isolement du reste du plateau iranien. D’après les recherches archéologiques, les anciens habitants du Guilân furent polythéistes jusqu’au Ve siècle av. J.-C., c’est-à-dire au début de l’établissement de l’empire achéménide, et ils ignoraient le monothéisme mazdéen. Les habitants du Guilân connurent le zoroastrisme tardivement, sous le règne des empereurs sassanides (224-651 de notre ère). Sous l’empereur Kavadh Ier (Qobâd, en persan) qui régna de 488 à 496, puis de 499 à 531, une partie de la population du Guilân se convertit au mazdakisme, un mouvement de réformes religieuses et sociales en dissidence vis-à-vis du zoroastrisme et de l’ordre établi. Quand le fils de Kavadh, Khosro Ier (531-579), prit le pouvoir, il envoya ses troupes au Guilân et massacra les mazdakites.

Après la chute de l’empire sassanide, les premières troupes musulmanes arrivèrent au Guilân vers l’an 96 de l’Hégire (715 de l’ère chrétienne). L’islamisation du Guilân commença sous le calife abbasside, Haroun al-Rashid (786-809), avec la propagation du zaydisme, une branche du chiisme. Plus tard, la majorité des habitants se convertit au sunnisme hanbalite, mais les chiites zaydites, ismaéliens et duodécimains furent également nombreux. Aujourd’hui, la totalité des habitants du département de Shaft est chiite, le chiisme duodécimain s’étant propagé parmi la grande majorité des habitants du Guilân depuis le règne du roi safavide Shah Abbas Ier (1588-1629).

Les agriculteurs de Shaft sont essentiellement riziculteurs. La plus grande partie des terres agricoles du département est consacrée à la riziculture inondée, étant donné l’accès facile aux ressources en eau dans la province du Guilân qui a le taux de précipitations atmosphériques le plus élevé d’Iran, avec une moyenne annuelle de 960 mm. Les habitants travaillent aussi dans l’arboriculture et les plantations de thé. L’élevage traditionnel du bétail, l’aviculture, la pisciculture, l’apiculture et la sériciculture constituent d’autres sources de revenus pour les habitants de ce département rural du Guilân, sans oublier la production des plantes potagères, des plantes décoratives et des fruits secs, ainsi que l’artisanat rural.

La citadelle de Roudkhân [3], située dans le département voisin de Foumane, et le musée du Patrimoine rural du Guilân [4], situé dans le parc forestier de Sarâvân, sont sans doute les hauts lieux touristiques de cette partie de la province du Guilân. Mais il faut souligner que le département de Shaft a bien plus à offrir aux touristes : la beauté exceptionnelle des paysages naturels et champêtres, les forêts, les montagnes et les étangs magnifiques, les cascades… et surtout le village d’Imâmzâdeh Ibrâhim.

Imâmzâdeh Ibrâhim

Le village se trouve à 23 kilomètres au sud-est de Shaft et à 57 kilomètres de Rasht, capitale du Guilân. Le village tire son nom du mausolée de l’Imâmzâdeh Ibrâhim, un descendant de l’Imâm Moussâ al-Kâzem, septième Imâm des chiites. Situé dans les montagnes forestières les plus élevées de Shaft, ce village a un climat très agréable pendant la saison chaude. Le chemin qui mène à l’Imâmzâdeh Ibrahim passe par les rizières et les montagnes forestières, et offre les plus beaux paysages verdoyants parsemés de maisons de campagne. Une fois arrivés à l’Imâmzâdeh Ibrâhim, les visiteurs découvrent un petit village de toutes les couleurs, formé autour du mausolée qui est l’un des lieux de pèlerinage les plus vénérés de la province du Guilân.

Il faut également évoquer un produit laitier exceptionnel du département de Shaft : le fromage de Siâhmazgui. Siâhmazgui est le nom d’une zone rurale, sur la route de l’Imâmzâdeh Ibrâhim. Les éleveurs de moutons produisent un fromage traditionnel qui n’a rien d’industriel. Le fromage de Siâhmazgui est un véritable fromage fermier artisanal, car il est produit par chaque famille à partir de lait cru de brebis. Il s’agit donc d’un fromage au goût puissant, héritage d’un savoir-faire traditionnel et d’un terroir particulier.

Rivière de Tchenâr Roudkhân

Plus le délai entre la traite des brebis et la transformation est court, meilleur est le fromage. C’est exactement ce qui se passe dans la production du fromage de Siâhmazgui. Les paysans traient les brebis entre 11h et 12h au printemps, et entre 13h et 14h en été. Le lait cru est aussitôt filtré. On y ajoute de la présure de brebis et un peu d’eau alors que le lait est encore « chaud ». La fermentation est assez rapide. La matière fermentée est exposée ensuite à la chaleur d’un four pendant 10 ou 15 minutes. Il faut extraire ensuite une partie de l’eau contenue dans cette « pâte » pour que le produit soit plus concentré et plus facile à conserver. Le fromage frais est ensuite salé, et il faut le conserver pendant près de six mois dans des entrepôts. Le fromage de Siâhmazgui n’est actuellement produit que par une centaine de familles de la région, les quantités sont donc limitées et dépassent à peine cinq tonnes par an, avec une baisse de production ces dernières années. Il est très apprécié dans la province du Guilân et très prisé par les touristes et les connaisseurs. Les éleveurs vendent parfois leur fromage non salé pendant le printemps et l’été, mais la vente est faible étant donné que le Siâhmazgui frais n’est pas aussi bon que le Siâhmazgui « âgé » et salé. Le meilleur Siâsmazgui est jaune et gras. La demande pour ce type de fromage est très élevée par rapport à son offre limitée, d’où la montée des prix du Siâhmazgui qui compte parmi les fromages traditionnels les plus chers de l’Iran.

    Notes

    [1Khal’Atbari, Mohammad Rezâ, "Le Tâlesh : berceau de la civilisation « Kâdous »", traduit par Ershadi Babak, in : La Revue de Téhéran, n° 58, septembre 2010, accessible à : http://www.teheran.ir/spip.php?article1256#gsc.tab=0

    [2Ibid.

    [3Sadough, Hodâ, "La citadelle de Roudkhân", in : La Revue de Téhéran, n° 30, mai 2008, accessible à : http://www.teheran.ir/spip.php?article688#gsc.tab=0

    [4Ferreira, Mireille, "Le musée du patrimoine rural du Guilân", in : La Revue de Téhéran, n° 32, juillet 2008, accessible à : "http://www.teheran.ir/spip.php?article740#gsc.tab=0


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