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L’évolution de la condition des
femmes afghanes après 2001 :
l’impact de la mobilisation
de la nouvelle generation
La génération des femmes afghanes qui ont entre 25 ans et 35 ans aujourd’hui joue un rôle important dans l’évolution de la condition féminine en Afghanistan, en particulier depuis les événements de 2001 et la disparition du régime des Talibans.
Les femmes afghanes sous les Talibans étaient astreintes au strict respect des règles imposées par l’Emirat islamique des Talibans. Elles ne pouvaient pas sortir de leur maison sans être accompagnées d’un homme appartenant à leur environnement familial proche. L’éducation et les activités sociales leur étaient interdites ; seuls les hommes recevaient une éducation religieuse [1].
Depuis 2001, une nouvelle génération de femmes émerge et se montre active sur les scènes sociale, politique et économique. Elle porte un regard différent sur la condition féminine et sur le rôle qu’elles peuvent jouer dans la vie sociale et politique. Elle milite au niveau national et international [2] sur ces sujets.
Aujourd’hui, à Kaboul et dans les autres grandes villes, les femmes sont très actives et elles sortent de leur maison pour travailler, pour poursuivre leurs études ou participer à des activités sociales. L’université de Kaboul est un exemple significatif : une grande majorité des étudiants de cette université sont des jeunes filles et, parmi celles-ci, beaucoup viennent des régions pauvres et excentrées du pays.
La nouvelle génération de femmes, apparue après la chute des Talibans, se mobilise afin d’améliorer la condition féminine, aidée dans ce combat par des organisations internationales et des militants internationaux.
Mais d’où vient cette génération ? Quelle est son origine ? Comment milite-t-elle ?
Originaire de plusieurs ethnies et multiculturelle, elle s’est construite, dans les années 1990, sous l’influence de la guerre et des événements politiques subis dans le pays, de l’immigration et de l’éducation. La figure de Shahrzad Akbar permet de mieux connaître [3] la nature et l’importance de son rôle.
La nouvelle génération est née et a grandi dans une situation très particulière, marquée par la guerre, l’immigration et la pauvreté qui ont bouleversé les fragiles équilibres du pays. Mais elle a décidé d’affronter ces conditions difficiles et de se battre pour une évolution aussi bien dans la sphère privée que dans la vie sociale et économique et même sur la scène politique [4]. Malgré l’obstacle d’une immigration forcée et d’une situation financière précaire, elle a réussi à accomplir d’énormes progrès dans le domaine social, économique et politique.
Le parcours de Shahrzad Akbar est, de ce point de vue, exemplaire. Shahrzad Akbar anime l’association « Open Society Foundation ». Elle est titulaire d’une maîtrise en études du développement de l’université d’Oxford en Angleterre. Elle a travaillé pour de nombreuses organisations nationales et internationales pendant plusieurs années [5].
Shahrzad est née en 1987, dans la province de Jawzjân. Comme beaucoup d’autres enfants du pays, elle a passé ses premières années au milieu des balles et des bombardements : "Mon enfance était remplie de bombes."
[6], souligne-t-elle.
Malgré toutes les difficultés et les obstacles qui accompagnent la vie des femmes afghanes, Shahrzad a réussi à terminer ses études de troisième cycle dans une prestigieuse université. Elle compte parmi les premières filles afghanes à avoir obtenu une bourse de l’université d’Oxford.
Après son retour en Afghanistan, Shahrzad a fondé l’organisation intitulée « Afghanistan 1400 » avec quelques jeunes Afghanes. Elle et ses collègues de cette organisation ont énormément travaillé sur des sujets comme la réforme, l’évolution de l’espace politique, l’égalité des sexes et l’égalité d’accès à la croissance économique et au développement en Afghanistan.
Elle considère qu’elle a grandi dans un contexte où un récit patriarcal imprégnait la vision de l’histoire, la littérature, le cinéma, la biologie et la religion [7].
Elle indique à ce propos : « En tant que femme diplômée, comme beaucoup d’autres femmes et d’hommes, nous sommes enfermés dans les formes traditionnelles dévolues à la féminité ou à la masculinité. Moi, j’ai brisé ces codes et j’ai appris à ouvrir des portes et à me donner l’opportunité de travailler avec un revenu, avec des activités sociales. »
Réussir à entrer à l’université et se donner les moyens de changer de vie n’ont pas été faciles. Elle avait 11 ans lorsque le régime des Talibans interdit l’éducation des filles en Afghanistan. Pour cette raison notamment, la famille de Shahrzad a déménagé au Pakistan en 1999 [8].
Shahrzad Akbar souligne : « Nous étions dans une sorte de situation désespérée au Pakistan et inquiets pour notre avenir. Mais se réfugier au Pakistan était le prix à payer pour mon éducation. [9] »
Car Shahrzad et sa famille ont subi également le dénuement et la pauvreté en tant qu’immigrés. Les conditions difficiles des réfugiés au Pakistan ne se réduisaient pas au chômage. Elles comprenaient également le manque d’hygiène et l’impossibilité d’accéder à des soins médicaux et même à l’éducation. Mais cela n’a pas découragé Shahrzad [10].
En 2002, alors que Shahrzad avait quinze ans, elle est retournée en Afghanistan. Elle a terminé sa scolarité à Kaboul et elle a pu entrer à la Faculté des sciences sociales de l’université de Kaboul, après avoir été reçue au concours. Durant ses études, elle n’a jamais cessé d’être active et engagée dans les domaines des droits civils, des droits des femmes et de la société civile [11] :
"Dans le même temps, nous avons essayé de créer un mouvement étudiant à l’université de Kaboul car nous voulions que les étudiants bénéficient de leurs droits fondamentaux et puissent défendre ces droits", dit Akbar.
A la même époque, elle réussit à obtenir une bourse d’études pour les États-Unis. Un an plus tard, aux Etats-Unis, ses bonnes notes lui permettent d’intégrer le collège Smith où elle obtient son diplôme au département d’anthropologie [12].
Après avoir terminé son programme de Master, Shahrzad s’est engagée dans la vie professionnelle et le militantisme politique, en travaillant dans diverses institutions nationales et internationales. Elle y a acquis une solide expérience en participant notamment à une organisation chargée de superviser des élections transparentes en Afghanistan et en collaborant à l’organisation qui assurait la surveillance du scrutin, lors des élections présidentielles de 2009.
Ces élections, confrontées à de sérieux défis, étaient parmi les plus délicates qu’ait connues l’Afghanistan. Pour Akbar, l’expérience professionnelle acquise dans cette organisation a été l’opportunité de se familiariser avec les nombreux problèmes qui caractérisent la scène politique en Afghanistan.
Parallèlement, Shahrzad a travaillé à l’« Asia Foundation », une institution américaine. La fondation soutient activement la démocratie et les efforts du gouvernement en Afghanistan. En tant que chercheuse, elle a rédigé des rapports sur les élections et les enjeux de la démocratie en Afghanistan. Elle a également travaillé sur les activités de la Jirga [13]. Elle est porte-parole de l’Oxfam Institute et elle a publié un rapport sur la condition de la femme afghane [14].
Shahrzad Akbar déclare, ce qui résume bien ses convictions :
"Nous voulons tous que l’Afghanistan soit non seulement stable et prospère, mais aussi démocratique. Nous luttons pour l’égalité des sexes et l’égalité d’accès au développement économique. Nous voulons faire partie de cet espace politique actuel, nous voulons parler et attirer l’attention du public sur ces questions et nous voulons devenir un forum politique majeur. [15]"
En se mariant avec un homme qui n’appartient pas à sa tribu, elle a par ailleurs contribué à donner une autre image de la femme, d’indépendance et de modernité. Un tel mariage n’est en effet pas conforme à la tradition en Afghanistan, qui veut que les mariages se fassent au sein des ethnies et des tribus.
Ainsi Shahrzad Akbar, tant dans ses activités publiques que dans sa vie privée, représente bien les femmes éclairées de cette génération en donnant à voir, par contraste, la difficile condition sociale, économique et politique de la plupart des femmes. Conscientes d’avoir été longtemps une composante ignorée et soumise de la société, elles se mobilisent pour leurs droits. La violence qui leur est faite, en les maintenant dans l’incapacité d’exprimer leur potentialité en tant qu’être humain à part entière, leur est devenue intolérable. Et la nouvelle génération est beaucoup plus revendicatrice de sa liberté et des droits de l’homme. Elles demandent à être considérées comme des êtres humains et pas uniquement au travers du rôle de mère [16].
Un autre exemple de cette génération militante est Wassima Badghisi, connue par ses écrits et ses activités politiques.
Wassima Badghisi est née dans la province de Badghis, où elle va à l’école primaire. Son père décide ensuite d’envoyer ses enfants vivre à Herat afin de leur donner une meilleure éducation. Plus tard, la famille fut obligée de quitter l’Afghanistan pour l’Iran à cause des Talibans. La famille a choisi la ville de Machhad en Iran où Wassima a pu poursuivre ses études.
Elle a obtenu son baccalauréat en littérature et sciences humaines à Mashhad, en Iran. En 2002, après la chute des Talibans, Wassima et sa famille sont retournés à Herat où elle a pu intégrer la Faculté de Droit et de Sciences politiques de l’université de Herat. Etudiante brillante, elle obtient un poste d’enseignement dans son alma mater, où elle enseigne pendant cinq ans. Elle continue ensuite ses études à l’université de Washington, puis elle retourne à Herat pour se lancer dans la vie politique.
Les femmes de la génération actuelle refusent de se voir assigner une fonction strictement biologique ou être considérées uniquement comme une force de travail. Elles sont capables de pensées, de sentiments, de créations et, à ces titres, peuvent tenir un rôle dans la vie sociale et économique. Elles ont réalisé qu’une femme n’est pas seulement une mère, une épouse, une sœur et une fille, mais qu’elles existent humainement pour ce qu’elles sont et indépendamment de l’existence d’un fils, d’un mari, d’un frère ou d’un père. Cette seule prise de conscience est déjà une révolution.
La nouvelle génération de femmes, même dans le contexte d’insécurité qui caractérise l’Afghanistan où beaucoup de choses se font de façon clandestine, bénéficie d’une couverture [17] médiatique qui assure une présence de leur mouvement et de leurs revendications.
Ainsi le climat actuel en Afghanistan tolère l’expression de femmes revendiquant une vraie liberté et la justice. Les femmes de la nouvelle génération sont en position de créer une transition qui de rebelles face à l’ordre existant, les transformera en modèles dans une société où leur combat aura conduit à l’instauration, en leur faveur, d’un droit humain et social [18].
[1] Bahmân Tâlebi, « Nasl-e-noe- zanân dar Afghânestân (La nouvelle génération des femmes en Afghanistan) », 2012, http://bta.parsiblog.com.
[2] Zynab Mohamadi, « Delmashgholi-hâye nasl-e jadid-e zanân-e afghân (Les préoccupations de la nouvelle génération des femmes afghanes ».
[3] Niloufar Languar, « Jâygâh-e zan dar Afghânestân (La place de la femme en Afghanistan) », 2012, http://8am.af/1393/02/29/social-status-of-women-in-afghanistan/
[6] Khabarnâmeh.
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] Khabarnâmeh, Ibid.
[11] Ibid.
[12] Ibid.
[13] « Loya Jirga » se signifie « La grande assemblée ».
[14] Ibid.
[16] Ibid.
[17] Ibid.
[18] Ibid.