N° 158, janvier 2019

Marzieh Hadidchi,
femme combattante révolutionnaire


Narjes Abdollâhinejâd


La Révolution Islamique de 1979 en Iran est considérée comme l’un des événements majeurs du XXe siècle. Elle a non seulement mis fin à la monarchie en Iran, mais a aussi modifié les équilibres régionaux et internationaux. La participation des femmes à diverses activités politiques et sociales aux côtés des hommes durant cette période est notable. Bien que cette présence politique des femmes ne soit pas nouvelle et ait été observée à différentes périodes cruciales de l’histoire de l’Iran notamment en 1891, lors du mouvement du boycottage du tabac, ou encore lors de la Révolution Constitutionnelle, elle est néanmoins particulièrement remarquable à l’occasion de la victoire de la Révolution Islamique le 11 février 1979.

Excédées du despotisme du régime du Shâh, les femmes combattantes mènent une lutte clandestine. Suite à une prise de conscience accrue de la population vis-à-vis de la tyrannie du régime, la distribution de tracts, le soutien aux opposants, et la participation massive aux manifestations font partie des activités politiques des femmes qui les conduisaient parfois jusque dans les geôles sombres de la Savak, police politique du Shâh. Loin de les décourager, cette répression les motiva au contraire à ne pas quitter le terrain et à étendre leur lutte, de sorte que pendant les grandes manifestations du mois de Moharram en 1978, la présence massive des femmes est qualifiée de « marée de tchâdors noirs » [1].

Marzieh Hadidchi, connue sous le nom de « Tâhereh Dabbâgh », « Khâhar Tâhereh » (sœur Tâhereh) ou « Zinat Ahmadi Nili » auprès des combattants avant la Révolution islamique, fait partie des femmes musulmanes combattantes iraniennes dont un mot peut résumer la vie tumultueuse : celui de lutte. L’étude de son itinéraire témoigne de sa bravoure, tout autant qu’il illustre les injustices de l’époque des Pahlavis.

Marzieh Hadidchi dans sa jeunesse

Née à Hamedân en 1939, elle grandit au sein d’une famille religieuse. Son père était l’un des maîtres connus de la ville qui enseignait l’éthique, et avait une librairie. Elle fit ses études primaires dans sa ville natale. Après s’être mariée, elle partit pour Téhéran où elle continua ses études théologiques auprès de différents professeurs. Les événements du 15 khordâd 1342 (5 juin 1963) marquèrent un tournant dans sa vie. A la suite de l’arrestation de l’Imâm Khomeyni, les Iraniens descendirent dans la rue pour exiger sa libération. Ce jour-là, Marzieh, qui était sortie pour acheter du pain, fut témoin de la violence de la répression policière. En regardant par un petit trou du volet métallique que la boulangerie avait soudainement rabattu, elle vit les agents tuer un homme par balles, ce qui laissa une empreinte indélébile sur son âme et fit naître en elle la volonté de lutter contre l’injustice. Les pressions du peuple contraignirent le régime à libérer l’Imâm Khomeiny. A l’instar des fidèles qui allaient à Qom pour lui rendre visite, Marzieh put également faire sa rencontre - de loin - à la mosquée Imâm Hassan-e-‘Askari. Cette courte visite bouleversa sa vie. Une autre rencontre, en 1967, avec l’ayatollah Seyyed Mohammad-Reza Saïdi, l’un des élèves de l’Imam Khomeyni, fut également un événement déterminant dans son parcours. Auprès de lui, elle poursuivit ses études théologiques tout en s’initiant aux méthodes de combat. Au fur et à mesure qu’elle gagnait la confiance de ce cercle, des missions de plus en plus importantes lui furent confiées. La distribution de messages (écrits ou enregistrés sur cassette) de l’Imâm Khomeyni, l’hébergement d’activistes politiques recherchés chez elle, ainsi que la collecte générale d’informations font partie de ses activités prérévolutionnaires.

A la suite du martyre de l’ayatollah Saïdi par la Savak et l’aggravation de la situation politique, elle fut contrainte d’entrer dans la clandestinité pendant presque quatre mois. Mais elle reprit rapidement le combat et poursuivit ses activités avec les personnes de confiance du martyr Ayatollah Saïdi. En 1973, elle fut arrêtée et incarcérée par les agents de la Savak. Les conditions de détention de l’époque étaient indescriptibles. La Savak avait recours aux pires tortures physiques et psychologiques. Les tortionnaires de Marzieh exercèrent sur elle de fortes pressions en vue de connaître les noms des autres opposants au régime – en vain. Elle arrêta également Rezvâneh Mirzâ Dabbâgh, sa fille de 14 ans, qui fut torturée devant sa mère.

Peu après, Marzieh fut de nouveau emprisonnée puis condamnée à quinze ans de prison par un pseudo-tribunal du régime. Mais les tortures et les sévices brutaux qu’elle subit mirent gravement sa santé en péril. Une infection généralisée et la dégradation de son état suscitèrent les protestations de ses co-détenues, qui entrèrent en contact avec le chef de la prison et la Fondation Farah Pahlavi. La Savak, qui craignait aussi que son décès en prison soit l’objet d’une récupération politique par les opposants au régime, consentit finalement à sa libération, un an et quatre mois après sa condamnation.

Après sa libération et toujours en convalescence, elle fut informée qu’un combattant arrêté avec une voiture pleine d’armes et d’explosifs à la frontière, pensant que Marzieh est encore emprisonnée, avait faussement avoué sous la torture que ces armes étaient destinées à Hadidchi. De crainte d’une nouvelle arrestation et d’une exécution certaine, alors qu’elle était la mère de huit enfants, elle quitta le pays clandestinement pour l’Angleterre. Elle entama alors une nouvelle étape de sa lutte au côté d’activistes et étudiants à l’étranger, sous la direction de Mohammad Montazeri. Elle participa activement aux manifestations et grèves de la faim en vue de contester la répression sanglante du régime, l’augmentation des arrestations de combattants, et les conditions épouvantables dans lesquelles étaient détenus les prisonniers politiques dans les prisons du Shâh, et ce en vue d’attirer l’attention de l’opinion publique internationale vers l’Iran. Une grève de la faim réalisée à l’église Sainte Marie à Paris en 1977 dura 10 jours, et fut organisée dans une telle optique à l’initiative de Mohammad Montazeri. Ce mouvement eut des échos dans les médias européens et suscita une vague de soutien populaire. Dans son parcours de lutte, Marzieh Hadidchi se rendit aussi en Syrie, au Liban, en Arabie Saoudite (pour effectuer un pèlerinage à La Mecque), et en Irak. Dans ce dernier pays, elle rendit visite à l’Imam Khomeiny et, contrairement à sa première rencontre avec lui à Qom quelques années auparavant, elle le vit cette fois-ci de près et lui expliqua ses activités. Au Liban, elle reçut un entraînement de techniques militaires et de guérilla dans l’un des camps d’entraînement de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), pour former par la suite des femmes désireuses d’apprendre ces techniques militaires. Elle coopéra aussi avec des activistes palestiniens contre l’ennemi israélien. 

Lorsque l’Imâm Khomeyni, à cette époque exilé à Nadjaf en Iraq, dû quitter le pays sous la pression du gouvernement irakien pour s’installer à Neauphle-le-Château en France en octobre 1978, Marzieh fut chargée d’assurer la sécurité de l’Imâm Khomeyni durant son séjour en France.

Marzieh Hadidchi

Suite à une maladie et son hospitalisation à Paris, elle rata le vol historique d’Air France du 1er février, connu sous le nom de « vol de la Révolution », via lequel l’Imâm Khomeyni et ses proches, accompagnés d’un groupe de journalistes internationaux, rentrèrent en Iran. C’est à Paris, via la radio, qu’elle apprit la nouvelle de la victoire de la Révolution islamique le 11 février 1979 (22 bahman 1357). Au bout de quelques jours, elle put rejoindre ses compatriotes en Iran et partagea la gaieté de la population. Cette fois, la sauvegarde de la jeune Révolution islamique devint sa préoccupation la plus sacrée. Elle assista au conseil ayant consacré la fondation du Sepâh-e Pâsdârân-e Enghelâb-e Eslâmi (Corps des Gardiens de la Révolution islamique) et, du fait de ses compétences et connaissances militaires, fut chargée de former le Sepâh de l’ouest du pays. Elle fut ensuite nommée commandante du Sepâh à Hamedân – la première femme désignée par ce titre. Durant cette période, qui fut le théâtre de tentatives de renversement d’antirévolutionnaires à l’ouest du pays (notamment via le coup d’Etat avorté de Nojeh, ou encore l’encerclement de la ville de Paveh), elle se battit inlassablement et joua un rôle crucial. 

Elle occupa également de nombreux postes et fonctions, dont ceux de députée du madjles (parlement) pendant trois législatures, chef du Bassidj des femmes du pays, professeur à l’université de Sciences et de Technologie d’Iran (Elm-o-Sanat), ou encore vice-présidente de l’association des femmes de la République Islamique. Mais l’image la plus remarquable de Marzieh Hadidchi remonte au 1er janvier 1989, alors qu’elle l’unique femme membre de la délégation spéciale [2] qui confia la lettre historique de l’Imâm Khomeyni à Mikhaïl Gorbatchev, le dernier dirigeant de l’URSS au Kremlin - lettre historique qui prédit « qu’il faut désormais chercher le Communisme dans les musées de l’histoire politique du monde » [3]. Pour le monde qui scrutait de près la nature du nouveau régime en Iran, la désignation de Marzieh Hadidchi par l’Imâm Khomeyni témoigne du statut important alloué à la femme dans la République islamique d’Iran.

En 2004, Marzieh Hadidchi fut décorée de l’insigne « Troisième classe du dévouement » (daradjeh 3 Isâr) par le président de la République.

Elle s’est éteinte le 17 novembre 2016 à l’âge de 77 ans, à la suite d’une maladie cardiaque. Mais le souvenir de Marzieh Hadidchi, héroïne acharnée qui défia la mort à maintes reprises, reste présent dans l’histoire de la Révolution islamique.

    Source :


    - Kâzemi, Mohsen, Khâterât-e Marzieh Hadidchi (Dabbâgh) (Les mémoires de Marzieh Hadidchi (Dabbâgh)), Téhéran, éd. Soureh Mehr, 1387.


    - Raïsi, Rezâ, Khâhar Tâhereh (Khâterât-e Khânom-e Marzieh Hadidchi (Dabbâgh)) (Sœur Tâhereh (Mémoires de Madame Marzieh Hadidchi (Dabbâgh)), Téhéran, éd. Oroudj, 1387.

    Notes

    [1Expression tirée de Iran : une première république : le Grand Satan et la Tulipe, sous la direction de Mortezâ Kotobi, Paris, Édition SA, 1983, p.124.

    [2La délégation spéciale était composée de l’ayatollah Abdollah Javâdi-Amoli, Mohammad-Javâd Larijâni et Marzieh Hadidchi (Dabbâgh).

    [3Traduction française du texte intégral de la lettre de l’Imâm Khomeyni à Mikhaïl Gorbatchev sur le site http://fr.imam-khomeini.ir/fr/n18367/lettre_historique_de_l’Imam_ Khomeiny


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