N° 158, janvier 2019

Le rubis et le grenat
dans la poésie classique iranienne


Zohreh Moradi
Traduction et adaptation :

Marzieh Khazâï, Zeinab Golestâni


Les minerais et les pierres précieuses ont toujours été d’une grande valeur pour l’homme. Ce dernier les a notamment utilisés comme ornements. En minéralogie, il existe deux types de gemmes : les pierres précieuses et les pierres semi-précieuses. Les premières ont attiré l’attention des hommes en raison de leur beauté, de leur éclat, de leur fermeté et solidité, de leur rareté, de leur couleur, et de leur portabilité. Le diamant, le rubis, l’émeraude et le grenat font partie de ces pierres précieuses. Elles se forment sous la pression des couches terrestres et de la forte température. On les retrouve rarement dans les roches sédimentaires.

 

Le rubis : une gemme hautement considérée

 

Pour les anciens minéralogistes, le rubis est une pierre valeureuse, ou mieux, il est la plus valeureuse des pierres précieuses. Abolqâssem Abdollâh Kâshâni écrit dans ses ouvrages de minéralogie Arâyes Al-Djavâher et Nafâyes al-Atâyeb : « Sache que le rubis est la plus honorable, la plus chère et la plus précieuse des pierres précieuses. Cela est dû à sa nature, son apparence équilibrée, son efficacité, ses caractéristiques, sa durabilité et sa valeur éminente… » (Kâshâni, 2002 (1385 H.S.) : 26). On estime que depuis la période pré-islamique, le rubis possède une place spéciale dans la culture iranienne. Salmân le Persan, l’un des Compagnons du Prophète, aurait dit à propos de cette gemme : « Dieu a créé le rubis lors de Nowrouz comme ornement des nations, et l’émeraude lors de Mehregân. Il a privilégié ces deux jours, de même qu’Il a privilégié ces deux pierres (rubis, émeraude) comparées aux autres gemmes… » (Rapport du Professeur Pourdavoud, Tome I : 398). Abdollâh Kâshâni explique la dénomination du rubis dans ses ouvrages : « Et « yâqût » fait étymologiquement référence à « yakand » (le cheval). De surcroît, c’est un terme arabe. Hamzah d’Ispahan déclare que les Persans l’appelaient autrefois « sobh asbour », ce qui signifie “le guérisseur de la peste » ».

Le rubis provient de roches ignées. Il possède une structure cristalline et appartient à la famille du corindon. Fait notamment de fer, d’oxyde d’aluminium, de magnésium et de silice, le rubis est classé dans la catégorie des magmas basiques. Deux gemmes étaient autrefois considérées comme étant des rubis : le rubis rouge ou rubis, et le grenat. Le premier (rubis) est transparent, ou parfois semi-transparent, et terne, mais toujours de couleur rouge ou rose. Le grenat existe en différentes couleurs : rouge, brun, vert, bleu, violet ou même incolore. La couleur rouge du rubis serait due à l’oxyde de fer. Autrefois, pour distinguer un vrai rubis d’un faux, les gemmologues le mouillaient de leur salive. 

 

Le grenat : une pierre semi-précieuse

 

Les pierres semi-précieuses sont simples et incolores, ou au contraire, magnifiquement colorées. La transparence, la forme équilibrée et l’éclat sont les qualités traditionnellement appréciées dans ces pierres. L’azur, le grenat, la jade, l’agate, etc. sont quelques exemples de pierres fines. Le grenat était autrefois classé avec le spinelle. L’origine de ce nom renvoie au mot spina qui signifie “comparable à une épine”. Ces pierres sont en forme de doubles pyramides pointues et ornées de cristaux distingués.

Le grenat rouge a été reconnu avant tous les autres grenats. Il était anciennement défini comme une pierre rouge, transparente, et imbibée de liquide. Elle est plus lumineuse, mais moins dure que le rubis. La pierre basique du grenat est le marbre. Dans son livre intitulé Al-Djamâher, Aboureyhân-e Birouni dit à ce propos : « Le grenat est entouré d’une couche blanche ; et Abdollâh Kâshâni disait que le grenat existait là où une pierre blanche apparaît comme un filon dans la montagne. Comme le rubis, la belle couleur d’un grenat est due à une forte température et à une lourde pression. » Le rubis et le grenat étaient autrefois souvent confondus l’un avec l’autre.

 

La gemmologie dans la littérature classique persane

 

La majorité des poètes médiévaux persans étaient des érudits qui connaissaient les sciences de leur temps. La majorité utilisait donc couramment ces savoirs en poésie. Ils employaient tantôt les notions scientifiques dans leur sens propre, et tantôt dans un sens figuré, en utilisant des figures de style. De nombreux poètes se sont ainsi amplement servis des termes de la gemmologie dans leurs œuvres. Voyons quelques exemples de cet usage en nous limitant au rubis et au grenat chez Ferdowsi, Nezâmi, et Hâfez.

 

Les métaphores du rubis et du grenat

 

La métaphore a besoin d’un contexte, autrement dit d’un indice à l’aide duquel l’esprit s’éloigne du sens propre du mot et se dirige vers son sens désiré, son sens figuré. Voici quelques exemples de comparaisons et de métaphores liées à ces deux gemmes chez Ferdowsi, poète épique du IVe siècle, Nezâmi poète lyrique et didactique du VIe siècle et Hâfez, poète lyrique du VIIIe siècle :

 

1.Le lever et le coucher du soleil

Le monde, plongé dans la nuit était noir comme l’aile d’un corbeau ; soudain la lumière se dressa sur les montagnes, et tu aurais dit que le soleil a versé des rubis sur l’azur du firmament. (Ferdowsi)

Lorsqu’il versa une coupe couleur de rubis,

Le firmament, par ses rayons, illumina la terre comme un rubis. (Nezâmi)

 

2.Le vin

Dans les poèmes des poètes persans, le vin a été souvent comparé à ces pierres rouges. Nos poètes préfèrent le grenat, mais le rubis est aussi très présent - ainsi, par exemple, “le rubis de calice (le rubis rouge)” et “le grenat sophteh (le grenat rouge)” :

Rappelle qu’il a ri comme le rubis de calice

Il y avait tant d’histoires entre moi et ton rubis [tes lèvres]

Hâfez utilise la métaphore du « rubis de calice » pour désigner le vin rouge, référant au « rire de la cruche », autrement dit le bruit que fait la cruche quand on verse le vin. 

Il continua à boire joyeusement aux sons de la voix de Bârbod et à vider les coupes de rubis liquide. (Ferdowsi)

Attention ! Hâfez va faire un vœu. Ecoute et dis : amen !

“Qu’un rubis charmeur et doux nous soit en apanage, le vôtre ! » (Hâfez)

Oh ! Viens, Soufi, viens, le cristal de la coupe est diaphane,

Viens admirer la couleur de rubis du vin qu’elle contient. (Hâfez)

Il remplit la coupe du vin et donna du grenat

A Khosrow en lui demandant d’en boire. (Nezâmi)

 

3.Les lèvres

Hâfez exploite plus le mot “grenat” dans ses poèmes que Ferdowsi et Nezâmi, notamment pour parler des lèvres de la bien-aimée.

De nombreuses tresses de musc noir tombaient sur ses joues de rose, des boucles d’ambre gris pendaient à ses oreilles, ses deux lèvres brillaient comme le rubis, ses deux yeux étaient noirs comme le narcisse, la colonne de ses deux sourcils (son nez) ressemblait à un roseau d’argent. (Ferdowsi)

Tes lèvres de rubis ont raison de se moquer d’un amoureux comme moi,

Car l’éclat de ta radieuse beauté est au-dessus d’un mendiant de mon espèce. (Hâfez)

Tes lèvres de rubis ravivent la blessure des cœurs consumés d’amour.

Ô Hâfez, ne t’afflige pas ; car la fortune, semblable à une amante, finira par retirer le voile qui couvre son visage ! » (Hâfez)

Son cou et ses oreilles étaient couverts de grenat

Ses lèvres étaient de grenat et ses dents, d’or (Nezâmi)

 

4.La fleur

Les yeux des taureaux étaient en rubis et leurs têtes vétustes (Ferdowsi)

 

5.Le sang

Ils tuèrent tant de guerriers que la terre, d’une extrémité à l’autre, devint rubis (Ferdowsi)

 

6.La larme

Le grenat ramani (le grenat qui est rouge comme des grains de grenade) est d’un rouge clair. Autrefois, on disait qu’il était imbibé de liquide. Dans la littérature médiévale, il est utilisé comme métaphore de larmes sanglantes.

Sur ma face au secret profond, en la voyant, ils le déchiffrent.

De mes yeux, ces rubis grenat, en riant, ils les font pleuvoir. (Hâfez)

Les rubis se criblaient par le diamant du sourcil

Il (Farhâd) parlait de soi à la montagne. (Nezâmi)

 

7.Le visage

Dans certains poèmes, les poètes ont comparé un visage rouge au rubis ou aux grenats rouges, et un visage pâle aux grenats clairs ou jaunes.

Cette nouvelle emplit l’âme de Khosrow de soucis, et ses joues de rubis devinrent des feuilles qui jaunissent. (Ferdowsi)

Par ce pur joyau, son visage devint comme grenat (Nezâmi)

 

8.Le corps

Dans la littérature iranienne classique, si le corps prend une couleur rouge, de maladie ou de blessure, la métaphore de ces deux pierres est souvent utilisée.

Son corps du grenat et ses cheveux de soie noire (Ferdowsi)

 

9.Les yeux

Nezâmi est le seul poète de notre trio à avoir comparé l’oeil au grenat. Il compare ainsi la rougeur des yeux sous l’effet de la colère ou des larmes à la rougeur du grenat.

L’eau coulait goutte à goutte de ces deux grenats cachés,

C’était l’eau des yeux, non point celle de la bouche (Nezâmi)

 

La présence propre du rubis et du grenat dans la littérature classique

 

    Grenat

    1.La formation

 

Dans ses deux ouvrages consacrés à la minéralogie, Abdollâh Kâshâni revient dans le détail sur les différentes étapes de la création des minerais ou bien des pierres dans la mine. Il écrit que la majorité des mines se trouvent dans les montagnes. Selon lui, les matières minérales doivent s’entasser dans un même lieu, jusqu’à ce qu’elles deviennent denses. Les pierres étaient alors considérées comme le produit densifié de ces matières minérales, qui auraient subi une forte température sur une longue période. On estimait à l’époque que le grenat n’existait pas durant l’Antiquité. Cette question a été abordée dans tous les livres de gemmologie médiévaux. Abdollâh Kâshâni l’affirme également dans son Al-djavâher : « Le grenat n’existait pas durant les temps antiques. Voilà la raison pour laquelle son nom n’est mentionné dans aucun livre ancien. Ce qui a provoqué l’apparition du grenat est le séisme qui a secoué les montagnes à l’est des montagnes de Badakhshân, en particulier à Varzghandj, un des villages de Badakhshân. Ce tremblement de terre a duré trois jours et a fracturé les montagnes. Le grenat est apparu dans cette faille. Puis, les différentes formes de cette pierre précieuse se sont révélées. Et les mineurs se sont donc mis à creuser la terre. » (Kâshâni, 2002 (1385 H.S.) : 61). La plus importante mine de grenat était alors celle de Badakhshân en Afghanistan ; c’est pourquoi le grenat de la littérature classique persane est appelé « grenat de Badakhshân » ou même simplement Badakhshân.

L’image de ce soleil brillant

Et son grenat transformèrent des pierres en Badakhshân (Nezâmi)

On ne cherche ni pur grenat ni pur joyau,

 Sinon le soleil s’occupe toujours de mine et des pierres précieuses (Hâfez)

 

Nezâmi et Hâfez comparent la beauté d’un travail difficile à la création du grenat.

Le grenat vit longtemps puisqu’il sort tard

Mais la tulipe (qui a une vie courte) surgit n’importe quand (Nezâmi)

 

On dit que la pierre se transforme grâce à la patience en grenat

Oui, elle le devient, grâce aux difficultés (Hâfez)

Comme l’écrit Hamdollâh Mostofi dans son Nozhat-ol-Gholoub, il existait par le passé une autre mine de grenat, en Azerbaïdjan, mais dont les grenats étaient bruts, ternes et bleus. A l’époque, on pensait qu’il y avait deux types de grenats : les grenats mûrs et cuits, et les grenats bruts ou crus. Les grenats crus n’étaient pas encore « faits ». Les grenats friables n’étaient donc pas restés en terre assez longtemps pour mûrir.

 

Le grenat est cuit alors que le joyau ne l’est pas (Nezâmi)

 

Ils pensaient aussi que l’âge de la mine jouait un rôle décisif dans la transparence et la brillance d’un grenat. Plus une mine était ancienne, plus brillants et transparents étaient ses grenats. Le grenat d’une mine ancienne murissait mieux.

 

J’ai entendu que quand elle vieillit,

La pierre devient grenat

On en parle différemment. (Nezâmi)

2.L’usage médical

 

La poudre des minéraux était très utilisée dans la médecine médiévale persane. Les médecins concoctaient entre autres des médicaments pour guérir les maladies mentales, réconforter l’esprit, donner de l’espoir, soulager et susciter un sentiment de bonheur. La poudre de rubis et celle de grenat étaient les deux principales poudres minérales utilisées dans les potions médicales. On peut ainsi lire dans cet ouvrage anonyme de médecine : « Une potion de poudre de grenat, de sucre et d’eau de rose rougira le visage du patient et fera disparaître le teint jaunâtre qui est signe de maladie. »

 

Il avait guéri quelques fous

Avec ce rubis et ce joyau brillant (Nezâmi)

 

3. L’usage ornemental

 

Hautement estimés, le grenat et le rubis servaient également à orner des objets. Les objets d’art étaient ouvragés par les orfèvres et les joailliers. Et ces objets décoratifs n’appartenaient, du fait de leur prix, qu’aux rois et aux nobles.

 

Je vis un haut trône de turquoise, sur lequel était assis un roi semblable à la lune, portant sur la tête une couronne de rubis brillants. (Ferdowsi)

Manoutchehr se leva de son trône d’ivoire, portant sur le chef une couronne de rubis brillants. (Ferdowsi)

Un backgammon de grenat et d’émeraude

Un apparat rouge et jaune de rubis et d’or (Nezâmi)

 

4.La signification gemmologique

 

Il lui donna des pierres ; il lui donna de l’or ; il lui donna nombres de rubis de haut prix (Ferdowsi)

Toutes les pierres étaient rouges de rubis (Nezâmi)

Autrefois, lorsque le roi entendait une bonne nouvelle, il remplissait d’or et de gemmes la bouche de l’annonciateur de la nouvelle. Dans l’histoire de douze visages, Ferdowsi écrit :

Le secrétaire donna au roi lecture de la lettre, et Khosrow remplit de rubis brillants la bouche de Hedjir (Ferdowsi)

 

5.Les couleurs du rubis et du grenat en littérature

 

Les couleurs des gemmes ont un rôle fondamental dans l’attraction que ces pierres créent chez l’homme. Pourtant, la couleur n’est pas une qualité essentielle et naturelle des gemmes. Si une pierre précieuse possède une composition chimique pure, elle sera incolore. Tel est le cas du diamant, composé de molécules de carbone pur. En revanche, au cas où le diamant acquerrait, dans sa composition, des impuretés, il deviendra coloré. La couleur d’une pierre est donc le résultat de son « impureté ». Et pourtant, c’est cette imperfection qui attire la lumière et donne son éclat à une pierre. C’est ainsi que la pierre semble brillante.

Dans le rubis, c’est l’oxyde de fer qui donne à la pierre sa teinte rouge. Et quand la lumière blanche touche le rubis, elle se décompose en le traversant, créant par là des reflets multicolores. Ce scintillement du rubis est nommé le la’amân. Il faut savoir que la rougeur n’est pas égale sur toute la surface du rubis. En général, les pierres précieuses naturelles ont des couleurs un peu ternes. C’est pourquoi l’homme s’est toujours ingénié à faire ressortir leurs éclats – ainsi en va-t-il du rubis, plutôt terne à la sortie de la mine. Autrefois, on le chauffait à une température spécifique et il devenait transparent. Puis on faisait disparaître si nécessaire les taches noires visibles sur sa surface en le polissant avec une pierre plus dure comme le diamant. Enfin, on le faisait bouillir selon une formule destinée à égaliser sa couleur sur les surfaces préalablement polies. A ce propos, Abdollâh Kâshâni explique que la formule pouvait contenir du poison si le rubis devait servir à tuer un ennemi. La formule se solidifiait dans les rayures provoquées par le diamant. Et comme les rubis étaient souvent mis en bouche, ils pouvaient empoisonner un ennemi.

Les couleurs rouge et jaune de ces gemmes ont été largement plus retenues que d’autres teintes dans les compositions poétiques.

 

Tu donnes et tu exploites de ton cœur de pierre

Du feu de grenat et du grenat en feu (Nezâmi)

Plongé dans le sang de notre cœur [1], nous ressemblons au rubis rouge. (Hâfez)

Une sorte de grenat blanc était extrait de la mine de Badakhshân, qui était le plus rare des grenats.

 

Tu n’es ni le soufre rouge ni le grenat blanc

Et le chercheur désespère de toi. (Nezâmi)

 

6.La dureté de rubis et de grenat

Selon la minéralogie, la dureté d’une pierre est une qualité physique indiquant sa résistance au grattage par une autre pierre plus dure qu’elle-même. Fréderic Moué a dressé en 1812 un tableau des minerais dans lequel il les classifie selon leur dureté. La classification se fait sur une échelle de 1 à 10, le diamant ayant le grade de 10. Selon ce tableau, le diamant ne peut être rayé par aucune autre pierre. Quant au rubis et au grenat, ils sont respectivement d’une dureté de 9/10 et de 8/10, selon F. Moué. Chez nos poètes, seul Nezâmi exploite cette différence de dureté :

 

La richesse préserve les pensées,

Comme le rubis érafle les perles (Nezâmi)

 

C’est seulement avec un diamant que l’on peut tailler un rubis (Nezâmi)

 

7.Les gemmes et le sang hépatique

 

Les anciens pensaient que si l’on macérait le rubis et le grenat dans du sang hépatique, ces pierres seraient imbibés de liquide et auraient une eau plus pure et des couleurs plus lumineuses.

 

Il est temps que du sang jaillisse du cœur du grenat (Hâfez)

 

8.Le grenat et le rubis : deux pierres imbibées de liquide

 

Dans Arâyes Al-djavâher, Abdollâh Kâshâni mentionne le nom du rubis ramâni, tout en expliquant que cette sorte de rubis a une couleur semblable à celle de grains de grenade et qu’il a une apparence agréable, notamment parce qu’il est imbibé de liquide. Après un certain temps, certaines espèces de grenat et de rubis perdent petit à petit leur aspect originel. Cela les rend moins éclatants, et même ternes. Nezâmi fait allusion à cette caractéristique de ces pierres.

 

Il avait sur soi deux grenats, couleur de feu (Nezâmi)

Le roi ne l’affirme pas à moins qu’il y ait de l’encre de grenat éclatant (Nezâmi)

 

Rubis

9.Le feu et le grenat

 

Aboureyhân-e Birouni dans Al-Djamâher et Abdollâh Kâshâni dans Arâyes Al-Djavâher écrivent que le grenat et le rubis résistent au feu. Quand on les met dans le feu, ils deviennent blancs, et lorsqu’ils perdent graduellement leur chaleur, ils retrouvent leur couleur essentielle, et deviennent plus beaux.

 

C’était grâce au rubis brillant et au grenat éclatant que

Le fer du destrier ressemblait au feu (Nezâmi)

 

10.L’effet du grenat et du rubis sur la diminution de la soif

 

L’une des autres caractéristiques de ces pierres était, pour les Anciens, d’étancher la soif. On disait que garder un rubis ou un grenat dans la bouche diminuait la soif et donnait de la force.

 

Les yeux pleins d’eau versaient des grenats

Il chantait des vers en mémoire de la fausse promesse (Nezâmi)

 

Conclusion

 

Le savoir scientifique des hommes de lettres iraniens de la période médiévale a normalisé la présence des sciences en littérature. Ce phénomène massif se manifeste dès le XIe siècle. Ainsi, nous avons pu voir la manière dont la création poétique s’enrichissait du savoir scientifique chez trois importants poètes de différentes périodes. Bien que la connaissance des différentes pierres et leurs caractéristiques appartiennent au domaine des sciences, les poètes dévoilent leur savoir scientifique, tout en se les appropriant dans leurs créations littéraires.

Ces trois poètes ont largement employé les termes de « rubis » et « grenat » - souvent considérés comme proches ou similaires par les anciens - dans des proportions différentes. Ferdowsi utilise 118 fois le mot “rubis”, tandis qu’Hâfez l’a employé 12 fois. Ferdowsi l’utilise plutôt dans un sens propre, Hâfez dans un sens figuré. Nezâmi, lui, préfère le grenat, qu’il cite 186 fois ; plus que Hâfez et Ferdowsi. Sa très solide formation scientifique et son style didactique le poussent à utiliser cette gemme dans son sens propre, avec une création poétique qui se développe en puisant dans un savoir gemmologique. Pour Ferdowsi l’épique, le grenat rappelle plutôt le sang, à Hâfez le lyrique, le grenat rappelle les lèvres du bien-aimé. Nezâmi, fidèle à son style, exploite le plus largement possible toutes les dimensions liées au sens propre, autant qu’aux sens figurés de ces gemmes.

Bibliographie :


- Aboulkasim, Ferdowsi, Le livre des rois, traduit et commenté par Jules Mohl, Paris, Imprimerie Nationale, 1878, T. I-VI.

- Journal asiatique ou recueil de mémoires…, cinquième série, Tome XI, Paris, L’imprimerie Impériale, 1858.

- Quelques odes de Hâfez, traduites par A. L. M. Nicolas, Paris, Ernest Leroux éditeur, 1898.

- Ghazels de Hâfez, traduits par Arthur Guy, Paris, Librairie Orientaliste, 1927, T. I.

Notes

[1Cette locution persane « Khoun-e del khordan » se traduit littéralement par « boire le sang du foie » et signifie « avoir du chagrin ».


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