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La modernité est perçue, de nos jours, comme étant un danger satanique menaçant l’identité sociétale. Le plus souvent ce genre de discours est de cette nature idéologique qui résiste aux changements. Pour expliciter cela, nous avons tenté de remettre en question ce concept, et de fouiller dans l’histoire ainsi que dans l’héritage philosophique occidental en vue de repérer ses fondements épistémologiques, surtout que nous sommes devant une conception qui est par excellence plurielle, complexe, insaisissable voire évolutive.
Épistémologiquement parlant, « la Modernité » est un concept insaisissable et difficile à cerner. D’une part, elle est une question plurielle, objet d’innombrables interprétations antagonistes et de plusieurs disciplines : l’économie, la philosophie, la littérature, la politique, l’histoire, l’architecture, etc. D’autre part, il ne s’agit pas à vrai dire d’une théorie intellectuelle, mais d’un concept évolutif dont les origines théorico-philosophiques sont diverses et éloignées dans le temps et peut-être dans l’espace. Autrement dit, sa conception n’est pas donnée, mais à construire à partir de certains faits.
En ce sens, élaborer une conception de la modernité nécessite une documentation sérieuse ainsi qu’une profonde réflexion respectant la sensibilité et la complexité épistémologique du terme. De ce fait, prendre l’intrication de la modernité en considération est assurément l’un des buts que nous nous assignons, même si la compétence nous manque pour espérer produire seuls une telle démonstration synthétique qui marierait le politique, le social, le scientifique et l’artistique. Peut-être l’entreprise pourrait bénéficier d’un travail collectif alliant pour le meilleur des compétences variées.
Par contre, nous pensons que la construction de ce concept ne peut être réalisée qu’à travers sa mise en relation avec les révolutions marquant l’Histoire occidentale, particulièrement, la Révolution protestante, la Révolution intellectuelle, la Révolution technique et industrielle et la Révolution française pour la démocratie. La modernité est un récit.
Cet article poursuit également pour objectif la nécessité de remettre en question un ensemble d’obstacles épistémologiques, théoriques et idéologiques à la compréhension du terme. Ce d’autant plus que la modernité est aujourd’hui parfois considérée comme un danger menaçant l’identité culturelle, voire un élément intrus voulant remplacer la morale religieuse par la connaissance des lois de la nature. Ces clichés sont le plus souvent véhiculés par les discours sociaux de nature idéologique s’écartant de toute prétention scientifique ou objective.
Les cités occidentales ont été un des berceaux de la culturelle savante et écrite, des sciences et de la philosophie. Cela a été le cas pour Athènes durant l’Antiquité ou Florence durant la Renaissance ou encore Paris avant la Révolution française. C’est en particulier la culture occidentale qui a initialement fourni aux individus des outils leur permettant de s’individualiser et de se découvrir, à l’inverse des communautés traditionnelles et tribales complexes autarciques. Ce sont donc les grandes mégapoles qui ont alimenté la modernité en permettant à l’individu d’« affirmer l’autonomie et la spécificité de son existence face aux excès de pouvoir de la société, de l’héritage historique et de la technique venue de l’extérieur de la ville ». [1]
Pendant plus d’un millénaire, la société occidentale médiévale s’est conçue comme une ecclesia, c’est-à-dire une société purement chrétienne. La cité terrestre est considérée transitoire et l’homme ne fait que s’y préparer pour la cité céleste. L’Église joue donc un rôle essentiel dans la vie quotidienne en rythmant non seulement le cheminement spirituel, mais en dominant également le champ éducatif, économique et politique. Par conséquent, les savants eurent des difficultés à faire de nouvelles découvertes et expérimenter. Il leur était souvent interdit de penser hors des limites exigées par la foi. En d’autres termes, la science était soumise à la théologie. La raison, permettant le progrès et le développement de la connaissance, était donc en crise : « Science et religion sont bien étroitement liées dans les mentalités anciennes : l’extension de l’univers entraîne l’accroissement de la distance entre l’humanité et Dieu. D’où le désir, chez nombre de chrétiens fervents, de combler cette distance du mieux possible ». [2]
Le Haut Moyen Âge, plus précisément les XIVe et XVe siècles, a été particulièrement troublé, dans les domaines politique, social, diplomatique et religieux. Le clergé catholique était souvent défaillant : les curés ne respectaient pas les principes religieux, les évêques délaissaient leur diocèse, les papes vivaient comme des princes et « des prêtres-rois [...] énonçaient la volonté divine sur le mode de l’ordre auquel il faut impérativement obéir ». [3]
En outre, ils profitaient de la peur, de l’ignorance et de l’angoisse de la mort qui hante le peuple lors des catastrophes, en vendant des indulgences, c’est-à-dire en faisant de l’accès au paradis une affaire d’argent : « De nombreux évêques ne sont jamais entrés dans leur ville, n’ont pas vu leur église, ni visité leur diocèse...Je les appelle mercenaires étrangers parce qu’ils ne recherchent pas le salut des fidèles, mais seulement l’accroissement de leurs revenus... ». [4]
Face à cette déliquescence, un mouvement de protestation et de réforme vit le jour : le protestantisme. En Allemagne, Martin Luther dénonça notamment la vente d’indulgence en publiant les 95 thèses de Wittenberg pour réformer l’église : « À l’origine, la Réforme s’est affirmée comme un effort pour replacer l’Église sur sa véritable base, celle de la foi ». [5]
Calvin, pour sa part, a exercé une influence incontournable sur la vie spirituelle en Occident, d’autant plus que la Réforme a coïncidé avec l’invention de l’imprimerie, permettant la diffusion généralisée des idées de ce courant. En novembre 1541, Calvin présenta ses Ordonnances ecclésiastiques, qui organisent le corps des ministres, définissent les conditions de leur recrutement, leur formation, leurs fonctions. Il précisa le rôle du consistoire, composé de ministres et d’anciens, chargé de la juridiction spirituelle, du maintien de la foi et de la morale, avec mission de requérir, le cas échéant, l’appui des autorités civiles.
Sans aucun doute, cette réforme eut des incidences négatives : guerre civile, transferts de propriété, effondrement tardif de la production industrielle, ruine du commerce, etc. Mais, elle eut également un impact positif et décisif à long terme, car il ne faut pas oublier que la Réforme a ouvert la porte à la raison, de même qu’elle a transformé la question de la foi en une pratique individuelle sans intermédiaire. Le mouvement humaniste plaça l’homme au centre de la réflexion et de l’univers en affirmant sa dignité, sa liberté et son aptitude à comprendre et à transformer le monde grâce à la connaissance. Même si ce mouvement de pensée ne rompit pas vraiment avec la tradition. De sorte qu’il prit l’Antiquité gréco-latine pour modèle. Le mouvement humaniste est d’ailleurs, à ses origines, partagé entre un désir de retour aux sources et une soif de nouveauté, à mi-chemin entre une timidité restauratrice et une audace novatrice.
Il semble, avec la Réforme et les débuts de l’humanisme, que l’Occident a vécu la modernité comme une révolution, une révolution réformatrice visant à l’émancipation de l’homme. Cependant, il ne faut pas concevoir cette révolution comme une rupture radicale qui ferait table rase de l’ancien état des choses. Nous entendons dire que toute révolution conserve toujours quelque chose de ce qui la précède. Il y a toujours une continuité et une égalité des éléments nouveaux ou anciens entre ce qui archaïque et ce qui est moderne : « Les classiques de la révolution scientifique, comme ses protagonistes d’ailleurs, ont volontiers parlé d’un ‘’retour à Platon’’ ». [6]
On isole généralement trois moments scientifiques pour la naissance de la modernité occidentale. La première révolution scientifique est celle qui s’étend de Copernic à Newton (1543-1687). Copernic renoue avec le principe de l’uniformité du mouvement planétaire et propose une théorie héliocentrique en plaçant le Soleil au centre de l’Univers. Ce principe a été considéré comme un coup fatal à l’autorité de l’Église. Cette période comporte aussi la philosophie rationaliste avec le cogito de Descartes mettant fin au scepticisme et faisant appel à la raison comme source de toute connaissance savante. Husserl écrit à son propos : « Avec lui, la philosophie change totalement d’allure et passe radicalement de l’objectivisme naïf au subjectivisme transcendantal, subjectivisme qui, en dépit d’essais sans cesse renouvelés, toujours insuffisants, paraît tendre pourtant à une forme définitive. » [7]
La deuxième révolution scientifique commence aux environs de 1775 avec Lavoisier et s’accomplit peu avant la Grande guerre avec Bohr. Cette révolution est surtout connue par l’union de la chimie et de la physique, ainsi que par l’émergence d’un ensemble de philosophies axées sur la raison et l’expérimentation. En bref, cette union a donné naissance à la physique du XIXe siècle, la thermodynamique, l’électromagnétisme et l’optique ondulatoire. Cette révolution eut un impact considérable sur la société du XX e siècle : « Elle a eu des effets techniques et économiques d’une portée considérable puisque, en un mot, les objets de notre vie quotidienne – la télévision, les ordinateurs, le laser, etc. – sont des instruments de laboratoire avant d’être des objets de consommation courante. » [8]
Quant à la troisième révolution, qui est encore en cours, elle a débuté avec la théorie évolutionniste de Darwin et s’est en particulier développée avec l’avènement du positivisme d’Auguste Comte, qui conceptualise la science, et remplace le savoir et la connaissance avec ce nouveau concept.
Ces révolutions scientifiques ont bouleversé notre représentation du monde. Elles ont créé une division entre la culture savante et la culture populaire reposant sur une religiosité enthousiaste fondée sur « la croyance mystique dans le pouvoir d’hommes et de femmes ordinaires à communiquer avec la divinité et la conviction que leur sagesse égalait celle des gens instruits. » [9] En un seul mot, l’idéologie moderniste est identifiée au triomphe de la Raison. Au nom de la Raison, tout y passe, tout est désacralisé, sécularisé par un sujet en quête de progrès, nouvel étalon « du bonheur du plus grand nombre » [10]. « La nouvelle science mécanique était l’outil idéal pour déboulonner l’hermétisme et la magie. » [11]
Alain Touraine dit de la modernité qu’elle « se définit précisément par cette séparation croissante du monde objectif, créé par la raison en accord avec les lois de la nature, et du monde de la subjectivité, qui est d’abord celui de l’individualisme… La modernité a rompu le monde sacré, qui était à la fois naturel et divin, transparent à la raison et créé. Elle ne l’a pas remplacé par celui de la raison et de la sécularisation, en renvoyant les fins dernières dans un monde que l’homme ne pourrait plus atteindre ; elle a imposé la séparation d’un Sujet descendu du ciel sur terre, humanisé, et du monde des objets, manipulés par les techniques. Elle a remplacé l’unité d’un monde créé par la volonté divine, la Raison ou l’Histoire par la dualité de la rationalisation et de la subjectivation. » [12]
Afin de répondre à un besoin méthodologique, nous ne voulons pas parler du scientifique et du technique à la fois, puisque les innovations techniques sont en partie, selon les théoriciens et les historiens, à l’origine de l’essor industriel en Europe pendant les XVIII e et XIXe siècles.
Le progrès technique pendant la Révolution industrielle, l’apparition de l’usine et de la division de travail ont introduit dans la société un changement permanent, et une destruction des mœurs, des valeurs et de la culture traditionnelle. Simultanément, la division sociale de son côté a causé des clivages politiques profonds entre ce qu’appelle Karl Marx le prolétariat et la bourgeoisie.
Dans la même perspective, nous pouvons ajouter que la croissance démographique, l’essor urbain et le développement des moyens de communication et d’information marquent décisivement la modernité, d’une part en tant qu’une ère de productivité qui voit l’émergence de l’individu avec son statut de conscience autonome et sa domination sur la nature ; et d’autre part, en tant qu’une pratique sociale et sociétale articulée sur le changement et la mobilisation continuelle. « Le processus de mutation industrielle qui révolutionne continuellement de l’intérieur la structure économique détruit continuellement ses éléments vieillis et crée continuellement des éléments neufs. C’est un processus de destruction créatrice ». [13]
Pourtant, il ne faut pas concevoir ces mutations comme radicales et ponctuelles. Une révolution n’est pas une mutation soudaine, au contraire il s’agit d’une transformation progressive, non pas dans l’instant mais dans la durée.
Suivant cet enchainement chronologique de la modernité, nous estimons que la pensée des Lumières ne se limite pas qu’à la France, et qu’elle a une dimension européenne, notamment avec les travaux de John Locke, Spinoza, Emmanuel Kant, J. J. Rousseau, Montesquieu, Voltaire et tant d’autres. Cependant, nous allons nous focaliser sur l’école française mise en avant avec la Révolution bourgeoise pour la démocratie (1789-1870), pour étudier l’influence de cette école dans la préparation d’un terrain fécond pour penser la modernité.
À notre sens, le XVIIIe siècle est une période particulière dans l’histoire de l’Europe en général. L’affaiblissement de l’autorité royale après la mort de Louis XIV a permis le développement et la circulation des idées fixant les fondements élémentaires de la démocratie par le biais des échanges épistolaires et des débats littéraires dans les cafés et salons. Les philosophes français étaient influencés par la société anglaise, et prenaient comme modèle le système monarchique parlementaire anglais allouant à ses sujets une liberté religieuse et intellectuelle.
Les écrivains à cette époque deviennent des interprètes et de véritables guides de l’opinion. Dans son ouvrage majeur De l’esprit des lois, Montesquieu critique la monarchie et énonce le principe de la séparation des pouvoirs qui empêche le despotisme et garantit la démocratie. Rousseau explique dans Du contrat social que c’est le peuple qui doit avoir la souveraineté. Enfin, à travers quelques écrits de Voltaire, notamment Lettres anglaises et Traité sur la tolérance, nous lisons une apologie de la tolérance et de la liberté : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. » [14]
Les idées nouvelles que ces penseurs diffusent commencent à changer la mentalité des gens et à développer l’opinion publique en affaiblissant les principes de la monarchie absolue de droit divin et le fanatisme des religions, et en faisant triompher la raison, la liberté et la dignité humaine. De ce fait, il est clair que l’esprit des Lumières a été celui d’une élite instruite remplie de plaisir de non seulement scandaliser l’Église, mais encore de détruire le despotisme.
D’ailleurs, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, à titre d’exemple, a permis de nouvelles expérimentations historiques, avec leurs ouvertures et leurs perspectives, en mettant en avant un droit naturel inédit. L’individu citoyen s’impose au centre du nouvel ordre social, conscient de son statut autonome. Ainsi que délivré de toutes les chaines qui l’empêchent de se réaliser en tant qu’être doué de raison et libre de nature.
Cette nouvelle pensée politique et sociale permit l’apparition d’un ordre social dépendant d’une libre décision humaine. À partir de là, l’être humain est devenu un acteur social défini par rôles au service du bon fonctionnement du système social. [15]
Il nous reste maintenant à traiter la modernité dans son aspect artistico-littéraire puisque la représentation de la modernité est le plus clairement visible dans les œuvres artistiques et littéraires. Les artistes et les poètes semblent être la catégorie d’individus la plus sensible aux changements et aux mutations qui les entourent.
La modernité littéraire, en tant que problématique, apparaît à la fin du XVIIe siècle lors de la querelle des Anciens et des Modernes. Les Anciens accordent une grande importance à l’imitation de la nature et au retour à la tradition antique. Tandis que les adeptes de la modernité rejettent cette admiration, arguant qu’elle empêche une évolution de la création artistique. Pour eux le monde est dynamique et ils ont foi en l’idée du progrès dans le but de dépasser la stérilité créatrice.
Dans une autre perspective, le champ littéraire, français pour notre étude, ne s’ouvre à la modernité qu’après la Révolution française et avec l’apparition d’auteurs romantiques comme Lamartine, Victor Hugo ou Alfred de Vigny. Ces auteurs ont notamment en commun d’avoir défini une certaine image du poète responsable face à la collectivité. Le poète romantique se voit assigner une mission qui consiste à guider le peuple vers un idéal de liberté en dénonçant les abus du pouvoir, la tyrannie et l’injustice.
La modernité a poussé à une forte inventivité dans les genres littéraires, qu’elle soit formelle ou thématique. Le « je » devient omniprésent, l’audace et la puissance suggestive des images sont indéniables. On voit également une faculté à susciter la rêverie, la nouveauté du langage et la destruction des architectures archaïques.
Baudelaire est le premier à utiliser le terme de « modernité » et le définir : « La modernité est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre est l’éternel et l’immuable ». [16]
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Avec ce panorama épistémologique dans lequel nous avons évité de plonger dans les détails, nous pouvons maintenant proposer une conception globale, concise et précise à la modernité. Le premier constat est que la modernité s’identifie à partir de trois paramètres fondamentaux : la rationalité, l’individualité et l’universalité.
Certains expliquent la naissance de la modernité par le rôle qu’ont joué le capitalisme et la bureaucratie en rationalisant l’opération économique et le système social. Toutefois, il est clair, maintenant plus que jamais, que nous ne parlons pas d’une seule naissance de modernité mais de plusieurs naissances. La modernité n’est rattachée à un instant donné. Au contraire, elle est un cheminement, un trajet, une histoire, et une vision qui ne peut être cernée que par maintes approches mises ensemble.
Dès la Réforme, peut-être même avant, la raison est devenue la source de toute connaissance scientifique et du progrès. L’homme a alors épistémologiquement rompu avec la pensée spéculative, à l’origine d’un savoir traditionnel incertain et subjectif. Il a donc adopté une méthode technico-scientifique qui s’appuie sur la raison, l’observation et l’expérimentation.
En ce sens, la raison moderne est une raison instrumentale qui cherche non seulement l’interprétation des phénomènes naturels, mais encore à contrôler cette nature, en la considérant comme un système hétérogène et relatif se prêtant à l’observation et l’expérimentation. En addition, la centralité de la raison modifie également la manière d’aborder la culture : on aborde désormais cette dernière avec une approche scientifique. À la naissance de la modernité, la société européenne se targuait d’une culture emplie de mythes et de fantaisies. Quand la raison est devenue le maître mot, les penseurs se sont sentis obligés de dissocier la culture de toute cette charge fantaisiste et mythique.
Les philosophies modernes ont mis l’homme au centre de leur réflexion, comme valeur en soi et pour soi. L’homme devient alors à la fois le détenteur et le producteur du savoir et l’acteur dans l’histoire. Il est désormais conscient de son autonomie, libre de faire tout ce qu’il désire, pourvu qu’il ne contrevienne pas à la loi. Il a désormais la capacité et l’habileté d’envisager les faits et les réalités grâce à la raison et à l’expérimentation, en rejetant tout préjugé. C’est ce qui a fait de la démocratie la norme de la modernité.
Bref, la pensée moderne n’accepte que les explications rationnelles. Le monde n’est plus une structure dite sacrée, mais une réalité intelligible et observable. C’est cette capacité de pensée rationnellement qui permet à l’individu de se libérer de toute forme d’autorité arbitraire : « Entreprise individuelle et sociale de libération par rapport aux diverses tutelles qui maintenaient l’humanité dans un état d’hétéronomie : la tutelle spirituelle, morale et scientifique de l’Église, la tutelle politique et économique de la monarchie, la tutelle esthétique des Anciens, la tutelle sociale et psychologique de la famille patriarcale, etc. L’esprit de la modernité est un esprit d’affranchissement, de libération, d’autonomisation. La modernité apparaît ainsi comme la possibilité historique de la liberté. »17
Cette raison permet à l’individu l’autonomie. L’Homme devient conscient de sa liberté individualiste et refuse de voir son existence, ses valeurs et ses normes déterminées par une instance extérieure, quelle que soit. Elle est donc l’affirmation par l’homme de sa position de fondement. Néanmoins, l’individualisme sans universalisme n’est qu’enfermement en soi-même. C’est-à-dire qu’on ne peut être libre que dans la mesure où le « je » participe à une loi universelle.
Ainsi ces trois procédés, à savoir la rationalité, l’individualisme et l’universalisme, entretiennent une relation de complémentarité et de continuité. D’un point de vue personnel, la modernité est plurielle et dialectique, et échappe à une définition précise. Pourtant, définie avec exigence, elle semble devenir une idéologie idéaliste, en opposition plus ou moins absolue avec la tradition, une idéologie qui tire sa force de son utopie positive et de sa fonction critique, et hantée par la construction d’un monde conforme à la raison où l’Homme constitue une valeur en soi et pour soi.
Bibliographie :
Alain Touraine, Critique de la modernité, Paris, éd. Librairie Arthème Fayard, 1992.
J. Bentham, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, Londres, éd. Athlone Press, 1970.
- Charles Baudelaire, Le peintre de la vie moderne, Paris, Hrsg. von Silvia Acierno u.a, 2009.
Georg Simmel, Les grandes villes et la vie de l’esprit. Suivi de Sociologie des sens, Paris, éd. Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2013.
Georges Livet, Les guerres de religion (1559-1598), coll. « Que sais-je ? », Paris, Presses Universitaires de France – PUF., 2002.
Gérard Jorland, « La notion de révolution scientifique aujourd’hui », Revue européenne des sciences sociales, 2002, mis en ligne le 01 décembre 2009, consulté le 05 février 2017.
J.-A. Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris, Petite bibliothèque de Payot, 1974.
Thierry Wanegffelen, Les causes de la Réforme : une question reposée. 45e Meeting of the Society for French Historical Studies, Washington, D.C., 1999.
Vincent Citot, « Le processus historique de la Modernité et la possibilité de la liberté (universalisme et individualisme) », Le Philosophoire, n°25, 2005, pages 35 à 76.
[1] Georg Simmel, Les grandes villes et la vie de l’esprit. Suivi de Sociologie des sens, Paris, éd. Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2013, p. 238.
[2] Thierry Wanegffelen. Les causes de la Réforme : une question reposée. 45e Meeting of the Society for French Historical Studies, Washington, D.C., 1999.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Georges Livet, Les guerres de religion (1559-1598), coll. « Que sais-je ? », Paris, Presses Universitaires de France – PUF., 2002, pp.15-16.
[6] Gérard Jorland, « La notion de révolution scientifique aujourd’hui », Revue européenne des sciences sociales, 2002, mis en ligne le 01 décembre 2009, consulté le 05 février 2017.
[7] Ibid.
[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] Nous devons à Jeremy Bentham cette expression clé de la doctrine utilitariste, qui est l’une des deux grandes doctrines éthiques, l’autre étant la doctrine du droit naturel, qui s’attachent à définir, au Siècle des Lumières, le territoire d’expression de la liberté humaine. Cf. J. Bentham, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, Londres, éd. Athlone Press, 1970.
[11] Ibid.
[12] Alain Touraine, Critique de la modernité, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1992, p. 13.
[13] J.-A. Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie, Paris, Petite bibliothèque de Payot, 1974, p. 116.
[14] Voltaire, Traité sur la tolérance, Paris, éd. BIBEBOOK. 2016.
[15] Alain Touraine, Op.cit., p. 31.
Expression tirée d’un ouvrage de Baudelaire.
[16] Vincent Citot, « Le processus historique de la Modernité et la possibilité de la liberté (universalisme et individualisme) », Le Philosophoire, n° 25, 2005, p. 5.