N° 160, mars 2019

Le Varzesh-e Pahlavâni avant l’islam et sa présence dans le Shâhnâmeh de Ferdowsi


Khadidjeh Nâderi Beni


La reine Homây jouant au polo avec ses esclaves, manuscrit enluminé du Shâhnâmeh

Les études sociologiques attestent que dans toute société, il y a bon nombre de coutumes et d’habitudes provenant des traditions anciennes des peuples. De plus, selon ces études, la religion a été l’une des plus anciennes éducations offertes dans des institutions éducatives. Autrefois, les jeunes enfants débutaient leurs études par l’éducation religieuse destinée à leur offrir une vie culturelle, sociale et économique plus élevée.

Les fondateurs de la civilisation iranienne, pour leur part, ont également donné une place importante aux enseignements religieux visant à développer les vertus morales et l’humanité. Selon le système éducatif de la Perse antique préislamique, les enfants complétaient d’abord une partie de leur éducation religieuse avant de passer aux techniques de chasse, d’équitation et de chevalerie.

À l’époque sassanide, les mages zoroastriens sont très puissants et le zoroastrisme devient la religion officielle du pays. Dès lors, les enseignements zoroastriens forment la base de l’éducation. De plus, les fondations de l’organisation sociale et étatique sassanide sont respectueuses des instructions du zoroastrisme. À l’époque, le but primordial de l’éducation était d’enseigner la religion aux enfants pour qu’ils apprennent le respect et l’obéissance envers l’État. Selon les données historiques, dans le système éducatif antique iranien, les enfants recevaient également une éducation sportive afin d’acquérir les compétences d’un véritable combattant. Le sport était plutôt une éducation militarisée dont le but était de cultiver le corps et l’âme de l’apprenant. Il s’agissait d’apprendre aux enfants les bases d’une morale martiale. En plus de l’éducation physique, on enseignait aux enfants le courage, la force d’âme, la vérité, la justice et le nationalisme. Ils se préparaient à se sacrifier pour la patrie. Ce système éducatif est maintes fois mentionné dans le Shâhnâmeh de Ferdowsi. Il revient notamment avec des détails sur cette éducation dans le chapitre de l’histoire de Dârâb, le fils du roi Homây. Dârâb, après s’être formé dans la voie de l’Avestâ et du Zand, demande à son père adoptif, blanchisseur de son état, de le confier aux instituteurs (farhanguiân) afin d’entamer son éducation physique et militaire.

Scène du combat au corps-à-corps (sar shâkh shodan) entre Rostam et son fils Sohrâb

Les sports de combat (varzesh-e razmi) ont toujours été une source d’honneur pour les Iraniens. Les pahlavân pratiquant ces arts ont été continuellement glorifiés dans la tradition persane et plus particulièrement dans la poésie épique comme le Shâhnâmeh de Ferdowsi. La lutte (koshti), l’une des matières de l’éducation physique des temps passés, est un sport qui jouit d’une histoire de plus de 6000 ans. Selon les documents historiques dont l’Avestâ, les rois les plus anciens des dynasties légendaires iraniennes pratiquaient et encourageaient la lutte traditionnelle dans leurs royaumes. Les grands héros mythologiques, notamment ceux cités dans le Shâhnâmeh, comme Rostam, Goudarz et Guiv, ont tous été de grands lutteurs. D’ailleurs, selon une tradition guerrière antique, les commandants des deux troupes ennemies luttaient au corps-à-corps, d’où l’étymologie de l’expression en persan de « sar shâkh shodan », signifiant « s’affronter », qui veut littéralement dire « la confrontation des chefs ». Dans son chef-d’œuvre, Ferdowsi décrit plusieurs scènes de lutte entre les pahlavâns (les héros) dont un très bon exemple est la scène du combat entre Rostam et son fils Sohrâb.

Le polo (chaugân) est un autre sport traditionnel iranien dont l’histoire remonte au moins à l’ère sassanide. D’après Ferdowsi, les Keyanides, l’une des plus anciennes dynasties des légendes iraniennes, ont été les fondateurs du chaugân. Ce sport antique iranien revient plusieurs fois dans le Shâhnâmeh. Par exemple, le poète raconte un match de polo international entre les forces touraniennes et les adeptes de Siâvosh l’Iranien. En outre, Ferdowsi considère ce sport charmant comme l’activité préférée du roi sassanide Shâpour II, qui l’a pratiquée dès ses sept ans.

Le polo (chaugân) d’après le Shâhnâmeh de Ferdowsi

Dans le système éducatif antique, la verve et l’éloquence de la parole sont des vertus indispensables à tout héros. L’éloquence se trouve à la base des trois principes fondamentaux du Zoroastrisme : les bonnes pensées, les bonnes paroles et les bonnes actions. L’ensemble de ces instructions morales et physiques suivait un même objectif : former un guerrier dévoué et vaillant qui saurait renoncer à ses propres intérêts, maitriser ses désirs et qui serait toujours le sauveur des misérables.

Le varzesh-e pahlavâni, un autre sport antique iranien toujours pratiqué aujourd’hui, comprend un ensemble d’exercices physiques qui se tiennent dans une « maison de force » ou zûrkhâneh. Ces exercices recouvrent en particulier la lutte et la gymnastique. L’histoire du varzesh-e pahlavâni remonte à l’époque préhistorique et durant l’Empire parthe, les combattants le pratiquaient afin de se préparer pour la guerre. D’après les chercheurs, les récits mythiques du Shâhnâmeh sont, entre autres traditions, à l’origine des rituels actuels du varzesh-e pahlavâni. Le but principal de ce sport traditionnel est de préparer le pahlavân à l’héroïsme en renforçant non seulement son corps, mais également en lui faisant appliquer les vertus morales dont la bravoure, la clémence, l’honnêteté, la générosité, etc.

Manuscrit enluminé du Shâhnâmeh de Ferdowsi (940-1025), Folio 22 verso, Rostam soulève Afrasiâb de Tûrân par sa ceinture. Aquarelle opaque, encre et or sur papier, cira 1435-14.

Les Pahlavâns du Shâhnâmeh s’efforcent de surpasser et de vaincre les forces du Mal. Dans certains chapitres de cet ouvrage, le destin du pays est déterminé par le résultat d’un combat au corps-à-corps entre le héros et le commandant des forces du Mal. Ce combat à mains nues, connu sous le nom de koshti (la lutte) est l’une des activités du varzesh-e pahlavâni. Rostam est considéré comme le modèle des lutteurs. Aujourd’hui encore, cette figure légendaire du Shâhnâmeh est fort admirée chez les athlètes et lutteurs iraniens mondialement reconnus, pour ses qualités physiques mais aussi et surtout morales.

En général, les murs de la zurkhâneh sont ornés de tableaux qui représentent des scènes de lutte entre les personnages du Shâhnâmeh, comme le combat entre Rostam et Sohrâb. En outre, on y déclame souvent des passages de cette œuvre épique. Un des distiques du Shâhnâmeh les plus récités dans la zurkhâneh commence ainsi : « Par la force du corps, l’homme est en bonne santé / la faiblesse du corps crée le manque et la déviance ». Le distique d’introduction de ce chef-d’œuvre en est un autre exemple : « Au nom du Seigneur de l’âme et de l’intelligence/ qu’aucune pensée ne peut dépasser ».

Ce sport traditionnel exalte les valeurs morales, chevaleresques et religieuses, comme l’humanité, la charité et la bravoure. D’autres traditions ont de profondes interrelations avec la zurkhâneh, notamment le javânmardi.

Combat pahlavâni entre Sohrâb et Shabân avant le commencement d’une bataille.

Après l’arrivée de l’islam en Iran, puis la diffusion des idées chiites, la spiritualité et les philosophies iraniennes préislamiques à l’origine de l’enseignement moral des arts martiaux iraniens, ont pris de nouvelles dimensions et ont intégré l’enseignement éthique islamique à la morale antique traditionnelle. L’intronisation du chiisme comme religion officielle à l’époque safavide ne marque, par ailleurs, nullement les commencements de cette assimilation. L’intégration de l’enseignement islamique dans les structures éthiques préislamiques iraniennes commence déjà à apparaître dans le Shâhnâmeh qui date du Xe siècle. 

Les études faites sur l’écriture et le texte du Shâhnâmeh attestent que Ferdowsi a porté une attention particulière sur le sport et les exercices physiques, d’où l’apparition de certains mots concernant les accessoires utilisés pour l’entraînement comme : mil (la massue), kabbâdeh (arc en métal), takhteh (la barre) et sang (le bouclier). On peut également y trouver des mots concernant les arts martiaux et les activités physiques comme : tir-o kamân (tir à l’arc), asbsavâri (équitation) et koshti (lutte). Selon ces études, le Shâhnâmeh est également un livre de l’héroïsme et de la science du combat et représente la voie chevaleresque du héros. Les Pahlavâns du Shâhnâmeh s’entraînaient longuement avant d’affronter leurs ennemis sur le champ de bataille.

Exemple d’un style de peinture visible dans la zûrkhâneh. Ici, une scène de combat entre les héros iranien et touranien Rostam et Esfandiâr.

Il reste à dire que le mot « zurkhâneh » ne figure pas dans le Shâhnâmeh. Cependant, la forte présence des passages décrivant les attitudes et les vertus héroïques montre l’importance que Ferdowsi accorde à la santé, à la pratique sportive, aux vertus de l’effort physique et au cheminement moral et éthique qui accompagne le sport traditionnel, dans la civilisation iranienne comme dans bien d’autres civilisations. Le sport martial traditionnel comporte aussi une forte dimension éthique. Le héros pahlavân iranien n’est pas un simple guerrier. C’est un héros au sens propre du terme, un véritable protecteur de l’humanité et de la moralité, un défenseur des opprimés dans la société humaine.


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