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Reza Baraheni, né en 1935 à Tabriz, est un écrivain, poète, traducteur et critique littéraire iranien, d’origine azérie. Il a fait ses études à l’université d’Istanbul en littérature anglaise. Ensuite, il a commencé à enseigner à l’université de Téhéran. Il était l’un des membres de l’association des écrivains d’Iran. Il a été emprisonné et torturé à l’époque du Shah en raison de sa lutte contre la censure et la dictature. Il a publié plus de 50 livres en persan, anglais et turc. Baraheni est considéré comme l’un des poètes novateurs et influents de la littérature persane contemporaine après Nima. Baraheni publie sa manifestation poétique, « Adresse aux papillons », en 1997, où il déclare ses nouvelles idées à propos de la prosodie persane, distinguée de l’ancienne et de celle innovée par Nima.
Dans l’allée des quatre matins
Chacun a un toit au-dessus de sa tête
Chacun a un jardin secret dans le rêve
Mais je suis comme toi - seul -
Ô arbre ! Ô cage séchée d’un printemps enfoui !
Une corde épineuse et lumineuse des astres
Autour de moi, autour de toi,
Enveloppée des horizons d’un univers secret.
Et à cette heure de silence
La lune est un être surprenant qui joue un personnage inconnu
Parfois semblable au visage auréolé des saints
Parfois semblable aux seins de cristal d’une femme
Tatoués des mille noms des hommes
Parfois semblable au tambourin en cuir des gitans.
La lune me voit dans son rêve :
Avec mes cinq doigts crispés sur les cinq autres
Avec mes deux bras qui enserrent
Fortement mes deux jambes
La lune est de nouveau
Mesure de la poésie...
Émergeant de la nocturne solitude
Et inspirée par elle
Et à cette heure de silence
Chacun a un toit au-dessus de sa tête
Chacun a un jardin secret dans le rêve
Chacun a un nom et un refuge...
Mais moi,
Recroquevillé sur ce banc froid
De l’allée des quatre matins
Avec mes cinq doigts crispés sur les cinq autres
Avec mes deux bras qui enserrent
Fortement mes deux jambes
J’ai une étreinte de solitude
À moi tout seul
Les autres
Ils ont chacun
Un nom
Un refuge...
À l’aïeule à la maison de repos
Pour mourir,
Ne me dépose pas
Parmi les tubéreuses et les narcisses !
Ne me délivre pas
Dans les eaux du monde !
Ne me confie pas non plus aux galaxies !
Fais-moi passer d’abord
Entre le bracelet de ce regard oblique, acéré !
Et emmène-moi en haut de ces marches dégradées, disloquées
Vers les vieux arbres dont le vent branle les ombres !
Ne me montre à personne
Ni à ma fille, ni à mes frères
Ni à ma sœur, ni à mes fils !
Quels étranges visages
Ont tous les dormeurs
Dans les lits de cette chambre.
Comme je suis épuisée !
Dépose-moi sur la dernière marche !
Dépose-moi !
Repars !
Redescends !
Emporte avec toi tous les fruits, les fleurs, les dattes
Leur place n’est pas ici !
Emmène-moi là-haut !
Dépose-moi sur la dernière marche !
La voix de tes pas
Sont les plumes tombées des ailes des grues
À la saison où tombent les dernières feuilles de la fin du monde
Ton adieu a fini par se taire
Dieu merci !
Comme je suis fatiguée !
J’ai besoin d’un long repos !
Hisse-moi sur le dos de l’âme du désert
Et pars !
Et demain si tu en as envie
Reviens et apporte un miroir avec toi !
Et vois les reflets de mes soupirs !
Regarde qu’une petite fille de quatre-vingts ans
-une poupée de chiffon-
Se retrouve à plat ventre.
Et ensuite fais-moi tourner sur moi-même !
Fixe comme un pivot ce regard oblique, acéré !
Prends-moi et fais-moi tourner !
Car moi,
Je ne suis plus !
Je ne sais pas
Ce qu’il y a derrière les vitres
Sous le feuillage des arbres
Quel est ce chant de bateliers amoureux
Avançant vers moi ?
Quel est ce chant qu’ils composent pour moi ?
Et je ne sais pas près de moi
Sous ce nuage de lumière aveuglante
Qui est-ce qui rit comme des gens ivres
Dans le silence de la nuit, rit-on de moi ?
Qui pleure comme un amant sous couvert d’amour pour moi ?
Et je ne sais pas qui rit sur mes yeux
Parfois dompté et parfois insoumis
Qui est-ce qui danse pour ce cœur calme et agité ?
Mon cerveau est une montagne, ce chant
Le bouillonnement d’un ruisseau froid d’une profondeur obscure
La neige, ce chant
S’assied flocon après flocon
Sur la hauteur des branches de ma chair
Le feuillage de ma chair couvert de neige
Ses fruits, la neige
Comme les hivers lointains de l’enfance
Mon univers, mon rêve
Plein de neige
Je ne sais pas quelle main balance le berceau de notre amour
Et je ne sais non plus, dans la nuit, ces cloches de l’amour
Qui est-ce qui les sonne de mes bras et mes mains ?
Qui est celui qui vient de la profondeur de l’obscurité vers l’aurore de la lumière ?
Derrière les vitres, sous le feuillage des arbres, je ne sais pas
Quel est ce chant de bateliers amoureux
Avançant vers moi ?
Quel est ce chant qu’ils composent pour moi ?
Ils arrachèrent la porte, la soulevèrent
Lancèrent la porte sur une charrette.
Maintenant, l’espace vide de la porte
Comme la bouche d’un chien, halète
Assoiffée et solitaire sous le soleil.
Ils emportèrent les chambres
Avec les glaces cassées et brisées.
Les murs vides et trahis des fenêtres
Sont restés seuls.
As-tu vu qu’ils ont emporté aussi notre maison ?
Nos sensations, à présent, ont pris la forme
Des abeilles errantes,
Qui sont chacune à leur tour
En quête de leurs ruches perdues.
À ce moment, c’est le tour du Sabalan
Et nous, autour du Sabalan, en spectateurs…
Indifférents à notre présence, ils se mirent à la tâche.
Ils achevèrent le boulot et puis, haletant
Ils ont jeté le Sabalan sur une charrette
Et l’ont emporté.
Ils arrachèrent aussi le ciel étoilé de Tabriz
Et l’ont lancé sur la charrette.
Au-dessus de la charrette
Mille yeux de Tabriz hurlèrent.
Et ils nous ont emportés,
Oui, ils nous ont emportés.
Les fleurs des jardins de Tabriz pleuraient
Lorsqu’ils ont lancé la citadelle de Tabriz sur une charrette
Et ils l’emportèrent.
Maintenant, nous demandons aux termites
L’adresse du soleil.
Tu n’es plus là,
Car, ils sont venus, t’ont lancé sur la charrette,
Et t’ont emporté.
Que fait-on sur cette terre
En ton absence ?
Nous entendons le gémissement de mille charrettes au loin,
Même dans notre sommeil.
Je souhaite qu’ils viennent nous emporter aussi.
J’étais impatient
Que le soleil vienne…
Il n’est pas venu.
J’ai couru derrière un fou
Dont les cheveux d’ombre
S’épanchaient sur le charme chaud
Du marbre de ses cuisses,
Que le soleil vienne…
Il n’est pas venu.
J’ai écrit sur le papier, le mur, la pierre, le sol
Qu’ils lisent ce qui est écrit
Que le soleil vienne…
Il n’est pas venu...
J’ai hurlé comme un loup
Comme il fouille de sa gueule
Dans le ventre du temps,
J’ai déchiqueté
J’ai déchiré le jour et la nuit,
Que le soleil vienne,
Il n’est pas venu…
Quelle étrange époque, odieuse !
L’époque, temps de chien !
Et moi, son chien !
Et lorsqu’on m’expulse de la porte de sa maison,
J’ai sauté dans la maison
Depuis le toit de la fidélité,
Que le soleil vienne…
Il n’est pas venu.
Je me suis donné des gifles
Dans le silence de l’arrière-cour,
Et lorsque je suis venu dans la rue
J’ai montré au monde
Mes joues
Comme de l’acier en fusion,
Que le soleil vienne…
Il n’est pas venu.
Même si mes plaintes en dormant
Ont perturbé le sommeil amer,
Le sommeil doux et lourd des enfants du monde,
Mais, je n’ai pu pleurer
Ni chez l’ami,
Ni en présence d’un étranger,
Ni dans un endroit paisible,
Je n’ai pu pleurer,
Que le soleil vienne…
Il n’est pas venu.