|
Le nom de la bibliothèque Nezâmieh d’Ispahan est étroitement associé au titre attribué aux écoles scientifiques qui ont été fondées pendant la dynastie seldjoukide au milieu du XIe siècle. À l’époque d’Alp Arsalan (1029-1072) et de son fils Malek Shah (1055-1092), le célèbre ministre Nezâm al-Molk (1018-1092) institue dans quelques provinces iraniennes des écoles appelées « Écoles Nezâmieh ». Celles-ci ne sont certes pas les plus anciennes écoles de l’Iran, mais elles se démarquent par le rôle indéniable qu’elles ont joué dans le développement systématique et programmé d’un réseau d’écoles supérieures iraniennes.
La date de la fondation de l’école Nezâmieh à Ispahan n’est pas connue, mais on estime qu’elle remonte aux années 1060-1070, avant la mort de Sadr al-Din Khodjandi, homme de lettres et chef de la célèbre famille des Khodjand, qui avait assumé à cette époque-là la responsabilité des affaires de cette école, d’où vient ainsi le titre « Sadrieh » attribué à l’école d’Ispahan.
Cette école se situe près de la Grande Mosquée d’Ispahan (masdjed djâme’) dans un quartier appelé Dardasht. Nezâm al-Molk avait consacré une partie de ses revenus personnels ainsi qu’un budget du gouvernement et des dotations de marchands, de hammams publics, de magasins et de caravansérails en vue de faire construire le bâtiment de l’école, de l’équiper convenablement, et de rémunérer les étudiants pensionnaires ou les externes de l’école ainsi que les enseignants, les bibliothécaires et les autres salariés.
Les étudiants de cette école avaient tous des bureaux privatifs bien aménagés. Par ailleurs, les enseignants étaient sélectionnés parmi les savants les plus renommés de l’époque. Elle bénéficiait aussi de l’expertise de bibliothécaires réputés en matière d’organisation, de gestion et de classification des livres. La bibliothèque de cette école recelait un grand nombre d’ouvrages authentiques et précieux, écrits par les pionniers en littérature, en science et en religion.
Après la mort de Nezâm al-Molk en 1092, la direction de l’école a été confiée à son fils aîné et puis aux ministres successeurs, jusqu’à la venue de l’Empire mongol au début du XIIIe siècle, où le célèbre ministre Nassireddin Tusi réussit à établir un nouvel ordre sur l’ensemble des écoles. L’école Nezâmieh d’Ispahan, celle de Bagdad et celle de Neyshabur deviennent alors des centres scientifiques renommés.
La bibliothèque de l’école Nezâmieh d’Ispahan est parmi les plus célèbres en Iran, car cette ville a été la capitale culturelle du pays sous le règne de trois grandes dynasties bouyide, seldjoukide et safavide. Tout au long de ces périodes, à l’invitation du roi ou de son grand vizir, les figures scientifiques, religieuses ou littéraires sont venues s’installer à Ispahan, et cela a participé à la prospérité de cette ville dans tous les domaines. Citons par exemple la famille Khodjand qui a quitté sa ville de Merv (aujourd’hui au Turkménistan) pour aller enseigner à l’école d’Ispahan à la demande de Nezâm al-Molk,.
En conséquence de ces transferts culturels entre Ispahan et d’autres villes, de multiples ouvrages ont été publiés à Ispahan. Plus tard, durant la dynastie des Safavides (XVIe-XVIIIe siècles), les savants chiites d’Irak et de Bahreïn ont poursuivi leurs études et recherches au sein de cette ville. De plus, les chercheurs et étudiants des autres territoires ont bénéficié des soutiens financiers des souverains. À titre d’exemple, Sâheb Ebn-e Abbâd, le grand vizir de l’Empire bouyide pendant les années 976-995, fit preuve d’un grand intérêt pour les évolutions culturelles, littéraires et scientifiques, et fut engagé dans des activités de mécénat auprès de savants et écrivains des pays voisins.
Les successeurs de ces savants s’engageaient souvent à conserver l’héritage spirituel et scriptural de leurs aïeuls. Ainsi, les bibliothèques privées ont-elles été généralement préservées et restaurées pendant plusieurs décennies et ouvertes aux érudits. La bibliothèque de la famille des Khodjand, dont le chef était le célèbre Sadr al-Din Khodjandi, devint très tôt une bibliothèque publique. Les rois et les gouvernants iraniens accordaient également une attention à la tradition de dotation pieuse (waqf) et d’aumône en vue de faire bâtir de nombreuses mosquées et écoles qui disposaient à leur tour de bibliothèques plus ou moins importantes.
Néanmoins, les bibliothèques d’Ispahan ont été à plusieurs reprises exposées aux pillages ou aux incendies à cause des guerres diverses entre les gouvernements régionaux ou à la suite d’invasions étrangères. Les guerres religieuses déclenchées au Xe siècle, notamment la querelle des chiites et des sunnites sous le règne de la dynastie safavide, ont causé la disparition totale ou partielle de nombre d’entre elles.
De même, l’apparition d’un gouvernement rigoriste et peu ouvert aux aspirations libératrices obligea un grand nombre de poètes, savants et artistes à quitter le pays pour entamer une nouvelle vie plus libre dans des territoires comme l’Inde, l’Asie Mineure et la Transoxiane.
L’invasion afghane et la prise d’Ispahan à l’époque des Safavides, ainsi que l’atmosphère de terreur et d’insécurité qui en découla conduisit des savants en religion à se réfugier dans les autres centres religieux de la région, particulièrement en Irak. Ils emmenèrent parfois avec eux une grande partie de leur bibliothèque personnelle. Selon des documents historiques, la grande bibliothèque de l’école royale de Tchâhâr Bâgh, qui détenait de rares manuscrits, a été déplacée au sous-sol de l’école pour être protégée des pillages, mais a été ruinée presque totalement par les termites et l’humidité.
Une autre raison de la disparition des bibliothèques d’Ispahan réside dans le fait que les collections familiales étaient éparpillées lors de successions et étaient parfois mises en vente par les descendants. L’exemple le plus célèbre est la bibliothèque de la famille Majlessi. Mohammad Bâgher Majlessi, surnommé Sheikh al-Islam, disposait d’une grande bibliothèque dont il avait rassemblé les ouvrages pendant de longues années en vue d’écrire son œuvre monumentale, un recueil de hadiths chiites, Les Mers des Lumières (Bihâr al-Anvâr). Il envoyait des messagers à destination des territoires lointains pour demander aux rois de lui envoyer, en échange de cadeaux, les ouvrages dont il avait besoin. Il payait des scribes pour écrire à la main selon les archives anciennes qui risquaient d’être détruites tôt ou tard. Ainsi, il a restauré et préservé les livres d’autres bibliothèques personnelles comme celle de son père ou d’autres savants parmi ses contemporains. Mais à sa mort, cette grande collection de livres fut dispersée.
Malgré le déclin de la ville d’Ispahan suite à l’arrivée au pouvoir de la dynastie des Qâdjârs, l’école Nezâmieh d’Ispahan demeura le centre scientifique et religieux le plus ancien et le plus éminent de cette ville. Les livres de sa bibliothèque étaient pour la plupart des exemplaires originaux d’ouvrages écrits par de grands savants de l’époque seldjoukide, et elle est restée fréquentée par de nombreux enseignants et étudiants.
Bibliographie :
-Horri, A. (Ed.). (2002). Dâ’irat al-ma’âref-e ketâbdâri va ettelâ’ resâni (Encyclopédie de l’information et de la librairie), 1er volume. Téhéran : Bibliothèque nationale.
-Ta’avoni, Sh. Et Bidjari, B. (1998). Râhnemâ’i-e marâkez-e asnâd va ketâbkhâneh-hâye takhassosi, ekhtesâsi va dâneshgâhi (Le Guide des centres de documents et des bibliothèques spécialisées et universitaires), 2e édition. Téhéran : la Bibliothèque nationale de la République islamique d’Iran.
-ZendehDel, H. et al. (1998). Majmou’eh-ye râhnemâ’i-e jâme’-e irângardi (Guide touristique de l’Iran : La province d’Ispahan). Téhéran : Éditions Voyageurs de l’Iran.
-Ketabi, M.-B. (1996).Rejâl-e Esfâhân dar ‘elm va ‘erfân va adab va honar (Les grands hommes d’Ispahan dans les domaines de la science, de la mystique, de la littérature et de l’art). Ispahan : Éditions Golha.
-Kassa’i, N. (1995). Madâres-e nezâmieh va ta’sirât-e elmi va ejtemâ’i-e ân (Les écoles Nezâmieh et leurs impacts scientifiques et sociaux). Téhéran : AmirKabir.
- Keymanesh, A. (1995). Ketâbkhâneh-hâye irân dar advâr-e nokhostin va miyâneh-e tamaddon-e eslâmi (Les Bibliothèques de l’Iran pendant les époques initiales et moyennes de la civilisation islamique). In A. Mohammadkhani, La lettre de Shahidi (les articles recueillis à la mémoire de Dr Seyed Jafar Shahidi). Téhéran : Tarh’e No.