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Rénover, transformer, adapter.
Un centre culturel représente un pays et son objectif est de faire connaître ou mieux connaître la culture dont il est porteur dans le pays d’accueil. Avec la Corée du Sud, le Centre culturel dont il est question ici est tout récent, ceci après un déménagement du Centre culturel initial fondé en 1980, avenue d’Iéna à Paris. Ce centre initial était peu adapté aux ambitions et activités représentatives de ce pays qui affiche une forte dynamique en matière de culture : le manque d’espace et des locaux se prêtant mal aux expositions, spectacles et manifestations dès lors qu’elles revêtaient une quelconque envergure. D’autre part, et ce n’est point anodin, avait eu lieu l’ouverture, à Paris, de nouveaux centres culturels de pays riverains de la Corée, celui du Japon, sur les Quais de Seine et un peu plus tard celui de la Chine, lesquels centres s’étaient dotés de vastes espaces à la mesure de ces deux pays. Désormais, le nouveau Centre culturel coréen siège au 20 rue La Boétie, un quartier d’activités où il y a essentiellement des bureaux, et occupant la totalité d’un immeuble de type haussmannien entièrement rénové de la manière la plus réussie qui soit, à la façon postmoderne, où l’ancien et le moderne se conjuguent avec le plus grand bonheur. Pierre de taille ravalée et blanche, jolie cour, parquets de chêne, plafonds à moulures et même à cartouches peints, pour ce qui relève de l’ancien, et d’autre part, pour ce qui est nouveau : grands vitrages, portes coulissantes automatiques, structures métalliques apparentes, éclairages parfaitement adaptés à l’exposition. Un auditorium hyper équipé, dont débordent l’imagerie fixe ou mobile, les chants et la musique ; tout cela fonctionnant à la perfection, comme sait le faire la Corée, pour l’information, l’exposition, l’éducation et la diffusion de créations fort diverses, dont, certes la vidéo. Par ailleurs, deux grands espaces de quelque 700 m2 sont réservés à l’exposition. La bibliothèque, des ateliers d’artisanat coréen, des cours de langue coréenne complètent les activités du centre. Enfin d’autres espaces sont dédiés spécifiquement à la culture et à des savoirs faire coréens spécifiques : espace Hanok pour ce qui relève de la maison traditionnelle, laquelle, entre autres caractéristiques, vit en permanence en relation avec la nature. Le Hansik nous fait découvrir la cuisine coréenne, tellement différente de la nôtre qui se donne comme espace de travail et de création. Enfin, le Hallyu montre la force et la dynamique du K.pop et des films musicaux pour révéler le cinéma coréen, déjà fort prisé ici. Tout cela se côtoie le plus harmonieusement qui soit, avec une surface totale de près de 3800 m2. La rénovation et la transformation du bâtiment sont parfaites ; malgré le poids des ans, les traces conservées à dessein des moulures et autres ornements anciens, la visite laisse une impression de neuf. Ici, la Corée a réalisé un rêve : disposer d’un centre culturel à la hauteur des plus réussis de Paris, en France, l’un des pays avec lequel les échanges culturels, artistiques comme universitaires sont aussi riches que fort anciens.
Communiquer
Ce nouveau Centre culturel est l’occasion d’une vaste opération de communication sur les différentes manifestations qui se succèdent de la manière la plus dense. Il diffuse en ligne et sur papier de qualité force documentations et catalogues très pédagogiques, très clairs en même temps que particulièrement soignés. Ainsi, l’information à destination des publics ciblés dépasse largement ce qui se fait d’ordinaire, puisque celle-ci abonde jusque dans les stations de métro et que par ailleurs le visiteur reçoit une importante documentation décrivant les programmes saisonniers. Et cela est vraiment nécessaire, compte tenu de la différence considérable entre la langue coréenne et la langue française, compte-tenu, également, d’une connaissance encore limitée et réciproque des deux cultures. Mais, ce travail effectué par le Centre culturel coréen répond à une demande croissante de connaissance de l’un par l’autre des deux pays. Ainsi, la Corée est passée en quelques décennies du statut de pays, celui de l’après guerre mondiale, relativement fermé sur lui-même et très peu connu, à un statut de partenaire d’échanges culturels de plus en plus fréquents et riches. Certes, la distance géographique est grande entre la France et la Corée mais certains événements comme les Jeux olympiques de 1988, il y a donc 33 ans, avaient donné lieu à, non seulement des compétitions sportives, mais à l’accueil de nombreux artistes et galeristes français, événements qui ont laissé des traces dans la mémoire du monde de l’art en France. Et il y a cette omniprésence d’artistes coréens séjournant en France, ceci depuis les toutes premières décennies du vingtième siècle, avec des artistes, pour certains, installés définitivement. Mais, il y a également les effets du retour en Corée d’artistes coréens ayant séjourné et appris en France, artistes ayant évolué dans leur pratique alors le plus souvent traditionnelle et contribuant ainsi à un effet d’attraction pour des formes d’art autres que celles, alors dominantes en Corée. Ainsi furent introduites des formes d’art et manières de concevoir l’art différentes de celles de la tradition coréenne, quant à la figuration, quant à l’espace pictural, et peu à peu quant à la non figuration et notamment avec l’Abstraction lyrique qui a su être très calligraphique tout en se formalisant en un espace pictural non fermé comme l’est (l’était) l’espace de la représentation, en Europe depuis la mise au point de la perspective albertienne, lors de la Renaissance. D’autre part, le nombre des étudiants coréens inscrits dans les universités et établissements supérieurs français est devenu important, dans le domaine des arts autant que dans bien d’autres disciplines. Enfin, à Paris, la communauté coréenne est devenue réellement importante, notamment dans le quinzième arrondissement, constituée à la fois de résidents pour des raisons professionnelles que de Coréens installés définitivement en France.
Le hangeul, un patrimoine.
Il s’agit de l’alphabet coréen inventé au XVème siècle par le roi de Joséon : écriture très simplifiée par rapport à l’écriture chinoise alors en usage, réservée aux seuls lettrés et inaccessible à la majorité de la population coréenne. À l’instar de l’alphabet latin, utilisé dans beaucoup de pays, le hangeul est un alphabet constitué de signes simples et ne comporte que 26 lettres, à comparer avec les milliers de caractères constituant l’écriture chinoise. Cet alphabet est un patrimoine tout à fait remarquable et exceptionnel auquel la Corée tient beaucoup. Au Centre culturel coréen, deux expositions présentent, d’une part, un résumé et introduction à ce qu’est le hangeul, au plan historique comme de nos jours, et, d’autre part, une exposition “Hangeul, l’alphabet coréen à la rencontre du design”, constituée d’œuvres réalisées par des designers contemporains coréens et fondées sur l’exploration formelle autant que symbolique et spirituelle de l’alphabet hangeul. Un nombre conséquent d’œuvres de formes très diverses sont ainsi issues d’un travail de grande qualité : objets tridimensionnels fonctionnels, ludiques, céramiques, mobiliers, parquets, vidéos, design de mode. Cette exposition actuelle n’est certes pas sans évoquer celle du Musée des Arts décoratifs, à Paris, en 2015/2016 “Korea Now ! Craft, design, mode et graphisme en Corée.” Cette exposition avait offert au public français une découverte panoramique du design contemporain coréen et de son inventivité, en même temps que de sa modernité articulée au design historique et traditionnel. Ici, l’exposition sur le hangeul confirme assurément la qualité de la recherche et de la création coréennes appliquées à l’alphabet coréen. Ce à quoi il est nécessaire d’ajouter ce plus spirituel dont se dotent certaines œuvres, reflétant ainsi la pensée philosophique profondément ancrée dans la culture de la Corée.
Une exposition d’Arts Plastiques de l’Académie des Arts de Corée.
Il s’agit d’une exposition beaucoup plus traditionnelle que ne sont celles sur l’alphabet hangeul et celle des designers coréens qui s’en sont emparés. Le terme Académie présent dans le titre, renvoie, en français, à deux sens, le premier étant la réunion de personnes de qualité et douées d’un grand savoir-faire, comme il en fut longtemps en France avec l’Académie des Beaux-Arts. L’autre sens du terme académie étant, en français, plus critique à l’égard d’une institution plutôt normative et allant quelque peu à l’encontre de la création en matière artistique. Avec cette exposition, il s’agit d’un groupe d’artistes dont les œuvres, peintures, dessins et sculptures, pour l’essentiel, témoignent d’un grand savoir-faire et d’une grande sensibilité, bref c’est là du bel art. Cette Académie, fondée en 1954, a réuni et exposé, en Corée et en d’autres pays, les œuvres des artistes-membres qu’elle défend. La présente exposition est perceptible comme un résumé du parcours d’un certain nombre d’artistes coréens de la modernité et en ce sens, il s’agit, peu ou prou, du mariage des arts coréens et des arts occidentaux, ou, autrement dit d’un dialogue où les formes d’art et la manière de penser l’art se rencontrent, s’enrichissent. Beaucoup d’œuvres présentées par l’Académie des Arts de Corée au Centre culturel coréen révèlent ainsi des familiarités avec l’art moderne occidental depuis Braque ou Picasso, en même temps qu’elles témoignent de la richesse des dialogues entre les arts des pays concernés. Certaines des œuvres exposées conservent un esprit typiquement coréen, par exemple celles de Lee Jong Sang ou de Song Young Bang ou bien encore celles de Kwon Chang Ryun. Celle de Sohn Dong Chin flirte sans doute avec l’esprit de Poliakoff, parmi d’autres peintres abstraits de la seconde École de Paris, alors que l’œuvre de Um Tai Jung se classe aisément parmi les œuvres du Minimal art. Ces rencontres des artistes de la Corée avec ceux, leurs contemporains, de la sphère occidentale témoignent d’une volonté de dialogues de la part d’artistes coréens qui ont sans nul doute représenté des avant-gardes en leur pays. Mais il ne faut pas oublier que ces échanges ont également fonctionné dans l’autre sens avec notamment un fort engouement d’artistes occidentaux pour les arts et les pensées philosophiques de l’Extrême Orient, dont la Corée. Pour rester dans une époque allant des années 30 à 70, il est possible d’évoquer ici Henri Michaux ou Jean Degottex, davantage pour des questions de pensée du monde que des questions immédiatement formelles.
Le centre culturel coréen : un esprit contemporain, voire expérimental avant toute autre chose, avec une articulation aux traditions ancestrales revitalisées en de nombreux spectacles.
Parmi l’offre actuellement présentée, deux genres traditionnels sont ici omniprésents : le Hangeul est volontiers sorti de sa seule fonction d’écriture, comme c’est le cas actuellement avec l’intervention remarquable des designers. Les spectacles du Pansori, spectacles chantés traditionnels nés au XVIIIe siècle à Joseon et devenus trésors de l’humanité, sont un genre vocal et musical spécifique à la Corée : chant et musique de la place publique, avec un acteur unique, qui a évolué vers une résistance à l’oppression, celle de l’occupation japonaise et celle de la dictature des années soixante-dix. Spectacles du Pansori qui se transforment et se rénovent, s’adaptent, par exemple avec la renaissance du conte pratiquée par la compagnie contemporaine Ip Koa Son : spectacle proposé par le Centre culturel coréen. Vitalité et pérennité du genre. Mais aussi, durant cet automne, sont programmés des concerts de jazz innovants, des chorégraphies, des projections de films ; la liste est longue qui témoigne d’une superbe dynamique de la création coréenne contemporaine.
Concert for 2 kor(e)as, 2021.
Un court spectacle très roboratif a pour auteure une artiste franco-coréenne, Daphné Le Sergent : Concert for 2 kor(e)as, 2021. Cette artiste était invitée par la commissaire Sang-A Chun, dans le cadre de l’exposition Outre mesure. Il s’agissait d’un concert à trois musiciens avec vidéo-mapping projetée sur le mur-écran et sur le sol, un témoignage de la conjugaison de cultures, celles des rythmes des musiciens interprétant une chanson traditionnelle coréenne nommée Arirang et ceux proposés à travers la vidéo par Daphné le Sergent. Ce type de chanson peu ou prou d’origine chamanique témoigne d’une dimension nostalgique appelée “Han” en coréen et que nous pouvons traduire par “spleen”. Cette artiste, Daphné le Sergent, est née en Corée et a grandi en France, elle est de plus en plus active sur la scène internationale de l’art contemporain. Pluralité des cultures qui se rejoignent ne serait-ce que durant ce spectacle en une combinaison de temps différents : espace et temps de la vidéo (temps du cinéma) et ceux des instruments et musiques pratiqués à leurs propres rythmes, scandant un autre temps-durée.
Un grand nombre de spectacles se déroulent et se dérouleront durant cet automne hors les murs du centre, dans les villes de province : Toulouse, La Rochelle, Montpellier, Nantes, Nancy…
Nul doute que la tâche entreprise par le Centre culturel coréen de Paris ne porte ses fruits, à court terme, et ne suscite un regain d’engouement des publics français pour la Corée, sa culture, ses traditions et ses innovations en termes de modernité. La Corée est certes bien davantage que le pays des nouvelles technologies au quotidien ! Il y a lieu de féliciter la Corée pour la mise en action de ce Centre culturel œuvrant à diffuser et rendre accessible une culture si riche, à la fois savante et profonde... et tellement différente.