|
Les œuvres les plus brillantes sont parfois créées dans les conditions les plus difficiles. Quelques décennies avant la construction de l’observatoire et de la bibliothèque de Marâgheh, l’Iran a été témoin de l’attaque sanglante des Mongols, qui a asséné un coup terrible au pays dans tous les domaines marquant un arrêt des progrès scientifiques et littéraires. Massacre ou fuite d’un grand nombre des savants, pillage et démolition de bibliothèques et de centres scientifiques entraînèrent à l’époque une stagnation scientifique. Le rapprochement de certains savants des Mongols et Ilkhanides améliora quelque peu cette situation désastreuse. L’une de ces personnes les plus renommées est sans doute Nassireddin Tusi (1201-1274). Si l’on considère tous les domaines de l’art, de la science et de la philosophie, on peut certainement affirmer qu’après Avicenne, il est l’une des figures les plus influentes dans diverses disciplines. Ministre de Hulagu, engagé dans des responsabilités politiques et sociales, doté d’une grande influence au sein de la cour ilkhanide, Nassireddin a composé un grand nombre d’œuvres en persan et en arabe dans divers domaines, dont la morale, la philosophie, les mathématiques, l’astronomie, ou encore les sciences naturelles. Son influence au sein du monde musulman est considérable alors qu’en l’Occident, seules ses œuvres consacrées à l’astronomie et aux mathématiques ont été traduites.
Les Mongols s’intéressant à l’astrologie, Hulagu a demandé à Nassireddin de construire un observatoire à Marâgheh, capitale des Ilkhanides à l’époque. Les récits à propos de son origine sont divers. Selon certains, c’est Nassireddin Tusi lui-même qui, s’apercevant de l’intérêt des Mongols pour l’astronomie, a saisi cette occasion pour proposer la construction d’un tel édifice. Accédant à la demande de son ministre, Hulagu a financièrement soutenu le projet, tout en lui donnant des appareils d’astronomie que les Mongols avaient pillés à Bagdad et dans d’autres régions. Une fois l’édifice achevé, Nassireddin y invita environ 120 spécialistes de l’astronomie.
On peut considérer que cet observatoire était le plus complet et le mieux équipé de l’époque. Il acquit rapidement une importante renommée, non seulement en tant que l’un des plus grands centres d’astronomie, mais aussi en qualité de lieu où étaient enseignées les grandes disciplines scientifiques de l’époque. Les plus célèbres savants y étaient réunis comme Ghotboddin Shirazi, grand philosophe, mathématicien et médecin ; Ibn Arabi, philosophe, mystique et poète arabe, et même des savants chinois, en raison des bonnes relations existant à l’époque entre les Ilkhanides et l’Empire mongol en Chine. Les travaux qui y furent réalisés ont inspiré et influencé les travaux de grands astronomes européens comme Tycho Brahe et Johannes Kepler, ainsi que des penseurs de l’Asie centrale (Samarkand) et de Chine.
Nassireddin et ses assistants ont aussi inventé et construit de nouveaux appareils astronomiques. L’un des travaux de recherche les plus importants entrepris au sein de cet observatoire fut l’établissement d’un calendrier nommé « Zidj ilkhanide », réalisé sur la base de l’observation des étoiles et des corps célestes par des astronomes sous la direction de Nassireddin Tusi. Ce calendrier élaboré en langue persane mais également traduit en d’autres langues a contribué au développement de la science astronomique. Il contient quatre parties consacrées à l’historiographie, aux étoiles, à la chronologie et au métier d’astronome. Ce Zidj (ou table astronomique) de l’observatoire de Marâgheh a été utilisé par des observatoires européens jusqu’à la Renaissance. Son plus ancien manuscrit est conservé à la Bibliothèque nationale de France.
À côté de cet observatoire grandiose se trouvait la grande bibliothèque de Marâgheh. C’est notamment grâce à son importance qu’elle a occupé une place éminente parmi les grandes bibliothèques de l’Iran, mais aussi du fait de la diversité et de la richesse de son fonds, comprenant des ouvrages de sciences diverses rédigés dans différentes régions du monde. Elle a rassemblé plus de 400 000 ouvrages, un volume qui n’avait été atteint par aucune des bibliothèques du monde musulman.
La construction du complexe de l’observatoire a commencé en 657 de l’Hégire, sur une colline située dans la ville de Marâgheh, à 147 km au sud-ouest de la province de l’Azerbaïdjan oriental. Cette colline, de presque 510 mètres de longueur, 217 mètres de largeur et 110 mètres de hauteur, constituait un complexe se composant de diverses parties, dont une tour centrale, cinq unités circulaires, une bibliothèque, un quartier résidentiel des savants, une mosquée, une école, un puits d’eau, un grand atelier considéré peut-être comme un laboratoire.
Du point de vue architectural, son bâtiment principal était bâti comme une tour cylindrique avec un diamètre d’environ 22 mètres. D’après plusieurs sources historiques, ce lieu est resté actif jusqu’en 703 de l’hégire lunaire (1303 de l’ère commune), à savoir jusqu’à la période du règne du khan mongol Oldjaïtou. Plus tard, il fut détruit notamment suite à un changement de capitale et la négligence des souverains. Aujourd’hui, certaines de ses parties ont été restaurées.
Sources :
-Ahadi, Tâleb, « Khâdjeh Nâsireddin-e Tusi va Ganjineh-ye Rasadkhâneh-ye Marâgheh », revue Ma’âref, n° 65, 1388.
-Abdorrahim, Ghanimeh, traduit par Kasâee, Nourollah, Târikh-e Dâneshgâh-hâye Bozorg-e Eslâmi, Ed. Yazdan.
-Dr. Vakiliyan, Târikh-e Amouzesh va Parvaresh dar Eslâm va Irân, Ed. Payâm-e Nour.
-Morvârid, Younes, Marâgheh, Afrazeh Roud, Ed. Helmi.
-Mohammadi, Zekrollah, Naghsh-e Farhang va Tamaddon-e Eslâmi dar Bidâri-ye Gharb, Ed. Dâneshgâh-e Beynolmelali-ye Emâm Khomeyni.
-Nasr, Seyyed Hassan, traduit par Aram, Ahmad, Elm va Tamaddon dar Eslâm, Ed. Kharazmi.
-Shâh Hosseini, Nâsereddin, Seyr-e Farhang dar Irân, Ed. Dâneshgâh-e Beynolmelali-ye Emâm Khomeyni.