N° 38, janvier 2009

Le patriarcat arménien de Jolfâ et ses relations tumultueuses avec Rome


Babak Ershadi


Au début du XVIIe siècle, après s’être installés à Jolfâ, les immigrés arméniens y fondèrent leur patriarcat pour administrer les affaires religieuses de la population arménienne. A Jolfâ de Nakhitchevan, les Arméniens avaient une église et un monastère dédiés à Saint Amenaprgich (Saint Sauveur). C’est la raison pour laquelle les Arméniens d’Ispahan construisirent dans le quartier Jolfâ une petite église dans un petit monastère du même nom. Cependant, ce dernier n’avait pas assez de place pour loger les religieux et les jeunes élèves, par conséquent, ils édifièrent une plus grande église dans le monastère d’Amenaprgich en 1664 qui devint le siège du patriarcat des Arméniens de Jolfâ.

Eglise de Saint Stéphanus, Jolfâ

Le patriarcat de Jolfâ comprenait le quartier Jolfâ d’Ispahan, ainsi que les villages de population arménienne dans la province de Tchahâr Mahal-o-Bakhtiyâri, les villes de Faridân, Soltânâbâd (l’Arak actuelle), Kharaghân, Kazzâz, Aznâ, Aligoudarz, Hamadân, Shirâz, Boushehr, Mashhad, et plus tard Téhéran et des villes de la province du Khouzistân.

Un groupe d’Arméniens de Jolfâ immigrèrent en Inde et en Asie du sud-est, mais ils étaient toujours soumis au patriarcat de Jolfâ. C’est pourquoi, par la suite, le patriarcat de Jolfâ prit le statut de patriarcat du sud de l’Iran et de l’Inde, expédiant prêtres et missionnaires dans diverses zones de cette vaste région.

Les patriarches de Jolfâ

En 1605, le patriarcat de Jolfâ était administré par les religieux arméniens de Jolfâ et parfois par des religieux venant d’autres régions. L’évêque Mesrop fut le premier patriarche de Jolfâ. Dans ces écrits, Ghukasiân a présenté une liste des dirigeants religieux des Arméniens d’Iran.

Conflits à partir du XVIIe siècle

A partir du XVIIe siècle, les catholiques d’Europe apprirent la présence d’une population chrétienne composée d’Arméniens à Jolfâ et dans les villages de population arménienne à Fereydan, dans la province de Tchahâr Mahal-o-Bakhtiyâri et d’autres régions d’Iran. C’est pour cette raison que les rois de différents pays européens ainsi que le pape, en tant que leader des catholiques, expédièrent des missionnaires à Ispahan afin de convertir les Arméniens au catholicisme. Sous le règne du roi Shâh Abbâs, le développement des relations politiques de la cour safavide avec l’Europe dans le but de faire face à la menace de l’Empire ottoman, permit aux missionnaires catholiques de s’installer en Iran, notamment à Ispahan, et de construire une église à Jolfâ.

Conscient de la tolérance de Shâh Abbâs à l’égard des chrétiens, le roi d’Espagne, Philippe III envoya, au début du XVIIe siècle, son ambassadeur Antonio de Govea en Iran, accompagné par deux prêtres catholiques de l’ordre de Saint Augustin. Shâh Abbâs autorisa Antonio de Dovea à fonder une église à Ispahan (Figuera, 1984, p. 219).

Peu de temps après, le pape Clément VIII confia à un prêtre de l’ordre des carmélites, Peret Jeantade, la mission de propager le catholicisme en Iran. La délégation papale arriva en Iran, via la Russie. Après avoir reçu les cadeaux du pape, Shâh Abbâs autorisa les envoyés du souverain pontife à s’installer à Ispahan et à y construire une église et un petit monastère. Peret Jeantade vécut longtemps à Ispahan. Il fut très proche de la cour de Shâh Abbâs et comptait parmi ses interprètes (Houshang Mahdavi, 1976, p. 72).

Les jésuites arrivèrent à Ispahan en 1643. Ils fondèrent, eux aussi, une église à Jolfâ et propagèrent le catholicisme parmi les Arméniens (Youzuktchiân, 1998, p. 20). Les missionnaires catholiques de l’ordre Saint Dominicain fondèrent, eux, leur église dans le quartier "Sangtarâshân" (tailleurs de pierre) de Jolfâ en 1682 (Houshang Mahdavi, 1976, p. 1).

Les missionnaires de différents ordres catholiques s’installèrent les uns après les autres à Jolfâ. Ils construisent ainsi trois églises à Ispahan et quatre églises à Jolfâ. L’église Avdic, bâtie par la famille arménienne Shâhrimaniân fut par la suite détruite, mais l’église des prêtres dominicains existe toujours dans le quartier "Sangtarâshân" de Jolfâ.

Les activités des missionnaires catholiques à Jolfâ en vue de convertir les Arméniens créèrent de nombreux problèmes pour le patriarcat de Jolfâ et la communauté arménienne.

Eglise de Saint Stéphanus, Jolfâ

Pour convertir les Arméniens de Jolfâ au catholicisme, les missionnaires venus d’Europe n’hésitaient pas à les aider financièrement. En conséquence, le patriarcat de Jolfâ ne tarda pas à s’opposer à ces missionnaires catholiques. Le conflit éclata surtout sous le roi Shâh Soleymân. Les jésuites venaient de fonder une nouvelle église à Jolfâ baptisée Saint Hovsep. En réaction aux activités des jésuites, le patriarche de Jolfâ de l’époque, Stepanos, écrivit une lettre au roi safavide pour se plaindre du fait que les missionnaires catholiques venus d’Europe avaient créé nombre de problèmes pour la communauté arménienne de Jolfâ, évoquant ensuite que les missionnaires catholiques étaient des espions des cours d’Europe dans la capitale safavide. Le roi décida de restreindre quelque peu les activités des envoyés du Vatican. Cependant, la famille Shâhrimaniân, composée de riches commerçants de Jolfâ convertis au catholicisme, soutenait les missionnaires catholiques et les Arméniens convertis au catholicisme. Finalement, les Arméniens réussirent à obtenir un décret de Shâh Soleymân en 1689 pour chasser les missionnaires catholiques de Jolfâ et détruire l’église des carmélites. Le 25 février 1709, Alexander Jasligh, grand Katolikos des Arméniens de Jolfâ, écrivit une lettre au pape Clément XI pour porter plainte contre les missionnaires venus du Vatican. La réponse du pape attisa les tensions à Jolfâ.

S’indignant des activités divisionnistes des missionnaires catholiques, le grand Katolikos de Jolfâ demanda l’aide au roi safavide, Shâh Sultân Hossein. Dans une lettre qu’il adressa au roi, il qualifia les missionnaires du Vatican de "personae non gratae" et d’espions des pays européens. Shâh Sultân Hossein émit par la suite un décret en vue d’interdire les activités des prêtres catholiques parmi la population arménienne.

Les prêtres catholiques tentèrent cependant en 1723 de fonder une école à Jolfâ pour convertir progressivement les enfants arméniens au catholicisme.

Le patriarcat des Arméniens de Jolfâ porta de nouveau plainte, cette fois-ci auprès de Sheikh al-Islâm d’Ispahan. Ce dernier répondit dans une lettre adressée au patriarche de Jolfâ, que les missionnaires catholiques venus de Rome n’auraient pas le droit de fonder des écoles à Jolfâ ou de se mêler de l’éducation des enfants arméniens.

Un siècle plus tard, en 1840, une nouvelle génération de missionnaires catholiques reprit ses activités à Jolfâ. Le français Berger y établit une école pour les enfants arméniens. Le patriarcat des Arméniens sollicita alors l’aide au roi qâdjâr, Mohammad Ali Shâh. Pour mettre fin au conflit, le roi émit un nouveau décret pour interdire l’ingérence des prêtres des différents ordres dans les affaires religieuses d’autres confessions.

Ce décret - dont l’original est préservé à la bibliothèque d’Amenaprgich -, mit définitivement fin aux inquiétudes des Arméniens de Jolfâ et de leur patriarcat. Les prêtres catholiques quittèrent Jolfâ, et le long conflit confessionnel au sein de la communauté arménienne prit fin.


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1 Message

  • Nous serons en Iran avec un groupe de 52 personnes (universitaires belges) durant la seconde quinzaine d’octobre et nous serions très intéressés par une rencontre avec l’évêque/patriarche arménien de Jolfa quand nous serons à Ispahan. On nous a rapporté qu’il parle bien le français.
    Pouvez-vous lui transmettre notre demande et nous dire comment procéder pour entrer en contact avec lui ?
    Notre association "Rencontres de visages" est particulièrement attachée à rencontrer différents visages des pays que nous visitons ; de là, notre demande.
    Dans l’attente de vous lire, nous vous remercions déjà pour ce que vous pouvez faire pour nous aider.
    Bien cordialement,
    Myriam Gysen

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