N° 38, janvier 2009

Un homme dont le cœur chante pour les enfants

Mostafâ Rahmândoust


Afsaneh Pourmazaheri, Farzâneh Pourmazâheri


Comment ça va Boulanger ?
- Merci mon ami
Ne soyez pas fatigué
- Merci, venez !
Tout va bien ?
- Grâce à Dieu
Ça a va ton travail ?
- Oui, selon mon désir
Un pain très chaud
Je t’en remercie
- D’accord, sur mes yeux
- Mais mets-toi dans la queue

Boulanger, Mostafâ Rahmândoust

شاطر چطوري ؟
قربانت آقا -
خسته نباشي
ممنون، بفرما -
حالت چطور است ؟
الحمد لله -
كارت چه طور است ؟
دلخواه دلخواه -
يك سنگك داغ
قربان دستت
باشد سر چشم -
اما به نوبت -

نانوا، مصطفی رحماندوست

Mostafâ Rahmândoust

Mostafa Rahmândoust, écrivain et spécialiste de la littérature pour enfants et adolescents a consacré toute sa vie à écrire pour les enfants et à vivre avec eux. Son monde, comme celui des enfants, est doux et coloré. Il naît en 1949 à Hamedân. Après avoir obtenu son diplôme de la Faculté des Sciences Humaines de l’Université de Téhéran, il a commencé une carrière d’auteur pour enfants s’est mis à publier des livres qui sont appréciés, lus et appris par cœur par les enfants depuis des années. Tous les enfants, les adolescents et les adultes qui ont été un jour élève à l’école primaire iranienne connaissent Mostafâ Rahmândoust grâce aux poèmes inoubliables qu’ils ont lus dans leurs manuels scolaires.

Afsâneh Pourmazâheri : Comment choisissez-vous les sujets de vos poèmes ?

Mostafâ Rahmândoust : En fait, ce sont les sujets et les thèmes qui me choisissent. Si je vous dis que je ne le sais pas, vous ne me croirez sans doute pas. C’est une question que tout le monde me pose. Retrouver les questionnements de l’enfance, ses passions et ses préoccupations demande beaucoup de temps. Mais quand on pense beaucoup à quelque chose, lorsqu’on vit dans un monde qui nous fascine, les sujets et les mots pour en parler viennent automatiquement. Mes poèmes sont en général inspirés par le jeu des enfants, par leur comportement, leurs mouvements. Je trouve même parfois le rythme de mes poèmes dans leur manière de courir. J’ai décidé de dire ce que l’enfance avait à dire à Dieu. C’est très difficile. Quand je m’exprime, c’est comme si je parlais de la part des enfants. J’ai également composé des poèmes insensés, des poèmes de non-sens, des poèmes qui comportaient juste des jeux de mots. Quand j’ai vu que les enfants étaient heureux d’écouter ces poèmes et de les réciter sans en connaître le sens, je me suis dit : "Bon, ça marche !". Mais à vrai dire, rien ne m’inspire plus que de vivre spirituellement avec les enfants et penser à eux.

Farzâneh Pourmazâheri : Est-ce qu’en composant vos poèmes vous sentez l’enfance, vous imaginez, vous pensez comme un enfant, ou bien vous êtes dans la position d’un adulte qui écrit pour les enfants ?

M. R. : Ces deux sentiments sont inséparables. Je ne peux ni redevenir enfant en écrivant, ni me voir comme un adulte. En composant, tout en me sentant enfant, je me dis : "Il faut que j’ajoute ce thème, cette notion, ça leur sera utile." Ce n’est pas un comportement d’enfant. De toute façon, c’est un sentiment intérieur très profond, que je suis incapable d’expliquer.

A. P. : Lequel de vos poèmes préférez-vous ?

M. R. : Aucun. Il se peut que vous, en tant que lecteur ou critique, ne repérez pas mes points faibles, mais je les reconnais très bien moi-même. Je me dis toujours, si je disposais de plus de connaissance, de plus d’adresse ou de plus de temps, je pourrais faire mieux. Je peux dire qu’à peu près dans tous mes travaux, j’ai le sentiment d’avoir perdu ou oublié quelque chose. Et je ne suis pas satisfait. Mais si je devais choisir, je dirais que je préfère ceux que les enfants aiment le plus. Par exemple, le poème "La grenade" : à une certaine époque, je pouvais l’entendre dans la bouche de n’importe quel enfant, j’ai donc aimé ce poème. Ce poème fut retiré des manuels scolaires il y une dizaine d’années, mais au séminaire international du théâtre pour enfants qui s’est tenu il y a quelques mois à Ispahan, quand j’ai demandé aux enfants de chanter un poème, ils ont unanimement choisi celui-ci. C’était une très heureuse surprise.

F. P. : Vous est-il déjà arrivé d’être inspiré par une scène, un poète ou une histoire ?

M. R. : Oui, bien sûr, rien ne se passe sans inspiration. Je lis un livre, je parle avec les enfants, je les regarde... je suis toujours inspiré par mon entourage.

A. P. : Vous avez choisi de vous lancer dans le monde de la littérature pour enfants après la Révolution et vous avez été nommé directeur du centre des éditions de Kânoun-e Parvaresh-e Fekri-e Koudakân va Nojavanân (Centre de l’éducation culturelle des enfants et des adolescents), responsable des éditions Roshd, secrétaire des éditions de Soroush-e koudakân va nojavanân, professeur de littérature et spécialiste dans le domaine de la littérature destinée à la jeunesse. Que pensez-vous de la situation de la publication et de la diffusion des livres pour enfants et adolescents dans notre pays ?

M. R. : Avant la Révolution, on ne se disposait que de deux magazines pour enfants Keyhân batchéhâ et Etélaat-e dokhtarhâ va pésarhâ. Il y avait aussi le magazine Peïk, qui était publié huit fois par an. Et il devait y avoir tout au plus une quarantaine de titres publiés pour la jeunesse, et je ne me souviens pas avoir vu un vrai livre pour enfants avant ma licence. Aujourd’hui, quantitativement, nous avons 32 magazines mensuels et 4000 livres destinés à la jeunesse publiés annuellement. Mais il ne faut pas se laisser tromper par ces chiffres. Compte tenu de l’explosion démographique de ces deux dernières décennies, du taux d’alphabétisation élevé de la population et au regard de notre riche folklore, nous pouvons affirmer que nous sommes encore loin d’avoir exploité tout notre potentiel en la matière. Si on multipliait ce chiffre de 4000 titres pour jeunesse publiés annuellement, par dix, nous pourrions, avec 40 000 titres annuels, prétendre que nous commençons tout juste à posséder une vraie littérature pour enfant. Bien évidemment, il est indéniable que nous avons connu un réel progrès depuis 1979, mais compte tenu des facteurs que j’ai cité, nous avons encore un long chemin à faire. Il faut prendre en compte la vitesse de la vie moderne et des besoins qui existent. Par rapport à ces facteurs, nous avons actuellement peu de choses à offrir aux enfants.

F. P. : Que pensez-vous de la culture littéraire des enfants et des adolescents iraniens ?

M. R. : Elle n’est pas du tout satisfaisante. On ne lit pas assez en Iran. Pour une population de 17 millions d’enfants, une moyenne de 5000 titres annuels est insuffisante. Pourtant, ce n’est pas la faute de ces derniers. C’est aux parents qu’il faut reprocher cette carence, ils n’ont pas assez lu et n’ont pas raconté suffisamment d’histoires à leurs enfants. Et il ne faut pas oublier que c’est aussi la faute des systèmes d’enseignements et des principes pédagogiques inadéquats qui mettent l’accent uniquement sur les manuels scolaires. Il y a donc une vraie nécessité de réforme dans ce domaine.

A. P. : Pensez-vous que la lecture est toujours considérée positivement par les enfants ? Les médias, la télévision, l’ordinateur, internet, le satellite etc. ont-ils influencé la culture de la "lecture" des Iraniens ?

M. R. : Oui, je pense que cette culture de la "lecture" a raffermi sa place au sein de la société par rapport au passé. C’est pour cela aussi que le tirage des livres a été multiplié par 100. Quant aux autres médias, je les considère aussi comme des moyens d’accès à l’information où l’on a quand même l’élément de lecture. Prenons le cas d’un adolescent qui, au lieu de rechercher un sujet dans un livre, a recours à internet. Ceci nécessite également une capacité de lecture. Je pense que notre problème fondamental réside ailleurs, dans notre incapacité à gérer la vie et l’emploi du temps de nos enfants. Dans certains pays, les médias sont plus nombreux et plus disponibles, mais les enfants lisent plus qu’en Iran, car il existe une culture d’utilisation de ces médias, et une bonne gestion de l’emploi du temps des enfants par leurs éducateurs. Une programmation précise des activités d’un enfant augmente toutes ses capacités, y compris ses capacités de lecture. Ceci alors qu’en Iran, un adolescent passe en moyenne quatre heures par jour à regarder la télévision et quatre heures à jouer sur internet. Le problème n’est guère la diffusion des médias mais la manière de les utiliser et de gérer son temps.

F. P. : L’intérêt des lecteurs d’aujourd’hui se porte-t-il plutôt vers les livres traduits, c’est-à-dire vers les cultures étrangères, ou bien vers les poèmes, les romans et ou l’histoire de l’Iran ? Les histoires traditionnelles et le folklore persan intéressent-ils encore les enfants, par exemple des livres tels que les Mille et une nuits ou les légendes perses ?

M. R. : En fait, il existe tellement peu de livres que les amateurs lisent tout ce qui est disponible sans faire vraiment de différence. Mais il est hors de doute que les traductions intéressent plus les lecteurs en raison de leur qualité, de leur exotisme, ou grâce à leur style et aux intrigues plus corsées et en général à leur manière d’offrir une histoire originelle et attirante. Car de toute façon, la tradition de l’écriture d’ouvrages destinés aux enfants a au moins deux siècles en Europe, alors que cela fait tout au plus cinquante ans que l’on écrit pour eux en Iran. Par conséquent, ils ont plus d’expérience dans la mise en valeur de telle intrigue ou tel conte. En outre, lorsqu’un traducteur décide de traduire un livre, il fait un tri entre plusieurs centaines d’ouvrages. Il choisit donc souvent les best-sellers des pays occidentaux qui ont plus d’expériences que nous dans ce domaine. Je parle ici d’une attraction pour des livres considérés partout comme des best-sellers. C’est à nous d’intéresser nos enfants à notre propre littérature classique et folklorique, ou moderne.

A. P. : Dans votre biographie, vous parlez d’une période de votre enfance où vous tombez sur un homme très maigre et malade, un voyageur. Et un peu plus tard en rentrant chez vous, vous écrivez automatiquement deux vers à son propos :

"Il y avait un voyageur sur la route

Peu de nourriture, un long chemin et aucun refuge"

Est-ce en écrivant ces vers que vous avez découvert votre talent d’écrivain ? Quand avez-vous commencé à écrire ? Votre environnement familial a-t-il joué un rôle dans cette vocation ?

M. R. : J’ai été très impressionné par ma rencontre avec cet étrange et pauvre voyageur et j’ai écrit ce poème sous le coup d’une inspiration soudaine. C’est plus tard, en classe, que mon professeur m’a dit que j’avais écrit un poème. Je me suis alors dit : "Je sais faire des poèmes !" J’avais 12 ans. A l’époque, les familles préféraient que les enfants sortent jouer dehors. Mais mes parents étaient aussi amateurs de poésie. Mon père par exemple récitait parfois des poèmes, en s’adressant directement à moi quand je le dérangeais dans son travail. Mon grand-père, qui était enseignant au "maktab", composait lui-même des poèmes. Mais pour eux, la vie était trop sérieuse. Quand je lisais pour me distraire, mes parents me disaient d’étudier mes manuels scolaires si je voulais lire. Je ne l’oublierai jamais. Pour lire en paix, je montais sur le toit, où l’on dormait l’été, et je lisais mes livres préférés sous la lumière des réverbères de la rue. Quand j’entendais quelqu’un monter sur le toit, je cachais le livre sous mon matelas et je faisais semblant de dormir.

F. P. : Pensiez-vous, rêviez-vous de devenir poète ou écrivain dans votre enfance ?

M. R. : Non, enfant, je rêvais d’avoir un cinéma et je l’avais nommé "Cinéma Jâleh". J’avais fabriqué un petit cinéma personnel en vidant l’intérieur d’une ampoule.

A l’époque, des vendeurs ambulants vendaient des bobines de films dans la rue. Je les achetais, je mettais les pellicules sous une lampe et je projetais les images sur le mur de notre sous-sol. C’était mon cinéma personnel. Mon rêve d’écolier était d’avoir un jour ma salle de cinéma. C’est plus tard, au lycée, que j’ai décidé de devenir écrivain. Et j’ai commencé d’écrire à l’université. J’étais en dernière année quand j’ai sérieusement décidé d’écrire pour les enfants. Plus tard, cette décision s’est transformée en une vraie vocation.

A. P. : Quel est votre but en tant qu’écrivain ?

M. R. : Je veux que les futurs enfants vivent mieux. Je poursuis quatre objectifs dans mon travail : je veux tout d’abord développer l’imagination et la créativité des enfants pour qu’ils puissent affronter les problèmes et les résoudre. Je souhaite également que les enfants vivent heureux et profitent de leur enfance. Je souhaite aussi que les enfants acquièrent la capacité de tolérer et d’accepter autrui. Beaucoup de nos problèmes sont le résultat de notre manque de tolérance et de compréhension envers autrui. Enfin, je veux fortifier le sens de la culture nationale chez nos enfants pour qu’ils puissent toujours puiser des solutions dans leurs racines culturelles. Un enfant fort saura toujours bien aborder les problèmes qu’il rencontrera au cours de son existence.

Je crois que les éducateurs doivent absolument prendre en compte ces objectifs dans le développement pédagogique des enfants.

F. P. : Est-ce que la littérature iranienne possède des ouvrages assez célèbres pour être connus et réédités en d’autres langues ?

M. R. : Oui, bien entendu. La littérature iranienne pour enfants possède de nombreux chefs-d’œuvre. Et ce ne sont pas uniquement les chefs-d’œuvre qui sont traduits. Mes propres ouvrages, par exemple, sont traduits en huit langues. Il y a également les très beaux livres de M. Beyrâmi et de Houchang Morâdi Kermâni, qui sont connus en plusieurs langues. Cela ne signifie pas qu’ils sont universellement célèbres mais qu’ils peuvent l’être. Par exemple, mon livre Jouer avec ses doigts a été traduit en suédois, mais cela ne signifie pas que je suis connu en Suède. De même pour mon Histoire de ma tortue, traduit en coréen et en italien. Cela montre que de nombreux ouvrages de littérature pour enfants iraniens méritent d’être traduits et de recevoir un bon accueil.

A. P. : Que pensez-vous de la situation de la traduction des livres en Iran ? En particulier des livres de jeunesse ?

M. R. : Je pense qu’en Iran, on fait trop attention à la traduction. Et la faute en incombe aux maisons d’édition. Puisqu’il n’y a pas de lois en Iran qui protège les droits de l’auteur ; il est donc moins onéreux de publier des traductions que des ouvrages originaux. Ainsi, les maisons d’édition recherchent les traductions, ce qui leur permet de réaliser de meilleurs profits. Il est évident que nous avons besoin de traductions pour élargir l’horizon des Lettres dans le pays. Mais il ne faut pas en abuser. Aujourd’hui, plus de la moitié des livres destinés à la jeunesse disponibles sont des ouvrages traduits et ceci doit changer.

F. P. : Trouvez-vous la prose plus parlante ou la poésie ?

M. R. : Chaque thème nécessite son propre genre. J’ai lu, par exemple, un livre nommé Les racines dans la terre et les branches en l’air, dont un résumé avait été publié pendant plusieurs années dans les livres scolaires. J’avais d’abord composé ce récit en vers il y a vingt-cinq ans. Mais avant de le publier, j’ai remarqué que cette forme versifiée n’était pas adéquate. Je l’ai donc remanié et en ai fait un récit en prose. C’est donc le thème et le contexte qui décide de la forme.

A. P. : Vous êtes actuellement en train de composer une série de proverbes et de nouvelles pour chaque nuit de l’année, où en est ce projet ? Quels sont vos travaux les plus récents ? Quels sont vos projets à long terme ?

M. R. : Ce projet avance très bien et les contes des neuf premiers mois sont d’ores et déjà publiés. Les contes de chaque mois sont réunis dans des tomes séparés et chaque tome comprend trente nouvelles et trente proverbes. Je compose actuellement les contes des trois derniers mois. Il me reste donc trois tomes à faire.

Plus récemment, j’ai composé, en collaboration avec un groupe d’amis et collègues, un recueil de poésie comprenant en particulier des poèmes dépourvus de sens et des jeux de mots, destiné à faire travailler l’imagination et la créativité des enfants. Ce recueil a été publié sous le titre Hitchâneh, qui signifie "Recueil de rien". J’ai également publié sept tomes de courtes prières enfantines sous forme de poèmes. Et pour l’avenir, je projette de travailler sur deux scénarios destinés aux enfants.

F. P. : Selon vous, quelle est la meilleure façon de véhiculer des messages à la société ?

M. R. : Il est impossible de donner une réponse directe à cette question. Je pense que chaque moyen d’expression et de communication, utilisé à bon escient, peut être porteur d’un message, des mass médias aux livres. Ceci dit, certaines recherches nous démontrent aujourd’hui que les gens sont plus disposés à écouter qu’à lire. Il est donc utile d’exploiter plus consciemment les ressources de la narration orale.


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