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Fazlollâh Sobhi Mohtadi a raconté pendant une vingtaine d’années, de 1940 à 1960, une histoire à la Radio d’Iran chaque vendredi après-midi. Son émission était très écoutée. Sobhi sut utiliser à bon escient la popularité de son émission pour rassembler et compiler les histoires populaires iraniennes, qu’il publia entre 1944 et 1953.
Le mercredi 4 Ordibehesht 1319 (24 avril 1940), à 18 heures, la Radio d’Iran commença à diffuser ses programmes. Deux jours plus tard, Fazlollâh Sobhi Mohtadi raconta sa première histoire à la radio, dans une émission intitulée Une histoire pour les enfants. Ce fut le début d’une aventure radiophonique extraordinaire, qui dura 20 ans. De 1940 à 1960, Sobhi raconta une histoire chaque vendredi après-midi, et pratiquement tous les Iraniens qui avaient la radio écoutaient son émission en famille, après le déjeuner du jour férié de la semaine.
Sobhi savait raconter les histoires. Sa voix était chaleureuse et douce. Les enfants l’aimaient et l’appelaient Papa Sobhi. Les adultes aussi aimaient beaucoup son émission, peut-être parce qu’ils avaient entendu dans leur enfance les histoires et les contes que Sobhi racontait, histoires qui émanaient de la partie la plus profonde de leur culture.
Sobhi eut l’idée de demander aux auditeurs d’envoyer à son émission les histoires qu’ils connaissaient, pour qu’il les raconte à la radio. Ce fut le début d’une autre grande aventure, celle de la compilation des histoires populaires et des contes d’Iran.
Parmi les Iraniens qui se sont attelés à cette tâche, citons Hossein Kouhi Kermâni [2] (1897-1958), qui publia un recueil d’une quinzaine d’histoires des villages de la région de Kâshan et d’Ispahan en 1935. Ce livre fut le premier recueil d’histoires populaires compilées par un iranien au XXe siècle. Kouhi Kermâni avait publié en 1931 un recueil de 120 chansons des villages des régions montagneuses de la province de Kermân, ce qui lui avait valu une grande renommée dans les milieux littéraires. Henri Massé traduisit ces chansons en français, Arthur Christensen les traduisit en allemand, elles furent également traduites en anglais et en russe.
Sâdegh Hedâyat [3] (1902-1951) s’intéressa lui aussi à la culture populaire d’Iran. Il publia en 1931 un livret intitulé Avsâneh, qui est un recueil de berceuses et de chansons enfantines. Il publia également en 1939 quatre histoires populaires dans la revue Musique. Il semble que Hedâyat ait aidé Sobhi pour la réécriture des histoires que les auditeurs envoyaient à la radio et que Sobhi racontait dans son émission.
Sobhi a été sans aucun doute le premier iranien à avoir eu en sa possession un très grand nombre d’histoires et de contes de toutes les régions d’Iran. Les livres qu’il publia restent encore de nos jours des références dans ce domaine. Sobhi lisait attentivement les histoires populaires que les auditeurs lui envoyaient, comparait celles qui se ressemblaient et choisissait la version qui lui semblait la plus ancienne ou la plus complète.
Le premier volume d’histoires populaires d’Iran, regroupant 16 histoires, fut publié en 1944. La parution de ce livre fut saluée par pratiquement tous les journaux et toutes les revues littéraires. La Bibliothèque Lénine de Moscou envoya à Sobhi une lettre d’encouragement et quelques livres sur les histoires et les contes du Tadjikistan et de l’Azerbaïdjan. Le deuxième volume d’histoires populaires d’Iran, regroupant 17 histoires, fut publié en 1946.
Sobhi publia également une sélection des contes les plus anciens de l’Iran. Le premier volume, regroupant 20 contes, fut publié en 1949 et le deuxième volume, regroupant 18 contes, en 1952. Il s’intéressa aussi à la comparaison des histoires populaires des différents pays, et trouva des thèmes communs dans ces histoires qu’il publia en 1953.
Sobhi connaissait la littérature classique persane. Il publia en 1951 une histoire iranienne ancienne intitulée Dej-e housh-robâ (la forteresse où l’on perd la raison), et montra que cette histoire était relatée par Mowlavi dans le sixième livre de Masnavi, mais d’une manière inachevée à cause du décès du poète. La publication de ce livre eut un grand retentissement dans les milieux académiques, et l’Association des Bibliothèques des Etats-Unis (American Library Association) l’intégra dans sa sélection des très bons livres pour enfants publiés dans le monde.
Sobhi décéda le 8 novembre 1962, après une longue maladie. Tous les Iraniens ressentirent une grande perte quand ils ne l’entendirent plus à la radio. Il fut enterré au cimetière Zâhir-ol-Dawleh, au nord de Téhéran, auprès des grandes figures de la littérature contemporaine de l’Iran.
Ce que Sobhi entreprit et initia à la Radio d’Iran fut poursuivi par d’autres personnes : l’émission Une histoire pour les enfants du vendredi après-midi fut maintenue avec d’autres conteurs, et se perpétua jusqu’à il y a trois ans ; Abolghâssem Enjavi Shirâzi anima au cours des années 60 une émission sur la culture populaire. Il recueillit et publia lui aussi les histoires et les contes que les iraniens envoyèrent à la radio.
Sobhi sut utiliser la radio à bon escient : non seulement il remplit la place vacante des conteurs d’histoires qui avaient existé pendant des siècles et qui se faisaient rares avec l’avènement de la modernité, mais il revalorisa grâce à son émission radiophonique la culture orale de l’Iran, et empêcha que les contes et les légendes de ce pays ne tombent dans l’oubli. Les livres qu’il publia firent de lui l’un des fondateurs de la littérature enfantine de l’Iran au XXe siècle.
Les livres de Sobhi furent republiés l’année dernière dans une compilation en deux volumes sous le titre Ghesseh-hâye Sobhi (Les histoires de Sobhi) [5]. La première édition fut épuisée en quinze jours, preuve que Sobhi est encore très aimé par les Iraniens et continue à être présent dans leur mémoire.
[1] Ariân-Pour, Yahyâ, Az Nimâ tâ rouzegâr-e mâ (De Nimâ jusqu’à notre époque), éd. Zovvâr, 1374 (1995), p. 461-463.
[2] Ibid, p. 460-461.
[3] Ibid, p. 364.
[4] Ibid, p. 464.
[5] Sobhi Mohtadi, Fazlollâh, Ghesseh-hâye Sobhi (Les histoires de Sobhi), éd. Moïn, 1387 (2008).