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Quelques jours de visite estivale de la ville castillane de Valladolid, située à deux heures de route au nord-ouest de Madrid, nous ont offert un raccourci saisissant de l’histoire de l’Espagne des XVe et XVIe siècles.
C’est dans cette ville que les rois catholiques, Isabel de Castille et Ferdinand d’Aragon, se marièrent en 1469. Par l’union de ces deux grandes régions, naquit la puissance espagnole et c’est ainsi que Valladolid devint la première capitale de l’Espagne, en 1492. Au XVIe siècle, elle l’était toujours, par la volonté de Charles Quint, leur petit-fils, Roi d’Espagne et Empereur du Saint Empire germanique, jusqu’à ce que le fils de ce dernier, Felipe II, né à Valladolid, fasse de Madrid sa capitale, en 1559.
Tَmas de Torquemada, confesseur de la reine Isabel, et premier grand Inquisiteur d’Espagne, y vit le jour en 1420. Sévère et intolérant, il infligea de terribles châtiments à la population juive d’Espagne.
Valladolid fut le théâtre de la victoire de Christophe Colomb qui réussit à convaincre les deux souverains catholiques de l’intérêt, pour la couronne espagnole, de l’envoyer sur la route des Indes. C’est aussi dans cette ville que le grand navigateur finit sa vie en 1506.
Miguel de Cervantès (1547-1616) y passa deux années, et y débuta l’écriture de son Don Quichotte.
En 1550, le Père dominicain Bartolomeo de las Casas y défendit, contre le théologien Juan Ginés de Sepْlveda, la cause des Indiens d’Amérique, au cours de la fameuse controverse [1], arbitrée par le légat du pape de Rome, qui conclut que ces derniers avaient bien une âme, c’est-à-dire une véritable nature humaine A l’issue des débats, ce furent les peuplades noires d’Afrique qui s’en trouvèrent dépouillées, avec, pour terrible conséquence, la légitimité de leur mise en esclavage. Il fallait bien en effet des bras, nombreux et bon marché, pour exploiter les immenses richesses du Nouveau Monde au profit du royaume d’Espagne !
Théâtre de tous ces célèbres épisodes historiques, Valladolid regorge de palais, d’églises, de musées, installés, pour la plupart dans d’anciens couvents ou monastères datant de la Renaissance. La belle colonnade du Musée archéologique et les cloîtres du Musée d’art contemporain, sont encore là pour en témoigner.
De nombreux autres styles architecturaux s’affichent sur les façades, comme le gothique hispano-flamand de l’église San Pablo, datée du XVe siècle et actuellement en rénovation. Un ingénieux système d’ascenseur installé le long de sa façade permet aux visiteurs de contempler dans le détail - pour la durée des travaux seulement - les nombreux saints et personnages bibliques sculptés sur toute sa hauteur. Ces ornements, de style plateresque, furent ajoutés au XVIe siècle. Le plateresque, style gothique très chargé, rappelle certaines orfèvreries (le mot espagnol plata signifie argent) et fut utilisé dans de nombreux monuments espagnols de cette époque.
Les œuvres d’art les plus étonnantes se trouvent au Musée national des sculptures, hébergé dans l’ancien collège San Gregorio (1496), un des meilleurs exemples du gothique isabélin, style de transition entre gothique et Renaissance. Il contient la plus belle collection au monde de sculptures religieuses en bois polychrome, exécutées entre le XIIIe et le XVIIIe siècles, et provenant des églises, couvents et monastères de la ville.
Descentes de croix, ecce-homo, saints et pénitents, représentées avec un grand réalisme par Alonso Berruguete, Juan de Juni ou Gregorio Fernandez - pour ne citer que les plus célèbres – emplissent les salles du musée [2].
Il est probable que cette représentation exacerbée de la douleur eut sa part dans la folie qui s’empara du monde chrétien pour culminer au paroxysme de l’Inquisition. Instituée par Torquemada, le premier grand inquisiteur d’Espagne, lui-même issu d’une famille vallisolétane de conversos (Juifs que l’on forçait à abjurer leur foi), l’Inquisition dura jusqu’à la reconquête des royaumes musulmans de la Péninsule ibérique par les rois catholiques, en 1492.
A partir de 1962, le Concile Vatican II décida de faire retirer cette abondante statuaire des églises pour la placer dans les musées. Cette sage décision eut pour effet de faire passer au second plan la charge émotionnelle de ces œuvres au profit de leurs qualités artistiques exceptionnelles.
A quelques kilomètres de là, la visite de Tordesillas – ville où fut signé le Traité par lequel le Pape détermina, en 1494, le méridien terrestre qui partageait les possessions du Nouveau Monde entre l’Espagne à l’Ouest et le Portugal à l’Est – nous a permis de découvrir le magnifique couvent de Santa Clara ; construit en 1340 par le roi Alphonse XI et où son fils, Pierre le Cruel, installa sa maîtresse, Marيa de Padilla. Il représente un exemple éblouissant de l’architecture mudéjare, spécifique à l’Espagne chrétienne du XIIIe au XVIe siècles. Ce style architectural se caractérise par l’emploi de techniques et de formes décoratives islamiques, semblables à celles des palais hispano-mauresques d’Andalousie, d’où était originaire Marيa de Padilla. Il se trouve ici illustré par les façades de l’édifice, par son patio et par les inscriptions en caractères coufiques qui ornent l’entrée de sa chapelle.
La visite de la maison de Christophe Colomb, réplique de celle que son fils Don Diego Colَn possédait dans l’île de Saint Domingue aux Caraïbes, nous replonge dans l’âge d’or de l’Espagne. Devenue Centre de recherche de l’histoire de l’Amérique, elle évoque le long parcours que suivit Colomb à imaginer le projet qui devait le mener aux terres des épices, son entêtement à le réaliser, l’accord enfin conclu avec Isabel et Ferdinand, qui fit sa puissance et sa gloire. Y figure également la description très détaillée de ses quatre longs voyages vers des populations qu’il n’essaya même pas de connaître. Colomb découvrit l’Amérique mais ne découvrit pas ses peuples. Obsédé par l’idée d’atteindre les Indes, son regard ne remarqua pas les particularités offertes par les populations indigènes. Il ne parvint jamais à imaginer les territoires que d’autres découvriraient comme étant ceux des grandes civilisations aztèque et inca. Il ne sut même jamais qu’il avait débarqué sur le continent américain.
Durant les douces soirées castillanes, nous oublions tous ces épisodes de la grande histoire humaine en nous mêlant à la très contemporaine population de Valladolid, qui se livre régulièrement au sport national du paseo. Cette promenade du soir est ponctuée de pauses dans les nombreux bars à tapas, où l’on déguste cette spécialité espagnole constituée d’un nombre impressionnant de délicieux petits canapés. Leurs recettes, jalousement gardées, font l’objet d’une compétition qui récompense chaque année les plus succulentes et les plus originales d’entre elles.
[1] Voir La controverse de Valladolid de Jean-Claude Carrière aux Editions Pocket.
[2] Plusieurs de ces sculptures seront exposées à la National Gallery de Londres du 21 octobre 2009 au 24 janvier 2010, dans le cadre d’une exposition intitulée « Le fait sacré : l’art chrétien dans l’âge d’or espagnol ». Elles partiront ensuite à Washington pour la même exposition.