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Il s’agit d’un musée financé au plan régional, ouvert en 2008 et dédié à Nam June Paik, cet artiste américain d’origine coréenne (1932-2006) qui contribua à partir du début des années 60, à la redéfinition de l’art et à sa transformation radicale.
Le bâtiment a été conçu en concertation avec l’artiste après un concours d’architecture dont les lauréats furent le cabinet d’architectes Kirsten Schemel et Marina Stankovic. Il est implanté à Gyeonggi, à une trentaine de kilomètres au sud de Séoul et témoigne d’une volonté d’intégration au paysage avec une architecture très contemporaine et une superbe façade de verre. C’est une construction de taille relativement modeste qui dispose au total d’environ 5000 m², alors que par exemple le musée Guggenheim de Bilbao atteint 24 000 m², sans pour autant être un grand musée. Mais les musées et centres d’art de taille modeste sont souvent des lieux des plus agréables à pratiquer et tel est le cas ici avec cette ouverture sur l’espace naturel en même temps que ce retrait de l’agitation et des embouteillages de Séoul.
Nam June Paik avait dit qu’il voulait que ce soit : « The house where the spirit of Nam June Paik lives on », et c’est bien le cas avec ce lieu chaleureux et presque familial qui lui est consacré. Le projet, lancé au niveau local contribue à un développement culturel, d’autant plus que d’autres constructions sont prévues à proximité immédiate, dont un opéra.
Etre dédié à Nam June Paik fait la particularité de ce musée et en oriente nécessairement les activités comme les modalités de fonctionnement, car Nam June Paik qui opéra pleinement du début des années soixante jusqu’à il y peu fut l’un des artistes majeurs qui, au sein de la mouvance Fluxus, conduisit à une conception de l’art alternatif où cohabitent l’installation, la performance et le happening, la participation du public et une expérimentation fondés notamment sur la musique, la vidéo et des médias comme la télévision. Il fut un pionnier de l’art vidéo et donc de ce qu’on appelle l’art des nouveaux médias. Il fut le tout premier à se servir de la télévision à la fois en tant que média et comme matériau, avec ses « sculptures » ou installations de téléviseurs. Fluxus, dont il fut l’un des leaders était une mouvance internationale, un post-dadaïsme ou un néo dadaïsme en quelque sorte, qui opérait dans la direction clairement revendiquée de l’abolition de la séparation entre l’art et la vie et agissait comme une critique radicale et permanente de l’art institué comme tel, c’est-à-dire l’art formaliste et producteur d’objets qui finissent le plus souvent en tant que corps inertes dans les collections.
Parmi les acteurs de Fluxus et proches de Nam June Paik on peut citer par exemple Georges Brecht, Josef Beuys, Allan Kaprow, John Cage, Wolf Vostel, La Monte Young, George Maciunas. Ce qui caractérise l’art propre à Fluxus, ce ne sont donc pas tant les objets ou les groupes d’objets et installations qu’une pensée et une attitude à la fois sociales, philosophiques et politiques. C’est bien pourquoi on peut dire que l’Esthétique relationnelle qui domine la scène artistique institutionnelle depuis deux décennies est l’héritière de la mouvance et de la pensée Fluxus.
Nam June Paik,à travers son œuvre, redéfinit ce que peut être l’art et lorsqu’on change aussi profondément la nature de l’art, on change bien davantage que l’art. Il opéra un peu de la même manière que Josef Beuys, un autre artiste et contemporain de Nam June Paik qui par son mode de vie même contribua beaucoup à renouveler le concept d’art. Tous deux firent en sorte que l’art et la vie se confondent, se fondent et ne fassent qu’un.
L’œuvre de Nam June Paik relève en partie de ce qui s’appelle désormais l’art des nouveaux médias et l’art des immatériaux. Cela nécessite un contexte muséal adapté car on ne présente pas ce type d’œuvres comme on présente les objets des collections d’art moderne ou ancien, et cela nécessite également une équipe de commissaires et conservateurs ouverte, inventive et apte à comprendre le mode de vie des œuvres de la collection où celles présentées lors d’expositions temporaires. Ainsi, en dehors des salles d’exposition habituelles le centre d’art dispose de salles de projection pour la vidéo et l’installation vidéo et de salles de consultation des archives vidéo. Et comme ce type d’art nécessite une médiation spécifique, dans le programme éducatif destiné tant aux enfants qu’aux adultes, simples visiteurs ou professionnels de l’art, il y a des ateliers, des séminaires, des workshops, ouverts tant à la musique qu’aux œuvres nouveaux médias ou qu’aux œuvres d’arts plastiques en général.
La recherche autour du legs Nam June Paik, qui débouche sur des publications, porte autant sur les œuvres matérielles ou immatérielles que sur la pensée, l’esprit et la dimension sociale ou politique de celle-ci ; et dans ce contexte innovant un nouveau bâtiment va être érigé à proximité immédiate, ce sera une Académie Nam June Paik. Ainsi axé sur l’œuvre et la pensée de Nam June Paik, ce centre d’art, dans le cadre coréen, développe une pratique muséologique extrêmement innovante, voire dérangeante.
L’exposition actuelle (12 juin-4 octobre) EXPosition of mythology, Electronic Technology est une exposition de groupe à caractère international axée autour de l’esprit Nam June Paik ; elle se fait en écho à l’exposition historique et mémorable qui eut lieu à Wuppertal en Allemagne, en 1963, où pour la première fois Nam June Paik utilisa la télévision et les postes de télévision pour faire une œuvre à laquelle le public fut convié à participer. Ainsi cette exposition réunit des œuvres en apparence sans cohérence entre elles, tout comme Nam June Paik associait volontiers des choses relevant à priori de mondes étrangers l’un à l’autre. On comprend pourquoi ce centre d’art doit s’assurer une collaboration d’acteurs de l’art ayant une vision exhaustive à la fois historique et internationale de ce qu’on appelle l’art contemporain et des théories qui le sous-tendent.