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Le Tâlesh est un département de la province du Guilân (Shâhrestan Tavâlsch, en persan), situé en bordure de la mer Caspienne entre deux fleuves, la Sefid Roud en Iran et la Kurâ en république d’Azerbaïdjan. Pour des raisons historiques, la terre du Tâlesh s’est retrouvée coupée en deux sous la dynastie qâdjâre. Dix-sept villes caucasiennes ont alors été séparées de l’Iran pour être rattachées à l’Azerbaïdjan. Cette belle région, qui s’étire du port d’Anzali à la ville d’Astâra, ville frontière avec la république d’Azerbaïdjan, est une terre très contrastée, entre hautes montagnes boisées et côte subtropicale du rivage sud-ouest de la mer Caspienne. Rizières et vergers d’agrumes en ponctuent le paysage.
La langue, la musique et la culture en général du Tâlesh se distinguent de celles du Guilâk, autre région de la province, mieux connue des Iraniens. Si ces derniers ont une idée de l’existence du Tâlesh, ils ont tendance à l’identifier, au mieux, à une zone géographique, à la rigueur, à l’une de ces tribus aux racines anciennes des régions caspiennes. Il est vrai que, pour reprendre la définition de Marcel Bazin [1], « le terme Tâlesh est à la fois un toponyme désignant en général le versant oriental de la chaîne – partie occidentale de l’arc montagneux qui borde l’Iran au nord – et un terme ethnique désignant ses habitants ».
On y parle une langue régionale, le Tâleshi, branche indo-européenne. Actuellement, environ un million de locuteurs utilisent cette langue en Iran, et deux fois plus vivent en république d’Azerbaïdjan, en Biélorussie et en Russie.
L’IFRI (Institut français de recherche en Iran), qui a toujours eu à cœur de faire découvrir la richesse et la multiplicité de la culture iranienne, avait invité à Téhéran en décembre 2007 trois musiciens originaires du Tâlesh venus présenter à un auditoire francophone et persanophone la musique de leur région. C’est ainsi qu’il m’a été donné de découvrir, avec d’autres, cette musique populaire jubilatoire.
Armin Faridi, étudiant en musicologie, nous présente le tambour tâleshi, le plus petit instrument à cordes d’Iran, actuellement en voie de disparition. Il a pu en reproduire un exemplaire et a retrouvé les musiques composées il y a environ cent vingt ans par les maîtres du Tâlesh, qu’il interprète sur cet instrument.
Il est accompagné des deux grands maîtres actuels de la musique du Tâlesh, qu’il présente comme les mémoires vivantes de cette musique : Ostâd [2] Ghesmat Khâni, chanteur, et Ostâd Mohammad Ghâsemi, joueur de dâyereh, qui animent depuis plus de quarante ans les mariages de leur région. Ostâd Ghesmat Khâni y interprète de mémoire les chants traditionnels. A en croire Armin Faridi, pas une seule mère du Tâlesh n’a manqué d’inviter ces deux musiciens au mariage de ses enfants.
Les présentations faites, Armin Faridi nous explique que la culture du Tâlesh, longtemps ignorée car considérée comme mineure, est à l’origine d’un mouvement culturel qui s’attache à faire connaître les traditions, les coutumes et, à travers elles, la musique tâleshi. Cette dernière est le sujet, depuis quelques années, de recherches approfondies. De nombreux ouvrages sont actuellement publiés, aussi bien sur les musiques de chambre que sur les musiques populaires exécutées à l’occasion des fêtes et des mariages.
En premier lieu, les trois artistes nous font découvrir la musique populaire Tâleshi par l’interprétation de cinq mélodies traditionnelles renommées, fréquemment jouées et chantées au cours des mariages de cette région. Ostâd Ghesmat Khâni a eu l’occasion de les présenter en France, dans la ville de Lyon, à un public enthousiaste.
Mélodie 1 : C’est le moment où 120 cavaliers de la tribu Tâleshi viennent chercher la mariée pour l’accompagner dans sa nouvelle maison, près de son bien-aimé.
Mélodie 2 : C’est la demande en mariage – quand le prétendant arrive demander la main de sa belle, celle-ci est encore plongée dans un profond sommeil. Il jure sur le livre saint qu’elle dormait et qu’elle ne l’a pas entendu.
Mélodie 3 : Le futur époux chante la louange du mariage pour que la belle se réveille.
Mélodie 4 (largement improvisée) : On va chercher la jeune fille, enfin éveillée, dans la maison de son père et toutes les mères présentes pleurent.
Mélodie 5 : La jeune mariée est sur le chemin de la demeure conjugale.
Ils interprètent ensuite un chant tiré d’un conte traditionnel qui relate l’histoire de Mahmoud Beh : Mahmoud est un célèbre général tâleshi. Il est célibataire, orphelin et n’a qu’une sœur. Il a pour habitude de partir à la chasse pendant quarante jours puis de rentrer chez lui pour se reposer les quarante jours suivants. Il possède un important troupeau de plus de cent moutons. Alors qu’il est à la chasse, des voleurs s’introduisent sur ses terres pour dérober ses moutons. La sœur est seule, sans protection. Sachant qu’elle ne pourra les repousser, elle se met à jouer de la flûte pour prévenir son frère du danger qui la menace. Mahmoud arrive à temps pour sauver sa sœur et ses biens. Nous écoutons le chant de la victoire de Mahmoud sur les voleurs.
Le concert se termine par l’interprétation de romances, de chants d’amour et d’une mélodie composée, voici plus de quarante ans, par Ostâd Ghesmat Khâni lui-même, et enfin de la mélodie de la danse, au rythme vif, plein de gaieté.
[1] in Le Tâlesh, une région ethnique au nord de l’Iran, 1980, Editions Recherche sur les Civilisations.
Marcel Bazin est né en 1944. Aujourd’hui à la retraite, il a été professeur de géographie à l’université de Reims, spécialiste de la géographie culturelle de l’Iran et du Moyen-Orient.
[2] Ostâd signifie "maître" en persan.