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Je n’ai pas vu à Tauris [Tabriz] beaucoup de palais ni de maisons magnifiques ;
mais il y a d’aussi beaux bazars qu’en lieu de l’Asie :
et il fait admirablement beau voir leur vaste étendue, leur largeur,
leurs beaux dômes et les voûtes qui les couvrent, le grand peuple
qui y est durant le jour, et la quantité de marchandises dont ils sont remplis’’ Ringgenberg, Patrick, Guide culturel de l’Iran, éditions Rowzaneh, Téhéran, 2009, p. 270.Jean Chardin (XVIIe siècle)
Capitale de la province de l’Azerbaïdjan oriental, Tabriz est située à une altitude de 1367 mètres et rassemble une population de plus de 1,5 million d’habitants. Dotée d’un riche passé historique, elle est actuellement devenue une ville industrielle et universitaire. On y parle surtout l’azéri, un dialecte turc mêlé de mots persans. On ignore la date exacte de la fondation de la ville, mais nous savons qu’elle existait dès l’époque sassanide (IIIe – VIIe s.). Son histoire récente remonte à la conquête arabe et elle s’est développée en particulier à partir du IXe siècle sur ordre de l’une des épouses du calife abbasside Hâroun al-Rashid.
Selon l’historien persan Ibn Miskawayh, les Tabrizis avaient la réputation d’être des gens aisés, ainsi que de redoutables commerçants. Le commerce à Tabriz était florissant. Au XIIIe siècle, la ville fut choisie comme capitale par le mongol Ghâzân Khân. Celui-ci y fit construire d’importants monuments. La ville devint alors un centre commercial, fréquenté par des marchands européens, surtout italiens, qui en firent un relais pour leurs affaires en Asie. Sous les Timourides, cette ville perdit son importance, puis redevint la capitale des Turcomans du Mouton noir, dont l’un des souverains fit construire la Mosquée Bleue (XVe siècle). Elle fut aussi la première capitale des Safavides. Les guerres entre les Ottomans et les Safavides poussèrent plus tard ces derniers à transférer leur capitale à Qazvin, puis à Ispahan. Au XVIe siècle, Tabriz fut plusieurs fois occupée par les Ottomans, qui pillèrent les ressources et les richesses matérielles et immatérielles de cette ville. Par exemple, ils déportèrent de force à Istanbul des artistes qui exportèrent en Turquie la culture persane et favorisèrent l’âge d’or de l’art ottoman. Jusqu’au XVIIIe siècle et malgré un traité de paix signé en 1639, la ville continua d’être la proie du conflit intermittent entre la Perse et les Turcs.
En 1722, elle accueillit le safavide Tahmâsp II, chassé d’Ispahan par les Afghans : couronné, il fut déposé dix ans plus tard par Nâder Shâh qui occupa la ville en 1729 et la reprit définitivement aux Ottomans. Les Qâdjârs (XIXe siècle) aimaient la ville de Tabriz au point qu’ils la choisirent comme ville de résidence des princes héritiers. Par conséquent, elle devint le lieu des rivalités entre l’Iran et la Russie, qui l’occupent en 1827-1828. Tabriz redevint un carrefour commercial, cette fois sur la route de la mer Noire, et connut un nouveau développement grâce à son ouverture sur la Russie et l’Empire ottoman. La ville était aussi une cité cosmopolite, où se fréquentaient Arméniens, Turcs, Persans et Russes. Les autres facteurs qui aidèrent cette ville à devenir un centre culturel, commercial et spirituel, au XIXe siècle et au début du XXe siècle, furent l’inauguration de l’ère de l’imprimerie au XIXe siècle dans cette ville, et ce avant Téhéran, son statut de foyer premier de la Révolution Constitutionnelle de 1906, et enfin la mise en place de la première ligne téléphonique en 1860, qui relia Tabriz à Téhéran. Lorsque la Révolution soviétique de 1917 mit fin au commerce avec la Russie, Tabriz fut reléguée au rang de capitale provinciale, sans importance politique ni économique majeure. Tous ces facteurs firent qu’en 1978, cette ville devint le théâtre d’anarchies marquant un tournant dans l’abolition du régime pahlavi.
Le principal artisanat de Tabriz demeure le tissage de tapis. Noués avec le nœud turc, les tapis de Tabriz sont d’une esthétique assez variée : tapis à médaillon principalement, mais également aux motifs de vases, d’animaux ou tapis figuratifs, encadrés par des bordures de heratis et des cartouches remplies d’un texte poétique ou coranique. Les bazars de Tabriz vendent les produits d’autres centres de tissage réputés d’Azerbaïdjan, tel que Haris et les villages qui l’entourent, reconnus pour des tapis à médaillon central, entouré d’arabesques traitées dans un style plutôt géométrique.
Les spécialités de Tabriz sont le fameux koufteh tabrizi, un plat avec de la viande hachée, du riz, des pois, des œufs, des noix et des herbes, le dolmeh, feuille de vigne farcie avec du riz et des légumes, une soupe (âsh-e dough) et des pâtisseries, notamment un type de nougat différent du gaz d’Esfahan. En musique, la province partage avec la République d’Azerbaïdjan la tradition des ’ashiq, des troubadours chantant des chansons d’amour avec un instrument à cordes.
-La Mosquée Bleue ou Masjed-e kaboud : cette mosquée a été construite par un souverain turc des Moutons Noirs, Djahân Shâh (1439-67). Terminée en 1465, cette mosquée se visite en particulier pour son décor en mosaïque de céramique émaillée, l’un des plus beaux de l’art islamique iranien. Une grande salle à coupole y est entourée sur trois côtés (nord, est, ouest) de galeries surmontées de petites coupoles. Elle comprenait notamment une bibliothèque, un khanqâh et une citerne. Après le grand tremblement de terre de 1779, cette mosquée fut endommagée, mais heureusement restaurée à plusieurs reprises au XXe siècle.
-Le bazar historique de Tabriz, qui date du XIIIe siècle et s’étend du près de 3 km. Sa structure unique composée d’une vingtaine de cours comprenant des sous-bazars consacrés à des produits particuliers tels que l’or, les tapis, etc. Il a eu un rôle central dans l’histoire de cette ville située sur la route de la soie, et reste l’un des grands centres commerciaux de la région.
-La forteresse de Tabriz (Arg-e ’Alishâh) : cette forteresse, dont il ne reste qu’un bâtiment imposant de 40 m de hauteur, comportait autrefois une madrasa et une zawiya. Elle fut construite sous les Mongols vers 1310 par un ministre d’Oljaïtou. On l’utilisait pour l’exécution des criminels qu’on jetait du haut des murs.
-Le parc Elgoli (Bâgh-Melli) : ce parc agréable est le jardin public le plus célèbre de Tabriz. Il fut fondé à la fin du XIVe siècle et rénové à l’époque qâdjâre. Il comprend un lac artificiel quadrangulaire, au milieu duquel on a reconstruit en 1970 un pavillon de style safavide. Le lac est entouré de parcs et de restaurants.
-La Mosquée du Vendredi (masjed-e djom’eh) : cette mosquée comporte des éléments architecturaux seldjoukides, un mehrâb ilkhanide et des ouvrages voûtés au style safavide. Elle est située dans un intéressant bazar qui a été décrit depuis le Xe siècle par de nombreux savants musulmans (Yâghout, Mostowfi) et voyageurs européens (Marco Polo, Clavijo, Chardin).
Les six églises de Tabriz : Tabriz compte une importante communauté arménienne qui fréquente toujours six églises, dont l’importance artistique est mineure.
Parmi les monuments qâdjârs à visiter, nous pouvons citer le pont Adjitchâi, situé dans la périphérie nord de la ville, ou encore le cimetière moderne des Sho’arâ ("poètes"), qui remplace l’ancien Mausolée des Poètes. De nombreux artistes, soufis et scientifiques, comme le poète Shahriyâr (1906-1989) y sont enterrés. L’édifice occupé par la municipalité de Tabriz fut construit en 1930 par les Allemands dans un style européen. La ville comporte également plusieurs musées bien présentés, mais exposant en général un nombre peu important d’objets et donnant peu d’informations en anglais. Le Musée d’Azerbaïdjan est le plus important musée de la ville et couvre l’histoire de la région depuis l’âge de fer. Le rez-de-chaussée est consacré à l’art préislamique, le premier étage à la numismatique et à l’art islamique. La maison de la Constitution (khâneh-ye mashrouteh), transformée en musée qui abrita les constitutionnalistes en 1906 est également à visiter. Le Musée de Sandjesh, qui expose des instruments de mesure, se trouve dans la maison Salmâsi construite à l’époque qâdjâre. Le Musée du Coran est situé dans une ancienne mosquée construite sous les Safavides en 1576-77, puis reconstruite en 1794-95 après le tremblement de terre qui dévasta la ville en 1779. Une maison des époques zand et qâdjâre (XVIIIe siècle- 1925), devenue aujourd’hui la faculté d’urbanisme et d’architecture de Tabriz, est également à visiter.
Bibliographie :
Ringgenberg, Patrick : Guide culturel de l’Iran, Rowzaneh publication, Téhéran, 2009.