N° 84, novembre 2012

Fragments d’archéologie et d’histoire de l’Azerbaïdjan


Afsaneh Pourmazaheri


Aujourd’hui, l’Azerbaïdjan iranien comprend les contrées du nord-ouest de l’Iran, plus précisément les territoires se situant à l’est du lac d’Oroumieh. Le nom d’ « Azerbaïdjan » fut par ailleurs adopté à la suite de la déclaration d’indépendance des forces séparatistes anti-russes en mai 1918, et fait, selon l’une des hypothèses sur ce sujet, allusion à Arrân, une antique région iranienne puis caucasienne. En vue de différencier les deux homonymes, le gouvernement iranien choisit le nom d’ "Azerbaïdjan caucasien", en se référant à l’ensemble des anciennes régions iraniennes qui formaient les khanats d’Arrân notamment Karabagh, Baku, Shirvân, Ganja, Darband et Nakhitchevan et qui furent annexés à la Russie à la suite des traités Golestân en 1813, et Turkamanchâï en 1828.

Ghal’eh-ye Zahhâk (citadelle de Zahhak), dans le sud de Siâh Tchamân

La région qui nous intéresse dans cet article est en particulier l’Azerbaïdjan iranien, lui-même divisé en deux provinces : l’Azerbaïdjan oriental et l’Azerbaïdjan occidental, dont les centres sont respectivement Oroumieh et Tabriz. Comme on vient de le noter, l’Azerbaïdjan du nord centré sur Baku appartient depuis 1829 à l’empire russe et ne sera pas abordé dans le présent article.

Cette région montagneuse fut jadis un grand pôle d’attraction pour les communautés immigrantes mais également un centre d’échanges commerciaux et culturels. Elle tenait lieu de lien entre la Mésopotamie et le territoire riche en fer du Caucase, entre le plateau Anatolien et le centre de l’Iran et plus loin, entre la Transcaucasie et l’Inde.

Durant la période préhistorique, l’Azerbaïdjan était très peu peuplé en comparaison avec les autres régions iraniennes. Les traces les plus anciennes démontrant le peuplement et l’habitation humaine de la région remontent à l’ère paléolithique ; une période, comme on le sait, où l’homme logeait encore au cœur des grottes. Ainsi connaît-on aujourd’hui celle de Tamtama dans le nord du lac d’Oroumieh, du côté de l’Azerbaïdjan de l’ouest, découvert par Charleton S. Coon [1] et celles proches du massif montagneux de Sahand, dans le sud de Tabriz, du côté de l’Azerbaïdjan oriental. [2]

Massif montagneux de Sahand

Ce n’est qu’à la fin de l’ère néolithique, à compter de 6000 av. J.-C., que l’Azerbaïdjan fut repeuplé. Les preuves de cette repopulation furent obtenues à la suite des fouilles réalisées par les archéologues britanniques à Yanik Tappeh sur la côte est du lac d’Oroumieh [3] , ainsi que grâce à d’autres projets effectués par les Américains dont le projet de Hassanlou, sur le plateau de Solduz et sur la colline Hassanlou même. [4]

Les pièces trouvées sur les sites montrent le niveau notable de développement artistique et la finesse des motifs décoratifs des poteries. Cette phase initiale d’installation de la population en Azerbaïdjan nous permet aujourd’hui de profiter de l’un des sites orientaux les plus intéressants et les plus propices à l’exploitation archéologique. C’est depuis une certitude, notamment à la suite de la publication des résultats fructueux des travaux effectués entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la Révolution Islamique en Iran. Ces études ont révélé des données démontrant l’installation effective de l’homme en différentes périodes, tout autour du lac d’Oroumieh, depuis les vallées profondes jusqu’aux hautes montagnes.

Vers le IVe millénaire av. J.-C. la population de la rive ouest du lac d’Oroumieh connut un important accroissement. Ces données proviennent des études des archéologues italiens et allemands dans les territoires orientaux de la province d’Azerbaïdjan. Ces derniers ont également effectué d’autres recherches concernant la démographie et les conditions de vie aux IIIe et II millénaires av. J.-C. spécialement à Ravaz, à Siâh Tchachmeh ainsi qu’à Yakvali dans l’est de Makou. [5]

Chaînes de montagnes de Qara Dâgh (Arasbârân)

D’après ces recherches, la forme extérieure des maisons datant du IIIe millénaire av. J.-C., c’est-à-dire de l’Age de bronze, était relativement ronde et les habitations étaient généralement conçues sur un même modèle. Aux alentours des lieux de vie, il existait des terrains avec des logements tous dotés de jardins individuels. D’après les fouilles, l’épaisseur des murs de pierre atteignait parfois trois mètres. [6] Les sites de Haftavân Tappeh et de Yânik Tappeh révèlent l’art des bâtisseurs de la culture néo-caucasienne qui coïncide, comme nous venons de le dire, avec l’Age de bronze.

Dans le nord de l’Azerbaïdjan occidental, on a trouvé et mesuré les dimensions d’un grand nombre de groupes de tumulus [7] à Mâkand, Bastâm et au nord-est de Maku et un seul tumulus à Var dans l’ouest de Khoy. [8] L’abondance des tumuli dans les pâturages d’Araxe prouve qu’il s’agit des tombes des nomades qui y demeuraient aux environs du premier millénaire av. J.-C. avant l’arrivée des Urartiens en 800 av. J.-C. [9]

Haftavtân Tappeh, exploré par des archéologues britanniques, est l’un des sites les plus importants du nord-ouest de l’Iran qui fut habité depuis le quatrième millénaire av. J.-C. jusqu’à l’époque sassanide. [10] Les fouilles à Gouy Tappeh ont mis à jour d’importants vestiges démontrant la présence de liens culturels entre les habitants de la plaine de la rive ouest d’Oroumieh, la Mésopotamie, l’Anatolie et l’Iran central durant le premier millénaire av. J.-C. [11]

Gouy Tappeh

Le plus riche des sites mortuaires préhistoriques de l’Azerbaïdjan est sans doute Hassanlou, qui resta habité du VIe au IIIe millénaire av. J.-C. Ces "lieux d’enterrement" s’inscrivent dans le prolongement de l’architecture hittite, notamment des structures que l’on a pu découvrir dans la forteresse Bogazkِy, qui ont survécu et qui furent complétées ultérieurement sous les Urartiens, les Mèdes (notamment à Godin Tappeh dans l’ouest d’Hamedân) mais aussi dans les Apadanas achéménides à Persépolis et à Suse. [12]

Les Urartiens habitèrent le sud-ouest, l’ouest et le nord-ouest du lac d’Oroumieh au cours des VIIIe et VIIe siècles av. J.-C. Toutes les régions de la province de l’Azerbaïdjan moderne, sauf les parties méridionale et orientale jusqu’à Ahar, leur appartenaient. Jusqu’en 1978, les archéologues étaient déjà parvenus à déterrer près d’une centaine de forteresses et sites et notamment des inscriptions appartenant aux Urartiens qu’ils dévoilèrent sur les roches ou les murs. [13] Les principales fouilles furent effectuées à Bastâm [14], à Haftavân Tappeh [15] , à Ghal’eh-ye Esmâ’ïl Aghâ [16], à Hassanlou et Agrab Tappeh [17], ainsi qu’à Mohammad-Abâd dans le sud-ouest du lac d’Oroumieh. [18]

Bastâm fut fondée par le roi des Urartiens, Rusa II (685-645 av. J.-C.) qui a laissé des inscriptions, précieuses aux archéologues, à même ses constructions. D’après l’une de ses inscriptions, conservée présentement au musée de l’Iran ancien à Téhéran, il nomma son nouveau site d’installation "Rusa-i Urutur". Cette nouvelle "ville" comprenait une grande citadelle, un centre d’artisanat et de commerce et une clôture en son centre, près de la citadelle, qui servait probablement à garder les chevaux. Cette citadelle est la plus grande construction de l’époque Urartu, vraisemblablement beaucoup plus grande que celles de Van et de Toprak Kale en Turquie. Les fouilles les plus récentes en 1978 confirment que Bastâm fut pillée et détruite par le feu vers la seconde moitié du VIIe siècle av. J.-C. Aucun cimetière urartien ne fut exhumé près de Bastâm mais quelques chambres creusées dans le rocher, probablement des tombes, furent trouvées dans la province de l’Azerbaïdjan dont, la plus curieuse est une triple chambre découverte à Sangar, dans l’ouest de Makou. [19]

Il n’est pas encore possible, avec les données actuelles, d’expliquer les causes profondes des changements politiques qui aboutirent à la chute du gouvernement urartien en Azerbaïdjan durant la deuxième moitié du VIIe siècle av. J.-C. Toutefois, les investigations archéologiques dans le nord de l’Azerbaïdjan ont fourni des clés aux futures études. Ainsi le changement architectural est susceptible de fournir des informations au sujet des changements politiques. On a remarqué ce genre de changement dans la formation des forteresses et dans le style architectural des murs, beaucoup plus gros, larges et épais avec des remparts rectilignes ou bien de forme irrégulière autour de la citadelle. La poterie subit également des changements et des ajouts avec le développement de la peinture et de la faïence en couleur. C’est grâce à ces changements que l’on s’est rendu compte et qu’on a mis en lumière le mouvement de transition qui a conduit l’Azerbaïdjan de l’époque urartienne à l’époque mède et plus tard à celle des Achéménides. [20]

Dès leur arrivée sur le plateau iranien, les Mèdes, d’origine aryenne, s’unirent aux peuples non aryens de la région. De cette unité naquit l’empire Mède. Leur impact sur l’histoire de la Perse fut sans précédent. Ils combattirent les Assyriens et vainquirent ces derniers dont les armées étaient sur le point d’envahir la Perse. La frontière Mède de l’époque fut divisée en deux : la « petite Mède », qui est l’Azerbaïdjan actuel, et la « grande Mède » qui comprenait Hamedân, Téhéran, Kermânshâh et Ispahan.

Les Achéménides, contrairement aux gouvernants antérieurs, laissèrent moins de reliques dans cette contrée - seul quelques cimetières, tombes et maisons qui ont été découvertes à Takht-e Soleymân. [21] Les Achéménides s’estimaient être, au début de leur règne, les tributaires des Mèdes. C’est pourquoi quand Cyrus le Grand, petit-fils d’un roi mède, refusa l’invitation de son grand-père, cet acte fut interprété comme une révolte qui méritait les pires châtiments.

Takht-e Soleymân

A cette époque, la « petite Mède » était considérée et gouvernée en tant que satrapie (une commune) du territoire. Au début de la formation de la dynastie achéménide, il y eut des révoltes dans les recoins du royaume, notamment dans la « petite Mède », c’est-à-dire dans l’Azerbaïdjan actuel. Elles furent toutes maîtrisées par Darius Ier. Sous le règne de Darius III, quand Alexandre le Macédonien envahit la Perse, de nombreux satrapies achéménides furent pillés et détruits mais la « petite Mède », à l’époque gouvernée par Atropate, fut relativement préservée.

Sous les Séleucides et les Arsacides, l’Azerbaïdjan parvint à obtenir une autonomie relative. Cette indépendance était tributaire de la politique des gouverneurs arsacides fondée sur l’indépendance des communes au sein de leur royaume. Il semblerait qu’à cette époque, les descendants d’Atropate dirigeaient encore l’Azerbaïdjan. Le problème le plus important de l’Azerbaïdjan à cette époque était essentiellement les assauts répétitifs des Géorgiens de la Caucasie, qui causèrent un grand nombre de dégâts et entraînèrent de nombreux pillages, au point que les rois arsacides décidèrent d’entrer en guerre avec ces derniers.

Les Séleucides (312-129 av. J.-C.) ne laissèrent aucun vestige d’importance dans cette province. Contrairement à ces derniers, les Arsacides, (191 av. J.-C. – 225 ap. J.-C.) bâtirent des cimetières et des habitations à profusion. Un grand nombre de cimetières de ce type datant du premier siècle fut découvert à Tâlesh, dans le nord d’Ardebil. A Ghal’eh-ye Zahhâk(citadelle de Zahhak), dans le sud de Siâh Tchamân (à l’est de la province), un nombre considérable de ruines et de reliques arsacides ont été retrouvées, dont un pavillon aux murs en briques quasiment intacts remontant au premier siècle après J.-C. [22]. Ce pavillon, un héritage achéménide, est en partie décoré à la manière romaine. [23]

Les routes traversant l’Azerbaïdjan furent pendant longtemps d’une importance remarquable. L’amélioration de la situation économique sous les Sassanides encouragea la croissance de la transaction intercontinentale notamment sur la Route de la Soie, qui traversait l’Azerbaïdjan d’est en ouest. A cette époque, l’Azerbaïdjan devint l’une des contrées importantes du royaume. Le temple de feu Azar Goshâsb, situé à Chiz, était l’un des trois centres religieux prisés par les rois sassanides qui s’y rendaient de temps à autres pour porter des offrandes à leurs divinités. Ce temple de feu, outre sa valeur spirituelle, symbolisait l’unité entre la religion et l’Etat et fut l’emblème de la dynastie sassanide. Malheureusement, il fut démoli par Héraclius, empereur romain, au début du VIIe siècle. Un autre évènement marquant de cette époque en Azerbaïdjan fut sans doute la guerre entre Bahrâm dit Tchoubin et le roi Khosrow Parviz [24] qui aboutit au triomphe de ce dernier. Yaghout Homavi, biographe et encyclopédiste syrien du XIIe siècle, écrit : "En langue pahlavi, "azar" veut dire " le feu" et "Bâydjân" veut dire " le protecteur du feu", et le tout signifie " le temple de feu" puisqu’il y en a beaucoup en Azerbaïdjan. Les azéris sont de bonnes gens ; ils ont de belles joues rougeâtres et une peau douce. Ils parlent une langue qu’ils appellent l’"azéri" et ils sont les seuls à la comprendre."

Temple de feu Azar Goshâsb

La période sassanide (240-642) est représentée en Azerbaïdjan par des reliques aisément identifiables à Bastâm, où l’on retrouve des ruines des temples de feu, parfois transformés - bien plus tard - en mosquée, comme celui de Masjed-e Djom’eh (Mosquée du vendredi) ou des vestiges de forteresses à Oroumieh. Il reste en Azerbaïdjan de nombreux châteaux dont les origines sassanides sont attestées. Dans certaines de ces bâtisses, on retrouve des briques et des pierres ornées qui fournissent aujourd’hui encore de précieuses données aux scientifiques. Néanmoins, l’un des problèmes auxquels sont confrontés régulièrement les archéologues est le manque de moyens d’expertise permettant de distinguer les fortifications sassanides de celles du début de l’ère musulmane en Iran. Le même problème se pose pour les motifs des poteries.

L’héritage le plus important provenant de l’époque sassanide est sans doute constitué par les gravures sur roches dont un illustre exemple nous est fourni par Salmâss. La gravure remonte au IIIe siècle et représente une scène d’hommage des Arméniens et l’acceptation de leur vassalité par le roi. La faible hauteur de cette gravure la distingue des autres gravures sassanides dans d’autres régions. [25]

Les excavations allemandes à Takht-e Soleymân, le sanctuaire sassanide d’Azar Goshâsb, fournit des informations sur l’un des centres de culte le plus important des Zoroastriens de la province de l’Azerbaïdjan. [26]

Le temple de feu, situé à Chiz, fut probablement fondé à Ganzak et déplacé plus tard vers son actuel emplacement par le roi Khosrow Ier (531-579) au cours de la première moitié du VIe siècle. Ce temple de feu a donc subi de toute évidence des dégâts à la suite de l’attaque destructrice de l’armée byzantine lancée par ordre de l’empereur Héraclius en 624. Pourtant, selon Abou Dolâf Mes’ar ibn Mohalhel, le feu sacré aurait brûlé pendant sept cents ans et il continua à brûler jusqu’à son époque, c’est-à-dire au Xe siècle. Après l’attaque des Byzantins et la conquête des contrées iraniennes par les Arabes, le culte du feu se poursuivit tant bien que mal en dépit de l’expansion graduelle des Arabes sur le plateau iranien, sous la dynastie abbasside.

Voilà pourquoi Takht-e Solaymân perdit peu à peu son importance religieuse et la position dominante qui fut la sienne sous les Sassanides. Il ne retrouva jamais sa gloire perdue, sinon en partie, en 1271 quand Ilkhân Abâqâ construisit son palais estival sur les ruines du vieux temple de feu en incorporant partiellement ce qui restait des murs de l’ancien sanctuaire. Ilkhân Abâqâ, arrière-petit-fils de Gengis Khân, fut le deuxième khân mongol qui régna en Iran (1265-1281). Dans ce nouveau pavillon, les murs et les chambres principales furent à son époque ornés de stucs gravés et de tuiles émaillées. [27] Construit sur les ruines sassanides, le palais mongol se conformait au dernier plan du sanctuaire zoroastrien. Du côté de l’ancien foyer, on érigea une longue et remarquable chambre utilisée comme salle d’audience et accessible par des escaliers. Malgré le temps et la fortune dépensée pour la reconstruction de Takht-e Solaymân, il fut abandonné dans les premières décennies du XIVe siècle et tomba en ruine peu après. [28]

A la suite de la conquête arabe au VIIe siècle, la province d’Azerbaïdjan, comme d’autres contrées iraniennes, fut désormais sous l’égide de l’islam. Peu de détails nous sont restés de son histoire durant les quatre premiers siècles de l’ère musulmane. Selon les sources arméniennes et romaines, durant l’invasion arabe, Rostam, le fils de Farrokh Hormoz, fut le gouverneur de l’Azerbaïdjan (de là l’inspiration de Ferdowsi quant au choix des personnages de son Shâhnâmeh (Livre des rois)). Rostam fut tué pendant la guerre de Ghâdessieh, ce qui aboutit à la défaite de l’armée sassanide. Au début du VIIe siècle, l’armée sassanides rencontra de nouveau les armées arabes à Nahâvand, à l’entrée de Mède Atourpâtan (ou l’Azerbaïdjan). Une fois de plus, les Perses furent vaincus et l’Azerbaïdjan se retrouva sous l’autorité des Arabes. Malgré cela, la « petite Mède » Atourpâtan (ou l’Azerbaïdjan) fut pendant des siècles l’un des centres de la rébellion contre l’installation des Arabes, et la population de la région collabora toujours ouvertement et parfois clandestinement avec d’autres contrées libres en vue de repousser les « envahisseurs ».

Au cours des premiers siècles musulmans en Perse, les Turcs de la Caucasie, appelés aussi les Khazars, tentèrent à plusieurs reprises d’entrer en Perse par l’Azerbaïdjan. Leur attaque fut chaque fois repoussée par l’armée arabe mais au début du IXe siècle, ils réussirent à pénétrer en Azerbaïdjan et y massacrèrent les habitants. Haroun al-Rashid, le calife nommé en Perse, envoya Kâzem ibn Khazimeh contrer l’ennemi et réparer les murailles et forteresses qui protégeaient l’Azerbaïdjan. Cet assaut stupéfiant fut longuement prémédité par le pouvoir byzantin de la Rome orientale afin de reprendre l’Arménie et les parties de l’Anatolie au pouvoir arabe.

Nous ne disposons pas de preuves suffisamment solides ni de traces archéologiques parlantes relatives au début de la conquête arabe. Les bâtiments attestés et considérés aujourd’hui comme les plus anciens héritages musulmans remontent à l’époque seldjoukide (1037-1194). La tombe-tour Seh Gonbad (trois coupoles) à Oroumieh qui date de 1180 en est un bon exemple. Elle est remarquable pour ses fines ornementations de stalactites en stuc qui enluminent le haut de son portail. La salle principale de la mosquée du vendredi à Ourmia est quant à elle conceptuellement dérivée du Tchâhâr Tâgh (quatre plafonds) sassanide en forme de dôme à quatre arches sur un autel de feu. Les restes de la Mosquée du vendredi et son minaret à Ardebil appartenant à la même époque seldjoukide sont également importants. La tombe-tour de Meshkin-Shahr de la dynastie ilkhânide ou timouride (XIIe ou XIIIe siècle) est la dernière tombe-tour subsistant en Azerbaïdjan après le tremblement de terre de 1930 et la destruction de la tombe-tour de Salmâss. [29] A Tabriz, comme dans d’autres villes de l’Azerbaïdjan, il ne reste aucun site des débuts de l’ère musulmane. Bien que sa construction ait débuté sous les Seldjoukides, la Mosquée du Vendredi du bazar a subi des changements radicaux au cours du XVe siècle.

Tombe-tour Seh Gonbad (trois coupoles) à Oroumieh, époque seldjoukide

Nous ne disposons pas d’informations fiables concernant la formation architecturale et la fondation urbaine (au sens moderne du terme) de la province de l’Azerbaïdjan. La seule évidence reste que la formation de la ville d’Oroumieh remonte à l’époque préislamique tandis que, par exemple pour la ville de Tabriz, il ne reste aucun vestige archéologique valable démontrant sa formation urbaine avant l’arrivée de l’islam. La date la plus ancienne concernant sa fondation, selon une source écrite, remonte à l’an 791 et au califat de Haroun al-Rashid, le cinquième calife abbasside qui reprit le trône après la mort de son frère en 786. [30]

L’Azerbaïdjan fut longtemps gouverné par les Arabes, puis par les Mongols et par les Turcs. La dynastie la plus puissante qui prit le pouvoir en Azerbaïdjan fut celle des Seldjoukides. A cette époque un grand nombre de Turcs entrèrent en Iran et la langue turque devint la langue la plus couramment utilisée dans la région.

Tabriz fut la capitale des Ilkhanides [31] au XIIIe siècle et celle des gouverneurs Qara Qoyunlus [32] et Aq Qotunlus [33] au XVe siècle. Masjed-e Kaboud (la mosquée bleue) survécut depuis la période turcomane et Masjed-e ’Alishâh depuis l’ère Ilkhanide. Pendant de nombreuses années, les ruines de cette dernière furent utilisées comme citadelle à Tabriz et depuis, elle changea de nom pour devenir l’Arg-e Alishâh (citadelle d’Alishâh). Après la Révolution islamique de 1979, elle fut restaurée et mise à la disposition du public.

Lac d’Oroumieh

Les territoires nordiques de la province de l’Azerbaïdjan furent petit à petit habités par les Arméniens avant l’expulsion massive et l’émigration de ces derniers au cours de la Première Guerre mondiale. De nombreuses églises et ruines attestent la densité de population de l’époque, particulièrement dans les régions nordiques du lac Oroumieh. Certaines d’entre elles sont d’une finesse artistique extraordinaire, comme par exemple l’Eglise de Mojombâr près de Tabriz qui remonte probablement au Xe siècle. L’Eglise Saint Thaddée, appelée par les habitants, Ghareh Kelissâ, remonte elle aussi au Xe siècle mais elle fut reconstruite bien après le tremblement de terre de 1318 et fut agrandie une fois de plus au XIXe siècle. On espérait transformer le monastère Saint Thaddée en siège du catholicisme mais, avec le changement de la donne politique, on laissa vite tomber la grande œuvre de reconstruction déjà commencée. Malgré tout, elle compte encore parmi les plus belles églises arméniennes, particulièrement connue pour sa finesse et son envergure. Parallèlement, on peut dire du monastère de Saint Stéphane sur la frontière de la rivière Araxe que c’est un ouvrage particulièrement remarquable. Quelques parties de sa construction datent du IXe siècle mais la grande partie de ce qui reste aujourd’hui remonte au XVIIe siècle. Ce monastère atteste des interactions mutuelles entre les chrétiens et les musulmans de l’époque. [34] L’influence de la culture arménienne sur l’architecture persane est visible notamment par la finesse des formes et des motifs que l’on peut constater sur l’entrée principale du bazar et sur la façade des maisons arméniennes dans la ville de Khoy. Ces changements survinrent probablement au XIXe siècle, quand les murailles de la ville furent élargies afin d’édifier des fortifications à la française. L’usage de couches alternantes de pierres colorées est la caractéristique d’un art traditionnellement d’origine arménienne.

Sous les Safavides, l’Azerbaïdjan reprit une importance singulière notamment du fait de l’origine ancestrale de la dynastie, celle de Sheykh Safi Ardebili, provenant d’Ardebil. La proximité des Safavides avec le chiisme est apparente et nettement illustrée dans les beaux-arts et l’architecture des mausolées. Tout ce qui inspire cette nouvelle foi est incarné majoritairement dans les coupoles couvertes de tuiles émaillées de couleur bleu azur des mausolées dont l’illustre exemple est celui du fondateur de la dynastie Shaykh Safi Ardebili.

Depuis la seconde moitié de l’époque safavide et durant la dynastie qâdjâre, c’est-à-dire après le XVIIIe siècle, l’Azerbaïdjan perdit de son importance aux yeux des gouverneurs iraniens. Il en résultat un déficit de projets architecturaux et de constructions de grande envergure dans la région par rapport aux siècles précédents. Quand le gouvernement central quitta Tabriz, l’Azerbaïdjan fut à son tour subordonné aux autres « villes capitales » comme Qazvin, Ispahan, et finalement Téhéran. En conséquence, les talents artistiques de la province quittèrent aussi à leur tour la région pour mettre en valeur leurs œuvres dans d’autres régions du pays. Malgré cela, on continua la construction des ponts notamment grâce à la rivière Araxe où l’on bâtit plusieurs ponts à la même époque safavide et plus tard qâdjâre, dont l’ensemble de ponts reliant Tabriz et Baku et le pont Khodâ-Afarin conservés, aujourd’hui encore, en parfait état. Sont également dignes d’être mentionnés le pont safavide remarquablement conservé, par-dessus l’Araxe et à l’ouest de Jolfa, un autre à l’est de Mâkou avec une inscription arménienne, et celui qui traverse le Sefid Roud, le pont Pol-e Ghaflânkouh dont l’inscription marque l’an 1484. [35]

Le pont Khodâ-Afarin

L’Azerbaïdjan n’est pas aussi riche en caravansérails que le sont les zones centrales désertiques de l’Iran, Dasht-e Kavir et Dasht-e Lout. Pourtant, sur la route principale qui traversait l’Azerbaïdjan, furent construits quelques caravansérails de style safavide qui furent ensuite complétés par les Qâdjârs. On en retrouve sur la route qui passait par Erevan, Jolfâ, Marand, Tabriz, Miyâneh, Qazvin, ainsi que celle menant à Téhéran. Sur certains d’entre eux, on peut remarquer des portails en tuile qui rappellent l’héritage timouride. [36] Les caravansérails typiques de cette région s’appelaient eyvân (portail à coupole) et les plus typiques se trouvent surtout sur la route Tabriz-Koy-Van. Leur particularité était justement cette coupole qui protégeait les caravanes des avalanches et des tempêtes de neiges fréquentes dans cette région.

L’histoire de l’Azerbaïdjan sous la dynastie zand est relativement obscure. Plus tard, le fondateur de la dynastie suivante, Aghâ Mohammad Khân Qâdjâr, affirma son pourvoir en Azerbaïdjan dès 1791. A cette époque, la gestion de l’Azerbaïdjan, vu son emplacement stratégique, fut confiée aux héritiers du trône. Ainsi les futurs rois comme le fils de Fath ’Ali Shâh, ’Abbâs Mirzâ en 1799 et le fils de Mohammad Shâh, Nâssereddin Mirzâ, durant la première moitié du XIXe siècle, furent chacun à leur tour responsables de la gestion et de la protection de cette région importante.

Parallèlement, au XIXe siècle, la Russie commença à exercer des pressions militaires, diplomatiques et économiques sur l’Azerbaïdjan. Suite à la persévérance russe, de grandes parties de l’Iran tombèrent dans le giron de la Russie (après les deux traités Torkamânchaï en 1828 et Golestân en 1813). Jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Mohammad Shâh en 1834, Tabriz fut le siège principal des missions diplomatiques des deux pouvoirs russe et britannique. Il n’est dès lors pas surprenant de voir Tabriz jouer un rôle éminent dans la période difficile du début de XXe siècle, notamment dans les manifestations et les activités politiques qui aboutirent au mouvement constitutionnel de 1906, qui conduisit Mozaffareddin Shâh à ratifier une Constitution pour la première fois en Iran. [37]

Néanmoins, la présence des Russes et leur influence força le roi à révoquer la constitution, et une révolte explosa de nouveau à Tabriz, ce qui aboutit à l’occupation militaire de la ville en 1909. Cet événement explique la formation des groupes nationalistes en Azerbaïdjan qui, durant la domination omniprésente des Russes, ne cessèrent de se battre pour leurs idéaux patriotiques. Ce n’est finalement qu’à la suite de la Révolution Russe en 1917 que les Bolchéviques annoncèrent officiellement qu’ils quittaient définitivement la Perse, ce qui prépara le terrain aux Ottomans qui occupèrent l’Azerbaïdjan en 1918. Cet événement engendra de nouveau la protestation du peuple.

Sous le règne de Rezâ Pahlavi, durant la Seconde Guerre mondiale, les Alliés, notamment les Russes, occupèrent encore le nord de l’Iran, y compris l’Azerbaïdjan. En 1946, un an après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’armée russe se retira du nord de l’Iran et l’autorité fut réinstallée par la capitale, Téhéran, en Azerbaïdjan. Ceci constitue l’une des raisons pour laquelle l’usage de la langue officielle, le persan, domina de plus en plus au détriment de la langue azéri.

Bibliographie :
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- Rossow, R., “The Battle of Azerbaijan, 1946”, The Middle East Journal, 10, Winter, 1956.
- Mohseni, Mohammad-Rezâ, Iran va Azarbaidjpan (L’Iran et l’Azerbaidjan), éd. Samaghand, Téhéran, 2010.
- Chardin, J., Récit de voyage, trad. de Mohammad ’Abbâsi, éd. Amir-Kabir, 3e tome, Téhéran, 1971.
- KASRAVI Ahmad, Chahriârân-e Gomnâm, (Les rois inconnus), éd. Amir-Kabir, Téhéran, 1974, pp. 258-159.

Notes

[1Coon Charleton, S., Cave Explorations in Iran 1949, Philadelphia, 1951, pp. 15-20.

[2Sadek-Kooros, H., Earliest Hominid Traces in Azerbaijan, Iran, 1976, pp. 14, 154.

[3Burney, C. A., “Excavations at Yanik Tepe, North-West-Iran”, Iraq, 23, 1961, British institute, p. 138.

[4Dyson, R. H., “Hasanlu 1974. The Ninth Century B.C. Gateway” in Proceedings of the 3rd Annual Symposium on Archaeological Research in Iran 1974, Téhéran, 1975, p. 179.

[5Pecorella, P. E. et Salvini, M., Fra lo Zagros e l’Urmia : Ricerche storiche ed archeologiche nell’Azerbaigian Iraniano, Rome, 1984, p. 43. Cf. Kleiss, W. et Kroll, S., Iran Mitt, AMI, n.F. 12, 1979, p. 27.

[6Ibid. AMI, N.S. 8, 1975, p. 15.

[7Mot latin, tumulus désigne une construction artificielle, circulaire ou non, qui recouvre habituellement une tombe ou une sépulture.

[8Ibid. AMI, N.S. 11, 1978, p. 13.

[9Lippert, A., “Die ضsterreichischen Ausgrabungen am Kordlar-Tepe in Persisch-Westaserbeidschan (1971-78)”, AMI 12, 1979, p. 103.

[10Burney, C. A., “The Fifth Season of Excavations at Haftvan Tappeh : Brief Summary of Principal Results”, in Proceedings of the 4th Annual Symposium on Archaeological Research in Iran 1975, Téhéran, 1976, p. 257.

[11Burton-Brown, T., “Geoy Tepe” in Excavations in Iran, the British Contribution, Oxford, 1972, pp. 9-10.

[12Cf. Schmidt, E. F., Persepolis I, Chicago, 1953.

[13Kleiss et Kroll, “Vermessene urartنische Plätze in Iran (West-Azerbaidjan) und Neufunde (Stand der Forschung 1978)”, AMI 12, 1979, p. 183.

[14Vanden Berghe, op. cit., nos. 2217-40 and 4278-300 ; on Sangar voir aussi Istanbuler Mitteilungen 18, 1968, p. 10.

[15Burney, C. A., “Excavations at Haftavan Tepe 1969”, Iran 10, 1972, p. 127.

[16Percollera et Salvini, Fra lo Zagros e l’Urmia, p. 215.

[17Muscarella, O. W., “Excavations at Agrab Tepe, Iran”, The Metropolitan Museum Journal 8, 1973, p. 47.

[18Kleiss, W., AMI, N.S. 9, 1976, p. 36.

[19Kleiss, Istanbuler Mitteilungen 18, 1968, p. 10.

[20Von Gall, H., “Zu den "Medischen" Felsgräbern in Nordwestiran and iraqi Kurdestan”, Archäologischer Anzeiger, 1966, p. 20.

[21Naumann, E., “Takht-i Suleiman”, in Katalog der Ausstellung München 1976, p. 26.

[22Kleiss, AMI, N.S. 6, 1973, p. 163.

[23Wilberg, F. W., Essendiae, éd. Geography, IV, 2, 1838-45, p. 393.

[24Khosrow II, aussi appelé Parviz qui veut dire « le Victorieux », est un empereur sassanide qui régna de 590 à 628 ap. J.-C.

[25Hinz, W., “Das Sasanidische Felsrelief von Salmâs”, Iranica Antiqua 5, 1965, p. 148.

[26Huff, D., “Recherches archéologiques à Takht-i Suleiman, centre religieux royal sassanide”, Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et des belles-lettres, 1978, p. 774.

Cf. Naumann, R., “Die Ruinen von Tacht-e Soleiman und Zendan-e Suleiman und Umgebung” in Führer zu archäologischen Plätzen in Iran II, Berlin, 1977.

[27Naumann, R. et E., “Takht-i Suleiman”, pp. 43, 61.

[28Ibid., p. 12.

[29Kleiss, in AMI, N.S. 26, 1969, p. 73. Cf. Pope, A. U. et Ackerman, P., Persian Art I-IX, London 1938 ; XIV, New York and Tehran 1967 ; XV, Téhéran, 1977.

[30Nozhat al-Qoloub, p. 75.

[31Dynastie fondée en 1256 en Iran par Houlagou Khân, petit-fils de Gengis Khân

[32Appelés également les Moutons noirs turcomans, sont une fédération tribale d’origine turcomane qui a régné sur l’Azerbaïdjan iranien de 1375 à 1468.

[33Appelés également les Moutons blancs turcomans, sont une autre fédération tribale qui a régné sur ce qui est aujourd’hui l’est de l’Anatolie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et le nord de l’Irak et l’ouest de l’Iran de 1378 à 1508.

[34AMI, N.S. 2, 1969, pp. 8ff., 12, 1979, pp. 361ff. ; on St. Thaddeus, Documenti di architettura armena 4, Milan, 1973 ; on St. Stefanos, ibid., 10, 1980.

[35Kleiss, AMI 16, 1983, p. 363.

[36Kleiss, AMI, N.S. 5, 1972, p. 53.

[37Avery, P., Modern Iran, London, 1967, pp. 135-37.


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