N° 97, décembre 2013

La mosquée : galerie de l’art islamique*


Abdol Hossein Zarrin Koub
Traduit par

Zeinab Golestâni


Qui a dit que, dans l’islam, l’art n’était pas agréable à la religion ? Tout au contraire, ces deux s’embrassent et cela dans la mosquée. Le Dieu de l’islam - Allah le Suprême - n’est pas seulement Miséricordieux et Judicieux, mais aussi Beau, et par conséquent, comme les soufis le disent, l’Admirateur de la beauté.

Basilique Sainte-Sophie à Istanbul

Un regard jeté sur certaines mosquées anciennes révèle que ces édifices d’une gloire éthérée et offerts à Dieu méritent d’être nommés « galeries de l’art islamique ». Leurs artistes anonymes et inconnus, ayant consacré toute leur vie au service de Dieu, étaient animés par la même ferveur sacrée qui enflammait les maîtres de la Renaissance ; aussi, à l’instar de ceux-ci, cherchaient-ils de tout leur amour à réaliser et à faire valoir dans ces édifices sacrés leur imagination de la beauté.

Autrefois, l’architecte musulman essayait d’introduire la beauté qu’il découvrait au sein de son environnement dans la mosquée, à condition que celle-ci soit digne de la Majesté et de la Grandeur divine. Ainsi adopta-t-il pour la colonne de la mosquée le modèle des temples babyloniens, il emprunta minaret et mihrâb à l’église, et imita le balcon et la voûte des palais royaux sassanides.

Jadis, la mosquée, qui ne se limitait pas à être un simple lieu d’adoration, importait plus aux musulmans que de nos jours ; elle était leur forum, leur tribunal, et même leur académie. Au temps du Prophète, la mosquée était un lieu où se réunissaient les musulmans, et où le Prophète résolvait les questions de la communauté.

Les mosquées les plus anciennes construites par les conquérants arabes à Bassora, à Koufa, et à Fustat se situaient à proximité du siège du califat car la mosquée, qualifiée d’« intégrale » [1], n’était pas seulement un édifice cultuel mais aussi un lieu d’assemblée. Durant les époques suivantes, les théologiens discutaient dans la mosquée, de même que les soufis y réalisaient leur retraite. Il existait également des centres consacrés au Coran où étaient enseignées la lecture et la psalmodie du Coran et où se déroulaient des séances d’azkâr [2]. Dans certaines mosquées, les recueils de la tradition prophétique – en particulier ceux de Bukhari et de Muslim [3] - étaient lus et enseignés. Ainsi, l’école théologique des Mutazilites a vu le jour dans une mosquée, de même que l’école ach’arite. En outre, la mosquée était « le parlement » de la cité et aussi, dans une certaine mesure, son « club ». La plupart du temps, les étrangers la considéraient comme l’auberge de la cité.

Ces divers avantages faisaient de la construction d’une mosquée un événement bénéfique. L’art de l’architecture marie donc, dans ces édifices consacrés à Dieu, le concept abstrait au but concret.

Basilique Sainte-Sophie à Istanbul

La variété ethnique des peuples dont les territoires furent conquis par l’islam est l’un des motifs de la diversité de style de l’architecture au sein des musulmans. Je ne tiens pas à parler de différentes écoles architecturales - l’école syrienne et égyptienne, turque et ottomane, maghrébine et marocaine, indienne et mongole ainsi que l’école iranienne - ni à les développer, car ce n’est pas l’objet du présent article. Néanmoins, dans l’intention d’édifier la beauté telle qu’ils l’imaginaient, les premiers architectes musulmans n’avaient sans doute d’autre moyen que de puiser dans les styles artistiques propres à leur peuple ou pays – Iran, Byzance, Inde, Syrie, et Egypte. Ces éléments et détails empruntés à l’architecture plus ancienne s’adaptaient ensuite graduellement aux objectifs de la nouvelle religion et influençaient l’évolution de l’architecture islamique. Ainsi, à partir du moment où les architectes de Samarra, à l’époque du calife Mu’tasim, ressuscitèrent le style sassanide, ce dernier prit la place de l’architecture byzantine alors d’usage dans les mosquées depuis l’époque omeyyade ; et ce nouveau style sassanide, comme le note Ernst Herzfeld, se transmit et s’étendit aussitôt partout, comme dans le Khorâssân, au Bahreïn, et même en Egypte.

Au début (de l’islam), de nombreuses mosquées furent édifiées à l’endroit de temples antiques et des vestiges d’alcazars plus anciens. A Madâ’in [4], Sa’d ibn Abi Waqqâs [5] transforma des parties du Palais de Ctésiphon en mosquée. « En Iran, beaucoup de temples du feu furent métamorphosés en mosquées. En Syrie et en Palestine, à plusieurs reprises, on transforma les églises en mosquées ; et même en Egypte, jusqu’à l’époque de Mamoun le calife, les églises coptes étaient transformées en mosquées. L’église Saint Jean qui, à Damas, fut transformée en mosquée omeyyade, était, dans les ères plus anciennes, un temple bâti pour Jupiter », écrit Massoudi [6].

Les vieilles mosquées d’Estakhr et de Ghazvin ont été construites sur les vestiges des apadanas [7] sassanides. À Emèse [8], à Hama, à Jérusalem, à Istanbul et en Anatolie, de nombreuses églises furent transformées en mosquées ; à Kaboul, à Sind et à Delhi, les temples hindous ou autres furent fréquemment transformés en mosquées.

Quand la basilique de Sainte-Sophie (à Istanbul) devint une mosquée, des modifications architecturales furent réalisées. La Grande Mosquée du Sultan Mohammed le Conquérant était quant à elle un édifice neuf, répondant aux nouveaux besoins, et dont le style incarnait le goût des conquérants turcs et manifestait les traces des traditions architecturales byzantines. Ces conquérants ottomans bâtirent à Byzance d’autres mosquées grandioses où prit peu à peu forme le style d’architecture turque et ottomane.

Inscriptions coraniques au sein de la mosquée Bara Gumbad, Dehli, Inde

La Grande Mosquée d’Ispahan, construite sous Mansour l’Abbasside, aurait été édifiée sur le lieu d’un ancien temple du feu. Cependant, les changements successifs et continus qui y furent appliqués par les souverains iraniens - de Malek Shâh le Seldjoukide à Tahmasp Ier et à Abbas Ier -, transformèrent graduellement cet édifice antique en un exemple type de mosquée iranienne, incarnant un style dont l’exemple le plus abouti est la Mosquée du Roi d’Ispahan, chef-d’œuvre incontestable de l’histoire de l’architecture religieuse en Iran.

Bien évidemment, l’évolution du califat islamique et des nations musulmanes affecta la construction de la mosquée. D’autre part, les traditions locales avaient aussi une influence certaine dans l’évolution de l’architecture islamique. Durant un temps, l’emprise de l’Iran s’étendit sur la quasi-totalité du Proche-Orient. Après la chute du califat, dans une grande partie du monde musulman, le style iranien en dôme remplaça les styles précédents. Ceci dit, malgré l’influence de l’art décoratif iranien dans tous les pays islamiques, le goût et les particularités de chaque nation perdurèrent. Ces caractéristiques et particularités qui distinguent chaque style architectural religieux reflètent les qualités qui ont distingué chaque nation au cours de son histoire et de sa civilisation. On pourrait ainsi dire que la spécialité de l’architecture syrienne est sa richesse et son opulence, celle des indienne et pakistanaise leur abondance, celle turque et ottomane, sa puissance, et celle iranienne, sa minutie et sa finesse.

Mur de la cour intérieure de la Grande Mosquée (masjed-e jâme’) d’Ispahan

D’ailleurs, dans la construction des mosquées, divers arts fusionnent : l’architecture vise l’équilibre des détails, la peinture s’oriente vers les motifs et les couleurs des céramiques, la calligraphie donne de l’éclat aux épigraphes, la poésie expose les sermons et les évènements historiques, et la musique, afin de ne pas céder le pas aux autres arts, se fait valoir dans le chant du muezzin et dans la voix du récitateur [du Coran] et du prédicateur ; même l’artisanat, pour parfaire et embellir cet ensemble divin, s’y mêle. Des tapis ravissants, des rideaux précieux, des lustres éclatants, des incrustations, des filigranes [9] s’efforcent de parachever la beauté et la majesté de la mosquée.

Ainsi, durant de longs siècles, les différents aspects de l’art et de la culture islamiques ont eu l’opportunité d’être mis en valeur dans la mosquée ; de telle façon qu’aujourd’hui, un historien subtil et précis parvient à se faire une image précise de la civilisation et de l’histoire des peuples musulmans sur la seule base de l’étude des mosquées.

Au cours des générations et des siècles, d’un horizon à un autre, l’art islamique n’a pas eu d’abri plus pur et de lieu d’exposition plus sûr que la mosquée. La coopération entre peuples musulmans dans l’embellissement des mosquées en parallèle à la préservation des spécificités nationales et locales, introduit dans l’architecture islamique un cosmopolitisme au sein même de la civilisation et de la culture islamiques qui constitue l’un des trésors spirituels des musulmans.

L’intérieur d’une mosquée à Qazvin

Bien entendu, afin de restaurer ce qui est détérioré au sein de ces édifices sacrés, il est nécessaire de revivifier les arts anciens. Étant donné que la construction de ces œuvres majestueuses marie les styles architecturaux et artistiques des divers peuples musulmans, leur réparation nécessite également la restauration des anciennes coopérations.

Que les amitiés et les sympathies d’aujourd’hui présagent celles de l’avenir.

Amin.

Calligraphie en style coufique au sein de la Grande Mosquée (masjed-e jâme’) d’Ispahan

*Revue Honar va Mardom (L’Art et Le Peuple), n° 5-30, (janvier-février 1965)

Notes

[1La grande mosquée : en arabe, l’adjectif qui présente cette mosquée est « جامع » (Djâmeh), faisant référence à la perfection et à l’intégralité.

[2Séance durant laquelle le nom de Dieu est répété ; pratique de répétition du nom d’Allah.

[3Recueil authentique de la tradition du prophète de l’Imâm al-Bukhâri, considéré comme l’ouvrage le plus important des traditions prophétiques chez les sunnites et rédigé par "Hâfiz Abu Abdallah Mohammad ibn Ismâ’il". Le recueil de Muslim, rédigé par l’Imâm Muslim ibn al-Hadjjâj Neyshâburi, est l’un des recueils authentiques de la tradition (sunna) musulmane.

[4Ancienne capitale des Sassanides.

[5L’un des compagnons du Prophète.

[6Abol-Hassan Ali al-Massoudi (Bagdad, vers 890 – Fustat, vers 956). Voyageur et encyclopédiste arabe, auteur des Prairies d’or. (Larousse)

[7Salle du trône, hypostyle décorant les palais achéménides.

[8Homs

[9L’artisanat lié aux tissus


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