N° 100, mars 2014

Aspects de l’art et de l’artisanat iranien sous le règne ilkhânide


Maryam Shahbâzi, Marzieh Shahbâzi


Les Ilkhânides sont une dynastie fondée en 1256 en Iran par Hulagu Khân, petit-fils de Gengis Khân. Lorsque les Mongols attaquent l’Iran, ce pays, déjà enrichi depuis cinq siècles par l’apport de la culture islamique, fait connaissance avec l’art et la culture asiatiques, en particulier chinoise, notamment les styles artistiques des dynasties Song et Yuan. Grâce aux miniatures et aux pages illustrées qui nous sont parvenues de cette période, nous pouvons constater l’influence de la culture est asiatique sur l’art iranien. Dans cet article, nous essayons d’étudier l’art iranien à l’époque mongole ; notamment l’architecture, la miniature, les objets d’art et l’habillement.

Intérieur du dôme de Soltânieh, XIVe siècle

L’architecture ilkhânide

L’architecture ilkhânide est en grande partie inspirée par les traditions seldjoukides : la brique conserve sa place privilégiée en tant que matériau de construction tandis que la céramique ainsi que le stuc sont employés pour la décoration. Les mosquées sont construites d’après le plan iranien alors que les iwans, les coupoles à coque simple, les trompes et les mogharnas gardent leur aspect d’architecture courante. Une grande importance est accordée au décor de céramique et l’on note également que des traditions mongoles sont conservées.

Mosquée du Vendredi de Natanz, période ilkhânide

L’architecture, signe de puissance

Le rôle de l’architecture monumentale est considérable dans la perspective de la propagande religieuse et culturelle. Les souverains ilkhânides ont également pris en compte ce domaine dans leurs rivalités internes, en tentant de se dépasser dans la construction de monuments affirmant leur supériorité au travers de l’hégémonie de la religion. L’architecture s’inscrit donc dans cette compétitivité, au travers d’une glorification d’Allah et de Son prophète, Mohammad.

Les monuments mongols d’Iran

Soltânieh (Ville des Soltân) : Les Mongols ilkhânides avaient choisi Soltânieh pour capitale et en avaient fait une ville fastueuse. Mais après l’attaque de Tamerlan, il ne reste de la période ilkhânide plus que le mausolée où est enterré le sultan ilkhânide Mohammad Khodâbandeh (Uljaytu). Le mausolée est un édifice octogonal en brique, décoré d’inscriptions, de carreaux de faïence et d’un mirhâb en stuc, et surmonté d’une majestueuse coupole bleue, l’un des plus grands dômes du monde.

Céramique du mehrâb de la mosquée de l’ecole Emâmi d’Ispahan, XIVe siècle, conservée au Metropolitan Museum

Ce monument de Soltânieh devait à l’origine recevoir les restes sacrés des descendants du Prophète et Imâms chiites, les Imâms Ali et Hossein. Mohammad Khodâbandeh se proposait, au cœur de la nouvelle capitale dont il célébra l’inauguration en 1313, d’en faire le principal centre de pèlerinage chiite. Les dimensions importantes du mausolée de Soltânieh démontrent bien la puissance d’un empire qui s’étend de l’Euphrate à l’Indus. En son sein, les huit hautes structures internes en formes d’iwans remplacent la trompe, ce qui introduit une modification vis-à-vis des édifices seldjoukides.

La Grande Mosquée de Tabriz : Le caractère spectaculaire de l’architecture mongole d’Iran apparaît notamment dans la Grande Mosquée de Tabriz, dont il ne subsiste aujourd’hui qu’une partie du mihrâb. Cet ouvrage plusieurs fois détruit, notamment par un tremblement de terre, fut édifié vers 1310. La naissance de l’arc - reposant sur des piliers qui se dressent encore aujourd’hui à 25 m pour une épaisseur de 10 m de maçonnerie - laisse imaginer l’audace du projet.

La Mosquée du Vendredi de Natanz : Autre monument de la période ilkhânide, la Mosquée du Vendredi de Natanz se situe entre Kâshân et Ispahan. Cette mosquée à quatre iwâns classiques, bâtie au début du XIVe siècle, comporte également un mausolée datant de 1308 et destiné à recueillir les restes du Sheikh Abdossamad Esfahâni. Elle dispose d’un beau portail décoré de mosaïques polychromes.

Malgré la grande diversité des monuments mongols ou de leurs vestiges, la plupart ont été très abîmés, notamment le bel édifice à coupole centrale construit à Varâmin pour l’Imâmzâdeh (descendant d’Imâm) Yahyâ.

L’ornementation de maints édifices mongols est réalisée grâce à des reliefs de stuc très marqués, dessinant des arabesques aux motifs floraux souples. A l’origine, ces reliefs devaient être mis en valeur grâce à des couleurs mais aujourd’hui, rares sont les monuments comportant encore des traces colorées.

Bâgh-mazâr, monument d’architecture ilkhânide du XIVe siècle, à Garmeh, province du Khorâssân du Sud

La miniature mongole

La miniature connaît sa première éclosion au temps des Mongols. Bien que des illustrations techniques ou des images simples aient déjà existé dans les plus anciens manuscrits arabo-persans, en particulier pour les traités scientifiques traduits du grec, peu ont été préservés jusqu’à aujourd’hui. L’un des facteurs importants qui contribua au développement de cet art est l’utilisation en Perse du papier – en provenance de Chine dès 753 – qui facilita la réalisation d’illustrations de qualité. Dans tous les cas, le règne ilkhânide marque en Iran les débuts de l’art de l’enluminure et de la miniature. C’est sous ce règne que furent créées les premières miniatures persanes. Le plus ancien manuscrit persan illustré actuellement connu date du règne de l’Ilkhânide Ghâzân. Il a été réalisé à Marâgheh et sa facture montre l’influence des modes représentatifs de la Chine dans la miniature persane. Cette œuvre est un bestiaire datant de 1298, comportant des figures d’animaux et une ébauche d’environnement naturel pour cette faune.

Alexandre s’entretenant avec l’arbre, manuscrit du Shâhnâmeh, période ilkhânide, 1330-1340

Trois décennies suffiront pour que la miniature persane se libère du joug asiatique et trouve un caractère proprement indépendant. Les manuscrits du Shâhnâmeh de Ferdowsi qui datent de cette période en sont un bon exemple. On y voit désormais des personnages et des environnements stylés et très travaillés. On doit beaucoup en ce domaine à l’école de Tabriz, dont l’enseignement atteignit son apogée sous les Timourides. Lorsqu’il est représenté, le ciel reprend certaines techniques de la peinture chinoise : les nuages s’enroulent et des spirales brillantes se développent sur d’intenses fonds d’azur. Outre celle des détails du paysage, la façon de représenter l’espace et l’architecture – en particulier la manière de recourir aux surfaces rabattues, aux parois strictement frontales, aux sols figurés à la verticale, aux plans étagés – caractérise la vision persane en peinture. Une constante évolution conduira à l’apogée de cet art qui sera atteint sous les Timourides.

Objets d’art et artisanat

La création d’objets d’art à l’époque ilkhânide concerne principalement la production de céramiques, d’objets décoratifs métalliques, mais aussi de tissus.

Céramique : Le traité d’Abolghâssem Kâshâni, héritier d’une grande lignée de potiers et maître potier de l’époque ilkhânide, nous offre un riche panorama de l’art de la céramique de son temps. Dans ce traité, Kâshâni donne des recettes, (pour la pâte siliceuse notamment), des techniques de décor (minâ’i, lâdjevardin, etc.) et de cuisson, etc. En somme, des secrets d’ateliers. Nous sommes pourtant face à un déclin de l’art céramique ilkhanide comparé à la céramique seldjoukide, puisque les formes s’alourdissent, et les techniques ainsi que les décors se simplifient pour parfois coûter moins chers.

Pour la décoration, ce sont les motifs chinois des dragons, phénix, lotus, etc. qui dominent. On les remarque plutôt dans les carreaux et moins dans les pièces de forme. Les décors radiés sont abondants, ainsi que les représentations d’êtres animés, représentations à rapprocher des manuscrits contemporains, ce malgré l’abandon de la technique du minâ’i.

Métal : Avant le XIVe siècle, on applique encore les techniques et les styles seldjoukides en créations métalliques, c’est-à-dire en particulier un alliage ternaire ou quaternaire, incrusté d’argent et de cuivre rouge, ainsi que d’or par martelage. La plus importante pièce datant de cette époque est une écritoire conservée au British Museum datant de 1281-82 et signée Mahmoud ibn Songhor.

Le style proprement ilkhânide voit le jour au XIVe siècle, les sources d’étude de ce style étant d’une part les écrits des auteurs contemporains et de l’autre, les manuscrits peints. Ces sources confirment l’existence de plusieurs pôles de production, les deux plus importants étant ceux de Tabriz et de Shirâz.

Le style de Tabriz : Le plus important exemple conservé de cette école est un grand chandelier (47,3 cm de diamètre), le plus grand conservé du monde islamique, découvert dans un mausolée de la ville de Bastâm et actuellement conservé au Museum of Fine Arts de Boston. Portant la date du 13 août 1309, il est en bronze incrusté d’argent. Légèrement cintré, ce chandelier à destination religieuse, est décoré de motifs non figuratifs, flore et calligraphie, de même que la supposée cinquantaine de chandeliers de cette série. On rattache aussi au style de Tabriz des boules de joints pour les grilles de fenêtres, ainsi que diverses séries de boîtes, bassins, coffrets, brûle-parfum...

Pièce en céramique en forme d’étoile, au motif de combat, datant de la seconde moitié du XIIIe siècle, période ilkhânide

Le style de Shirâz, ou école du Fârs : Ce sont les travaux de Melikiân-Shirvâni réalisés dans les années 1960-70 qui ont principalement contribué à déterminer les caractéristiques des ouvrages de cette école. Un détail est à remarquer dans les signatures des ouvrages : il y est toujours fait mention des titres d’un souverain anonyme accompagnés des mentions "héritier du trône de Salomon" et "Shirâzi" (de Shirâz).

Le tissage

A l’époque ilkhânide, le tissage est un art majeur et un produit d’exportation de base vers l’Europe. Les cadeaux diplomatiques sont fréquemment constitués de tissus somptueux : en 1323, ce sont sept cents pièces de soie qu’Abou Saïd offre au sultan mamelouk Ibn Qala’un. Très peu de pièces de ce genre ont été préservées jusqu’à aujourd’hui. Seule l’appartenance ilkhânide de l’une d’entre elle est confirmée, puisqu’elle porte le nom d’Abou Saïd. Grâce à elle, on a pu en dater tout un ensemble comprenant également des peintures et des tapisseries. Les pièces tissées de cette époque étaient généralement des lampas, avec fils de chaîne et trames en soie. Parfois, la trame était enrichie de fils d’argent ou d’or, lesquels pouvaient également être ajoutés une fois le tissage terminé. On remarque ici aussi une présence importante des motifs chinois.

Pièce décorative ronde en soie, or et coton aux motifs mongols fabriquée en 1305, art ilkhânide

Les vêtements des Ilkhanides

L’influence de la Chine se reflète également dans les vêtements de la période ilkhânide. Des livres illustrés tels que l’Abou Saïd Nâmeh, le Me’râdj-Nâmeh ou le Kelileh-va-Demneh comportent de précieux renseignements sur les habits de la fin de cette époque. Le joug mongol a largement contribué à propager l’habillement chinois, accompagné d’un vocabulaire propre à ce domaine toujours utilisé en persan de nos jours. On peut donner pour exemple les mots qeytchi (ciseaux), olgou (patron) et otou (fer à repasser). Cependant, cette influence ne signifie pas que les Iraniens s’habillaient en Chinois, mais plutôt qu’il a existé durant cette période une forte interaction vestimentaire entre les modes vestimentaires. Les miniatures et les illustrations de cette période permettent de se faire une idée précise de l’habillement des hommes et des femmes.

Bijoux et vêtements de la fin de la période ilkhânide

Vêtements masculins

- Maillot de corps : Dans les miniatures, nous voyons souvent un col blanc sous la robe ou le ghabâ.

- Robe longue : Portée sous le ghabâ et aussi longue que lui, cette robe serrée avait de longues manches.

- Ghabâ : Il était souvent muni de courtes manches et d’un col cache-cœur qui se fermait sous l’aisselle.

- Robe longue ressemblant à une djellaba : Cette robe longue à de longues manches était uniquement portée à l’extérieur.

- Pantalon : Les pantalons de l’époque étaient larges en haut et serrés sous les genoux, d’où la similarité avec les tchâghchour féminins
de l’époque qâdjâre.

- Ceinture et écharpe : Eléments d’habillement masculins et féminins incontournables, la ceinture et l’écharpe étaient souvent, pour les plus riches, en soie et ornés de bijoux.

- Chapeau : les chapeaux ont subi la plus grande influence du modèle chinois. Ils sont souvent ronds ou conique et parfois entourés d’une écharpe. En temps de guerre, les chapeaux étaient ornés de plume.

- Chaussures : On portait généralement des bottes hautes ou des bottines, parfois remplacées par des chaussures en tissu à motif floral.

Vêtements féminins

- Maillot de corps : Sur les miniatures de l’époque, on voit le col rond parfois à fleurs, parfois unicolore, de ce maillot porté sous les autres habits.

- Robe longue : Elles étaient souvent en soie, importées, avec de longues manches assez serrées. On ornait la robe d’une ceinture ou d’une fine écharpe.

- Ghabâ : Très long, le ghabâ avait souvent de courtes manches avec un col à revers au crochet et parfois orné de fourrure.

- Robe longue ressemblant à une djellaba : Elle était souvent munie de longues et larges manches, avec un col cache-cœur qui se fermait sous l’aisselle.

- Couvre-chefs : Les femmes de l’époque portaient des chapeaux, des foulards, des latchaks, des rubans, des calottes, des niqâbs et des tchâdors.

- Chaussures : Dans les miniatures, les longues robes féminines cachent généralement les chaussures, qui étaient vraisemblablement plates et souples.

- Bijoux : Il s’agit de colliers, de boucles d’oreilles, de bandeaux, de diadèmes et des pendentifs en perles. Les femmes portaient aussi des ceintures en or et des bracelets de bras ornés de pierres précieuses.

Vêtements féminins et masculins de l’ère ilkhânide, à voir portés par Hulagu et son épouse Doughouz Khâtoun

Bibliographie :
- Stierlin Henri, L’art de l’islam en Orient, Gründ, 2002.
- Gheybi Mehrâsâ, Hashthezâr sâl târikh-e poushâk-e aghvâm-e irâni (8000 ans d’histoire des vêtements des peuples persans), Téhéran, Hirmand, 2006.
- Schrato, Umberto ; Grube, Ernest, L’art chez les Ilkhanides et les Timurides, traduction en persan de Yaghoub Ajand, Mowlâ, 1997.
- Mohammadi, Irân ; Davallou, Mansour, Târikh-e honar-e irân (L’histoire de l’art iranien), Téhéran, 2005.
- Roux Jean-Paul, Histoire de l’Iran et des Iraniens, des origines à nos jours, Paris, Fayard, 2006.


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