N° 21, août 2007

Un nouveau territoire pour voir


Hélia Dârâbi


En avril dernier, l’artiste français Bernard Moninot exposa la dernière série de son œuvre intitulée "La mémoire du vent dans les jardins de Fîn" dans la galerie d’Exposition de Téhéran : une magnifique réalisation de douze plans de lumière, dessinés en réalité par le vent.

Bernard Moninot est né en 1949. Son père sculpteur et sa mère peintre enseignaient à l’Ecole Supérieure des Beaux Arts de Paris. Bernard passa son enfance dans le milieu turbulent et agité des deux artistes, et de son propre aveu, cette période fut très importante pour lui dans la formation de sa sensibilité artistique. Il parvint très tôt à atteindre un degré professionnel dans l’expression de son art et participa en 1971 et 1973 à la Biennale de Paris.

Ses travaux faisaient partie alors de la Nouvelle Figuration : ses œuvres, faites de verres et de métaux, évoquaient l’environnement urbain et l’on y voyait des magasins, drugstores, stations-service, serres, etc. Moninot baptisa cette série "Les Vitrines". Dans cette série, il mettait en concurrence l’espace réel et l’espace fictif de la représentation.

Bernard MONINOT

Au début des années 80, il choisit le verre pour matériau et dessina, grâce aux traits d’ombre des objets transparents ou semi transparents, des figures célestes, qu’il affectionnait, sous forme d’esquisses géométriques. A coté de cela, il expérimenta une nouvelle méthode : il colla derrière le verre, support de son travail, une fine poussière de fumée ou de couleur sur laquelle le dessin s’esquissait. Son travail était à mi-chemin entre le dessin sous verre et la gravure. Sur la surface de verre ainsi obtenue, il fixait le dessin d’ombre d’instruments multiples et polymorphes aux surfaces transparentes ou semi transparentes.

L’une des séries captivantes de cette période de travail et d’expérimentation est une série d’esquisses dessinées avec de la poudre de graphite noir sur du verre noir de fumée. La cohabitation du noir brillant avec le noir velouté, absorbant toute forme de lumière existante, fait naître une image intéressante, qui fascine mais suscite aussi la réflexion.

C’est à partir de 1992 que Moninot, usant de techniques très diverses, réalise la série des Ombres portées. Les techniques qu’il avait mises en œuvre visaient à la création d’images faites d’ombres et de lumières. Des objets très fins créés par l’artiste

s’inspirant de la vie quotidienne, objets de métaux ou de verres, aux dimensions multiples, pendant au mur et au plafond, dessinant des jeux d’ombres, portés par un éclairage perspicace, telles avaient été les Ombres portées. La lumière traversait ces formations transparentes et fragiles, passant à travers leurs surfaces et lignes complexes, et dessinait sur le sol, les murs et le plafond de l’atelier des esquisses éphémères. C’est alors que l’atelier de l’artiste se transformait en une métaphore du ciel.

La fascination des ombres a poussé cet artiste à tenter d’inscrire et de fixer les phénomènes physiques et naturels ; c’est-à-dire de créer une situation menant à provoquer le dessin, le faire "se dessiner" et non pas dessiner. C’est pourquoi, depuis plusieurs années, Bernard Moninot saisit et fixe les phénomènes naturels tels que l’ombre, la chaleur et le vent, grâce à des appareils qu’il a lui-même imaginés et fabriqués. Grâce à ces appareils et à ses techniques, il fait sortir le dessin éphémère du phénomène naturel. Tracer une nouvelle définition et un nouveau territoire pour le dessin a toujours été l’une des préoccupations essentielles de Bernard Moninot, enseignant à l’Ecole des Beaux Arts.

Bernard Moninot est surtout intéressé par les phénomènes célestes et les principes et fondements physiques sur lesquels repose notre monde : il est plus captivé par le monde des sciences et de la nature que par le monde des hommes.

Cet artiste français a fait un court séjour en Iran en automne dernier. Invité par le Service culturel de l’Ambassade de France en Iran, il s’était rendu à Téhéran pour préparer son exposition d’avril dernier. Son programme d’exposition était d’exposer le mouvement du vent grâce aux mouvements des branchages des arbres. Pour ce, il étudia d’abord les jardins de Téhéran mais le vent téhéranais n’était pas au rendez-vous. C’est pourquoi, il choisit finalement de fixer la mémoire du vent dans les jardins de Fîn à Kâshân, qui possèdent d’ailleurs un passé historique et culturel beaucoup plus riche que ceux de Téhéran. En l’espace d’une demi-journée, grâce à l’appareil capteur qu’il a fabriqué lui-même, Moninot collecta les mouvements des branchages nés du vent.

Cette série fut exposée en avril à la Galerie de Téhéran sous l’accueil enthousiaste des amateurs : douze jeux de lumière grandioses montrant les dessins du phénomène vent sur des supports d’une surface d’un mètre et demi. A côté de cela, l’exposition principale comprenant les divers travaux de l’artiste jusqu’à aujourd’hui.

Les esquisses délicates et étranges du vent brillent dans l’obscurité de la salle. Elles forment des traits de lumière possédant une aura et un silence particuliers. Est-ce que l’image du vent est la même partout dans le monde ? Sont-ce seulement les règles de la physique qui règnent sur notre monde ? Moninot a tenté de saisir la mémoire du vent en de nombreux endroits. Pourquoi son choix s’est-t-il porté sur les jardins de Fîn en Iran ? Croit-il qu’il existe certaines énergies particulières dans les endroits sacrés ? Quand je lui ai demandé s’il avait ressenti une différence essentielle entre les résultats, obtenus à des endroits différents, de ses recherches sur le mouvement du vent, ce phénomène si infixable, sa réponse fut négative mais l’ensemble de ses paroles me fit croire à une certaine optique visionnaire et métaphysique. Peut-être cet effort acharné qui tend obstinément à inscrire et à figer un phénomène éphémère est l’ombre d’un effort intérieur de découverte, un regard que l’artiste jette sur le monde de la science et du savoir, un regard nouveau, qui trouve, au-delà de l’expérience scientifique, un nouveau domaine pour voir.


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