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Oui, oui, la vie est belle
La vie est telle
Un ancien et consistant temple du feu
Si vous l’allumez
La danse de son éclat
Se verra de tous les horizons
Sinon il restera éteint
Ce de quoi nous serons coupables.
Fidèle élève de Nimâ, et fervent connaisseur de littérature classique persane, Siâvosh Kasrâyï (1926-1995) s’inspire de l’épopée pour distiller des poèmes d’espérance. Le souffle épique de sa création manifeste le goût de la liberté et de la révolte. Il figure à ce titre parmi les auteurs hardiment engagés dans le combat contre l’injustice et la cruauté. Dans cette optique, il recourt à la mythologie héroïque persane pour dénoncer le sentiment de résignation et provoquer celui de la révolte chez son peuple, dont l’histoire est fortement marquée par les actes d’héroïsme de personnalités mythiques tels que آrash Kamânguir ou Sohrâb. Le courage et le dévouement du premier, qui rendit l’âme pour sauver l’honneur de sa patrie, font ainsi l’objet du premier grand texte poético-épique de la poésie moderne persane. Le poète y chante en effet son amour pour la patrie, l’un des principaux thèmes de son œuvre. Le second personnage, Sohrâb, pareillement renommée, est la figure simultanément héroïque et tragique d’un autre de ses textes intitulé " Le grain rouge ", dont le propos est d’illustrer les conséquences irrémédiables de l’erreur humaine. On ne peut cependant pas considérer Kasrâyï comme un poète pessimiste, car il n’a de cesse de célébrer la vie ; laquelle porte en soi le printemps aussi bien que l’hiver, et l’espoir en dépit de la noirceur. C’est notamment à travers ses vers lyriques que le poète illustre l’entrelacement de la joie et de la douleur de vivre. Son écriture, de facture humaniste, est une réponse onirique face à l’inertie du désespoir :
Ma poésie jette un pont
Vers la rive de l’avenir
Pour le passage des gais voyageurs
Mon message prend son envol
Du baiser des mains et des lèvres
Que les amants jettent le regard
Sur ce messager d’amitié
Car
C’est par le creusement inlassable
Des mains et des lèvres
Que l’homme s’éternise
Sur l’écriteau du temps.
Une lyrique pour l’arbre
Ô arbre
Tu es
La grande taille du désir
Dans tes bras le ciel
Ne cesse de dormir
Ô arbre
Tu es haut
Tes mains
Sont pleines d’étoiles
Ton cœur plein de printemps
Ô arbre
Tu es beau !
Lorsque les vents
Nichent au creux
De tes feuilles emmêlées
Lorsque les vents
Peignent ta chevelure verte
Ô arbre
Tu es tumulte !
Lorsque la pluie
Déploie ses griffes sauvages
Ô arbre
Dans son festin froid
Tu es ce musicien endolori à la belle voix
Sous ton pied
Il fait nuit
Des gens sont frappés de nuit
Ils n’ont jamais vu le matin
Qu’as-tu fait avec le jour ?
Qu’as-tu fait avec le soleil ?
Ô arbre
Sur le champ du regard
Es-tu absorbé dans la contemplation ?
Tu te lies
Par des milliers de fils
Aux âmes des habitants de la terre
Ne crains point le tonnerre !
Ne t’effraie point de l’éclair !
Ô arbre
Tu es solide !
Ô farouche !
Révolte-toi !
Ô arbre !
Ô unique !
Comme notre espoir
Tu es avec nous
Et tu es solitaire.
Les survivants
Ce minuit-là
Ils ont fait irruption
Ils ont tué six personnes
Ils ont tout vu
Ils ont tout détruit
Ils n’ont rien trouvé
Sept personnes
Sont alors sorties
Comme les larmes de ma mère
Ils ont disparu
Dans le voile noir de la nuit
Et maintenant
Tout près de la fenêtre
Une veuve
Se tient seule.
Silencieusement
Seul
Au creux de l’huître
Je me mêlais à une goutte de pluie
Dans le vain espoir
De devenir une perle
J’ignorais
Que derrière le mur de mon cœur
La mer séchait silencieusement.
La racine et la forêt
Une branche je suis
De la forêt de pins
Sur le corps de ma race
Sont gravés des souvenirs
De coups de hache
Ne nous parle point de brisure !
Car
Nous en sommes des familiers
En revanche
Nous serions étonnés
D’éclore aux printemps
Cependant
Si l’on m’abat cent fois
Si l’on me brise cent fois les os
Au jour promis
Je serai le bûcher qui flamboie
Je serai la racine d’où naît la forêt.
Les fleurs blanches du jardin
Les nuits
Lorsque même l’étoile dort
Les fleurs blanches du jardin
Sont éveillées
Les nuits
Lorsque sans raison tu pleures
Lorsque tu n’exhales pas
Le parfum de tes vers
A travers la fenêtre
Les fleurs blanches du jardin
Sont éveillées
Les nuits
Lorsque ton cœur se rallie en secret
A une douleur familière
Lorsque même la brise
Ne nous apporte aucun chant
Depuis la vallée nébuleuse
Sous ta petite fenêtre
Les fleurs blanches du jardin somnolent
Sont éveillées
Les nuits
Lorsque follement tu chantes
Et lorsque aucune flamme
Sauf tes larmes ne brille
Dans l’étendue de ce paysage
Dans ce jardin et ce printemps endormis
Les blanches fleurs sont éveillées
Les longues nuits sans matin
Les longues nuits sans espoir
Les nuits noires figées à leur début
Les nuits
Lorsque tu chantes avec amour
Lorsque sans raison tu pleures
Lorsque même l’étoile dort
Les fleurs blanches du jardin
Sont éveillées
Et le cœur
Reste affamé
De matin clair.
L’arbre, la gazelle et l’étoile
Je suis
Ce champ
D’une triste histoire
Qui une nuit
Soudainement
A perdu
Sa chère gazelle
Je suis
Cette gazelle
Galopante
Et sans retour
Qui rêve
Dans son sommeil
D’un champ printanier
Aux senteurs de fleurs
Je suis cet astre au loin
Dont le phare des yeux n’a plus de lumière
Et qui ne voit plus hélas
Ni le champ ni la gazelle.
Ma vie
Ma bien-aimée s’est réveillée
De son doux sommeil
Elle s’est parée
Comme le corps du matin
Un nouveau jour s’est levé
Avec son réveil en revanche
Elle a de ma vie enlevé une nuit.
Impasse
Ni la main qui désire
Ni le pas qui avance
Le doux parfum
Du manège amoureux
A disparu
Mes fleurs dans leur pot sont écloses
Pourtant
Ses yeux verts m’ont fui
La douceur de son regard
A débordé ma coupe
Mais hélas !
Ma main l’a renversée
Jusqu’à quand chercher des prétextes pour chanter ?
Il ne nous reste plus de mots à dire
Elle, elle n’a plus de désir
Moi, je n’éprouve plus d’amour