N° 21, août 2007

Siâvosh Kasrâï, le grand berger de l’espérance


Rouhollah Hosseini


Oui, oui, la vie est belle

La vie est telle

Un ancien et consistant temple du feu

Si vous l’allumez

La danse de son éclat

Se verra de tous les horizons

Sinon il restera éteint

Ce de quoi nous serons coupables.

Fidèle élève de Nimâ, et fervent connaisseur de littérature classique persane, Siâvosh Kasrâyï (1926-1995) s’inspire de l’épopée pour distiller des poèmes d’espérance. Le souffle épique de sa création manifeste le goût de la liberté et de la révolte. Il figure à ce titre parmi les auteurs hardiment engagés dans le combat contre l’injustice et la cruauté. Dans cette optique, il recourt à la mythologie héroïque persane pour dénoncer le sentiment de résignation et provoquer celui de la révolte chez son peuple, dont l’histoire est fortement marquée par les actes d’héroïsme de personnalités mythiques tels que آrash Kamânguir ou Sohrâb. Le courage et le dévouement du premier, qui rendit l’âme pour sauver l’honneur de sa patrie, font ainsi l’objet du premier grand texte poético-épique de la poésie moderne persane. Le poète y chante en effet son amour pour la patrie, l’un des principaux thèmes de son œuvre. Le second personnage, Sohrâb, pareillement renommée, est la figure simultanément héroïque et tragique d’un autre de ses textes intitulé " Le grain rouge ", dont le propos est d’illustrer les conséquences irrémédiables de l’erreur humaine. On ne peut cependant pas considérer Kasrâyï comme un poète pessimiste, car il n’a de cesse de célébrer la vie ; laquelle porte en soi le printemps aussi bien que l’hiver, et l’espoir en dépit de la noirceur. C’est notamment à travers ses vers lyriques que le poète illustre l’entrelacement de la joie et de la douleur de vivre. Son écriture, de facture humaniste, est une réponse onirique face à l’inertie du désespoir :

Ma poésie jette un pont

Vers la rive de l’avenir

Pour le passage des gais voyageurs

Mon message prend son envol

Du baiser des mains et des lèvres

Que les amants jettent le regard

Sur ce messager d’amitié

Car

C’est par le creusement inlassable

Des mains et des lèvres

Que l’homme s’éternise

Sur l’écriteau du temps.


Une lyrique pour l’arbre

Ô arbre

Tu es

La grande taille du désir

Dans tes bras le ciel

Ne cesse de dormir

Ô arbre

Tu es haut

Tes mains

Sont pleines d’étoiles

Ton cœur plein de printemps

Ô arbre

Tu es beau !

Lorsque les vents

Nichent au creux

De tes feuilles emmêlées

Lorsque les vents

Peignent ta chevelure verte

Ô arbre

Tu es tumulte !

Lorsque la pluie

Déploie ses griffes sauvages

Ô arbre

Dans son festin froid

Tu es ce musicien endolori à la belle voix

Sous ton pied

Il fait nuit

Des gens sont frappés de nuit

Ils n’ont jamais vu le matin

Qu’as-tu fait avec le jour ?

Qu’as-tu fait avec le soleil ?

Ô arbre

Sur le champ du regard

Es-tu absorbé dans la contemplation ?

Tu te lies

Par des milliers de fils

Aux âmes des habitants de la terre

Ne crains point le tonnerre !

Ne t’effraie point de l’éclair !

Ô arbre

Tu es solide !

Ô farouche !

Révolte-toi !

Ô arbre !

Ô unique !

Comme notre espoir

Tu es avec nous

Et tu es solitaire.


Les survivants

Ce minuit-là

Ils ont fait irruption

Ils ont tué six personnes

Ils ont tout vu

Ils ont tout détruit

Ils n’ont rien trouvé

Sept personnes

Sont alors sorties

Comme les larmes de ma mère

Ils ont disparu

Dans le voile noir de la nuit

Et maintenant

Tout près de la fenêtre

Une veuve

Se tient seule.


Silencieusement

Seul

Au creux de l’huître

Je me mêlais à une goutte de pluie

Dans le vain espoir

De devenir une perle

J’ignorais

Que derrière le mur de mon cœur

La mer séchait silencieusement.


La racine et la forêt

Une branche je suis

De la forêt de pins

Sur le corps de ma race

Sont gravés des souvenirs

De coups de hache

Ne nous parle point de brisure !

Car

Nous en sommes des familiers

En revanche

Nous serions étonnés

D’éclore aux printemps

Cependant

Si l’on m’abat cent fois

Si l’on me brise cent fois les os

Au jour promis

Je serai le bûcher qui flamboie

Je serai la racine d’où naît la forêt.


Les fleurs blanches du jardin

Les nuits

Lorsque même l’étoile dort

Les fleurs blanches du jardin

Sont éveillées

Les nuits

Lorsque sans raison tu pleures

Lorsque tu n’exhales pas

Le parfum de tes vers

A travers la fenêtre

Les fleurs blanches du jardin

Sont éveillées

Les nuits

Lorsque ton cœur se rallie en secret

A une douleur familière

Lorsque même la brise

Ne nous apporte aucun chant

Depuis la vallée nébuleuse

Sous ta petite fenêtre

Les fleurs blanches du jardin somnolent

Sont éveillées

Les nuits

Lorsque follement tu chantes

Et lorsque aucune flamme

Sauf tes larmes ne brille

Dans l’étendue de ce paysage

Dans ce jardin et ce printemps endormis

Les blanches fleurs sont éveillées

Les longues nuits sans matin

Les longues nuits sans espoir

Les nuits noires figées à leur début

Les nuits

Lorsque tu chantes avec amour

Lorsque sans raison tu pleures

Lorsque même l’étoile dort

Les fleurs blanches du jardin

Sont éveillées

Et le cœur

Reste affamé

De matin clair.


L’arbre, la gazelle et l’étoile

Je suis

Ce champ

D’une triste histoire

Qui une nuit

Soudainement

A perdu

Sa chère gazelle

Je suis

Cette gazelle

Galopante

Et sans retour

Qui rêve

Dans son sommeil

D’un champ printanier

Aux senteurs de fleurs

Je suis cet astre au loin

Dont le phare des yeux n’a plus de lumière

Et qui ne voit plus hélas

Ni le champ ni la gazelle.


Ma vie

Ma bien-aimée s’est réveillée

De son doux sommeil

Elle s’est parée

Comme le corps du matin

Un nouveau jour s’est levé

Avec son réveil en revanche

Elle a de ma vie enlevé une nuit.


Impasse

Ni la main qui désire

Ni le pas qui avance

Le doux parfum

Du manège amoureux

A disparu

Mes fleurs dans leur pot sont écloses

Pourtant

Ses yeux verts m’ont fui

La douceur de son regard

A débordé ma coupe

Mais hélas !

Ma main l’a renversée

Jusqu’à quand chercher des prétextes pour chanter ?

Il ne nous reste plus de mots à dire

Elle, elle n’a plus de désir

Moi, je n’éprouve plus d’amour


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