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Mohammad Karim Khân Zand prend le pouvoir en 1753. Refusant le titre de roi, il se nomme Vakil-ol-Roâyâ (Représentant du peuple). Les Zands sont l’une de ces rares dynasties iraniennes de souche persane qui ont réussi à unifier le pays, généralement gouverné par des dynasties d’origine turco-mongole. Le règne de Karim Khân est également cité par les historiens comme l’un des meilleurs de l’histoire iranienne, du fait de l’intérêt de ce roi – rare chez les rois iraniens – pour le bien-être du peuple, sa douceur, son humanité et sa générosité.
Karim Khân a soutenu l’épanouissement culturel de l’Iran, notamment en reconstruisant brillamment la ville de Shirâz, sa capitale, et en érigeant des mausolées sur les tombes de Hâfez et Saadi, deux immenses poètes persans originaires de cette ville. Bien qu’il ait été lui-même analphabète, il encourageait les arts et les sciences. Son seul défaut était sa dépendance à l’alcool, qui provoquait parfois de fortes crises de rage. Quoi qu’il en soit, les années 1753-1779 sont celles d’une stabilité et d’un calme social et économique relatifs, constituant un terrain favorable à l’épanouissement des arts et de la culture.
La peinture à l’huile sous les Zands constitue à la fois une introduction à la future école qâdjâre et une imitation des peintres safavides, mélangée au style européen pour les portraits des courtisans. Elle se distingue de la peinture de l’ère afsharide par un emploi nouveau et différent des couleurs, puisque les peintres de la période zand font un usage abondant de la palette du vert, couleur qui est remplacée par le rouge sous les Qâdjârs.
Parmi les peintres célèbres de l’époque zand, citons Ali Ashraf, Mohammad Sâdegh, Mohammad Bâgher, Mohammad Zamân, Aghâ Nadjaf, sans oublier Abolhassan Ghaffâri, auteur de plusieurs portraits de Karim Khân, de son fils le dauphin Rezâ Gholi Mirzâ et du roi Ghareghouyounlou Jahân Shâh. Les artistes de cette époque cherchaient de nouveaux modes d’expression artistiques permettant de figurer une forme de paix et de calme opposés au chaos et aux troubles marquant leur temps. La peinture de cette époque est caractérisée par une certaine définition de la modestie et de la sincérité qui apparaît notamment dans la représentation abondante de fleurs, de plantes et de personnages innocents, humbles et affectueux. Les peintres s’intéressent parallèlement aux motifs tirés des contes et récits populaires qui mettent en exergue l’importance de la simplicité et de la gentillesse.
Les sujets sont inspirés des thèmes religieux, légendaires, historiques ou mythiques. Citons par exemple l’histoire de Joseph, le mythe de Rostam et Sohrâb ou l’histoire populaire des derviches ambulants. D’autres tableaux, aux sujets inspirés de la vie quotidienne, font état d’une certaine prospérité et sentiment de sécurité populaire, telle que décrite par exemple dans les fameux tableaux de la femme qui s’évente, la jeune fille qui joue du tar, ou encore le jeune homme assis en train de lire. Ces tableaux décrivent la tranquillité et l’aisance de la vie des Iraniens sous le règne des Zands, du moins sous celui du premier roi zand. Cependant, l’usage maladroit et mélangé des techniques de peinture occidentale, avec une insistance sur la perspective nuit à la qualité de la peinture de cette période. Les images sont primitives et grossières et pour compenser, les peintres y ajoutent des bouquets de fleurs bigarrés et agréables à voir.
D’un point de vue stylistique, les techniques européennes de peinture font massivement leur entrée en Iran, où elles sont en partie adaptées au goût iranien avec l’ajout de techniques décoratives propre à la Perse. Citons les cas des fresques, enluminures, et aquarelles. La continuation et le perfectionnement de ce mélange des techniques picturales iraniennes et européennes donneront d’intéressants résultats avec l’Ecole qâdjâre.
La brillance des couleurs des fresques de cette époque et l’emploi de couleurs chaudes (rouge et doré) caractérisent entre autres le style de l’Ecole de Shirâz, qui rayonne dans tout l’Iran sous les Zands. Le fameux portrait d’un prince zand, datant de 1793, est un exemple typique de ce style. Le visage et le corps du prince sont immobiles et les détails, comme dans la plupart des œuvres de cette époque, reflètent le calme caractéristique se dégageant de l’art zand. Les techniques employées pour le visage et le détail des habits révèlent une certaine finesse et sont marquées par des tracés doux et fluides. Les lignes verticales de l’arrière-plan et les lignes horizontales du premier plan se complètent harmonieusement. Le couvre-chef du jeune prince est le chapeau typique de l’époque zand et se distingue nettement des turbans fendus safavides. La couleur chaude du manteau est en harmonie avec le vert du fond. Ces deux couleurs dominantes atténuent également la monotonie de l’image. L’impression de profondeur est forte grâce au clair-obscur dans l’expression du manteau et des habits.
Les tableaux de cette époque sont en général marqués par les caractéristiques de la peinture traditionnelle iranienne à deux dimensions telles que la luminosité, le peu d’intérêt vis-à-vis du monde réel et matériel, le fort intérêt pour l’abstrait et le spirituel, l’emploi de couleurs douces et légères suggérant le spirituel et des cadres limités, marquant une tendance vers l’introspection. Cependant, ils ne reflètent plus le caractère céleste, métaphorique et élyséen des tableaux du passé - par exemple des écoles timourides de Tabriz et de Shirâz -, et l’on peut affirmer que la peinture zand a intégré des thèmes et motifs bien matériels et terrestres.
Un autre art proche de la peinture qui naît à cette époque est le vitrail. Cet art reste pourtant primitif et s’adapte au goût du petit peuple. Les artistes qui s’illustrent dans ce domaine ne s’obligent pas à respecter les règles de la peinture de cette époque et s’en écartent même parfois par un emploi abondant des couleurs. Malheureusement, il reste aujourd’hui peu d’exemples des vitraux de cette époque, dont la plupart ont été détruits avec le temps.
La production de tapis en Iran sous la dynastie Zand (1750-1779) est difficile à évaluer en raison de l’absence d’exemples et d’archives. Les experts estiment que la raison en réside dans le chaos social et le déclin momentané causé par la période afsharide et les campagnes incessantes de Nâder Shâh ayant précédé l’arrivée de cette dynastie au pouvoir. Ainsi, à partir de 1727, la production est presque réduite à zéro. Des facteurs concomitants tels que la destruction des centres urbains et les migrations forcées sont considérés comme les causes immédiates de l’établissement apparent de nouveaux centres de production et de diffusion de modèles de tapis, en particulier dans le nord-ouest de l’Iran et le Caucase. Cette explication, qui a provoqué bien des débats dans les études sur le tapis persan, est basée sur l’établissement par Nâder Shâh de centres de tissage à la fois dans le Caucase et dans le centre-ouest de l’Iran. L’étude du XVIIIe siècle iranien, notamment au travers des récits de voyage et des registres commerciaux, suggère cependant une image quelque peu différente de la production du tapis persan durant cette période. Précisons que les migrations forcées avaient principalement pour objectif de supprimer des éléments gênants de la frontière occidentale - les Ouzbeks, qui attaquaient régulièrement les frontières iraniennes. Nâder Shâh avait donc déplacé certains groupes tribaux kurdes, réputés pour leur tempérament guerrier, vers le Khorâssân, à la fois pour s’assurer contre les incursions étrangères et profiter de la main-d’œuvre ainsi disponible. A long terme, ces migrations n’ont pas donné le résultat souhaité, et selon une étude récente, les populations sont peu à peu retournées vers leurs lieux d’origine après la mort de Nâder Shâh en 1747.
Même si de magnifiques tapis de soie ont été tissés à cette époque dans le style de la cour safavide, cette production n’est pas quantitativement notable. On peut supposer que la production de tapis de laine moins luxueux s’est poursuivie dans de nombreux centres traditionnels, même si elle était faite sur une plus petite échelle et principalement pour la consommation intérieure, plutôt que pour l’exportation. Il est également probable que les tapis tribaux aient été toujours tissés à côté des feutres et d’autres types de revêtements de sol toujours en demande.
Selon le rapport d’un agent de la Compagnie des Indes datant de 1738, « de beaux tapis de soie et de laine » étaient mis à la vente sur le marché de Bandar Abbâs. Nâder Shâh lui-même en a commandé pour décorer l’église d’Erevan en Arménie et le sanctuaire de l’Imâm Ali à Najaf. Il est aussi probable qu’il ait commandé des tapis similaires pour le sanctuaire de l’Imâm Rezâ à Mashhad, ainsi que pour sa Maison du Trésor (le Kalât Nâderi) dans le Khorâssân et son petit palais à Ghazvin. La tente royale grandiose installée dans le Dasht-e Moghân pour son couronnement en 1736 était d’ailleurs un immense tapis en soie tissé à Kermân.
La prospérité et la stabilité du règne de Karim Khân Zand (1750-1779) ont probablement favorisé la production de tapis. Selon l’un de ses contemporains, Karim Khân lui-même se déclarait notamment tisserand. L’idée que la production de tapis se serait développée sous son règne, qualitativement et quantitativement, est entre autres confirmée par un tapis de laine conservé au Musée Irân-e Bâstân, comportant un motif composé d’un réseau à plan unique de plantes à fleurs dans les compartiments. La technique de nouage est la même que celle associée à la technique du vase. Ce tapis date de 1758, et le nom de son tisserand est Mohammad Sharif Kermâni. Cet exemple daté peut donc servir de noyau pour un grand groupe de tapis connexes qui n’ont pas été précisément datés. Les tapis illustrant des scènes contemporaines ou comportant des couleurs et motifs similaires sont également supposés appartenir à l’époque zand (de Shirâz et de Kermân). D’autres ont probablement été tissés dans le Khorâssân durant cette même période.
Les récits des marchands du comptoir britannique font état de la vente de tapis sur le marché de Boushehr, tapis dont ils soulignent « la luminosité des couleurs et l’élégance de fabrication » et qui proviennent de la province du Khorâssân. Des voyageurs et diplomates de passage dans la région au XVIIIe siècle en font également mention. En 1786, il est relevé que Yazd et Kermân exportaient des feutres et des tapis. A la fin des années 1780, de beaux tapis tissés dans le Khorâssân attirent l’attention, certains d’entre eux ayant même des motifs tissés en fil d’or. En 1801, dans un rapport confidentiel sur les manufactures, les exportations et les importations de l’Iran rédigé par Sir John Malcolm au directeur du conseil de contrôle de la Compagnie des Indes, Yazd, Kâshân, Tabas, et les villes du Khorâssân de l’est (futur Afghanistan) sont mentionnées en tant que principaux centres de tissage de tapis. En 1826, un compte-rendu extrêmement utile et détaillé du commerce du tapis est publié. Ce document démontre que les tapis sont produits en grande quantité simultanément dans les centres traditionnels du tapis, mais aussi au sein de nouveaux centres apparus à partir de l’ère afsharide : Herat, Kermân, Yazd, Boroujerd, les zones turkmènes du Khorâssân, Ispahan, et les villes de l’Azerbaïdjân.
Il semble donc qu’il y ait suffisamment de preuves pour croire à la continuité de la production de tapis tout au long des périodes afshâride et zand. Il faut cependant être prudent entre les témoignages historiques et la datation des tapis du XVIIIe siècle. Il est ainsi nécessaire, pour cette datation, de prendre en considération l’échelle de production et les motifs, ainsi que les centres de tissage. Il est probable que de nombreux modèles « classiques » du XVIIe siècle (par exemple, ceux du jardin, des treillis, du vase et des motifs floraux) aient été repris dans la période ultérieure, avec éventuellement l’ajout de nouveaux détails ou de nouvelles méthodes de tissage. On peut en effet supposer que les motifs de l’époque ont été introduits dans le nord-ouest de l’Iran et le Caucase grâce à la migration des tisserands, mais aussi à travers l’inspiration que les œuvres envoyées dans ces régions ont pu créer. C’est le cas par exemple des tapis commandés par Nâder Shâh pour être envoyés à Erevan. La baisse de la production de tapis de luxe est à la fois motivée par la stagnation globale de l’économie iranienne et par les campagnes militaires de Nâder Shâh ayant précédé l’arrivée des Zands au pouvoir. Le contrôle du commerce maritime par les Etats européens et la baisse de la production de soie grège en Iran jouent également un rôle dans ce déclin.
Les tapis persans aux dessins traditionnels, tissés avec les techniques locales continuent d’être produits dans les zones frontalières hors du contrôle du gouvernement central. Il s’agit notamment des tapis aux motifs floraux ou représentant des scènes de chasse provenant du Caucase, des tapis arméniens aux inscriptions entrelacées du XVIIIe siècle, et les tapis de Herat. Plusieurs types de ces tapis sont importés d’Afghanistan en Iran au début du XIXe siècle.
Bibliographie :
Aghdâshlou, Aïdin, Darâmadi bar naghâshi-e qâdjâr (Initiation à la peinture qâdjâre), Téhéran, Ed. Daftar Maghsous, 1975.
Zakâ, Yahyâ, Negâhi be naghâshi-e irâni dar gharnhâ-ye 12 va 13 hejri shamsi (Aperçu sur la peinture iranienne des XVIIe et XVIIIe siècles), Téhéran, Ed. Daftar Maghsous, 1975.
Ajand, Ya’ghoub, "Naghâshi-e zand, darâmadi bar naghâshi-e qâdjâr" (La peinture zand, une introduction à la peinture qâdjâre), Revue Ketâb Honar-hâye Tajasomi, n°1, 2005.
Site :http://www.iranicaonline.org/articles/carpets-x