N° 136, mars 2017

La Princesse de Rome, archétype du nouveau cinéma d’animation iranien


Zeinab Golestâni


Marqué par une grande souplesse technique, le cinéma d’animation touche un large public de tous âges. Depuis son entrée dans le monde artistique, ce cinéma se veut un média planétaire mis au service de la transmission des images et des messages marqués par un certain humanisme. D’où la très bonne réception d’un bon nombre de ces œuvres dans le monde entier. Ce succès a ainsi converti ce genre cinématographique en un enjeu central et identitaire pour l’économie et la culture.

En s’inspirant à la fois des films d’animation japonais, américains et français, le cinéma d’animation iranien s’est considérablement développé selon des modalités propres au cours de ces dernières années. D’abord marqué par des thématiques nationales dont la guerre Iran-Iraq, il prend une dimension de plus en plus générale, avec de jeunes artistes iraniens rattachés notamment au Centre d’animation Sabâ, considéré comme le pionnier de l’industrie de la bande dessinée en Iran.

Premier long-métrage d’animation produit en Iran, Tehrân 1500 (Téhéran en 2121) a été réalisé par Bahrâm Azimi, figure emblématique de la production de courts-métrages d’animation pour la Police routière iranienne et créateur du personnage de Siyâ Sâketi. Tehrân 1500 est sorti en 2008 à grand renfort de publicité. Pourtant, ce film, qui a coûté près de 700 000 dollars, et dont le doublage a été réalisé par des stars iraniennes, n’a pas rencontré le succès attendu.

Sorti en 2015, le film La Princesse de Rome a attiré, en traitant un sujet considéré par les chiites comme historique, non seulement l’attention du public, mais aussi celle des critiques du cinéma iranien. Se rapprochant techniquement des œuvres du cinéma hollywoodien, ce film a coûté 60 000 dollars de moins que Tehrân 1500. En dégageant des recettes de près de 1 500 000 dollars, un record presque historique si l’on exclut le récent film Prophète, réalisé par Madjid Madjidi.

Si La Princesse de Rome aborde une histoire religieuse sous la forme d’un film d’animation, il n’est pas le premier à le faire en Iran. Déjà, en 2002, Nâder Yaghmâïyân et Shahrâm Khârazmi avaient produit un film d’animation intitulé Le Soleil d’Egypte, qui raconte l’enfance du prophète Joseph.

La Princesse de Rome est le récit de la vie de la Princesse Malika, qui devint par la suite Dame Narguès (Narcisse), mère du XIIe Imâm shi’ite, surnommé Al-Mahdi. Petite fille de l’empereur byzantin, son destin la pousse à quitter sa vie somptueuse de palais pour se marier avec le XIe Imâm chiite, dans une maison assiégée à Samara, en Iraq. Descendante du disciple du Christ, Simon Pierre selon l’hagiographie chiite, la Princesse byzantine apprend sa destinée hors du commun au travers de plusieurs rêves. Convertie à l’islam par l’invitation en rêve de Fâtima, fille du prophète Mohammad, elle rencontre Hassan al-’Askari, le XIe Imâm aussi surnommé al-Hâdi, au cours d’autres songes, puis rêve de son mariage avec lui en présence de Jésus-Christ, de la Vierge Marie, et du Prophète. Promise au palais à un commandant romain qu’elle n’aime pas, elle décide de fuir et de se laisser capturer par les troupes musulmanes, dans l’espoir de rejoindre son bien-aimé. Commence ainsi un long périple vers les contrées musulmanes. Là, elle rencontre le XIe Imam, se marie avec lui, et donne peu après naissance au XIIe Imâm, l’Imâm al-Mahdi, qui, selon les chiites, viendra rétablir la justice à la fin des temps. Bien que l’histoire de la vie de Malika soit entourée par de nombreux mystères, La Princesse de Rome s’efforce, selon son réalisateur Hâdi Mohammadiân, de présenter ce récit central de la spiritualité chiite aux enfants, qui sont les premiers destinataires de cette œuvre. De par le contenu spécifique du récit de sa vie, Malika se distingue en de nombreux points des héroïnes classiques des films de Walt Disney.

Produit par deux groupes, à savoir Soluk-e-Aflâkiyân et Haft-Sang, le film La Princesse de Rome est le fruit du travail de 105 artistes et animateurs iraniens dont l’âge moyen est de 27 ans. Fort de son expérience de réalisation de plusieurs dizaines de courts métrages d’animation, son réalisateur a aussi produit le long métrage 9h20 à Boushehr, présenté au 31e festival de Fajr en 2013. La princesse de Rome est son deuxième long métrage.

Alors que la plupart des films d’animation en 3D réalisés en Iran comportent encore de nombreuses imperfections techniques notamment au niveau du mouvement des personnages, La Princesse de Rome se rapproche considérablement des productions de qualité du cinéma d’animation actuel. Des critiques ont cependant souligné que la mise en scène du film s’inspire beaucoup des productions occidentales, et que les Romains y ressemblent aux Arabes du film, comme si les mêmes personnages avaient simplement changé d’habits. La représentation même de la Rome antique et du monde musulman de l’époque est quelque peu fantaisiste, mais aucun de ces défauts ne remet en cause la bonne qualité du film.

En outre, l’absence de documents historiques précis comprenant cette période de la vie des Onzième et Douzième Imâms shi’ites constitue un sérieux obstacle à la rédaction d’un scénario précis et logique. En mettant sur scène l’histoire de la petite fille de l’empereur byzantin qui est censée se marier avec le commandant romain Craytus, la première partie de La Princesse de Rome reprend des œuvres classiques de Walt Disney, tout en apportant ses propres éléments originaux. La seconde partie du film raconte l’histoire de la captivité de la Princesse Malika, son entrée à Bagdad, et sa rencontre avec le XIe Imam. Cette partie n’aborde cependant pas le comment de la rencontre concrète et le mariage réel de Narguès avec le XIe Imam. Le spectateur se demande donc comment elle a retrouvé l’Imâm et comment se sont passés leurs premiers échanges. Mais on peut fort bien imaginer qu’ils se connaissaient déjà dans le monde des songes… Ce film est donc un récit où se télescopent en permanence mondes réel et onirique. Dans ce sens, Hâdi Mohammadiân souligne que La Princesse de Rome a essayé de dépasser le cadre linéaire et froid de la narration telle qu’elle existe dans la plupart des œuvres iraniennes, pour se baser sur une structure basée à la fois sur le dialogue et l’imagination.

Etant donné la dimension à la fois interreligieuse et interculturelle de son récit, La Princesse de Rome peut être à même de constituer un objet de dialogue, sinon de débat, entre les cultures orientale et occidentale. En présentant la mère du dernier Imâm chiite comme d’origine romaine, en faisant figurer le Christ aux côtés du prophète Mohammad, il établit des liens originaux au confluent de plusieurs spiritualités.

Projetée notamment au Liban, en Iraq, au Koweït, en Côte d’Ivoire, en Arabie Saoudite, et au Bahreïn, cette œuvre majeure du cinéma d’animation iranien a été chaleureusement reçue par le public étranger. Elle doit prochainement être présentée dans d’autres pays comme l’Inde, le Pakistan, l’Arménie, la Russie et la Chine. Et il a rencontré un succès inespéré au Liban, où il a été diffusé dans sa version arabe, sous le titre de Amïrat ar-Rum.


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