N° 136, mars 2017

Le cinéma-vérité en Iran : de nouvelles initiatives prometteuses


Sepehr Yahyavi


Le cinéma est un art, le septième. Né à l’époque industrielle et dans des sociétés industrialisées, cet art a été aussi dès le départ une industrie. Le cinéma est donc à la fois un art et un commerce. La preuve en est que les seuls cinémas du monde qui soient économiquement indépendants sont les industries de Hollywood et de Bollywood. La plupart des autres pays du monde ont attribué et attribuent encore des subventions plus ou moins importantes à leur art cinématographique. C’est le cas de presque tous les films dits d’auteur à travers le monde, surtout dans nombre de pays ouest-européens, dont l’Italie et la France, deux pays de grandes culture et mémoire cinématographiques.

Poster du film Mâhi va Gorbeh (Le poisson et le chat), réalisé par Shahrâm Mokri

C’est aussi en grande partie le cas de l’Iran. Dans ce pays, qui est parmi les tout premiers pays asiatiques à s’être intéressés à l’art et à l’industrie cinématographiques, le cinéma survit en grande partie grâce à des subventions étatiques. Cependant, après la Révolution, la politique cinématographique iranienne fut basée, et jusqu’à il y a quelques années, sur un protectionnisme du cinéma dit de guichet, autrement dit sur son aspect industriel. Disons que l’Etat ne subventionnait que les réalisations d’un nombre assez limité de cinéastes, dont la vente était assurée par leur célébrité et/ou popularité. Ceci a été également le cas pour la plupart des producteurs de cinéma qui sont les principaux investisseurs dans cette industrie.

Parmi les réalisateurs iraniens qui ont ouvert la voie au cinéma élitiste et artistique, citons Abbas Kiârostami (1940-2016), cinéaste iranien décédé il y a quelques mois des suites d’un cancer en France. Cet artiste et quelques autres cinéastes comme Nâsser Taghvâei (né en 1941) et Ali Hâtami (1944-1996) ont eu également le mérite d’avoir frayé la voie à une réconciliation du grand public iranien avec le cinéma culturel et non-industriel. C’est ainsi que l’Etat et les producteurs privés ont commencé à revoir en partie leur stratégie. Pour protéger les jeunes cinéastes et documentaristes et les encourager à réaliser leur premier long-métrage, un institut appelé « Centre pour le développement du cinéma documentaire et expérimental » a été fondé il y a quelques années. Il est placé sous l’égide du département ministériel pour le cinéma et l’audiovisuel du ministère iranien de la Culture et de l’Orientation islamiques.

Poster du film Parviz, réalisé en 2012 par Majid Barzegar

Projet d’écran « Art et expérience » :

 

En 2014, Hojjatollâh Ayyoubi, nommé en 2013 à la tête de l’organisation cinématographique, a pris l’initiative de concrétiser une idée longtemps nourrie par les experts et les artistes : créer un espace pour permettre aux jeunes artistes de présenter à l’écran leur réalisation expérimentale ou documentaire, briser le monopole des grands producteurs et réalisateurs en fournissant l’occasion aux moins connus, permettre au grand public de faire la connaissance des artistes novices et moins célèbres, etc. Cette idée a donc été finalement réalisée en 2014 avec l’ouverture d’un centre et l’organisation de projections du nom de « Honar-o Tajrobeh » (Art et expérience). Le nombre des salles qui projettent des films dans le cadre de ce projet reste cependant limité, et les séances sont moins nombreuses que pour des créations du grand cinéma. Ce projet a suscité dès le début des avis positifs. La plupart des cinéastes jeunes et indépendants, et les partisans d’un cinéma engagé et artistique et d’un cinéma-vérité ont accueilli cette initiative à bras ouverts. Certains cinéastes et en particulier producteurs qui préfèrent un cinéma industrialisé ou de guichet ont pourtant exprimé leur mécontentement, voire leur ferme opposition à ce projet. Les détracteurs avancent, entre autres, des dépenses importantes pour des recettes minimes.

Parmi les films montrés à l’écran dans le cadre de ce projet, il faut évoquer deux fictions, Mâhi va Gorbeh (Le poisson et le chat) et Parviz [nom propre masculin persan].

Festival Cinéma-vérité (Jashnvâreh cinemâ-ye haghighat), complexe Charsou à Téhéran

Mâhi va Gorbeh est un long-métrage de fiction réalisé en 2013 par le jeune réalisateur Shahrâm Mokri. Ce film a battu le record de la durée d’écran d’un film iranien (environ 20 mois), et a rapporté près d’un milliard de tomans (dix milliards de rials) de recettes. Le film, dont le genre expérimental rappelle le slasher américain, a été réalisé en une seule séquence-plan. Il s’agit de visionner un seul plan sous différents points de vue, chacun faisant référence à une petite histoire narrée et/ou jouée par un nombre relativement important d’acteurs. Le film a provoqué dès le début la passion et l’admiration de la plupart des critiques indépendants, et a pu attirer l’attention d’un public considérable au vu de son genre.

Un autre film notable diffusé avec le soutien du centre mentionné plus haut est un long-métrage de fiction intitulé Parviz, réalisé en 2012 par Majid Barzegar, jeune cinéaste indépendant. Ce film de 95 minutes raconte l’histoire de Parviz, un quadragénaire souffrant d’obésité qui vit toujours chez son père. Il ne fait que se consacrer à une vie d’oisiveté dans l’appartement paternel situé dans une célèbre cité petite-bourgeoise à l’ouest de la capitale, et travaille à temps partiel dans un pressing à l’intérieur de la cité. Les choses vont changer pour lui quand son père âgé lui annonce qu’il a l’intention de se remarier à une quadragénaire. Ce dernier, ressentant alors une détresse et une solitude insupportables, commence à commettre les actes inattendus de quelqu’un comme lui, d’apparence si calme et si obéissante. Ce film a créé une polémique dans la communauté des cinéastes et cinéphiles iraniens, tout en devenant une production importante au box-office du projet « Art et expérience ».

A l’heure actuelle, le projet continue de projeter en même temps plusieurs fictions et documentaires de court, moyen et long-métrage dans des salles de Téhéran et autres grandes villes iraniennes.

Poster du film Cecilia de Pankaj Johar, documentariste indien

Festival Cinéma-vérité
(Jashnvâreh cinemâ-ye haghighat)

 

Un autre projet remarquable qui a été conçu et mis en œuvre durant ces dernières années est le festival international annuel des documentaires, appelé Cinéma-vérité (cinemâ-ye haghighat). Créé en 2006, la dixième édition de ce festival s’est tenue du 4 au 11 décembre dernier dans le complexe Charsou à Téhéran. Les éditions précédentes du festival s’étaient tenues dans deux autres cinémas, les cinémas Sepideh et Felestine (comprenant respectivement deux et trois salles), cinémas plus anciens mais dotés d’une ambiance plus sympathique et étudiante, peut-être plus conforme à la nature et l’objectif du festival. Cependant, vu la croissance assez récente des centres qui sont à la fois commercial et culturel à Téhéran et le bon accueil du public, ce festival se tient désormais dans le complexe Charsou.

Au programme de ce festival, à la fois des documentaires iraniens et étrangers. Les Européens, surtout les Français, ont eu une présence remarquable ces dernières années, mais ils étaient moins présents cette année, les Italiens et les Américains ayant été plus nombreux à y avoir participé. Parmi les films étrangers que j’ai regardés cette année, il faut évoquer Cecilia de Pankaj Johar, documentariste indien. Ce documentaire de long métrage (83 min.) revient sur un sujet d’actualité contemporain : le trafic d’enfants.

Notons à la fin de cet article que le cinéma iranien vit en général d’assez bons jours. Il avance. Il est compétitif, à la fois sur le plan économique et artistique, et la concurrence fait souvent avancer les choses. On peut espérer que cet art, surtout le cinéma documentaire et expérimental, continue sur la même voie.


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