N° 140, juillet 2017

Les femmes,
la Révolution et la Défense sacrée


Hamideh Haghighatmanesh


Leurs visages étaient étranges. Habillées de foulards bleu foncé ou crème et de vêtements longs, le khôl de leurs yeux était de poussière et de larmes, le rouge de leurs joues, la chaleur, et celui de leurs lèvres, la soif. Leur parfum sentait la poudre… Elles portaient des armes pour parure, ou un sac de munitions, ou un appareil photo, un magnétophone, une trousse de secours… Et aujourd’hui, leur plume est leur plus bel ornement … C’est l’histoire des femmes de la guerre ; ces femmes épiques des huit ans de la Guerre.

L’histoire des femmes qui ont participé à la guerre a un précédent révolutionnaire. Cette participation s’inscrit dans la continuité des activités militantes et politiques féminines durant la Révolution de 1979. Avant cette date, on voit également la présence politique féminine lors d’événements historiques comme, à l’époque qâdjâre, le mouvement du boycottage du tabac ou la Révolution constitutionnelle.

Bien que la Révolution islamique ait eu lieu en 1979, le mouvement qui y mena commence environ quinze ans plus tôt, en 1964. Dès les années 60, les femmes militent secrètement mais très activement, notamment avec l’organisation de meetings clandestins ou la distribution de tracts. Nombreuses furent celles qui subirent la prison, la torture, qui furent exécutées. Leur présence directe aux côtés des hommes, et leur rôle indirect dans le soutien à la Révolution et au changement de régime furent d’une importance fondamentale.

Participation des femmes aux manifestations de la
Révolution de 1979

Lors des émeutes de la Révolution de 1979, même les femmes non militantes ont eu un rôle actif : collecte d’informations, distribution de tracts, aide aux blessés, hébergement des activistes politiques recherchés, participation massive aux manifestations, et parfois même combat armé.

Durant la guerre, les femmes ont une nouvelle fois joué un rôle fondamental : essentiellement dans le domaine du ravitaillement et des secours, mais aussi en assumant les responsabilités qualifiées de "masculines" en l’absence des hommes. Certaines femmes furent aussi directement actives sur le front ou à l’arrière, notamment en créant des groupes de résistance dans les zones occupées.

La participation des femmes pendant la guerre Iran-Irak est à considérer sous trois angles : leurs activités à l’arrière, leur présence sur le front et en première ligne, leur rôle dans la compilation et la conservation de la mémoire et des valeurs de la Défense sacrée après la guerre.

L’implication des femmes dans la participation civile à l’effort de guerre recouvre un vaste spectre d’activités, des dons financiers ou en nature au bénévolat dans les centres militaires ou les centres hospitaliers. Il faut aussi à ce propos souligner la présence morale des femmes durant cette période, qui n’ont cessé de valoriser l’esprit épique et le sens du sacrifice, autant pour elles-mêmes que pour les hommes. A titre d’exemple, Fahimeh Bâbâiyânpour, femme du martyr Gholâmrezâ Sâdeghzâdeh, mit sa robe de mariée à l’annonce du martyre de son époux, et lors de ses funérailles, félicita son mari en précisant aux personnes présentes : « Sa mort n’est pas la fin, mais le début de son existence, le début aussi de sa voie… S’il était mort de mort naturelle, j’aurais mis des habits de deuil, car il était cher à mon cœur, mais j’ai aujourd’hui remis ma robe de mariée, car je sais qu’il existe encore, qu’il voit et qu’il est témoin [1]. Je ne lui ai pas dit au revoir… » Elle continua de porter du blanc pendant un an, pour souligner qu’elle n’était pas en deuil. Ce comportement a eu un impact positif sur beaucoup de combattants.

Activités de femmes à l’arrière-front pendant la guerre Iran-Irak

Les femmes ont également été nombreuses à être présentes sur le front, prenant activement part à la défense, s’occupant des blessés, participant aux opérations, réalisant des reportages, prenant des photos, etc. Une infirmière raconte : « Au début de la guerre, un groupe d’infirmières dont je faisais partie décida de partir à Marivân [zone de conflit]. On emmena un jour à l’hôpital de campagne où nous avions été postées, une femme dont l’une des mains était devenue blanche. A son arrivée, elle était toujours inconsciente et dans un état de faiblesse extrême. Nous avons immédiatement commencé à lui prodiguer des soins. Quand elle reprit conscience, elle nous expliqua qu’elle venait du Nord [littoral de la mer Caspienne]. Elle s’était portée volontaire dès le début de la guerre pour travailler dans les centres médicaux d’urgence proches du front et lors d’une opération d’envergure ayant entraîné beaucoup de blessés, elle avait travaillé si longtemps sans s’interrompre que sa circulation sanguine en avait été affectée, d’où le problème de sa main. Et dès que sa main fut guérie, elle repartit au centre hospitalier et continua à assister le personnel médical débordé, en devenant par l’expérience, une infirmière spécialisée dans les blessures de guerre. » Un vétéran iranien, revenant sur ses souvenirs, cite quant à lui le nom d’une éclaireur femme : « Fatemeh Navvâb Safavi, petite-fille du martyr Navvâb Safavi, était positionnée près du Bahmanshir. Elle était éclaireur. Elle a joué un rôle important pour le succès de l’opération, en obtenant des informations pertinentes sur l’ennemi. La dernière fois que je l’ai vue, elle transportait le corps d’un combattant martyr. On savait qu’elle revenait d’une opération réussie. »

Aujourd’hui comme hier, les femmes jouent un rôle fondamental dans la préservation de la mémoire de cette guerre. De nombreuses femmes sont actives dans des comités de compilation et de rassemblement des témoignages sur la guerre, notamment l’enregistrement des souvenirs des vétérans, leur publication, ou la compilation des correspondances des combattants. Elles organisent également de nombreuses activités et cérémonies dans le cadre de cette thématique.

Fahimeh Bâbâiyânpour

Les femmes ont de même investi le champ de la littérature et des arts. Citons la correspondance de Fahimeh, une martyre, publiée après sa mort ; les poèmes de Sepideh Kâshâni, Tâhereh Saffârzâdeh, Simindokht Vahidi, Mehri Hosseini ; citons la prose de Zahrâ Zavvâriân, Maryam Sabbâghzâdeh, Mehri Mâhouti ou Habibeh Jafariân, parmi d’autres, toutes ces écrivaines puisant dans leur expérience personnelle de la guerre. A côté d’elles, a émergé la nouvelle génération d’écrivaines qui étaient enfants, ou pas même nées durant la guerre, et qui en fait pourtant la thématique de son œuvre littéraire.

Aujourd’hui encore, près de trente ans après la fin de la guerre, de nombreuses femmes continuent de vivre avec son souvenir : veuves de guerre, mères ayant perdu un ou des fils, épouses d’anciens vétérans blessés ou portant des séquelles comme les gazés, anciennes combattantes ayant vécu la captivité dans les camps de prisonniers de Saddam Hussein… Elles sont toutes la mémoire vivante de

l’épopée de la Défense sacrée.

Sources :


- Sajjâdi, Seyyed Javâd, "Barresi-ye naghsh-e zanân dar defâ-e moghaddas" (Etude du rôle des femmes durant la Défense sacrée), in Râsekhoun : en ligne.


- Bani Tabâï Nâïni, Fâtemeh, Naghsh-e zanân dar defâ-e moghaddas (Le rôle des femmes dans la Défense sacrée), 1392 (2013) : en ligne.


- Asadi, A’zam, Naghsh-e zanân dar pirouzi-e enghelâb-e eslâmi va nehzat-e emâm Khomeyni (Etude du rôle des femmes dans la victoire de la Révolution islamique et le mouvement de Rouhollâh Khomeyni) : en ligne.


- Sangari, Mohammadrezâ, Naghd va barresi-ye Adabiât-e Manzoum-e defâ-e moghaddas (Etude analytique de la prose littéraire de la Défense sacrée), tome III.


- Bâbâyiânpour, Fahimeh, Nâmeh-hâye Fahimeh, Téhéran, éd. Soureh Mehr, 2013, 173 p.

http://www.hamshahrionline.ir/details/159028

Notes

[1Le martyr est un Témoin dans la pensée islamique. D’où son titre de shahid : « Celui qui témoigne [=voit]. »


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