N° 140, juillet 2017

La femme et la littérature persane
La figure de la femme et les femmes écrivaines en Iran


Afsaneh Pourmazaheri


Les premiers pas des femmes dans la littérature

 

La littérature contemporaine iranienne se forme à partir de l’ère qâdjâre et continue son évolution jusque dans les années 1950. Cependant, le faible nombre d’écrivaines iraniennes durant cette période n’a guère permis à un véritable courant littéraire féminin d’émerger. Les contraintes sociales et familiales ne favorisaient alors pas l’épanouissement de la fibre littéraire féminine. Celles qui avaient l’ambition d’écrire évitaient de porter la main à la plume de peur de ne pas être à la hauteur, et celles qui se risquaient à écrire se dissimulaient souvent derrière des pseudonymes masculins - sorte de garantie de liberté d’expression. La publication de leurs ouvrages n’était aussi pas sans difficulté. Leur participation aux milieux littéraires était étroitement liée à leur réussite sociale. Au début du XXe siècle, lorsque certaines femmes éduquées, rassemblées en comité, ont tenté d’obtenir un début de droits pour l’amélioration de leur condition, elles suscitèrent de violentes réactions et subirent de multiples menaces. Ces obstacles ne les ont pas empêchées de fonder des écoles privées réservées aux filles, des fondations pour le droit des femmes et des revues abordant des questions spécifiques les concernant.

Maryam Amid Mozayan-ol-Saltaneh

Après la Première Guerre mondiale, les revues et les écoles devinrent les deux principales sources d’une certaine autonomie et vie intellectuelle pour les femmes iraniennes. Madame Hassan Khan Kahâl créa Dânesh, la première revue pour femmes, en 1910. Après elle, Maryam Amid Mozayan-ol-Saltaneh, directrice de l’école Mozayaneh, fit publier la revue Shokoufeh à Téhéran entre 1913 et 1918. Dans son sillage, différentes revues publiées pour les femmes commencèrent à paraître dans différentes villes d’Iran. A Ispahan par exemple, puis à Mashhad, Rasht, Shiraz et Bandar Anzali. L’une des revues les plus importantes de cette époque avait pour titre Alam-e Nassvân (Le monde des femmes), et fut publiée entre 1920 et 1934 sous la direction de Madame Navâbeh Safavi. Cette revue paraissait tous les deux mois en trente-huit pages à Téhéran, et ses principaux thèmes étaient la médecine, la mode et la littérature en prose et en poésie. Cette revue se présentait d’une certaine manière comme une réponse à l’illettrisme et aux problèmes sociaux des femmes. Elle eut un tel impact que d’autres revues de l’époque décidèrent à leur tour de consacrer une rubrique aux femmes.

A partir des années 1920, les femmes poètes ont commencé à se faire connaitre du grand public en évoquant les thèmes et les revendications de la littérature de l’époque. L’une des essayistes les plus modernes de son temps fut sans conteste Bibi Estar Abâdi qui publia Ma’âyeb-ol Redjâl (Les défauts des hommes), une sorte d’essai en faveur de l’évolution de la relation entre les hommes et les femmes et d’une présence plus active des femmes au sein de la sphère sociale en Iran.

 

Simin Dâneshvar

La littérature féminine iranienne des années 40

 

La présence des femmes dans la littérature et le lien qu’elles ont noué avec ce champ artistique et social dès le début des années 1940 sont l’une des manifestations de changements profonds en Iran. Ce fut une période de transition qui produisit des sentiments extrêmes, entre admiration et haine. C’est à ce moment que débuta véritablement l’ère moderne de l’écriture féminine. Au début, les femmes ne faisaient qu’imiter les œuvres écrites par les hommes tout en marquant un intérêt particulier pour la morale et l’éthique. Elles considéraient la littérature comme un moyen ou une arme pour instruire leurs semblables et les mettre en garde contre certains dangers potentiels. Cette tendance dura une vingtaine d’années, avant qu’une évolution notable dans la forme et le fond de leurs écrits n’apparaisse au début des années 60.

Vers la fin des années 60, Simin Daneshvar révolutionna la littérature persane avec son chef d’œuvre, Suvashun. Ce roman fut l’un des plus lus en son temps. Le choix d’une narratrice, d’une femme donc, et non pas d’un homme comme le voulait l’époque, fit l’essentiel du succès de cette œuvre. Daneshvar adopte la même méthode de narration dans ses autres œuvres, dont la nouvelle « A qui dire bonjour ? » (Be ki salâm konam) et le roman L’île de l’incertitude (Jazireh-ye sargardâni). Chez Daneshvar, la narratrice permet d’établir un lien fort entre le lecteur et l’œuvre tandis que les personnages principaux, ceux qui font avancer les évènements dans l’histoire, sont des hommes.

Après Simin Daneshvar, nombreuses furent les écrivaines qui osèrent écrire et publier leurs romans et leurs nouvelles, notamment Shahrnouch Pârsipour, Ghazâleh Alizâdeh, Mahshid Amirshâhi, Monirou Ravânipour, Goli Taraghi et beaucoup d’autres dont les œuvres reçurent en général un accueil favorable des critiques et du public. D’après les études effectuées concernant la production littéraire des écrivaines iraniennes dans le monde contemporain, on considère comme notable l’évolution de la situation et du statut de la femme dans la littérature d’avant et d’après la Révolution. Dans les années 60, on recensait environ vingt-cinq écrivaines iraniennes, alors qu’actuellement, il existerait 3 femmes écrivaines pour 5 hommes écrivains. Il semble donc que la littérature ait préparé le terrain pour le combat des femmes dans une société que l’on peut encore considérer comme patriarcale.

Zoyâ Pirzâd

Avant la Révolution de 1979

 

Shahrnouch Pârsipour n’avait que seize ans lorsqu’elle publia ses nouvelles chez différents éditeurs. « Toubâ et le sens de la nuit » (Toubâ va manâ-ye shab), « Les femmes sans hommes » (Zanân-e bedoun-e mardân), « Le chien et le long hiver » (Sag va zemestân-e boland) font partie de ses meilleurs écrits. Elle illustre, dans ses œuvres, l’atmosphère maladive de la condition de femmes abandonnées et sans appui. Ses œuvres ont une originalité particulière car les éléments et les personnages traités sont inspirés à la fois, de la mythologie persane et de la réalité contemporaine de leur vie.

Ghazâleh Alizâdeh est une autre écrivaine de grand succès qui a débuté l’écriture en 1976 avec son premier roman intitulé « Après l’été » (Bad az tâbestân). Un an après, en 1977, elle a publié un recueil de trois nouvelles intitulé Le voyage inratable (Safar-e Nâgozashtani) et en 1991, un roman en deux tomes, La maison des Edrisi (Khâneh-ye Edrisi-hâ) auquel elle doit sa renommée. Ses personnages sont des femmes et des hommes solitaires qui se sont retirés du monde à cause de troubles psychiques. Elle considère qu’il ne faut pas voir les problèmes des femmes sous un seul angle et qu’il faut relativiser les choses en réfléchissant en toute honnêteté aux côtés négatifs et positifs des deux genres.

Mahshid Amirshâhi, de son côté, a commencé sa vie littéraire en France avec son roman En captivité (Dar Hasr) avant de publier En voyage (Dar safar). Le premier est en quelque sorte une autobiographie où elle narre ses souvenirs en Iran, et le deuxième met en scène sa vie après son arrivée en France. Elle a également écrit Sar bibi khânoum, Après-midi (Bad az zohr) et A la première personne du singulier (Be sigheh-ye aval shakhs-e mofrad). Les femmes, dans ses œuvres, ont des personnalités originales : l’une est une femme paysanne sans complexité, tandis que l’autre est politiquement engagée, moderne et intellectuelle.

Monirou Ravânipour fait partie des écrivaines d’avant la Révolution, mais l’intégralité de ses œuvres a été publiée à partir des années 80. Ses voyages, dans les régions méridionales, de l’Iran ont constitué l’ossature de son premier roman. Elle s’est nourrie principalement des us et coutumes des tribus iraniennes, et notamment de la condition des femmes dans ces contrées marginales. Dans Les pierres de Satan (Sang-hâye sheytân), elle raconte le retour d’une jeune fille dans sa ville natale dans l’un des villages du sud de l’Iran. Ses œuvres sont teintées d’une atmosphère à la fois nostalgique et réaliste. Elle a également écrit d’autres romans à savoir Kanizou, Ahl-e ghargh, Le cœur de plomb (Del-e foulad), La mendiante à côté du feu (Koli kenar-e âtash), et quelques nouvelles.

Goli Taraghi est l’une des écrivaines contemporaines iraniennes les plus connues qui s’est consacrée à la littérature dès son plus jeune âge. Son premier roman, Je suis aussi Che Guevara (Man ham Che Guevârâ hastam) comporte une thématique fortement sociale. Elle a ensuite continué ses activités en s’orientant vers le thème de l’immigration en France. Ses héroïnes sont majoritairement des mères, des épouses et des filles. Elles ne sont ni différentes ni originales. Taraghi parle à sa façon de la société traditionnelle et traditionnaliste iranienne dirigée par les hommes.

 

Couverture du roman Mon oiseau
(Parandeh-ye man), écrit parFaribâ Vafi

L’après Révolution

 

Après la Révolution islamique de 1979, la production féminine a considérablement augmenté en qualité et en quantité. D’après Shahrnouch Pârsipour, l’expérience de la Révolution et de la guerre Iran-Iraq a projeté les femmes sur le devant de la scène littéraire, sociale et économique. Pendant cette période, la production littéraire a connu un boom sans précédent, de telle sorte que par exemple en 1991, la parution des romans, des nouvelles et des ouvrages littéraires féminins a été multipliée par treize par rapport à la décennie précédente.

Zoyâ Pirzâd, écrivaine d’origine arménienne, a débuté sa carrière littéraire dans les années 90 avec un recueil comprenant les nouvelles "Comme tous les soirs" (Mesl-e hameh-ye asr-hâ), "Le goût astringent du kaki" (Ta’m-e gas-e khormâlou), "Un jour avant Pâques" (Yek rouz mândeh be eide pâk), qui ont rencontré un vif succès. Dans les années 2000, elle a publié J’éteins les lumières (Tcherâgh-hâ râ man khâmouch mikonam). Son héroïne, Clarisse, une femme traditionnelle vivant une vie tourmentée, est maltraitée par les autres femmes de la famille. Mais ce rythme est cassé avec l’arrivée de nouveaux voisins. Cette nouvelle famille joue un grand rôle dans l’évolution de sa personnalité en lui faisant découvrir des traits qu’elle ignorait jusqu’alors. Pirzâd a remporté le prix du meilleur roman au festival Golshiri en 2000. Dans son autre roman Nous nous habituerons (Adat mikonim), la personnalité de l’héroïne ressemble étrangement à celle de Clarisse, comme si ces deux personnages n’en faisaient qu’un. Mais cette fois, c’est sa rencontre avec un homme qui change le cours de sa vie.

Couverture du roman Ne t’inquiète pas
(Negarân Nabash), écrit par Mahsâ Moheb Ali

Faribâ Vafi est une autre romancière d’après la Révolution dont le roman Mon oiseau (Parandeh-ye man) a remporté plusieurs prix littéraires. Cette histoire tourne autour d’un thème central, le foyer familial. Sa narratrice est une locataire qui devient propriétaire d’un appartement de cinquante mètres carrés. L’histoire met en scène la tension dans un couple pour la vente de l’appartement. Dans ses œuvres, la famille et le rôle de la femme occupent une place importante.

Farkhondeh Aghâï aussi a remporté le prix Golshiri pour son chef d’œuvre Il l’a appris à Satan et l’a brûlé (Be sheytan âmoukht va souzând) en 2005. Elle raconte l’histoire d’une Arménienne mariée à un musulman et son désir d’apprendre, d’évoluer, d’avoir une vie aisée, d’obtenir ce qu’elle désire et de se battre pour.

Le premier recueil de nouvelles de Mahsâ Moheb Ali, intitulé La voix (Sedâ) a été publié vers la fin des années 1990. Quatre ans après, elle présente son roman La malédiction grise (Nefrin-e khâkestari) mais ce qui l’a fait réellement connaître est son ensemble romanesque Être amoureux en note de bas de page (Asheghiat dar pâvaraghi) qui a obtenu le prix Golshiri et le prix des critiques de presse. Elle a ensuite publié Ne t’inquiète pas (Negarân Nabash) aux éditions Tchechmeh (l’ouvrage a récemment atteint sa onzième édition). Elle s’intéresse à la vision du monde de la nouvelle génération et raconte sa situation et ses problèmes dans ce roman.

Couverture du roman ”J’étais venue boire un thé avec ma fille”, écrit par Shivâ Arastoui

Enfin, Shivâ Arastoui, auteure des nouvelles « J’étais venue boire un thé avec ma fille » (Amadeh boudam bâ dokhtaram tchâi bokhoram), « Le soleil et la lune » (Aftâb Mahtâb), « Je ne suis pas une fille » (Man dokhtar nistam) et des romans comme Bibi Shahrzâd et Afioun. Elle a remporté le prix Golshiri et le prix Yalda en 2003. La situation des femmes et leur relation avec le monde extérieur et intérieur la préoccupe tout particulièrement. Les hommes et leur présence occupent une place secondaire dans ses œuvres, et les héroïnes de ses histoires ont des caractéristiques semblables, en laissant supposer l’existence de ressemblances entre ses héroïnes narratrices et elle-même.

 

A en croire les éditeurs iraniens, les romans les plus lus de ces deux dernières décennies ont majoritairement été écrits par des femmes. Il s’agit de romans linéaires et sans complexité, mais qui attirent le lecteur de par leur beauté de style et leur accessibilité. Ils font pénétrer leurs lecteurs dans une atmosphère nostalgique et dévoilent la vie de femmes de la classe moyenne ou "opprimée", qui ont soif d’en découdre avec la société, l’histoire et la culture de leur pays, et qui recherchent des vérités et solutions « féminines », mises en relief par un regard féminin et destinées à un lectorat féminin.

 

Bibliographie :


- Aryânpour, Manoutchehr, A History of Persian Literature (Histoire de la littérature persane), Kayhân Press, Téhéran, 1973


- Casinons Assens, Rafael, Antología de poetas persas (Anthologie des poètes persans), Arca Ediciones, Madrid, 2006.


- Javâdi Amoli, Abdollâh, Zan dar âyeneh-ye djalâl va djamâl (La femme au miroir de la splendeur et de la beauté), Asrâ, Qom, 1999.


- Jafari, Mohammadrezâ ; Sharifi, Mohammad, Farhang-e Adabiât-e Fârsi (Encyclopédie de la culture persane), Moïn, Téhéran, 2006.


- Safâ, Z., Anthologie de la poésie persane, XXI-XXe siècles, Paris, Gallimard, 2003.


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